lundi 21 novembre 2005

Comment ressourcer l’idée républicaine?

Recension d'Yvon Quiniou pour Revive la République, par Denis Collin, Éditions Armand Colin, 2005, 234 pages, 20 euros.

Denis Collin revitalise les objectifs d’égalité et de liberté proclamés par la révolution de 1789, à la lumière d’un héritage marxien réactualisé.Voici un livre particulièrement stimulant. Prolongeant sa réflexion plus générale de Morale et Justice sociale (Seuil, 2001), Denis Collin affronte la crise politique actuelle pour en souligner la gravité et suggérer les moyens de la dépasser. Son constat de départ est sans concession : la démocratie se délite au fur et à mesure que s’aggravent les difficultés de vie des masses populaires, trahissant les proclamations officielles de ses élites. Le libéralisme d’aujourd’hui, assez différent des promesses de libération politique de ses fondateurs, n’est autre qu’un « libérisme », c’est-à-dire une organisation économiquede la production dans laquelle la recherche du profit se retourne contre la liberté des producteurs, voire peut s’accommoder d’une absence criante de démocratie comme les différents fascismes du XXe siècle l’ont montré.
Mais la situation idéologique est obscurcie par le fait que bien des intellectuels ou militants libertaires - Cohn-Bendit, Negri, Lipietz - sont passés sans remords dans le camp libéral, oublient l’exploitation du travail dont il est complice, et nourrissent ainsi
la pire confusion sur sa signification politique réelle.
L’auteur propose de réagir en se ressourçant à l’idée républicaine. Certes, celle-ci n’est qu’un cadre normatif et juridique, souvent bafoué dans la réalité, mais elle indique où la société doit aller : vers l’égalité et la liberté de tous, comme la Déclaration de 1789 l’a proclamé. Sa réalisation suppose que l’on ne fasse pas l’impasse sur la théorie de Marx : les inégalités de classes existent, liées à la propriété privée de l’économie, qui empêchent la liberté d’être un bien réellement universel, et il faut intégrer cette donne si l’on veut rendre effective la République. Mais l’héritage marxien doit lui-même être actualisé : dans un chapitre qu’on pourra trouver un peu rapide, l’auteur indique par exemple que l’idée d’une croissance devant apporter l’abondance doit être revue, en particulier du fait de la crise écologique, ou encore que le thème du dépérissement de l’État n’a guère de sens si l’on veut maintenir une régulation juridique assurant l’égalité et la liberté, y compris dans la sphère économique.
Les propositions formulées en fin d’ouvrage sont un mixte de républicanisme et de fidélité critique à l’auteur du Capital. S’appuyant sur le travail prospectif de Tony Andréani, l’auteur envisage de revenir à un programme fort de nationalisations, de l’accompagner d’un renouvellement démocratique aux multiples visages, y compris institutionnels, avec une VIe République, de revaloriser l’espace national comme base d’un pouvoir des peuples, de faire toute sa place, enfin, au souci de l’individu en s’inspirant de ce qu’il y a de meilleur dans la tradition libérale issue des
Lumières (Rawls est souvent cité). Tout cela dessine ce que pourrait être un communisme à la fois intransigeant et lucide, sans messianisme ni renoncement. On regrettera seulement que ne soit pas indiquée la force politique susceptible de lancer cette alternative, alors que ce n’est pas du côté de la social-démocratie, telle qu’elle se veut aujourd’hui, qu’on peut la trouver.
Yvon Quiniou, philosophe

jeudi 22 septembre 2005

Revive la République. Présentation et lettre de Jean-Marie Nicolle

Revive la République

En librairie le 15 Septembre 2005


Nos élites dirigeantes ont le travers de confondre leur incontestable essoufflement et les indices de leur sortie de jeu prochaine avec cette « fin de la politique » qui les arrangerait tant.

Fini l’art et le courage de gouverner, tout ne serait plus que «gouvernance» ! Néant de la pensée et de l’action : des élections transformées en concours de beauté entre candidats aux programmes interchangeables, des ambitions personnelles et claniques à foison, et de beaux débats sur les « valeurs » pour couvrir le tout !

Mais cette mauvaise comédie, à laquelle ont rallié leur panache rose nombre de ceux qui s’imaginent peut-être encore porter les chances du changement, ne fait déjà plus recette. De 21 avril en 29 mai, l’urgence est claire, il faut oser refaire de la politique, et donc d’abord faire revenir la politique, au sens noble, dans les têtes et les programmes.

À cet égard, l’idée républicaine, paradoxalement, reste une idée neuve. Après des décennies de détours utopiques ou à l’inverse d’asservissement aux supposées lois de l’économie, nous sommes
loin d’en avoir épuisé ou même deviné tout le potentiel. Elle seule, ce livre prétend le démontrer, permet de redéfinir un idéal libérateur pour notre époque.

Des citoyens libres dans une république émancipée : voici, confortées par des analyses de fond, des orientations et les linéaments d’un programme social-républicain.

ARMAND COLIN collection « Intervention »
septembre 2005, 208 pages, 20 €, ISBN 2-200-26931-5



Ecrit par dcollin le Dimanche 11 Septembre 2005, 19:21 dans "Publications" Lu 5200 fois. Version imprimable

Partager cet article

       
Modifier

Commentaires

Lettre de Jean-Marie Nicolle

dcollin - le 22-09-05 à 07:15 - #
Cher Denis,

Je viens de terminer la lecture de ton livre et je veux te dire combien je l'ai apprécié. Clarté, incision, justesse, beaucoup de qualités d'écriture. Mais je ne vais pas te distribuer les points. Je suis fondamentalement d'accord sur tes analyses et sur ta proposition d'un retour à la République, c'est-à-dire à la "polis" au sens le plus simple du terme, et une République sociale qui repose sans cesse la question de la propriété.

La tâche n'était pas facile de démêler le philosophique de l'idéologique et tes exposés sur la terminologie sont très utiles (ex: sur le libéralisme, pp.66-67).

Je souscris à ton analyse sur la crise de la démocratie et tu as raison de souligner la conscience politique des citoyens malgré la dépolitisation apparente. La société de consommation avec le crédit (p.50) est une cause importante. Mais j'aurais insisté d'avantage sur la politique politicienne comme mise en scène permanente de l'image des individus-vedettes afin d'occulter les débats de fond. Les responsables politiques sont devenus des marionnettes volontaires ; l'attaché de presse ou le conseiller en image ont pris une bonne part du pouvoir. Les médias sont devenus un véritable quatrième pouvoir. La vie politique est réduite à un feuilleton dont les citoyens sont devenus les spectateurs forcés. Les coulisses sont, bien entendu, fermées à double tour. Même les manifestations, les grèves de la faim, les occupations d'usines sont récupérées dans le décor. Comment faire entendre autre chose?

Tu dis avec raison que la mondialisation n'est pas un phénomène nouveau, à un détail près cependant: la télévision puis internet (on trouve des cybercafés dans les villages de la brousse) exhibent la richesse occidentale partout dans le monde. Au XIXe siècle le château de la reine Victoria était invisible aux Massaï du Kenya! D'où des rapports nouveaux, me semble-t-il, à l'autre, à ce qui est considéré comme une valeur (va observer les Papous en leur offrant de la verroterie; ils te réclameront une Toyota ou un PC portable), à l'idée que les hommes se font de la liberté. On explique l'immigration par la misère, alors que ce sont les élites (relatives) qui cherchent à venir en Europe: les immigrés ne viennent pas tant chercher un travail que ce qu'ils ont vu à la télé; d'ailleurs, à la télé, voit-on les gens travailler? Voit-on les héros payer leur consommation en sortant du café? L'argent est caché; on fait circuler les images.

La panne de l'ascenseur social: c'est vrai. Mais il n'y a pas que les bourses, le labyrinthe des filières, le coût des études supérieures qui soit en cause. L'image de l'enseignant et, plus généralement, des professions intellectuelles, a été systématiquement ridiculisée, par ceux-là même qui auraient pu la promouvoir (les journalistes, les directeurs de programmes audio-visuels). Pour sortir de son milieu par les études (c'est mon cas) il faut pouvoir s'identifier à une image positive, ce qui réclame un prestige social du maître et une considération de la famille. Allègre est, à mon sens, un des principaux responsables dans cette affaire.

Ta description de la ruse politique consistant à user de l'Europe pour se défausser de ses responsabilités par les politiques (p.57) me paraît très juste; un petit détail sur la formule de B.Pascal (p.88); en réalité, elle vient de Nicolas de Cues; tu comprendras ma sensibilité sur ce point!

Je suis d'accord avec ta critique de nos institutions qui respectent pas la séparation des pouvoirs. C'est une difficulté que je rencontre auprès des étudiants que je prépare à Sciences Po. Quand on expose les principes, tout va bien. Mais quand j'explique comment se passe l'adoption d'une loi en France (depuis le dépôt du projet jusqu'à la publication des décrets d'application), je vois des têtes de plus en plus consternées.

P.133: tu montres la collusion de classe du personnel politique; notre démocratie n'est qu'une oligarchie; je me souviens des propos pessimistes de R. Aron là-dessus. Bien que je ne partage aucunement son gaullisme, sa thèse de la nécessaire hypocrisie de l'exercice du pouvoir en démocratie ne manque pas de force. Mais elle est très dangereuse, bien entendu.

Ton analyse du marxisme qui dissocie la théorie de ses applications historiques me convient tout à fait. Marx n'est pas mort. Je te signale des fautes de frappe dans ces pages (139-144). La passion t'aurait-elle emporté? Je suis très intéressé par ton hypothèse: "le marxisme est la dernière des grandes hérésies chrétiennes" (p.145). Mais que dire du libéralisme anglo-saxon? Comment peut-on être Texan et chrétien?

P.151: l'histoire de la monarchie est l'histoire de la liquidation impitoyable de la noblesse. Bien sûr, tout groupe au pouvoir se maintient par la liquidation de ses rivaux proches (cf. les purges staliniennes). Mais comment entends-tu cette liquidation des nobles par le tiers-état: les dettes? les chartes parlementaires? les expulsions des grandes familles?

Enfin je te rejoins tout à fait pour dire qu'une refondation de la République ne peut passer que par une remise en cause de la propriété. Mais tu ne parles pas de l'héritage. Si les parents ne doivent avoir aucun droit de propriété sur leurs enfants (ma femme, ma fille, mon fils, ma voiture, mon chien...), les enfants ne doivent avoir aucun droit sur les biens de leurs parents. Que les propriétés accumulées par un individu ou par un couple reviennent à la propriété sociale à sa mort. Par là, on diminuerait une bonne partie des investissements dans des rentes. Mais surtout on détruirait le sacrifice des générations, les conflits de succession, les injustices scandaleuses au bénéfice de ceux qui ne se sont donnés que le mal de naître, etc. La notion de bonheur en serait transformée, chacun devant "travailler", littéralement, à son propre bonheur.

Tes propositions finales sont risquées et c'est courageux de les écrire: pp.209-210 sur les institutions, p.216 sur la presse, p. 217 sur le rachat des entreprises. Je ne suis pas sûr que les faits te donneraient raison sur la productivité dans le socialisme (p.222). Je suis plus pessimiste que toi sur la viabilité des coopératives. Je trouve très juste ta définition de la loi juste (p.224): elle permet d'échapper à l'angélisme chrétien. Je m'en servirai.

Ce qui transparaît au long de tes pages, c'est le sentiment d'avoir été trahi par les responsables de la gauche. Et c'est vrai. Et cela va demander du temps pour s'en remettre. Comment les militants du PC vont-ils digérer la chute de l'URSS? Comment les militants socialistes peuvent-ils encore supporter le spectacle de leur parti? Et s'il faut choisir entre Sarkozy et Fabius? C'est désespérant! ...Même Chevènement qui pouvait sembler assez proche de ton projet s'est rendu insupportable. "Le gouvernement des hommes doit être remplacé par l'administration des choses". Oui ce serait tellement plus facile. Ce serait une belle libération. Malheureusement, si on dépasse le gouvernement sur les hommes, il reste que le gouvernement s'exerce par des hommes. Et là on n'est pas sorti de l'affaire! Personnellement, j'en suis arrivé à une position plutôt sceptique: la recherche du bonheur n'est pas ce qui intéresse les hommes. Quand ils ont tout pour être heureux (argent, amour, beauté, santé, culture), ils s'arrangent pour gâcher la fête. Observe nos chers collègues du supérieur: ils ont l'autonomie, le prestige, le temps, aucun inspecteur sur le dos, et ils passent leur temps à se tendre des traquenards où ils dépensent une énergie folle.

Alors dénoncer le discours économique: oui; reposer le sens de la loi républicaine: oui; redonner vie au politique au sens démocratique du terme: oui. Par là on rétablira un peu plus d'égalité et de justice; je ne pense pas qu'on redonnera beaucoup de liberté (la consommation est devenue notre prison). Je ne crois pas qu'on rendra les hommes heureux.

Jean-Marie Nicolle

lundi 15 août 2005

Raisonnement scientifique et utilitarisme

à nouveau sur le sophisme naturaliste

Dans l’une de ses contributions au volume Intrusions spiritualismes et impostures intellectuelles dans les sciences[1], Jean Bricmont tente une brève défense de l’utilitarisme comme  fondée sur l’approche scientifique de la réalité. Il vaut la peine de s’y attarder en raison de la personnalité et des qualités particulières de l’auteur qui mettent d’autant mieux en relief l’impasse à laquelle conduit une telle position.[2]

Bricmont commence par reconnaître qu’il est certainement vrai « qu'on ne peut pas déduire logiquement des jugements de valeur à partir de jugements de fait. » Mais il ajoute immédiatement :
« cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas une façon scientifique de raisonner en matière éthique qui, à nouveau, s'oppose à l'attitude religieuse. Cette approche est l'utilitarisme qui repose sur un seul principe éthique non factuel, à savoir qu'il faut globalement maximiser le bonheur. »
Il ne s’agit donc pas de déduire les règles morales des sciences de la nature : Bricmont ne tombe pas dans ce que Moore appelait « le sophisme naturaliste »[3] et de ce point de vue il se distingue de ceux veulent refonder la  dans la théorie darwinienne de l’évolution.[4] Il s’agit seulement de transposer à l’éthique la méthode des sciences de la nature. Malheureusement, en pratique, cela ne vaut guère mieux que le « darwinisme moral ». Bricmont reconnaît volontiers que la notion de bonheur est bien vague et que « les calculs utilitaristes sont bien souvent impossibles à effectuer ». Mais il ajoute :
« On peut justifier a contrario l'utilitarisme en faisant remarquer qu'il est difficile d'imaginer une action qui serait moralement justifiée alors que celui qui la commet sait qu'elle tend à diminuer le bonheur global. »
Voilà qui est fort confus ! Bricmont introduit le concept de « justification  » comme si ce concept allait de soi. En science, on connaît les procédés de justification d’une assertion : cohérence logique, coordination systématique des résultats expérimentaux, capacité prédictive. Mais il n’y a rien de tel en éthique puisqu’il n’y a pas de « résultats expérimentaux », puisque l’éthique n’a rien à voir avec les faits en tant que faits. Qu’il y ait des myriades de menteurs et un nombre assez élevé d’assassins, cela ne nous dit rien des valeurs morales du mensonge ou du meurtre. La « justification  » se rapporte toujours à une certaine doctrine  qui est présupposée. Il y a des justifications utilitaristes du mensonge ou du meurtre, mais les mêmes actes n’ont aucune justification dans la  kantienne. On ne peut donc pas dire que l’utilitarisme repose sur des justifications morales dès lors que ces justifications présupposent elles-mêmes l’acceptation de l’utilitarisme. Le raisonnement de Bricmont se place dès le départ dans un cercle vicieux : il doit supposer ce qu’il veut démontrer. Une fois cette première faute logique commise, il entre dans le monde enchanté des théories irréfutables.
Bricmont ne s’en tient pas là : il sous-entend qu’il y a au moins un mode négatif de justification  : pour une mauvaise action « celui qui la commet sait qu'elle tend à diminuer le bonheur global. » Autrement dit, premièrement, j’agis mal dès lors que je sais que j’agis mal : on retombe dans les morales de l’intention qu’on vient de chasser par la porte (au nom de l’approche scientifique) et qui rentrent par la fenêtre. Deuxièmement, on réintroduit comme critère ultime le fameux bonheur global dont on dit deux lignes plus haut qu’il est « vague ». Si je pense que le bonheur global réside dans la luxure et le culte du veau d’or, je peux être fondé moralement à « diminuer le bonheur global » pour restaurer l’ordre moral. Bricmont objectera que je fais appel à la  religieuse. Très juste. Mais si on veut mettre hors jeu les morales religieuses il ne faut pas simplement leur demander de faire silence, il faut trouver des arguments rationnels. Or Bricmont n’en a pas : le disciple de Moïse alléguera qu’il diminue le faux bonheur global des vicieux pour préparer le vrai bonheur global des vertueux.
Sortons de la confrontation avec les morales religieuses et laissons Moïse avec ses tables de la loi brisées. Les thuriféraires du capitalisme affirment que les inégalités croissantes concourent au développement de la production de biens matériels et donc au bonheur global. Les socialistes (à l’ancienne, pas ceux de l’actuelle « social-démocratie » !) en défendant un certain égalitarisme, une forte intervention de l’État et la protection sociale brident donc les capacités productives et contribuent à faire baisser le bonheur global ! Une société plus juste serait peut-être moins heureuse, si le bonheur consiste uniquement dans l’accumulation illimitée de marchandises. Inversement, l’esclavage pourrait être moralement justifié (et il le fut dans l’Antiquité) parce qu’il fournissait les bases de la vie heureuse et de la civilisation des citoyens libres… Admettons que les souffrances d’une seule personne permettent de procurer un bonheur intense dans un groupe (par exemple une assemblée de marquises, de chevaliers et d’abbés sortis d’un ouvrage de Sade), le calcul des plaisirs (sur lequel est fondé cette notion de bonheur global) fera apparaître que cette souffrance est justifiée moralement !
Ainsi le bonheur global n’est pas une notion vague, mais un abîme de confusion intellectuelle dont on ne peut pas se sortir. Le « raisonnement scientifique » en éthique est donc fondé sur du sable. Bricmont doit le sentir car il évacue ces questions avec une légèreté étonnante. Il tente de montrer que l’utilitarisme a des conséquences avantageuses, un point de vue pragmatiste et relativiste qui n’est pas très cohérent avec les positions qu’il défend, par ailleurs, en philosophie des sciences. Ainsi il écrit :
« D'un point de vue utilitariste, toute sanction doit être justifiée uniquement en fonction du bonheur global et non pas par un désir de punir les méchants. »
C’est absurde. La sanction, au sens juridique, n’est pas fondée sur le « désir » de punir les méchants. La sanction est une réparation qui découle d’une conception du droit. Bricmont mélange tout. En quoi les sanctions contre les anciens criminels de guerre, un demi-siècle et plus après les faits, ont-elles augmenté le « bonheur global ». En rien, évidemment. Mais ce qui est défendu dans la condamnation, par exemple de Papon, c’est une certaine conception de l’homme, du devoir, etc. L’abandon de la peine de mort n’est pas lié à la demande d’augmentation du bonheur global mais à une certaine idée de la justice et une certaine idée de l’homme. Là encore, donc, aucune argumentation sérieuse. Mais Bricmont en tire une conclusion plus philosophique, une conclusion aussi peu solide que les prémisses :
En particulier, l'utilitarisme met entre parenthèse le problème de la responsabilité et du libre arbitre ; il n'a pas besoin de nier le libre arbitre ; simplement, il ne se préoccupe pas de savoir si les actions humaines sont "vraiment" libres et en quel sens, ce qui est probablement la position philosophique la plus prudente.
En un sens, Bricmont a raison : savoir si les actions humaines sont « vraiment libres », c’est impossible. Mais l’édifice du droit ne se repose pas sur une thèse métaphysique au sujet de la liberté humaine. Bricmont retarde philosophiquement de deux siècles au moins : on devrait lui conseiller la lecture de la doctrine kantienne du droit. Le droit présuppose la fiction de la liberté humaine. Ce qui n’est pas du tout la même chose. Eichmann était un médiocre que les circonstances ont transformé en criminel, mais on doit juridiquement le considérer comme l’auteur de ses acteurs. Le droit n’a pas affaire aux individus conçus du point de vue scientifique (biologique, psychologique, etc.), mais aux personnes. Et il doit en être ainsi pour que fonctionne la machinerie juridique, ce montage qui fait tenir toute société.
Grâce à l’observation et au raisonnement, nous dit encore Bricmont, il peut y avoir des progrès en éthique. On se demande où il est allé chercher cela. Nous avons de bonnes raisons d’admettre l’idée de progrès éthique, mais celui-ci ne résulte pas de l’observation et du raisonnement mais de la marche d’ensemble des sociétés humaines, et bien souvent des passions et des idées mêmes superstitieuses que se font les individus. La soi-disant approche scientifique de Bricmont est du pur idéalisme. Ces confusions et ces platitudes se terminent par ceci :
On peut, en comprenant mieux la nature humaine, découvrir, par exemple, que l’esclavage est mauvais et que l'avortement ne l’est pas.
Après le bonheur global, nous avons droit à une nouvelle confusion et à un retour remarqué du « sophisme naturaliste ». Si Bricmont sait ce qu’est la nature humaine, il a bien de la chance et devrait toutes affaires cessantes abandonner l’enseignement de la physique pour celui de la nature humaine. Non que, comme on le pensait couramment dans les années 50 et 60, ce soit une notion creuse : on doit admettre qu’il y dans les comportements humains des déterminations qui découlent de la nature et pas seulement des conditionnements sociaux : sur ce sujet, la psychologie évolutionniste donne des indications parfois éclairantes (quoique souvent très tautologiques). Mais de là à faire de la nature humaine un concept scientifique, il y a un fossé. Ensuite, l’observation de la nature humaine ne nous dit rien du bien ou du mal, de ce qui doit être fait et de ce qui est interdit. Robert Wright[5] conclut de son observation de la nature humaine que la  puritaine victorienne était finalement assez bien fondée et que la retenue sexuelle est conforme à la nature féminine comme étant la meilleure stratégie dont dispose la femme pour maximiser la reproduction de ses gènes. Mais il ne nous explique jamais en quoi il est bien de maximiser la reproduction de ses gènes ! Bricmont ne pense certainement pas comme Wright mais sa position conduit à ce genre de vieilleries.
L’essai de Bricmont ne fait que montrer, une fois de plus, que l’utilitarisme est une doctrine inconsistante, vouée à accumuler les sophismes. Vouloir en faire la «  scientifique » ou la  « matérialiste », c’est se fourvoyer. Yvon Quiniou a montré qu’on pouvait être matérialiste et kantien[6]. C’est une tentative plus sérieuse, même si le kantisme en  présente lui aussi un certain nombre de difficultés intrinsèques.
Le 15 août 2005.

samedi 26 mars 2005

La violence dans l’État contemporain

Quand on aborde ce thème, la première question qui s’impose est celle-ci : y a-t-il une spécificité de la violence dans l’État contemporain ? La question de la violence dans l’État est-elle posée différemment aujourd’hui au point qu’on ne puisse pas se contenter de renvoyer l’auditeur curieux à la lecture et au commentaire des classiques. De ceux qui considèrent que l’État est précisément l’institution qui permet d’éradiquer la violence « naturelle » (les contractualistes de Hobbes à Rousseau) à ceux qui considèrent que l’État est par essence domination violente (voir l’inégalé « L’Unique et sa Propriété » de Stirner ou encore les meilleures tirades anti-étatiques de Proudhon).

vendredi 25 mars 2005

Sur le Karl Marx de Michel Henry




Les deux volumes du Karl Marx de Michel Henry restent une des plus belles et des plus stimulantes lectures de Marx. La nouveauté radicale de Marx est montrée comme elle l'a rarement été. A l'inverse des interprétations fondées sur la " coupure épistémologique ", Michel Henry montre la cohérence philosophique de l'oeuvre. A l'inverse des lectures " scientistes ", il restitue la portée critique et par là même l'actualité de la pensée marxienne.
Il reste que certains points de cette analyse méritent d'être soumis à la critique. Essayons de pointer brièvement les problèmes, sachant qu'il faudrait évidemment, pour aller au fond des questions, porter notre attention non seulement sur le Karl Marx mais plus généralement sur l'ensemble du travail philosophique de Michel Henry. Il est cependant assez curieux de remarquer de que les commentateurs de Michel Henry n'accordent qu'une place très modeste à ce Karl Marx, voire se contentent d'une ou deux allusions, tant cet ouvrage leur semble incongru dans la tradition dans laquelle ils se situent et dans laquelle ils situent Michel Henry.(2)
Marx et la tradition
Michel Henry souligne avec force la nouveauté de la pensée de Marx, son originalité exceptionnelle dans la toute la tradition philosophique. Il fait de Marx l'un "des plus grands philosophes de tous les temps". L'interprétation de Michel Henry fait de la rupture avec la métaphysique classique, avec toutes les philosophies de l'universel abstrait, la question centrale. Pourtant, on peut se demander s'il ne présente pas la philosophie marxienne d'une manière trop radicalement différente de toute la tradition de la philosophie occidentale ; il nous semble qu'il y a dans son travail une surévaluation de la nouveauté de la pensée de Marx. On a l'impression que Marx, par une sorte de geste inaugural, rompt d'un seul coup avec tout le passé de la métaphysique occidentale, de la philosophie de la conscience et invente seul quelque chose de radicalement nouveau. Cette présentation recouvre une réalité, celle de l'espèce de jubilation de la découverte qu'on retrouve dans les pages de L'idéologie allemande, ce rythme haletant des phrases qui expédient ad patres les héritiers de Hegel et le hégélianisme avec lui. Les onze courtes thèses sur Feuerbach s'abattent La radicalité du bouleversement que Marx fait subir à la philosophie peut aussi s'exprimer dans l'oubli volontaire de cet immense effort philosophique dans les années qui suivront.
Mais il n'est tout de même pas sans intérêt de remonter la filière par laquelle Marx aboutit à cette découverte, de l'atomisme épicurien au matérialisme anglais ­ qui joue un rôle décisif dans l'évolution de Marx ­ et du matérialisme anglais au socialisme français. Michel Henry place Marx en dehors de l'opposition matérialisme/idéalisme, ce qui est parfaitement acceptable si on se reporte aux thèses sur Feuerbach et si on reconnaît que Marx surmonte l'opposition métaphysique de l'idéalisme et du matérialisme en posant comme tâche centrale de la philosophie, le problème de la transformation du monde. Mais il sous-estime le rôle décisif de la tradition critique du matérialisme dans ce "renversement de la métaphysique occidentale". Car le matérialisme n'est pas seulement une métaphysique de la matière qui viendrait remplacer l'idéalisme plus ou moins platonicien. Michel Henry semble d'ailleurs sous-estimer pour ce qui le concerne lui-même, les liens de ses propres analyses avec un certain matérialisme, particulièrement clair dans sa Phénoménologie du corps.(3)
Marx inaugure, mais il reste entièrement baigné dans la tradition et dans son temps. Il semble éprouver le besoin de se relier son travail aux grands courants intellectuels de son époque. Ainsi le scientisme, une certaine croyance au progrès, l'apologie de la technique traversent son oeuvre. Qu'il y ait dans cela une part de tactique, c'est certain : pour se faire entendre, il faut d'une certaine manière parler le langage de l'époque. Or, se faire entendre est un des soucis majeurs de Marx qui espère ne pas parler uniquement pour un public de philosophes avertis mais pour les ouvriers cultivés et les intellectuels gagnés à la cause révolutionnaire. Mais pour une part, c'est aussi la position réelle de Marx. Quand Marx pense construire une nouvelle science, il le pense vraiment. L'admiration qu'il porte à Darwin n'est pas tactique. Il faut certes juger la pensée de Marx pour ce qu'elle est et non pour ce qu'elle croit être et à ce sujet les nombreux extraits de la correspondance entre Marx et Engels ne prouvent absolument rien, ni quant à l'accord supposé entre les deux amis, ni quant au fameux matérialisme dialectique. Cependant, il est nécessaire de comprendre comment les illusions que Marx entretient sur son propre travail sont des moteurs de ses découvertes. Phénomène classique qui, de façon très marxienne lie intimement la démarche rationnelle et l'illusion. Michel Henry affirme que Marx rompt de manière radicale avec la métaphysique occidentale de la conscience. Mais cette rupture n'est possible que par la volonté marxienne de remplacer la philosophie (spéculative) par le savoir réel et implique donc, au moins tel que cela est formulé, l'idée que la philosophie va être remplacée par les sciences. L'opposition entre science et savoir qui sous-tend la position de Michel Henry nous semble bien schématique s'agissant de l'oeuvre de Marx. Marx tente une synthèse entre la science telle qu'il la trouve dans l'héritage culturel de son époque et le nouveau schéma théorique qu'il met en place à partir des thèses sur Feuerbach. Engels essaiera de répondre explicitement ­ mais de manière à notre avis pas toujours très heureuse ­ à ce besoin de synthèse.
Ajoutons que l'opposition que Michel Henry établit entre la science, dont le modèle est la science d'une nature impassible, et le savoir de la vie n'est pas sans rappeler la manière donc Hegel aborde les sciences de la nature à la " Science " qui est science de l'Esprit. Or pour Marx, la nature est tout sauf impassible. La nature a une histoire et n'est jamais égale à elle-même. C'est même cette conception de la nature comme résultat d'une histoire qui conduit Engels renouer avec la philosophie de la nature de Hegel, comme nous l'avons montré dans la deuxième partie.
Au-delà de cette tentative de synthèse que Michel Henry exclut de sa réflexion, il faut peut-être questionner l'idée d'une métaphysique occidentale unique. Certes le positionnement de la conscience prise en soi comme seul objet digne de la philosophie et la négation de la vie semblent des traits assez constants depuis les Grecs jusqu'à la philosophie allemande du XIX e siècle et c'est avec cette conception que Marx rompt. Cependant on ne peut ignorer que Kant contribue fortement à semer les germes d'une mise en cause de cette métaphysique même s'il reste largement prisonnier des schémas anciens et Marx apparaît à certains égards comme un héritier du mouvement initié par la philosophie critique. Il y a dans Marx plus de Kant qu'on a bien voulu le dire.(4)
Le christianisme
Enfin, faire de Marx un des rares philosophes chrétiens n'est pas en soi choquant à cause du caractère très paradoxal de l'affirmation, mais cela suppose qu'on donne une interprétation du christianisme qui est fondamentalement celle de Hegel : selon lui en effet "Le monde a reçu cette idée du christianisme, pour lequel l'individu comme tel a une valeur infinie."(5)
C'est un sujet qui aurait demandé plus d'éclaircissements que ceux, un peu elliptiques, que donne Michel Henry dans son ouvrage. Michel Henry souligne la place des "exemples" donnés par Marx dans le livre I du Capital et il montre que "Le cas particulier, l'individu n'est pas l'indice d'une loi, mais la loi est l'indice de toutes les vies qui seules importent. Et cela non point parce que nous aurions décidé qu'il en est ainsi en vertu d'une décision axiologique, mais encore une fois parce que c'est à eux que l'analyse du système renvoie comme à son naturant. Ce n'est pas une éthique, c'est une métaphysique qui a défini la nature du principe." (6)
C'est une affirmation dont nous sommes assez proches. Mais la suite du raisonnement de Michel Henry apparaît comme un grand saut dans le vide. En effet, Michel Henry donne une très contestable caractérisation de la philosophie occidentale : "Celle-ci depuis que l'apport grec, véhiculé par les Arabes, y développa de façon exclusive la téléologie de l'universel, cultive son rationalisme. Le culte de la science, le mépris de l'individu qui n'est qu'une ombre, ne sont pas des inventions récentes, mais le résultat d'une histoire et son résumé." (7)
Faire du mépris de l'individu une caractéristique générale de l'histoire de la philosophie occidentale est singulièrement rapide, alors même que l'individu, à certains égards, n'est pas pensé ailleurs que dans la philosophie occidentale. Cette histoire du mépris de l'individu dans la philosophie est cependant datée. Michel Henry la fait commencer à l' avoué de Siger de Brabant et à la doctrine de la double vérité défendue par les averroïstes de Padoue. Par cette datation Michel Henry désigne un adversaire, la philosophie athée, pratiquement fabriqué sur mesure. Car si les Inquisiteurs firent quelques ennuis à Siger de Brabant, rien ne prouve que ce dernier ait été un athée avoué. Il exposa seulement la possibilité d'un conflit entre la foi et la raison, désignant d'ailleurs dans ce cas ­ simple prudence ? ­ la foi comme lieu de la vérité. Que l'interprétation d'Aristote par les averroïstes ne soit pas facilement assimilable par la religion catholique et ses théologiens attitrés est une chose. Que cette interprétation soit le racine d'un mépris de l'individu, d'une téléologie de l'universel, et du culte de la science, c'est une toute autre affaire. Michel Henry poursuit simplement ici, au détour d'une fin de chapitre, et par quelques allusions pour initiés, un procès ancien qu'on peut faire remonter à la condamnation des thèses averroïstes par l'évêque de Paris, Étienne Tempier. (8)
Les propositions condamnées à cette occasion, celles qui déclarent le monde éternel, celles qui nient que chaque homme ait un intellect et posent un intellect unique, ou encore les thèses niant que les individus puissent avoir une volonté, toutes ces thèses ne peuvent être considérées comme la matrice de la philosophie rationaliste occidentale qu'au prix de torsions des textes assez considérables. Car si l'averroïsme padouan peut trouver, en certaines thèses, un prolongement chez Spinoza, c'est tout de même bien plutôt chez Descartes qu'on situe ordinairement et avec raison, nous semble-t-il le point de départ de la philosophie rationaliste moderne. La thèse du "monopsychisme" qui semble directement visée par Michel Henry n'a, quant à elle, pratiquement aucun véritable héritier(9), sauf peut-être dans quelques théorisations échafaudées autour de la cybernétique moderne. Quant à l'ultra-aristotélicisme de cette école averroïste, il ne fait qu'exprimer la profonde et persistante influence aristotélicienne dans toute notre philosophie, influence dont Marx est, explicitement, un des plus beaux exemples.
Pour faire de Marx "un des premiers penseurs chrétiens de l'Occident", Michel Henry doit donc reconstruire en quelques lignes et à sa manière, cette fois très contestable, toute l'histoire de la philosophie occidentale. Le plus curieux à noter, cependant, est l'incohérence dont Michel Henry fait preuve quand il veut rattacher Marx in extremis au christianisme. Il note, à juste titre, que l' avoué de Marx n'est pas une preuve contre la thèse qui fait de Marx un des rares penseurs chrétiens de la philosophie occidentale.
Ce qui compte, ce n'est d'ailleurs pas ce que Marx pensait et que nous ignorons, c'est ce que pensent les textes qu'il a écrits. (10) Fort de ce principe général, Michel Henry distingue deux christianismes de Marx, celui des Manuscrits de 44 qui "résulte de la transposition de certains thèmes chrétiens dans une métaphysique de l'universel" et d'autre part celui de la période ouverte par l'Idéologie Allemande "qui n'est justement rien d'autre qu'une restauration contre cette métaphysique d'une philosophie ou du moins d'une pensée de l'individu." (11)
Marx a peu de chances d'échapper à l'étiquette "penseur chrétien" puisque les deux phases de son oeuvre dont Michel Henry aiguise (souvent de façon fort pertinente) les oppositions peuvent également être subsumées en dernière instance sous la catégorie de christianisme. Or, nous partageons l'analyse de Michel Henry concernant les Manuscrits de 1844 : "La critique de la religion prétendait nous faire sortir de la sphère religieuse et nous arracher à ses constructions fantasmatiques, prétendait nous introduire dans le domaine de la réalité et, plus précisément, avec l'Introduction de 1844, dans le domaine de la réalité allemande, de l'histoire allemande et du prolétariat qui s'y forme. Mais le prolétariat n'est qu'un substitut du Dieu chrétien, l'histoire qu'il promet et va accomplir n'est que la transcription profane d'une histoire sacrée." (12)
Que la religion s'inscrive jusque dans le texte de Marx par l'intermédiaire de la métaphysique allemande et de cette "dialectique" particulière qu'elle hérite de Luther et non pas de manière directe n'est dès lors qu'une question d'histoire de la philosophie ou de philologie qui n'a pas de conséquences décisives sur l'interprétation de la philosophie de Marx : ce qui se passe avec la Sainte Famille et L'Idéologie Allemande c'est une rupture non seulement avec les histoires religieuses, non seulement avec les transcriptions profanes des histoires religieuses, mais encore avec toute conception de l'histoire comme mouvement autonome dont les individus ne seraient là en fin de compte pour la réaliser, pour rendre le mouvement effectif conforme à un schéma a priori, et par conséquent, Marx rompt avec toute forme de pensée de l'histoire comme salut, même laïcisé, même transcrit de manière profane. Si on en croit la note citée plus haut de Michel Henry, il faudrait donc admettre que cette rupture n'est au fond qu'une épuration de la pensée marxienne, dépouillant de ses oripeaux métaphysiques une pensée qui va pouvoir se déployer sans entrave comme pensée chrétienne. Mais là encore la définition du christianisme devient si large qu'elle se confond avec toute philosophie de l'individu. Or si le christianisme est incontestablement une pensée de l'individu, cet individu n'est tel qu'en tant qu'il fait son salut (ou qu'il se damne !), ce n'est pas la vie immanente dont Michel Henry a montré le caractère fondamental chez Marx, c'est l'individu qui n'est posé comme tel que par rapport à la transcendance.
Autrement dit, sauf à changer radicalement le sens des mots, il n'est pas possible, au nom même de l'analyse de Michel Henry, de faire de Marx un penseur chrétien.
Critique des critiques
Il reste que la question que nous venons d'aborder n'a qu'un caractère très limité. Et les critiques que nous avons portées sur ce point précis n'ont pas d'impact majeur sur l'appréciation d'ensemble du Karl Marx de Michel Henry. Elle prolonge cependant la critique que nous avons portée plus haut concernant l'appréciation des rapports entre Marx et la tradition philosophique occidentale.
Il nous semble, en revanche, que certaines critiques portées contre Michel Henry manquent leur but. Ainsi, les remarques de Michel Vadée(13) nous paraissent-elles, souvent, beaucoup trop rapides et trop peu étayées. Discutant de la possibilité de lois universelles et nécessaires, valables pour toute société possible, Michel Vadée écrit : "ne constituent-elles pas, en effet, des conditions de possibilités universelles de l'histoire, par conséquent une sorte d'ordre transcendant qui limite a priori les possibilités historiques ?" (14)
Et par une note, Michel Vadée ajoute : "Cette idée est étrangère à Marx. Pourtant, dans cette voie, certains interprètes découvrent chez lui une philosophie " transcendantale ". Ainsi M. Henry a soutenu que le " matérialisme historique " est une " théorie transcendantale de l'histoire. "" (15) Il y a ici une confusion entre " transcendant " et " transcendantal " qui vide la critique de tout contenu. En quoi en effet l'affirmation d'une fondation subjective de la réalité économique institue-t-elle un ordre transcendant qui limiterait a priori les possibilités historiques. Ce qui est transcendantal n'est pas transcendant, mais au contraire immanent. Loin de "limiter les possibilités historiques", la théorie du matérialisme historique selon Michel Henry les ouvre puisque l'histoire n'est plus le déroulement d'un schéma théorique dans lequel les hommes sont "agis" par des "lois" ou des "structures" mais au contraire l'expression de la vie des individus produisant ces "lois" et ces "structures".
Concernant la critique selon laquelle Michel Henry ne porte pas assez d'attention au concept de "forces productives", elle nous semble cette fois manquer doublement son but : d'une part parce que l'interprétation de Michel Henry disqualifie la conception objectiviste traditionnelle des forces productives, d'autre part, parce que Marx lui-même, comme nous l'avons dit en suivant Tony Andréani, délaisse progressivement ce concept flou pour parler très précisément de "force productive du travail".
Il est curieux de noter qu'une lecture aussi originale et aussi roborative que celle de Michel Henry ait suscité aussi peu de réactions chez les marxistes. Peut-être le Karl Marx de Michel Henry était-il inaudible pour la plupart des marxistes lors de sa première parution (en 1976) ; l'implosion du marxisme dans les années 1980-1990 n'a pas donné plus d'audience à ce gros ouvrage, sans concession et parfois irritant : les marxistes finalement, pour expier les péchés de l'hagiographie passée, n'étaient plus guère sensibles à un auteur affirmant que Marx est un des plus grands philosophes de l'humanité.
©Denis Collin (Mai 1995)


Notes
1. Ce texte est la reprise de l'annexe de ma thèse sur La théorie de la connaissance chez Marx . Pour des raisons éditoriales ce texte ne figure pas dans l'édition publiée chez L'Harmattan (1996).
2. Un exemple de ces oublis dans le numéro de Philosophie  consacré à Michel Henry (octobre 1987) mais aussi dans l'étude de Philippe Grosos, Michel Henry ou le dernier système (Etudes Philosophiques, avril-juin 1998)
3. Michel Henry : Phénoménologie du corps - Essai sur l'ontologie biranienne (PUF)
4. Sur ce point, voir Le marxisme et Hegel de Lucio Colletti (Champs libres 1977).
5. Hegel : Encyclopédie des Sciences Philosophiques § 482
6. Michel Henry : Marx op. cit. tome II page 443-444
7. ibid.
8. Sur ces questions nous suivons Jean Jolivet : La philosophie médiévale en Occident in Histoire de la philosophie tome 1 - Encyclopédie de la Pléiade, ainsi que Saint Thomas et la philosophie du XIII e siècle par Jean Pépin (Histoire de la philosophie sous la direction de François Châtelet).
9. Même Hegel n'est pas un "monopsychiste" sauf dans certaines interprétations mystiques du hégélianisme ou dans des résumés trop rapides.
10. Michel Henry : op. cit. tome 2 page 445
11. Michel Henry : op. cit. tome 2 page 445 (note 1)
12. Michel Henry : op. cit. tome 1 page 144
13. Michel Vadée, Marx, penseur du possible (Méridien-Klinksieck)
14. Michel Vadée : op. cit. page 95
15. Michel Vadée : op. cit. page 109

Articles portant sur des thèmes similaires :


Dieu ou la nature. A propos de la religion de Spinoza

« Dieu ne joue pas aux dés » affirme Einstein en réponse à l’interprétation non déterministe de la mécanique quantique. Si on ne veut pas que cette intrusion de Dieu dans une discussion entre physicien apparaisse trop incongrue, il faut prendre au sérieux l’affirmation d’Einstein selon laquelle son Dieu est « le Dieu de Spinoza » c'est-à-dire « Dieu ou la nature ». La formule n’occupe pas une place centrale dans « L’Éthique », elle n’apparaît que furtivement dans la préface de la IVe partie. Mais elle découle de ce qui est affirmé dès les premières définitions de la partie I.
Dieu est la « substance éternelle et infinie » et rien d’autre. Toute interprétation de Dieu comme transcendance est écartée. Le « créateur » et la « création » - si ces mots ont encore un sens chez Spinoza - sont coextensifs. Sont également réfutées comme produits de l’imagination les formules sur la « volonté de Dieu ». Si on peut parler de liberté de Dieu ou de sa volonté libre, c’est seulement en admettant que la volonté de Dieu s’exprime dans les lois de la nature – qui sont les lois de la nature divine. Mais ce n’est qu’une façon de parler car « ni l’entendement ni la volonté n’appartiennent à la nature de Dieu ».
L’ordre de la nature est celui d’une nécessité radicale. « Une chose qui est déterminée par Dieu à produire quelque effet, ne peut se rendre elle-même indéterminée. » La formule d’Einstein pourrait être une traduction approximative de cette proposition XXVII de la partie I. Et on y ajoutera la XXIX : « Dans la nature des choses, il n’est rien donné de contingent ; mais toutes choses sont déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à produire un effet d’une certaine façon. »
Faut-il déduire que le spinozisme est un panthéisme ? À l’évidence non. Le panthéisme suppose une forme de religion de la nature dont on ne trouve aucune trace dans le rationalisme de Spinoza. S’il est quelque chose qui mérite notre admiration et notre émerveillement, c’est la capacité de la raison à comprendre l’ordre naturel. Cette capacité qui nous remplit de joie, selon Spinoza. Ici Einstein a une position sensiblement différente : le sentiment religieux cosmique naît d’un mystère : « ce qui est incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible ». Ce qui nous met en garde contre des parallèles trop hâtifs entre les deux grands penseurs.
Denis Collin

mercredi 23 mars 2005

Lénine et Popper par Lucio Colletti. (Traduit de l'italien)


Avertissement : L'article qui suit est extrait de Fine della filosofia, publié en 1996 chez Ideazione, Roma. Lucio Colletti qui fut d'abord un disciple de Galvano Della Volpe, a écrit un livre fort intéressant, Le marxisme et Hegel (Champ Libre, 1976) qui montre que la conception marxienne de la connaissance, telle qu'elle est développée dans Le Capital, a plus de rapport avec Kant qu'avec Hegel. Du même coup, il y développe une interprétation originale de Kant, très éloignée des positions des néokantiens de l'école de Marburg, par exemple et ainsi le "réalisme gnoséologique" revendiqué dans le présent article apparaîtra moins curieux. Colletti a rompu avec le marxisme à la fin des années 70 (il avait déjà quitté le PCI dès 1964) et il est devenu politiquement un libéral (il a été élu député sur les listes de Forza Italia) mais il reste un auteur à lire, un défenseur de la valeur de la science, une espèce de "sokalien" si on veut me permettre ce rapprochement, c'est-à-dire quelqu'un de précieux dans ces temps d'obscurantisme. (Denis Collin -31.03.98)
Karl Popper

Comme il m'est arrivé de le rappeler d'autres fois, je ne suis pas venu au marxisme à travers l'oeuvre de Gramsci. A tort ou à raison, Gramsci me semble trop conditionné par Croce et Gentile. Ce qui m'a attiré vers le marxisme, ce fut, au contraire, Matérialisme et empiriocriticisme de Lénine, une oeuvre par certains côtés rude et élémentaire qui n'a jamais joui d'une bonne renommée dans les cercles du marxisme occidental quand elle a été connue plus tardivement en traduction allemande (1927) ; et néanmoins, à mon avis, elle ne manque pas d'importance et d'originalité.
Je dois avertir le lecteur que je parle aujourd'hui alors que je n'ai pas eu le livre en mains depuis plus de trente ans. Ce que j'en dirai, c'est ce qui m'a le plus frappé et fait la plus forte impression. L'œuvre remonte, comme on sait, à la période de reflux et de repli qui vient après la révolution de 1905. Lénine l'écrivit entre février et septembre 1908, après avoir digéré une grande masse d'écrit philosophiques et scientifiques. Qui parcourra l'index des œuvres citées y rencontrera - à part Hume, Berkeley, Kant et d'autres philosophes classiques - les noms encore importants de l'épistémologie scientifique contemporaine, comme Mach, Duhem, Poincaré, Boltzmann, Hertz, Helmholtz et d'autres.
Le livre traite essentiellement de "théorie de la connaissance". Et il défend, comme on sait, le point de vue du matérialisme ou, comme il serait plus correct de le dire, du "réalisme" en gnoséologie. La thèse qui y est soutenue est que les "objets" - que ce soit des tables, des chaises, des arbres non moins que des atomes ou des molécules - existent en dehors et indépendamment de la pensée, avant que d'être seulement des "représentations" de notre esprit.
V.I. Lénine
Vient ensuite l'examen du point de vue opposé que Lénine attaque évidemment : celui de l'empiriocriticisme de Mach et Avenarius et, en général, du positivisme phénoméniste. La thèse que soutient ce courant de pensée est que le fait d'assumer l'existence des objets extérieurs, au-delà de nos sensations, revient à superposer à l'expérience et à la science une métaphysique indue. Puisque ce qui est véritablement "donné" et prouvé ce sont seulement nos perceptions (sans distinction du dedans et du dehors), les "sense-data" dont, dans ces années-là, Bertrand Russel parlait déjà.
Le principal argument dont Lénine se sert pour combattre cet "idéalisme subjectif" (déjà contrecarré par Kant dans sa Réfutation de l'idéalisme) consiste à en faire remonter la thèse à l'immatérialisme spiritualiste de l'évêque Berkeley et à sa célèbre assertion : "Esse est percipi". En effet, ce rapprochement de Mach et Berkeley étant opéré, Lénine obtient deux résultats . en premier lieu que l'empiriocriticisme, qui se prétend s'en tenir aux données de la perception en évitant toute implication métaphysique de type idéaliste ou matérialiste, est au contraire le fils du fidéisme religieux. Et, outre cela, que seulement le matérialisme peut garantir une position philosophique libre des liens religieux, c'est-à-dire cet athéisme qui, clairement, tient à coeur à Lénine.
On a souvent critiqué cette mise côte à côte de Mach et Berkeley. Mach, outre un philosophe, a été aussi un physicien important à qui la théorie de la relativité de Einstein n'est pas peu redevable. L'évêque Berkeley, au contraire, considérait la science comme sa bête noire, source du matérialisme et de l'athéisme. En outre, c'est un fait hors de toute discussion que beaucoup de philosophes tenants de l'empirisme phénoméniste n'ont jamais été croyants, comme Hume, Mach lui-même ou Russel.
Mais l'argument matérialiste athée est moins simpliste et fragile qu'il ne le paraît à première vue. Lénine défend la valeur cognitive de la science et c'est encore en cela qu'est le véritable athéisme. Il ne considère pas la science seulement comme un instrument ou une découverte pratique. Il retient au contraire qu'elle est une "description" de la réalité: incomplète, provisoire, perfectible autant qu'on le veut (le livre, entre autres, est écrit en plein dans la crise de la mécanique classique et la naissance de la naissance des nouvelles directions, dont il tient compte) ; et, toutefois, c'est une description, c'est-à-dire une connaissance.
Or, ceci demande le réalisme ou le matérialisme. En l'absence de ceci, manque une objectivité avec laquelle corréler et à laquelle référer nos théories. C'est ainsi que le sort de l'athéisme paraît intriqué à celui de la science.
Sous cet aspect, inversement, la position de Mach paraît beaucoup moins bien défendue. Pour le positiviste rigoureux, en effet, la science ne décrit rien et n'explique rien. Elle est seulement un instrument (l'instrumentalisme qui sera combattu par Popper) pour corréler les sensations entre elles et ainsi produire des "économies de pensée". Il s'agit d'un choix qui peut apparaître comme une sorte de décapitation de la science. Et cela apparaissait ainsi pour un grand physicien comme Boltzmann qui s'insurgeait contre Mach et dont Lénine connaissait bien les écrits épistémologiques ; pas moins qu'un autre grand, Max Planck, qui choisit vraiment son camp en décembre 1908, lui aussi contre Mach, pour défendre l'idée que, sans le réalisme, la science s'en va en fumée.
De là, il apparaît plausible de soutenir que, entendue au sens phénoméniste, la science laisse le champ libre à la religion. C'est typiquement le cas de Duhem, physicien et grand historien de la science. il restreignait la physique aux "phénomènes" et, en échange, il puisait la "réalité vraie" du thomisme et de la métaphysique catholique. La thèse de Lénine, donc, qui relie Mach à Berkeley, peut être discutée mais elle n'est pas bizarre. Popper fait exactement la même chose: Conjectures et réfutations, il parle de "Berkeley, ce précurseur de Mach."
Il y a toutefois dans Matérialisme et Empiriocriticisme, quelque chose de terrible, dans le sens d'inquiétant du point de vue humain, dont il est nécessaire de parler. La cible de la polémique de Lénine n'est pas véritablement Mach. Ce sont plutôt certains bolcheviks (attention : pas des sociaux-démocrates réformistes, mais des révolutionnaires ardents de la même fraction que Lénine), comme Bogdanov, Bazarov et autres, qui avaient adopté l'épistémologie de Mach. Or, la polémique contre eux est inexorable. Non pas intransigeante comme peut l'être une divergence philosophique. Mais radicale à l'extrême comme peut seulement le suggérer l'idée que l'erreur théorique doit toujours porter avec elle aussi une "dégénérescence" morale et politique.
Il est vrai que, aux thèses empiriocriticistes de Bogdanov, s'était ralliée la tendance bizarre de Lunatcharsky et Gorki des soi-disant "constructeurs de Dieu". Mais cela ne change pas la substance même de la chose. Le fait qui émerge est que, l'ayant pourtant élaboré dans un contexte épistémologique de la science et du matérialisme, Lénine fait de l'athéisme un nouvel absolu : comme si la négation de la religion pouvait devenir elle-même une religion. Voilà pourquoi la dissension théorique se transforme en anathème.
L'arbitraire est évident. Comme on le sait, il n'y a pas de démonstration de l'existence ou de l'inexistence de Dieu. Dans le champ théorique, l'athéisme peut être exercé seulement sous la forme du doute philosophique. Inversement, en faire un absolu signifie non seulement sortir de la sphère théorique pour passer dans la sphère pratico-idéologique, mais c'est aussi se livrer aux mains du fanatisme.
Ceci étant dit, je confirme que le livre m'a toujours plu (même les Soviétiques s'en étaient aperçus. Pour le cinquantième anniversaire de l'oeuvre, la Pravda m'a demandé un article. Je l'ai donné et il a paru. Mais comme c'était dans le style de l'époque, falsifié en plusieurs points). Evidemment, ne m'a jamais échappé le caractère à la fois rude et élémentaire de l'argumentation, mais c'était inévitable chez un homme de grand talent qui n'était pas un spécialiste. N'ayant moi-même jamais été un "matérialiste dialectique", même quand j'étais marxiste, dans le livre, j'ai toujours trouvé des choses à apprécier. J'en ai déjà rappelé une : le caractère cognitif (et pas seulement pratico-utilitaire) de la science. Une autre est la tristement célèbre "théorie du reflet".
On comprend que, formulée ainsi, c'est seulement une métaphore. Et pourtant, la direction est bonne. En 1908, Lénine n'avait pas encore lu la Métaphysique d'Aristote (il l'a lue en 1915, alors qu'il étudiait avant tout Hegel ; mais alors, malheureusement, il s'embrouilla complètement.) Il n'est pas difficile de comprendre que ce vers quoi il tendait obscurément est la théorie aristotélicienne de la "vérité comme correspondance". Dans le livre IX de la Métaphysique , il est dit: "ce n'est pas parce que nous te réputons blanc que tu es vraiment blanc, mais au contraire parce que tu es blanc, nous pensons qu'il est vrai de te dire tel". Voici la "correspondance" et voici la priorité de l'être réel par rapport à la pensée.
Un autre point, qui j'ai toujours considéré valide, est la manière dont Lénine expose les rapports entre science et philosophie. Il le fait en affirmant la différence entre le "concept philosophique" et le "concept scientifique" de matière. Le premier se réduit à l'affirmation de l'existence d'un quid réel, extérieur et indépendant de l'esprit, sans dire en quoi il consiste, parce qu'il n'est pas au pouvoir de la philosophie de déterminer comment la réalité serait faite. C'est, en somme, le réalisme en gnoséologie. A l'inverse, le second, le concept scientifique de matière, est entièrement renvoyé à la science, laquelle est la seule qui puisse établir si ce quid extérieur est, par exemple, une réalité corpusculaire, un champ électromagnétique, ou tout autre entité que l'on voudra.
C'est ici qu'on peut toucher du doigt le manque de fondement de beaucoup des critiques adressées à l'oeuvre de Lénine par le soi-disant "marxisme occidental", souvent sophistiqué mais, malheureusement, imprégné d'idéalisme de la tête jusqu'aux pieds. Certains, comme Korsch ou Pannekoek, ont accusé le livre d'être l'expression du matérialisme du XVIIIe siècle, mécaniste et "bourgeois". Rien de moins vrai. S'il y a quelque chose dont les écrits de Lénine tiennent compte, c'est bien de la profonde crise de la mécanique classique entre la fin du siècle dernier et le début du nôtre. Ce n'est pas par hasard si ce fut vraiment cet événement qui lui fit saisir la nécessité, comme je l'ai déjà dit, de tenir bien distinctes science et philosophie, en interdisant à la dernière d'interférer et de mettre son nez dans la théorie de la première.
Je passe sur la façon dont tout cela mine à la base cette "dialectique de la nature" ou de la matière (à laquelle plus tard Lénine aussi s'associera), et qui fut le mode sur lequel le marxisme non seulement restaura la vieille philosophie romantique de la nature, mais s'engagea dans l'entreprise - d'abord seulement absurde et ensuite également criminelle avec Lyssenko - de vouloir "dialectiser" les sciences
Je m'empresse d'en venir au fait, c'est-à-dire au motif de cet article. Il y a vingt ans, alors que je commençais l'étude systématique de l'épistémologie de Popper, j'étais encore marxiste. Au fur et à mesure que j'avançais dans la lecture, se découvraient des affinités avec l'oeuvre de Lénine. L'attaque sur le fond contre la ligne Berkeley-Mach. La revendication de la valeur objective de la science, c'est-à-dire de sa portée cognitive. L'idée que la réalité peut être sondée à l'infini (un point sur lequel Lénine insiste beaucoup) et, de là, que les théories scientifiques ne sont jamais conclusives. Et encore : la commune aversion pour le phénoménisme, tellement marquée chez Popper qu'elle le conduit à accepter pour sa propre philosophie la dénomination "d'essentialisme modifié". Non seulement la profession réalisme toujours plus appuyée. Enfin la forte revendication de la théorie de la "vérité comme correspondance" après le célèbre essai de Tarski et l'interprétation (discutable) que Popper en a donnée.
Il en résultait une convergence très remarquable. Les deux auteurs, c'est évident, sont très différents l'un de l'autre (et je néglige beaucoup les contradictions de Popper). Il restait toutefois un bon bout de route en commun. Ainsi j'ai été amené au cours des années à la conclusion que si Popper était tombé sur le livre de Lénine, il aurait dû y trouver du bon (je ne me porterais pas garant de la réciproque).
Donc, un accouplement Lénine-Popper. Vous vous imaginez ! L'idée était si bizarre qu'elle risquait le ridicule. Je n'y pensais plus. Puis, après une quinzaine d'années, voici le premier indice, significatif, quoique encore indirect : une allusion favorable au livre de Lénine de 1908 dans un écrit de 1984 de John Watkins, un des disciples les plus orthodoxes de Popper. Il y a quelques jours, une confirmation, on me le concédera, surprenante : une lettre privée de Popper, datée de 1970, déjà rendue publique par Die Zeit, et aujourd'hui contenu dans son dernier livre, A la recherche d'un monde meilleur. Le passage commence par une reconnaissance presque trop bienveillante, du moins pour ce qui regarde Marx : "J'admets que Marx et Lénine écrivaient de manière simple et directe. Qu'auraient-ils dit du caractère ampoulé des néodialecticiens." Et, enfin, extrait de la fin, ce jugement sec et bref : "Le livre de Lénine sur l'empiriocriticisme est, selon moi, véritablement excellent."
(Traduit de l'italien - Première publication: L'ESPRESSO- 22 Avril 1990)

Qu’est-ce qui peut justifier les inégalités ?


Article publié dans la revue Panoramiques.


«Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.» Ce limpide article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 recèle les plus redoutables difficultés.
Par exemple, comment concilier l’égalité et les " distinctions sociales " ? Ne sommes-nous pas face à quelque chose d’aussi bizarre qu’un cercle carré ? Cette question se pose avec une acuité accrue face à la domination des idées néolibérales tant dans le champ économique que dans l’ensemble du champ de la philosophie politique. Dès 1974, Robert Nozick, philosophe " libertarien " américain, réfutait radicalement la problématique de l’égalité comme non pertinente. Dans " Anarchie, État, Utopie " (1), il affirme que la justice réside seulement dans le respect des droits individuels qui se résument au droit de propriété. L’égalité est un concept indéfini et dès que l’État redistribue les richesses dans le but d’assurer une plus égalité des ressources ou des revenus, il outrepasse son rôle et devient tyrannique. Il donnait ainsi le coup d’envoi d’un vaste retournement, analysé par plusieurs auteurs (2), du mouvement séculaire " d’égalisation des conditions ". La passion égalitaire dont parlait Tocqueville cédait progressivement la place à un consentement croissant à l’inégalité. Dans son dernier livre, Ronald Dworkin résume ainsi la situation : " L’égalité est une espèce d’idée politique en danger. Il y a encore peu de décennies, tout homme politique se proclamant libéral ou même centriste approuvait une société véritablement égalitaire, au moins comme but utopique. Mais aujourd’hui, même les hommes politiques qui se disent eux-mêmes de centre-gauche rejettent le véritable idéal d’égalité. Ils disent qu’ils représentent un " nouveau " libéralisme ou une " troisième voie " de gouvernement et, bien qu’ils rejettent avec emphase les principes rigides de la " vieille droite " qui soumettent le sort des gens entièrement au verdict souvent cruel des lois du marché, ils rejettent aussi ce qu’ils appellent la croyance bornée de la " vieille gauche " selon laquelle les citoyens devraient être égaux vis-à-vis de la richesse de la nation. " (3)
Par son caractère radical, la position de Nozick semble aisée à réfuter (4). Cependant, si l’État minimal qu’il défend n’est réellement pris au sérieux par aucun dirigeant politique, ses thèses constituent le soubassement théorique des politiques néolibérales orientées vers une privatisation généralisée des fonctions sociales de l’État. Nozick soutient que les individus ont des droits imprescriptibles sur ce qu’ils possèdent et que personne ne peut enfreindre ces droits. La seule égalité réside en ceci que tous ces droits ont autant de valeur les uns que les autres. De là découle selon lui que rien ne justifie qu’on puisse obliger quelqu’un à faire des sacrifices pour les autres. Les individus ont des existences séparées et on ne peut sortir de là sans injustice. Acceptant les prémisses de l’individualisme anarchiste, il montre que le seul genre d’État acceptable est une sorte d’association de protection mutuelle ayant monopole sur un territoire donné. Mais à la différence des théoriciens " vieille droite ", Nozick n’est pas un défenseur acharné de " la loi et l’ordre " ni un partisan enragé du capitalisme – qu’il considère cependant comme le meilleur système économique. Il reconnaît que les individus peuvent légitimement avoir des aspirations égalitaristes comme dans les utopies anarchistes et communistes. Mais il montre que ces utopies ne peuvent se réaliser que dans les conditions de l’État minimal. L’impôt prélevé par l’État n’a pas d’autre fonction légitime que d’assurer la protection des membres de l’association ; c’est une sorte de cotisation volontaire et les contraintes que l’association de protection nous impose ne peuvent rester sans compensation – par exemple, si on m’interdit de conduire telle activité qui risquerait de nuire aux autres, j’ai droit à une compensation (5). Si les impôts sont utilisés pour aider les plus pauvres, alors nous dit Nozick, celui qui paie des impôts est dans la situation de quelqu’un condamné aux travaux forcés, puisqu’une partie du temps de travail est allouée à quelqu’un d’autre. Confronté à l’objection marxiste selon laquelle le salarié est exploité et que, par conséquent, le rapport salarial présuppose l’appropriation par le capitaliste d’une partie du travail de l’ouvrier, Nozick s’en débarrasse avec désinvolture : la théorie marxiste de l’exploitation repose sur la théorie de la valeur-travail. Or, cette théorie est obsolète ; donc il n’y a pas d’exploitation (6).
Nozick commet de nombreuses erreurs théoriques dans sa réfutation de l’égalitarisme et de tout mécanisme étatique d’égalisation. Pointons-en rapidement quelques unes.
1. L’anthropologie nozickienne est une conception archaïque de l’état de nature. Les individus menant une vie séparée et s’appropriant légitimement le produit de leur travail, voilà une des ces " robinsonnades " que Marx raillait. Le travail repose sur la coopération et son produit est d’emblée social dans son essence.
2. Sa conception de la propriété est indéterminée. Tout ce qu’est un individu est ramené à quelque chose qu’il a. Avoir une usine, des terres, une bonne santé ou des aptitudes aux mathématiques sont des " propriétés " du même ordre. Cette confusion lui interdit de comprendre ce qu’est le droit puisque seuls sont reconnus les droits subjectifs.
3. Les conséquences des thèses de Nozick heurtent violemment nos conceptions morales les plus élémentaires et les traditions les plus anciennes de nos organisations sociales. On peut à la rigueur admettre que le fainéant vive misérablement. Mais Nozick est-il prêt à le laisser mourir à la porte de l’hôpital si, d’aventure, aucune âme charitable ne vient à passer ? Même si on admet que chacun est responsable de son sort, quid des enfants ? Pour répondre à ces questions, Nozick s’en remet à la charité privée alors précisément que les Églises d’abord, les États ensuite ont conçu la nécessité de protéger ceux qui ne peuvent se protéger eux-mêmes. S’il veut éviter ces conséquences désastreuses, Nozick devrait accepter que la sécurité, c’est aussi la sécurité sociale et mettre le doigt dans l’engrenage de la redistribution.
L’opposition frontale, liberté et propriété contre égalité, est intenable. Il reste que, face à Nozick, les conceptions de l’égalité comme principe de justice sociale sont fort diverses et présentent toutes un certain nombre de difficultés. Depuis Aristote, on sait que l’égalité est la justice elle-même. Mais il faut ensuite distinguer les divers genres d’égalité correspondant aux divers genres de justice. On s’en sort en général en affirmant le principe d’égalité devant la loi, sachant que, par ailleurs, les hommes sont différents ou inégaux – les deux qualificatifs étant le plus souvent malencontreusement confondus. Mais les individus ne sont égaux devant la loi que s’ils sont égaux en dehors de la loi, c'est-à-dire s’ils remplissent les conditions qui les mettent à égalité devant la loi ! Faisant cette constatation (7), Hegel en déduit que l’égalité des droits n’est que la condition formelle, encore abstraite, de la liberté. Elle signifie simplement que tous les individus sont libres ; mais la société moderne est une société complexe, hautement différenciée, et la réalisation de la liberté individuelle, la possibilité pour chacun de faire valoir ses goûts et ses talents propres ne peuvent que conduire au plus haut point l’inégalité. Hegel ne considère pas pour autant que les inégalités sont toutes justifiées. Elles doivent toujours rester compatibles avec le maintien de l’unité organique de l’État qui est la condition même de la liberté des individus. C’est pourquoi Hegel défend à la fois la liberté économique et un rôle important de l’État dans la vie sociale (8). En outre, il défend " le droit de détresse " (Notrecht) : l’affamé a le droit de voler pour se nourrir (9).
Contrairement à une idée reçue (10), la critique de la philosophie hégélienne par Marx n’oppose pas un égalitarisme radical à l’unité organique et différenciée de Hegel. Marx ne se pose pratiquement pas la question de l’égalité car, pour lui, l’égalité signifie qu’on est encore dans le règne du " droit bourgeois ". La société communiste qu’il envisage n’est pas une société égalitaire mais une société dans laquelle le bonheur de chacun est la condition du bonheur du tous – individualisme – et où la règle est " de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins " (11). C’est donc une société différenciée dans laquelle chacun peut développer librement toutes les potentialités qui sont en lui. Je ne discuterai pas ici le caractère utopique ou non de cette conception. Je veux simplement souligner que ce n’est pas chez Marx qu’on trouvera des développements sur la question de l’inégalité et de l’égalité, en elle-même cette problématique est liquidée.(12)
Si le communisme marxien est une utopie ou une perspective fort lointaine et si, par ailleurs, on ne peut se satisfaire ni des thèses libertariennes ni de l’État organique hégélien, il reste à explorer les voies ouvertes par le " libéralisme politique " au sens américain du terme. L’égalité est la vertu première des communautés politiques, dit Dworkin. C’est même, selon Rousseau, la condition première du contrat social, seul fondement légitime du pouvoir politique. En même temps, les inégalités sociales apparaissent inéliminables. Il s’agit donc de définir quelles sont les inégalités justes, sur un fond globalement égalitaire. C’est évidemment l’œuvre majeure de John Rawls qui est au centre de cette discussion (13). S’appuyant sur le contractualisme de Rousseau et la morale kantienne, Rawls tente de définir la structure de base d’une société bien ordonnée autour de deux principes de justice : le principe d’égale liberté pour tous – premier principe auquel il est impossible de déroger – et le principe de différence. Ces deux principes s’articulent à partir de la notion de " biens publics ". L’égale liberté pour tous et le droit de tous les individus à jouir d’un certain " paquet " de biens premiers définit des biens publics qui doivent être garantis par le pouvoir politique, lequel a également pour tâche de lutter contre les maux publics. Les inégalités de goûts, de talents, de naissance, etc., n’ont, en elles-mêmes, aucun caractère moral ou immoral. Rawls propose de les considérer comme des biens qu’il faut mettre au service de tous. Les inégalités de distribution des richesses sont donc justifiées dès lors qu’elles profitent à tous et en priorité aux plus favorisés.
Il pourrait sembler que la Théorie de la Justice nous donne simplement une explicitation de l’article premier de Déclaration des Droits. En réalité, Rawls va beaucoup plus loin. Alors que la Déclaration des Droits limite l’égalité et la justice à la sphère politique et juridique, Rawls soutient que la distribution des richesses et des positions sociales doit être intégrée à la définition du contrat social et en cela il s’oppose clairement à la tradition libérale classique. En deuxième lieu, la notion d’utilité commune est ambiguë. Elle peut être définie de manière utilitariste comme la maximisation du bonheur global, ce qui peut s’accommoder du sacrifice de quelques uns au profit du plus grand nombre. Or, le principe d’égalité de dignité exclut un tel sacrifice. Comme Nozick, Rawls affirme l’inviolabilité des droits individuels. En troisième lieu, Rawls critique radicalement la notion de " mérite " qui constitue le fondement de la justice distributive aristotélicienne. Les avantages que quelqu’un peut tirer de ses qualités propres ne sont pas " mérités " car personne ne mérite d’avoir du mérite ! Si mes traits de caractères m’ont fait courageux ou fort en thème, je n’y ai aucun mérite puisque cela peut fort bien venir de mon éducation ou de mes dispositions naturelles. Enfin Rawls montre que l’égalité politique ne peut être garantie sans la justice sociale ; il faut soustraire le forum public à l’influence de la puissance de l’argent.
La théorie de Rawls est une tentative puissante de rénover le républicanisme classique. Elle souffre cependant de plusieurs faiblesses qui en ont favorisé les interprétations les plus contradictoires. L’idée de justice comme équité (as fairness) a été opposée à l’égalité républicaine et a servi de substrat idéologique au développement du différentialisme dont les conséquences catastrophiques sont aujourd’hui largement connues. Le principe de différence est largement indéterminé et peut légitimer les plus grandes inégalités : après tout, les néolibéraux peuvent arguer que le développement des inégalités profite aux plus défavorisés dont la position serait plus mauvaise si les inégalités étaient moins importantes. Enfin, la Théorie de la Justice est présentée comme une théorie purement politique, indépendante des conceptions " compréhensives " du bien que peuvent partager les individus ou les divers groupes religieux, ethniques, etc. On peut facilement objecter qu’en réalité Rawls défend lui aussi une certaine conception du bien – celle qui a été définie philosophiquement dans les sociétés occidentales à partir de l’époque des Lumières – et que, dans le cas contraire, on voit mal comment pourrait exister ces biens premiers auxquels les individus ont droit à égalité. Les arguments que lui opposent les " communautariens " – par exemple Charles Taylor ou Michaël Sandel – sont loin d’être dépourvus de pertinence. De même, les développements de Dworkin qui veut réconcilier morale et libéralisme politique méritent toute notre attention.
Le débat est donc loin d’être clos. Dans son dernier livre, Tony Andréani (14) propose de distinguer l’égalité entre les groupes sociaux et l’égalité entre les individus. Plaidant pour des rapports sociaux égalitaires, il y voit une condition nécessaire pour égaliser ce qui est le plus important à savoir les conditions de l’autonomie individuelle. " En tant qu’éthique de la liberté et de l’individualité, affirme-t-il, la pensée libérale serait plutôt sympathique si elle n’entrait rapidement en contradiction avec elle-même ou ne se montrait incapable de tenir ses promesses. " Andréani veut aller au-delà de l’égalisation des ressources proposées par Dworkin. L’égalisation des conditions de l’autonomie suppose l’égalisation de tout ce qui relève de la sphère du travail et des rapports sociaux, ce qu’il rattache à l’idée rawlsienne d’égalisation des biens premiers. Mais en sachant que tout, dans cette sphère, ne peut pas être égalisé. Le deuxième domaine est celui des biens sociaux – par opposition aux biens privés. Ce sont tous les biens qui doivent revenir au citoyen en tant que sujet politique et en tant que membre d’une collectivité nationale ou locale. Mais Andréani ajoute qu’il n’y a rien à égaliser dans ce qui concerne la sphère du temps libre. Ces directions de réflexion doivent permettre, selon lui, de redonner du sens à la notion de progrès moral et politique. L’intérêt de cette approche est qu’on ne se contente pas d’un débat formel à partir des grandes catégories philosophiques ; elle s’inscrit dans une dynamique et donc ouvre des voies à l’action.
Denis Collin
NOTES
(1) Traduction française par Évelyne d’Auzac de Lamartine - PUF, 1988
(2) Jean-Claude Guillebaud dans La refondation du monde (Seuil), Emmanuel Todd dans L’Illusion économique (Gallimard) ou Christopher Lasch dans La révolte des élites (Climats), par exemple.
(3) Sovereign virtue – The Theory and Practice of Equality. Harvard University Press, 2000 – page 1
(4) La pensée de Nozick est forte et son argumentation subtile. Une critique approfondie est nécessaire. Voir mon livre à paraître au Seuil, De la morale à la justice sociale.
(5) La théorie des " droits à polluer " en vigueur aux États-Unis et à laquelle les Verts français ont fini par se rallier est très clairement d’inspiration libertarienne. Nozick est le point commun à Madelin et Cohn-Bendit … bien que ces deux-là se soucient certainement de philosophie comme de leur première chemise.
(6) Le professeur d’économie, le consommateur et le rentier peuvent considérer que la théorie de la valeur-travail est obsolète. Mais le producteur, industriel ou artisan, sait très bien que ses coûts s’évaluent en temps de travail.
(7) Voir Encyclopédie des Sciences philosophiques en abrégé, §539.
(8) Version conservatrice : Hegel préfigure l’État corporatiste moderne ; version progressiste : Hegel annonce Keynes …
(9) Voir Principes de la philosophie du droit, §127 et le commentaire qu’en fait Domenico Losurdo dans Hegel et les libéraux, (PUF, 1992, page 11).
(10) Marx disait " je ne suis pas marxiste " et les marxistes, du coup, ont rarement lu Marx !
(11) Si on y réfléchit bien, cette règle est celle de la Sécurité Sociale …
(12) Ce n’est pas le seul point de convergence entre Marx et les libéraux.
(13) John Rawls : Théorie de la Justice (Seuil – Réédition Points). Le livre de Robert Nozick est présenté explicitement comme discussion et une alternative à la théorie de la justice rawlsienne.
(14) Tony Andréani : Un être de Raison. Critique de l’homo œconomicus (Syllepses, 2000)


Communisme et communautarisme.

Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...