mercredi 31 décembre 1997

La théorie de la connaissance chez Marx

La théorie de la connaissance chez Marx

Présentation


Editions L'HARMATTAN (5-7 rue de l'Ecole Polytechnique - 75005 PARIS)


I. INTRODUCTION
La nouvelle de la mort de Marx était très exagérée. Par un apparent paradoxe, la chute des régimes bureaucratiques soi-disant « socialistes » a permis d'ouvrir une nouvelle route d'accès à un Marx enfin libéré d'un marxisme, doctrine officielle de régimes tyranniques. Au moment où le mode de produc-tion capitaliste semble triompher partout, où les doctrinaires libéraux imposent partout, avec un cynisme sans borne, leurs idées et leurs médications, la lecture de Marx retrouve une singulière actualité. Or, si les aspects sociologiques et économiques de l'oeuvre de Marx semblent les plus pertinents en tant qu'outils pour comprendre notre monde, c'est la philosophie de Marx qui nous semble la voie privilégiée et la plus féconde. Mais où trouver cette philosophie, dans une oeuvre vaste et protéiforme qui n'en traite à proprement parler que dans des écrits de jeunesse, pour la plupart laissés sous forme de manuscrits ?
La philosophie de Marx se présente d'abord comme un ensemble de thèses concernant l'origine de nos idées, les limites historiques du savoir et l'inversion du réel et du réel pensé, ce qui est désigné du nom de l'idéologie. Le chapitre de L'Idéologie Allemande consacré à Feuerbach, les introductions et préfaces des ouvrages économiques traitent d'une seule et même question : comment se forment les représentations illusoires, comment s'explique la domination de telle ou telle idée à une époque donnée et, en contrepoint, quels sont les fondements d'une théorie scientifique de l'histoire et de l'organisation sociale. La philosophie de Marx a donc des rapports avec la théorie de la connaissance. Plus : nous croyons que c'est dans le traitement du problème de la connaissance que se révèle le philosophie de Marx dans toutes ses dimensions, qui ne sont pas seulement gnoséologiques, mais aussi ontologiques et éthiques.
...

    mercredi 10 décembre 1997

    Notes sur la Généalogie de la morale


    La "généalogie de la morale" donne un résumé presque dans la forme philosophique classique - trois dissertations - du point où en est arrivé Nietzsche à la fin de son itinéraire philosophique. La "GM" noue les fils tendus dans le "Gai Savoir", dans "Zarathoustra" ou encore dans "Par delà le Bien et le Mal" dont elle constitue explicitement une défense et illustration.
    Les deux premières dissertations constituent une réfutation classique chez Nietzsche des valeurs morales classique: "Bon et méchant, bon et mauvais" tel est le thème de la première qui oppose le couple des valeurs du ressentiment au couple des valeurs des maîtres. La deuxième dissertation recherche l'origine de "la faute, la mauvaise conscience et ce qui leur ressemble". La troisième dissertation pose la question "Quel est le sens de l'idéal ascétique?" et montre l'identité profonde qui unit la religion des prêtres et la science. Elle se clôt par une mise en cause qui clôt la philosophie bien plus sûrement que les tentatives hégéliennes ou marxiennes puisque Nietzsche nie la valeur supérieure de la vérité.
    Le point de départ de la réflexion nietzschéenne est la soumission des valeurs morales au questionnement philosophique : quelle est la valeur des valeurs morales? Au départ le propos nietzschéen apparaît comme un retournement des valeurs morales traditionnelles: dans le non-égoïsme, la pitié, le renoncement, Nietzsche voit d'abord des valeurs retournées contre la vie et en fin de compte la source du nihilisme. C'est le problème de la pitié qui constitue le point de départ de la critique nietzschéenne du système des valeurs. Comment ce sentiment qui est considéré comme mauvais par les plus grands philosophes (Platon, Spinoza[1], La Rochefoucauld, Kant) devient-il un sentiment moral?
    La méthode nietzschéenne de la généalogie consiste à remonter à l'engendrement historique de la morale. A la différence des anglo-saxons qui cherchent une origine abstraite aux valeurs morales (l'utilité, l'habitude,..) Nietzsche fait appel à l'histoire, non à l'histoire des historiens mais à l'histoire des mots. C'est l'étymologie des mots "bon" et "mauvais" qui va révéler le sens primitif des valeurs morales. Sur cette base, Nietzsche peint une histoire ancienne mythique, faite des "races nobles", de "fauves déchaînés", la "superbe brute blonde en quête de proie et de victoire" qui doit retourner à son fond de bestialité. Nietzsche dérape complètement à plusieurs reprises dans un délire pseudo-historique - dont la psychanalyse pourrait sans doute nous dire beaucoup de choses! - en mettant à l'origine d'une culture faite pour "domestiquer les fauves", une culture du ressentiment et de la vengeance des humiliés - les "résidus pré-aryens", "ceux qui en Europe ou ailleurs étaient nés pour l'esclavage". Nietzsche procède avec aussi peu de sens historique que les Anglo-saxons qu'il critique: à une origine abstraite il substitue une origine mythique fondée sur des récits filtrés eux-mêmes par trois millénaires de tradition (ainsi quand Nietzsche défend Homère contre Platon). Lui qui réclame une histoire expérimentale de la morale, renonce à toute expérience et se base uniquement sur ses études de philologie pour faire l'histoire. Dans l'histoire concrète, il aurait rencontré des Juifs se conduisant comme des "fauves déchaînés" et des héros produisant de la "morale du ressentiment" à qui mieux-mieux. Car sont bien les Athéniens amollis par la culture qui furent les grands conquérants et non les Spartiates. Et ce sont les nobles romains qui furent les adeptes enthousiastes du stoïcisme, doctrine qui, sur le plan moral, préparait le triomphe du christianisme. Nietzsche oublie aussi les brutes pas blondes du tout, de  Attila à Gengis Khan, aussi pré-aryens que possible mais parfaitement disposés à aller par delà le bien et le mal. De même s'il n'avait pas été aveuglé par ses préjugés aristocratiques, il aurait du reconnaître dans les révolutionnaires de 1789 bien autre chose que le ressentiment et la vengeance des esclaves.
    Mais l'intérêt de la GM ne réside pas dans l'aspect par lequel Nietzsche pourtant croit avoir trouvé les preuves décisives de sa doctrine. L'intérêt de la GM réside dans la mise en oeuvre d'une psychologie qui fait de la frustration et de la répression des instincts la base de toute culture et se retrouve ainsi étonnamment proche de Freud (en particulier dès qu'il parle de la sexualité) et dans une philosophie qui en présentant la métaphysique classique comme représentation hypostasiée de l'individu cherche la voie d'une nouvelle doctrine de la subjectivité, non de la subjectivité au sens du "Moi" ou du "Sujet philosophique", mais d'une subjectivité corporelle, réelle, dont la conscience n'est qu'une des manifestations.


    [1]Voir l'Éthique par exemple:
    Qui sait droitement que tout suit la nécessité de la nature divine et arrive suivant les lois et règles éternelles de la Nature, ne trouvera certes rien qui soit digne de haine, de raillerie ou de mépris, et il n'aura de commisération pour personne, mais autant que le permet l'humaine vertu, il s'efforcera de bien faire comme on dit, et de se tenir en joie. A cela s'ajoute que celui qui est facilement affecté de commisération et ému par la misère ou les larmes d'autrui, fait souvent quelque chose de quoi plus tard il se repent; d'une part en effet, nous ne faisons rien sous le coup d'une affection que nous sachions avec certitude être bon; de l'autre nous sommes facilement trompés par les fausses larmes.(p.267)


    samedi 15 mars 1997

    Esthétique de Hegel Jean-Louis VIEILLARD-BARON et Véronique FABBRI '(L'Harmattan - 1997 - Collection Ouverture Philosophique.)

    A partir des travaux sur les cahiers de notes des élèves de Hegel, une relecture de l'esthétique qui tente de rompre avec l'interprétation traditionnelle qui vient de la publication de l'Esthétique par Hotho. Pas de révélation ni de révolution. Les thèses générales de Hegel sur l'art ne sont pas seulement dans les notes de Hotho mais aussi dans la "Phénoménologie de l'Esprit" et dans "L'Encyclopédie". Mais de nouvelles analyses qui donnent une vision plus fine et plus nuancée de la pensée de Hegel. Plusieurs auteurs reviennent sur la question de la "mort de l'art" et de son complément dans l'apologie de l'art classique (grec) qu'à la suite de Hotho on aurait transformés en dogmes intangibles, alors que les travaux plus récents montrent un Hegel attentif à l'art qui se fait à son époque et loin d'être uniment plongé dans cette nostalgie d'un passé révolu à quoi se résume bien souvent l'esthétique hégélienne. De même, alors que certains disciples de Hegel ont engagé la réflexion dans la voie d'une apologie de l'art allemand contre le cosmopolitisme et l'affaiblissement de l'esprit national, on rappelle que Hegel s'opposait à cette "stupidité allemande". 

    Parmi les 9 études qui constituent le volume, on retiendra particulièrement celle de Annemarie Gethmann-Siefert, Art et quotidienneté (Pour une réhabilitation de la jouissance esthétique), celle de Jacques d'Hondt, "Hegel et la mort de l'art" ou encore celle de Helmut Schneider, "La théorie hégélienne du comique et la dissolution du bel art."

    jeudi 12 décembre 1996

    Actualité de la pensée de Marx.


    Le titre de cette conférence doit d’abord être éclairci. Dans le langage courant, « actuel » désigne ce qui est d’aujourd’hui : les actualités ! En philosophie, le mot a un autre sens : est actuel ce qui est en acte, ce qui est une réalité pleine, par opposition à potentiel, à simplement virtuel. Un monde virtuel est un monde qui n’est, ou du moins pas encore.

    Si on s’en tient à l’usage courant, la pensée de Marx n’est guère actuelle. Travailler sur Marx aujourd’hui, c’est archaïque, ringard, etc. : l’impératif catégorique auquel nous sommes soumis est clair : il faut être moderne, branché, postmoderne et cyberbranché. Et comme le sait la lutte des classes est dépassée, le prolétariat n’existe plus, le monde est de plus en plus mondial, et tutti quanti. [Encore faut-il nuancer ce coup de colère : il reste un courant, minoritaire certes, mais bien vivant, qui, dans la recherche et à l’Université, continue à penser « dans » Marx ou « à partir de Marx ».]

    L’actualité de la pensée de Marx doit plutôt être vue dans son sens philosophique. Ce qu’a pensé Marx dans « Le Capital », c’était souvent une réalité encore à son stade germinatif. Une réalité qui n’est pleinement déployée que en cette fin de 20e siècle.

    Je donne quelques exemples rapides des conséquences que Marx tire de son analyse théorique des rapports de production capitaliste :

    · Concentration du capital (absorption et fusion) et centralisation (sociétés par action, développement de la sphère financière, fonds de pension).

    · Polarisation sociale et destruction de la classe moyenne.

    · Accumulation de la richesse à un pôle et de la pauvreté à l’autre (exemple de tous les pays avancés).

    · Soumission de toutes les sphères de la vie humaine à la marchandise.

    · Autonomie croissante de la sphère de la circulation financière par rapport à la sphère de la production (les échanges internationaux de capitaux ont un montant 70 fois supérieur à celui du commerce !)

    · Sans parler de l’analyse de la mécanisation et de l’automation et des diverses méthodes d’augmentation de la productivité du travail.

    Deuxième aspect évident de l’actualité de la pensée : la critique de l’économie politique. On a souvent présenté le marxisme comme une théorie sociale et politique qui fait de l’économique de la ressort de toutes les actions humaines. Si c’est là le marxisme, alors c’est la pensée dominante, la pensée unique d’aujourd’hui ! Mais si on se souvient que la grande œuvre de Marx (Le Capital) s’intitule « critique de l’économie politique », alors l’intérêt contemporain pour Marx peut se situer non seulement dans la description de la réalité sociale mais aussi dans l’analyse des modes de pensée dominants.

     Pourquoi la philosophie ?

    Marx n’est ni un économiste de l’époque de la machine à vapeur, ni un scientiste dépassé à l’heure de la « complexité ».

    Pourquoi le sortir des sciences humaines et le ramener à la philosophie ?

    Le retour actuel à la philosophie, qui est presque une mode (le « café philosophique ») n’est pas sans ambiguïté. On peut distinguer trois grandes tendances dans ce retour à la philosophie :

    1.La réduction de la philosophie à la philosophie morale (type Comte-Sponville).

    2.Le retour à la philosophie de Kant et à une philosophie du sujet archi-usée (type Ferry).

    3.Le triomphe de la philosophie politique anglo-saxonne dans l’héritage de Locke (mélange de droit de l’hommisme et de libéralisme économique sans scrupule.

    Chez les meilleurs, tout cela reste acceptable (par exemple Rawls). Mais ce qui revient dans le grand public, c’est une écoeurante mélasse de bons sentiments, d’indifférence aux malheurs du monde et de conseils de résignation à l’intention des victimes.

    Si on veut vraiment faire de la philosophie, on peut se cantonner dans la philosophie des sciences ou l’histoire de la philosophie ou la logique (de très bonnes choses dans tous ces domaines sortent chaque année). Il me semble que la vocation de la philosophie ne peut se cantonner à la monographie érudite. Le philosophe, depuis Socrate, est dans la cité et non pas dans la cité devenir penseur à gage ou signer des textes de soutien au pouvoir en place (comme on l’a vu en décembre 95, autour de la revue Esprit). Socrate définit son rôle comme celui d’une torpille. Il est là pour électriser, et sortir ses concitoyens de la torpeur de l’opinion et des idées toute faites, du « prêt-à-penser ».

    Marx, de ce point de vue, est un grand nom de la philosophie critique, de la philosophie qui soupçonne le mal dans la tiède quiétude des idées. Il n’est pas, ou pas seulement, un sociologue, un économiste, un leader politique, bien un philosophe, et des plus grands. Affirmation paradoxale à propos d’un penseur dont on dit souvent qu’il a voulu mettre fin à la philosophie ? Nullement. La philosophie de Marx est, par excellence, une philosophie critique, une philosophie qui remet en question nos manières habituelles de penser notre propre réalité sociale, une philosophie qui reste aujourd’hui encore, pour qui la prend au sérieux, une pensée subversive. Mais pour le comprendre, il faut débarrasser Marx des décombres du marxisme sous lesquels il est encore, en partie, enfoui.

    C.    Le marxisme contre Marx

    C’est le sens du travail que j’ai entrepris. Reprendre les choses à leur commencement – et c’est nécessairement une entreprise ardue (pour mes lecteurs aussi !)

    Schématiquement, on peut essayer d’expliquer les choses en reprenant, un à un, les lieux communs du marxisme standard (celui des vieux partis socialistes ou communistes d’antan, aussi bien que celui qui est présenté dans les cours de philosophie ou d’économie.)

    Le marxisme est une science

    Le socialisme scientifique ! Qui plus est une « science » qui, potentiellement a réponse à tout et étend les méthodes des sciences de la nature au domaine des affaires humaines. Corollaire : le marxisme a dépassé, surmonté et enterré la philosophie.

    Je crois avoir montré que toutes ces affirmations sont de purs et simples contresens.

    Le marxisme est philosophie de l’histoire

    Marx, successeur de Hegel, donne mission au prolétariat d’accomplir l’histoire universelle. Le prolétariat, classe démunie, est chargée de sauver l’humanité. C’est le schéma à peine transposé de la kénose christique. Marxisme pioché dans les textes de jeunesse et qui convient bien à la pensée religieuse qui nous domine encore si souvent, même à notre insu.

    Marx : L’histoire ne fait rien !

    Mais les hommes font librement leur histoire dans des conditions qu’ils n’ont pas choisies, qu’ils héritent des générations antérieures.

    Le marxisme est un déterminisme historique.

    Il y a des lois d’airain de l’histoire. Encore une erreur. En économie, Marx n’a cessé de batailler contre les « lois d’airain » (par exemple la loi d’airain des salaires de Lassalle, prise à Ricardo) et contre ceux qui assimilent la vie sociale à la nature. Pas de loi naturelle chez Marx, mais des lois historiquement conditionnées. L’idéologie, c’est, en partie cela, faire passer des los historiques, produits de circonstances sociales particulières, pour des lois de la nature !

    Le marxisme est une pensée de la structure

    Corollaire du déterminisme. C’est l’infrastructure qui détermine la superstructure. Les individus finissent par apparaître simplement comme les pantins, agis, dans leur dos, par les structures sociales qui sont les vrais acteurs. Nouvelle erreur ! Le fonds philosophique de la pensée de Marx, c’est l’individu vivant, pas le sujet abstrait de la philosophie de Kant, mais l’individu pris dans un réseau de relations sociales. Le problème central est celui de l’aliénation/exploitation, c'est-à-dire de la transformation de la puissance subjective du travailleur en puissance objective du capital. Les enjeux de ces analyses pour notre époque se montrent d’eux-mêmes, à l’heure où, plus que jamais, la « faim sacrée de l’or » impose sa loi sous le couvert d’un économisme triomphant.

    Je prends à Michel Henry deux affirmations essentielles :

    1.Le marxisme est l’ensemble des contresens faits sur Marx.

    2.La philosophie de Marx est a) une philosophie de la réalité b) une philosophie de l’économie.

    Quelle est la nature de la réalité sociale ? C’est la première question à laquelle s’attaque Marx. Et il y répond directement : nous partons des individus vivants (par de l’humanité en générale ou quelque autre abstraction creuse) mais des hommes, de la manière dont ils vivent, mangent, souffrent, etc.

    Qu’est-ce que l’économie ? Sous son double aspect : la réalité (l’ensemble des faits « économiques ») et le savoir de ces faits (l’économie politique, la science économique). C’est ce qui définit le travail de la « critique de l’économie politique », c'est-à-dire de la mise à jour des fondements non économiques de l’économie. Poser Marx comme cela, on le voit, c’est prendre à contre-pied toutes les interprétations traditionnelles du « matérialisme historique. »

    D.    Nécessité d’une philosophie de l’économie

    Le type de travail entrepris par Marx est un travail qu’il nous faut reprendre : à la fois critique de la réalité économique insupportable pour des masses de plus en plus nombreuses et la critique de la pensée dominante qui justifie et camoufle en même temps cette réalité. On a beaucoup parlé de la « pensée unique ». En quoi consiste-t-elle ?

    1.Il y a une science économique (bardée de modèles mathématiques, pour obliger au respect le vulgum pecus) dont les résultats sont garantis par le tampon « science ». Si c’était vrai, ça se saurait : imaginez un médecin dont les pronostics et les ordonnances soient aussi calamiteux que ceux de MM. Milton Friedmann, Raymond Barre et tutti quanti.

    2.Les lois de l’économie sont équivalentes aux lois de la nature et qui tente de s’y soustraire sera sévèrement puni. Le « contre-nature » est le pire des péchés ; on sait cela depuis les Pères de l’Eglise. Essayez des contre-exemples, ça ne sert à rien : l’économiste ultra-libéral moderne se moque des faits ; si sa recette n’a pas marché, c’est parce qu’il y a eu un facteur perturbateur (comme les partisans du spiritisme invoque votre maudite incrédulité qui a empêché l’esprit frappeur de frapper). Le dogme économiste est infalsifiable au sens de Popper.

    3.Les lois économiques sont objectives ; elles ne se réfèrent pas quelques intérêts ou passions humaines. Il est normal que certains s’enrichissent démesurément pendant que d’autres s’appauvrissent. Contredire cette affirmation, c’est faire preuve d’une inadmissible partialité. D’ailleurs ce sont les « marchés » qui dictent leur loi, par les individus qui agissent sur ces « marchés ». L’économie moderne est l’explosion du délire animiste !

    4.Il y a des maux dans le monde (par exemple l’exploitation du travail des enfants). Mais ces maux sont des maux partiels qui concourent à la formation d’un plus grand bien pour demain (ou après-demain). C’est la doctrine leibnizienne de l’harmonie préétablie. L’expert de l’OCDE qui recommande la suppression du SMIC, de la retraite par répartition, et de la SS est un nouveau Docteur Pangloss.

    5.Souffrez pour la repentance de vos péchés : si tout va mal aujourd’hui, c’est parce qu’on aura trop bien vécu et surtout parce que ces fainéants de pauvres se sont goinfrés d’avantages sociaux ; il leur faut jeûner un peu et travailler à la sueur de leur front.

    En somme la pensée unique, c’est la théologie adaptée au culte du veau d’or. Or, à bien des égards, tout cela est vieux comme les rues. Les Say, Senior, Bentham et Cie, que Marx critique, disaient déjà tout cela (et en général avec plus de talent que leurs décadents épigones.)

    E.    Conclusion : pistes ouvertes

    Pour finir, préciser quelques points :

    1.Inutile de refaire un nouveau système. Pas de « reconstruction du marxisme ». Simplement reprendre chez Marx une inspiration, une orientation de la pensée vers la réalité concrète des hommes et garder l’orientation : émancipation des individus.

    2.Marx ne donne pas réponse à tout. Des pistes existent concernant la politique proprement : par exemple, le rôle des lois sociales, le rôle de la démocratie politique, etc. Mais pas d’élaboration complète et systématique.

    3.Problèmes en suspend : la nation (Marx y a réfléchi, mais uniquement sur l’exemple polonais et irlandais), le problème du fonctionnement de l’Etat et de la bureaucratie (sans doute Weber apporte-t-il sur cette question des éclaircissements décisifs), problème de la morale et des fondements du droit (là encore Marx n’est pas aussi silencieux qu’on l’a dit parfois, mais tout cela est épars.

    4.La fonction des « intellectuels » : La démagogie stalinienne/maoiste faisait de l’intellectuel le serviteur de la classe ouvrière via la soumission au « parti de classe », c'est-à-dire à l’appareil dirigeant. Aujourd’hui les intellectuels revenus de tout (ou jamais partis) prônent le retrait du champ politique. Comme si on devait nécessairement tomber de Charybde en Scylla. On n’est pas contraint à cette alternative. Exemple de Bourdieu.

    lundi 1 janvier 1996

    Un centenaire: Engels

    Communisme et communautarisme.

    Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...