mardi 20 novembre 2018

Après la gauche...

Une intervention à l'université d'automne du Pardem (2014)

La présentation de mon livre "Après la gauche" (2018)


lundi 12 novembre 2018

Intelligence et stupidité artificielles

Un essai de Tony Andréani

L’ainsi nommée « intelligence artificielle » fascine et donne lieu aux spéculations les plus extravagantes. Entre autres celles-ci :
En copiant les facultés de l’esprit humain et en les portant à une puissance supérieure, elle ouvrirait une nouvelle ère pour l’humanité, celle où les machines feraient de plus en plus le travail à la place des hommes, et bien mieux qu’eux, ce qui, par voie de conséquence, réduirait drastiquement le nombre des emplois et élargirait le champ du loisir. Elles accroîtraient leurs capacités (c’est « l’intelligence augmentée ») au point de leur ouvrir, avec des progrès technologiques inouïs, de nouveaux espaces, par exemple la possibilité de coloniser d’autres planètes.
Mieux encore : l’intelligence artificielle pourrait transformer l’homme lui-même en un être surhumain, potentiellement immortel (c’est le « transhumanisme »). Version beaucoup plus inquiétante, popularisée par la science fiction : elle pourrait prendre le pas sur l’homme en permettant la création d’un univers de robots doués de pouvoirs surhumains. Perspective plus proche : elle remplacerait avantageusement les relations humaines, si hasardeuses et si imparfaites, grâce à des robots humanoïdes sensibles, amicaux, attentionnés, voire excellents partenaires sexuels. Et j’en passe.
L’intérêt dans toute cette affaire est bien au contraire de nous montrer ce en quoi les machines « intelligentes » ne peuvent pas et ne seront jamais des quasi-humains, donc de nous renvoyer à des questions d’anthropologie, de morale, et finalement de politique. On va ici simplement poser quelques jalons de cette problématique.
Commençons par le commencement. Les machines intelligentes sont-elles si « intelligentes » que cela ?

En quoi les machines intelligentes sont stupides

« Intellegerer », c’est, étymologiquement, relier pour discerner, et, à cet égard les machines sont capables de rassembler et de traiter un nombre de données infiniment supérieur à ce qu’un intellect humain est capable de faire, mais elles le font dans un champ donné, toujours très circonscrit. On sait qu’elles peuvent battre le meilleur joueur aux échecs ou au jeu de go –il est vrai au prix d’un matériel impressionnant (des superordinateurs énormes et très voraces en énergie). Elles en appliquent les règles et tirent des inférences de millions de parties jouées par des humains. Le progrès a constitué en ce que les machines intelligentes sont devenues capables d’apprentissage, tout comme l’homme, et même déjà l’animal, quand ils  procèdent par essais et erreurs. Ce deep learning s’est développé en imitant les réseaux de neurones du cerveau. Fort bien. Et cela donne effectivement une puissance de calcul et d’analyse supérieure à la nôtre. Par exemple, en compilant des millions de dossiers médicaux, des milliards de radiographies, des millions de dossiers d’assurance, et en traitant ces données, un superordinateur peut établir, pour telle personne, un diagnostic de cancer plus sûr que celui d’un médecin et suggérer le traitement le plus approprié à son cas. On ne saurait que s’en féliciter.
Mais ce n’est pas tout un cerveau artificiel qui travaille, c’est seulement l’équivalent d’une infime partie du cortex. Il est à noter d’ailleurs qu’un cerveau humain est aussi capable d’une grande puissance, s’il parvient à se déconnecter de toutes les autres stimulations qu’il reçoit, et plus encore si une physiologie particulière l’y dispose (on sait que des autistes peuvent, par exemple, effectuer des opérations arithmétiques complexes à toute vitesse et sans se tromper). Mais, dès que le champ s’élargit, la machine devient « stupide ». Ce qui a fait dire à des spécialistes qu’elle serait incapable de réaliser ce que fait un rat, et peut-être même une fourmi. Elle est également incapable de faire tout ce qu’un petit enfant fait spontanément lorsqu’il apprend à se mouvoir, à saisir des objets, à reconnaître des formes. On est donc très long des capacités d’un cerveau animal, même rudimentaire, et a fortiori de celles d’un cerveau humain, avec ses  presque 100 milliards de  neurones et ses 10.000 milliards de synapses par cm3.
Admettons que les machines se perfectionneront. Après tout la voiture autonome peut avoir appris les mouvements de la conduite et reconnaître son environnement, au point, dit-on, qu’elle serait moins accidentogène qu’un conducteur humain, ignorant la fatigue et ne se laissant distraire par rien. Elle fera disparaître, prévoit-on, les métiers de chauffeur de taxi et de chauffeurs livreurs. Elle nous transportera d’un lieu  à un autre sans intervention humaine. Mais, on le voit bien, il s’agit toujours d’une activité limitée et ciblée. Si accident il y a, ou tout autre évènement imprévisible, la machine ne saura quoi faire. Et, surtout, les machines intelligentes ne savent que  copier nos activités dans la mesure même où elles sont machiniques.

Les machines intelligentes ne reproduisent qu’une facette du travail humain

C’est une vieille histoire. Le premier outil a été un prolongement de la main, ou plus généralement du geste humain. A partir de là on peut raconter l’évolution de la force productive du travail (car les dites « forces productives » ne sont rien d’autre que des facteurs qui accroissent, parfois très indirectement, la productivité du travail). Le machinisme simple, celui qui suit l’activité manuelle complexe de la manufacture, remplace des gestes par des dispositifs que le travailleur se contente de surveiller : c’est le contrôle au premier degré. Puis vient l’automation : le travailleur contrôle non la machine, mais un dispositif qui contrôle la machine (elle devient par exemple une machine à « commande numérique »). Alors oui, on peut parler avec la machine intelligente, d’un nouveau stade, d’une nouvelle époque dans le machinisme, d’une nouvelle révolution technologique, quand c’est la machine qui se contrôle elle-même. C’est ce que fait un robot. Son programme lui dicte les mouvements qu’il a à faire, et ce en fonction d’informations qu’il reçoit de son champ d’opération. On peut voir aujourd’hui, par exemple, un robot imiter parfaitement les gestes d’un opérateur manuel qui travaille à côté de lui, et qu’il pourra donc rapidement remplacer, quand son coût d’amortissement et de fonctionnement sera moins élevé que le salaire versé à ce dernier, compte tenu aussi d’autres avantages (il peut fonctionner jour et nuit, ne se fatigue pas, n’est distrait par rien, ne fait pas grève etc.). Il n’y a pas de doute : tout travail plus ou moins standardisé et répétitif sera un jour effectué par une machine intelligente (c’est déjà vrai pour certains travaux de secrétariat, de réponse téléphonique à des questions standardisées etc.). Il n’y aurait qu’à s’en féliciter, dès lors qu’un opérateur humain serait là pour intervenir quand la machine ne sait plus quoi faire ou répète stupidement ce qu’elle sait faire - ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas, comme nous en faisons l’expérience tous les jours.
On discute beaucoup la question de savoir si la généralisation des machines intelligentes ne va pas mettre au chômage des centaines de millions de travailleurs. Même s’il se créera de nouveaux emplois pour produire ces machines, les entretenir et les régler, il est probable qu’il en ira ainsi, et ce serait une formidable occasion de réduire le temps de travail pour tous si ce n’était contraire à la logique du système capitaliste. Mais la question que nous voulons souligner n’est pas là.
L’autre grande facette du travail humain, à côté de l’usage de l’outil (au sens le plus large du terme) est la coopération. Marx l’a particulièrement analysée à peu près en ces termes. Il y a une forme de coopération « objective » qui correspond à une division des tâches, que le machinisme peut parfaitement suppléer (cela devient une « chaîne » d’opérations ou de machines, qui fonctionnent selon un dispositif préétabli - aujourd’hui un programme informatique), mais aussi une coopération « subjective », qui se traduit, par des phénomènes comme l’émulation, l’information mutuelle, l’apprentissage mutuel, et d’autres choses encore comme l’ambiance de travail (pause  café comprise). Le management le sait bien, qui essaie de les exploiter, tout en les réduisant au maximum, de peur des effets d’insubordination qu’ils peuvent produire. Or de ces formes de coopération intersubjective les machines intelligentes sont incapables, car ces formes sont constituées et constitutives de liens interhumains. On verra tout-à-l’heure comment on tente de copier de tels liens, et avec quel succès…

Pourquoi les machines intelligentes sont incapables d’inventer

On l’a dit cent fois, ces machines ne savent résoudre que les problèmes pour la solution desquels elles sont programmées. Elles ne « pensent pas ». Mais pourquoi donc ? Une raison très simple et très souvent oubliée en est qu’elles ne peuvent se détacher de leur mémoire pour aller voir ailleurs, dans des zones inconnues ou inexplorées. Une grande faculté humaine, ce que Nietzsche avait bien vu, est la faculté d’oubli. Les machines artificielles n’oublient jamais et n’oublient rien. Quand nous oublions, cela ne veut pas dire que nous ne souvenons de rien, mais que nous n’avons conservé que des traces, qu’on pourra éventuellement retrouver et à partir desquelles on pourra reconstituer tout ou partie de ce que nous avons oublié, ceci dit en restant pour le moment au niveau de ce qu’on pourra appeler le préconscient. Or il faut bien oublier pour désencombrer des régions de notre cortex et ainsi aller vers d’autres régions, de nouvelles connexions. C’est ce que les philosophes appelaient l’imagination, et c’est elle qui nous permet d’inventer, souvent à l’improviste, et parfois, comme certains exemples célèbres l’ont montré, dans un état flottant, voire pendant un rêve, quand il ne dissipe par complètement au réveil.

Mais pourquoi sommes-nous « bêtes » ?

Nous n’avons pas, certes, la puissance calculatrice et déductive des machines artificielles. Celle-ci repose sur les quantités phénoménales de données qu’elles peuvent enregistrer et traiter. Prenons l’exemple de la reconnaissance faciale. Nous avons beau être physionomistes, nous ne ferons jamais aussi bien que les machines, parce que celles-ci ont appris à traiter des milliards d’images recueillies par des  caméras, dont celles produites par les internautes et voyageant sur un réseau (comme  Facebook), et elles le font de façon bien plus sûre que nous. A preuve : on peut aujourd’hui, dans certains pays, payer ses achats en scannant des produits et en utilisant son téléphone mobile pour les faire débiter sur son compte, sans risque d’erreur. De même les machines savent reconnaître un chien d’un chat sans risque de se tromper (on dit alors, un peu abusivement, qu’elles ont le « concept » d’un chat). Mais tout cela est dans la continuité de tout ce que les machines plus simples peuvent nous apporter, et l’histoire des sciences est jalonnée de dispositifs techniques qui ont rendu notre perception du monde plus fine (par exemple lorsque l’on est passé de la vision simple au microscope, puis au microscope électronique), plus rapide et plus sûre. La question que nous voulons soulever est pourquoi, en dépit de tout cela, nous agissons souvent comme des bêtes, c’est-à-dire en deçà de nos capacités.
On est en effet surpris que des esprits formidablement instruits, capables précisément souvent de résoudre des équations très compliquées à l’aide de machines, soient aussi aveugles à des réalités qui tombent sous le sens. On considère en général que c’est l’effet de préjugés relevant notamment de leur position dans la société, et en particulier de leurs intérêts de classe. Sans doute, mais cet effet d’aveuglement reste quelque peu mystérieux.
Alors vient à l’esprit l’idée que c’est là l’effet de notre vieille animalité. Nous avons été dressés par l’évolution à répondre à des situations d’urgence par des réflexes de sauvegarde ou de survie, ce que fait tout animal, mais que nous faisons plus encore parce que nous avons une conscience vive de notre fragilité et de notre mortalité. La machine intelligente, elle, n’a pas conscience qu’elle peut dysfonctionner ou même mourir (tomber définitivement en panne), et, de toute façon, elle s’en fout, car elle n’est pas un être sensible. Elle peut réagir à des signaux d’alerte, mais ne saurait se protéger ni s’auto-réparer.
Cet ancrage dans notre animalité est un point est tellement important que l’on pourrait y trouver l’origine de toutes sortes de biais cognitifs, notamment dans la science économique standard (biais lumineusement analysés par Jacques Généreux dans La déconnomie). Un destin qui n’est pas irrémédiable, mais aux conditions d’une prise de conscience, d’actes de volonté, et de toute une politique éducative.
Il est frappant que, à l’inverse, les hérauts de l’intelligence artificielle ne s’en préoccupent pas, et soient au contraire portés au déni de notre fragilité et de notre mortalité, eux qui voudraient que nous puissions fonctionner comme des machines parfaites, c’est-à-dire potentiellement immortelles. Vieux rêve de l’humanité, et fantasme renouvelé par la croyance dans des vertus miraculeuses de la science.
Mais ce n’est pas tout. Nos savants fous se sont mis à imaginer que nous pouvons fonctionner effectivement comme et aussi bien qu’une machine.

L’homo oeconomicus, machine intelligente

Il est étonnant de constater la similitude. Une machine intelligente doit traiter un grand nombre de données pour en extraire la solution optimale (ainsi, dans l’un de nos exemples précédents, la reconnaissance d’un visage). Un consommateur rationnel doit de même choisir la liste de produits qui satisferont ses besoins – une donnée pour eux de nature purement individuelle – compte tenu de son budget, et il choisira la solution optimale, celle qui, sous contrainte, maximisera sa satisfaction – un terme vague, emprunté au registre de l’apaisement de la soif ou de la faim. Il fera encore mieux, car il procédera à des « anticipations rationnelles » : il aura en effet calculé ce que sera le marché de demain et ce qu’il aura en moins dans sa bourse en fonction des impôts qu’il aura versés. Même chose pour l’entrepreneur « rationnel » qui prendra des décisions d’investissement en fonction de ses ressources financières, de l’état du marché et de ses évolutions à prévoir.
Tout cela, a-t-on fini par remarquer, ne tient aucun compte de la « complexité humaine ». Comme l’économie « comportementale » aura montré que divers facteurs autres que la préférence individuelle et la taille du porte-monnaie interviennent (des facteurs sociaux, culturels etc.), et qu’elle l’aura vérifié en laboratoire, sinon on ne la croirait pas, on se déclare prêt aujourd’hui à injecter des doses d’autres sciences humaines (la psychologie, la sociologie, la science politique) dans le modèle de base, autrement dit à complexifier un peu les équations pour se rapprocher des comportements effectifs. Mais voilà, on reste dans la perspective machiniste de l’optimisation sous contrainte, en ajoutant des facteurs.
Or, comme on l’a dit, les machines intelligentes ne fonctionnent que si leur domaine est à la fois strictement limité et doté de complétude. Rien de tel chez l’être humain d’abord parce qu’il n’a pas la puissance de calcul d’une machine (il ne peut comparer en un bref instant des quantités de produits et de prix), ensuite et surtout parce qu’il est mû par ce que Adam Smith appelait des « passions » parfaitement déraisonnables. Par exemple la passion de ce collectionneur qui n’a nullement l’intention d’être un vendeur ou un spéculateur, est totalement incompréhensible, puisque son « besoin » semble illimité. A y réfléchir, on s’aperçoit que la plupart des choix humains sont « irrationnels », n’en déplaise à ceux qui voient le choix d’un conjoint ou l’acte délinquant, voire criminel, comme le résultat d’un calcul coût/avantage. Et le plus fort est que les publicitaires le savent bien : ils ne vont pas seulement vous vanter les qualités d’un produit par rapport aux produits concurrents, ils vont lui associer les fantasmes les plus invraisemblables ou les plus délirants. Le choix rationnel existe certes,  mais il est de faible portée et très subordonné. C’est pourquoi une politique qui ne prendrait pas en considération les passions humaines serait vouée à l’échec ou ne réussirait que par une dictature sur les besoins, dictature dont le ciblage des centres d’intérêt du consommateur par les géants de l’internet à des fins publicitaires est déjà une forme.
Mais que faut-il entendre par « passions » ? Soyons simples. Au moins deux choses : des affects et des pulsions, ce dont toute machine est dénuée.

Les machines intelligentes ne peuvent que simuler des affects

Les concepteurs de machines ont voulu faire comme si elles avaient des émotions. De très nombreux laboratoires dans le monde s’attachent à créer des robots humanoïdes, avec lesquels on puisse communiquer comme avec des êtres humains. Le marché potentiel est immense, face à toutes les privations ou frustrations de liens interhumains. On crée donc des robots pour tenir compagnie à des personnes âgées et esseulées, pas forcément humanoïdes d’ailleurs (ils peuvent simuler un chien de compagnie), on crée des robots pour que les enfants puissent jouer avec comme de petits amis, on crée pour des adolescents attardés ou timides une « bonne copine » virtuelle ou matérielle (plus rarement un bon copain) afin de remplacer une copine réelle, on fabrique des robots sexuels pour des jeunes hommes (plus rarement des jeunes femmes) en panne de rapports réels (les Japonais sont très souvent vierges jusqu’à la trentaine). Est-il besoin de le dire, ces robots n’éprouvent aucune émotion, car ils n’ont que l’équivalent d’un bout de cortex, mais pas d’hypothalamus, pas de zones de plaisir. Ils ne présentent donc que des signes d’émotion (sourires, mouvements des yeux, quelques expressions langagières, et naturellement pas de signaux de stress ou de peur). Admettons que la reproduction des émotions humaines dans des robots « bio-inspirés » puisse aider les neurosciences à progresser, cela risque quand même de favoriser la robotisation des relations et des services les plus indispensables à l’équilibre psychique et de pousser les individus vers une forme d’autisme social (les enfants, eux, savent très bien faire la différence entre leurs jouets les plus imitatifs et les relations réelles).
La dérive machinique est encore plus grave quand on aborde le domaine des pulsions.

Les machines intelligentes n’ont ni inconscient ni désir

Le behaviorisme autrefois essayait de reconstruire toute l’activité humaine en termes de stimuli et de réponses, à partir de l’observation de comportements animaux tels que ceux du rat de laboratoire. C’était réducteur et de peu d’intérêt dès qu’on allait vers l’étude des primates, mais, s’agissant de l’homme, cela devenait franchement stupide, car le psychisme humain a une particularité dont on ne va pas ici expliquer la genèse (contentons-nous de dire qu’elle s’origine en particulier dans la prématuration de l’enfant humain), celle de posséder un inconscient profond,  lieu des pulsions du «ça », en langage freudien, et des fantasmes liés à leur refoulement (par exemple le fantasme de toute puissance, dont l’élucidation sert à expliquer bien des choses). Et de là il résulte que le moteur des comportements humains n’est que secondairement le besoin, qui peut être satisfait, mais fondamentalement le désir, qui ne connaît pas de finitude. Alors apparaît toute l’absurdité de la conception de l’homme rationnel  des économistes, sorte d’avatar du behaviorisme et pilier idéal du calcul capitaliste. Il y aurait plein de leçons politiques à en tirer, mais nous voudrions mettre en évidence un dernier point.

Les machines intelligentes ne délibèrent pas et n’ont aucun sens moral

C’est pourtant une évidence, le moindre de nos gestes, en dehors des pures routines et des cas d’urgence vitale, appelle une délibération intime : vais-je faire ceci ou cela, maintenant ou plus tard, ou pas du tout ? Et qui dit délibération dit usage de la contradiction. Or, pour qu’il y ait contradiction, il faut un contradicteur, ce contradicteur étant moi-même. Cela signifie, pour faire simple, que nous sommes doubles, et que le double du « sujet » s’est constitué à travers un jeu d’identifications à autrui, toute la foule de personnages qui inconsciemment nous ont fait ce que nous sommes. La machine intelligente, elle, n’a pas de double, n’a pas de distance à soi, et c’est pourquoi, tout en étant capable de raisonnement déductif, elle ne réfléchit pas et finalement ne pense pas, ne peut pas et ne pourra jamais penser. C’est pourquoi aussi elle ne peut avoir aucun surmoi, et a fortiori aucun sens moral, même rudimentaire. Ce qui nous fait penser à « l’homme aux écus ».
Faisons un dernier pas. Si nous sommes des êtres fondamentalement contradictoires, il faut alors non pas nier cette réalité native, mais l’assumer et la faire jouer positivement : mettre la raison au service de nos passions, et nos passions au service de notre raison, être un « individu social », comme disait Marx, sans cesser d’être un individu, bien au contraire. Maxime qui vaut au niveau politique : il s’agit de combiner le privé et le collectif pour qu’ils se renforcent l’un l’autre. Maxime qui vaut au niveau environnemental : il faut non pas dominer ou maîtriser la nature, mais construire une relation harmonique avec elle, faute de quoi l’humanité est condamnée à sa disparition.

mercredi 17 octobre 2018

L’UE contre l’Europe


Les adversaires de ce qu’on appelle par antiphrase la construction européenne (alors qu’il s’agit en fait de la destruction de l’Europe) sont souvent considérés comme des nationalistes obtus, des chauvins, des fauteurs de guerre et même de vrais fascistes. C’est l’inverse qui est vrai, sinon toujours, du moins très souvent. Si je prends cette question à la première personne, je peux y répondre très clairement.
J’aime la France, « ma France » comme chantait si bien Ferrat, j’aime sa langue et sa culture, ses paysages et sa cuisine, j’allais dire que je l’aime en bloc, je me sens installé dans cette histoire et son destin est le mien. Communauté de vie et de destin, disait Otto Bauer pour définir la nation. Avec Marc Bloch, je peux dire : « Je suis né en France, j'ai bu aux sources de sa culture, j'ai fait mien son passé ». Et tout Français d’où que viennent ses parents ou ses aïeux à la 15e génération peut dire la même chose.
Mais je me sens tout autant complétement européen. L’Europe est mon histoire comme elle est celle de tout Français. La Grèce antique, c’est notre histoire et quand les Grecs affrontent les Perses, nous ne sommes pas des spectateurs impartiaux, nous sommes du côté des Grecs et leurs victoires militaires contre leur puissant ennemi sont un peu nos victoires. Imaginons que les Perses aient réussi à occuper la Grèce, nous n’aurions pas eu la démocratie athénienne, ni la philosophie, ni tout ce monde qui est toujours en arrière-plan de nos paroles et de nos pensées. Les Romains aussi sont notre histoire, puisque les Français furent il y a longtemps les Gallo-Romains, ces tribus celtes romanisées. L’Europe que nous connaissons aujourd’hui fut largement façonnée par Rome. Les Germains, ces fameux Barbares, ont aussi toute leur place dans cette généalogie, dans cette destinée commune, eux qui, selon Hegel, ont apporté la liberté au monde romain. Et avec eux ces envahisseurs du Nord, Danois que nous avons appelés « Normands ». Notre histoire se dessine aussi négativement, par ceux à qui nous nous sommes opposés, envahisseurs maures ou menaces ottomanes. L’histoire de la Chine, de l’Inde, du Japon, aussi passionnante soit-elle nous importe beaucoup moins, nous ne sommes pas concernés directement, nous ne pouvons pas dire « nous ». Elle nous importe au moment où les Européens les rencontrent. La Chine, c’est d’abord Marco Polo. Cette histoire commune, ce ne sont pas seulement les Européens contre les autres, mais aussi les Européens les uns contre les autres. Allemands et Français devraient bien se connaître tant ils se sont entretués ! Pour ne rien dire de la « perfide Albion ». Il y a bien une unité historique qui s’appelle Europe, qui a forgé nos consciences jusqu’au plus profond de nous-mêmes. Cette unité donne une vision politique partagée. L’Angleterre de la Magna Carta (1215) commence à imposer ce qui formera le corps des libertés civiles. Les communes libres de l’Italie du Nord à la fin du Moyen Âge furent le laboratoire de la pensée politique moderne du républicanisme qui trouve ensuite sa terre d’élection dans l’Angleterre de la révolution de 1642, avant de passer aux insurgés américains pour trouver son plein épanouissement en France, dans la Grande Révolution. Montrer l’entrelacement de ces histoires et les influences des uns et des autres, des centaines d’ouvrages ont déjà écrits à ce sujet.
Européocentrisme ? Sans aucun doute. Puisque c’est notre histoire. L’historien d’aujourd’hui doit certes voir les choses de plus haut et de plus loin, il doit savoir être persan – et voilà encore Montesquieu – s’intéresser à ce qui n’est point dans nos coutumes (Montaigne). Mais cette capacité d’ouverture, cette curiosité pour les autres, c’est aussi une des particularités de l’esprit européen tel que les Lumières nous le montrent.
Nous partageons un espace et une culture communs, nous les Européens. Italien à temps partiel, en Italie je suis ailleurs, dans une autre histoire, d’autres paysages, une autre culture qui est aussi la mienne. Dante est-il un Italien ? Et mon cher Machiavelli ? Leur pensée a d’autres lieux de naissance que nos grands poètes et nos grands penseurs français, mais il suffit de se décaler légèrement pour se retrouver chez soi avec eux. Verdi met en musique des pièces de Victor Hugo, et ceux qui connaissent un peu l’histoire savent que Louis XIV parlait couramment l’italien, aussi bien que le français. Ce que je dis de l’Italie, je pourrais le dire de l’Allemagne. Leibniz, Kant, Hegel, Marx, Husserl et tant d’autres ne sont pas des philosophes allemands mais tout simplement des maîtres auxquels je dois retourner toujours, tout autant que le Juif hollandais, Bento Spinoza, qui commence par un exposé de la philosophie de Descartes, lequel a passé une très grande partie de sa vie dans ces Provinces Unies où la liberté prenait son envol.
Je passe par Munich où des églises baroques ont été érigées sur le modèle des églises des Jésuites de Rome, Munich où le Blau Reiter vient nous rappeler que l’art du XXe siècle ne se résume pas aux « performances » et autres « kooneries ». Je pousse vers Prague, qui, en dépit du flot des touristes, garde cette atmosphère un peu vieillotte et si douce. À l’entrée de la grande bibliothèque du Clementinium des gravures représentent Tycho Brahé, Nicolas Copernic, Kepler et Galilée, un Danois, un Polonais, un Allemand et un Italien, réunion de ce génie européen qui inventa la science moderne. Poussons vers Cracovie, religieuse, trop religieuse mais encore une expression de ce génie de la ville qui est propre à l’Europe. Varsovie, c’est encore très différent, c’est encore une autre façon de voir la Pologne, avant d’arriver à Gdansk et de se croire juste à côté d’Amsterdam. À Riga, on rencontre l’art nouveau et si les Romains ne sont pas allés jusqu’aux pays baltes comme l’a dit un peu bêtement Mélenchon, personne ne peut douter qu’on est bien en Europe, pas bien loin des Pays Bas ou de l’Est de la France. Et Berlin, donc, avec à chaque coin de rue l’histoire de notre siècle, ce cimetière des philosophes où Hegel côtoie Marcuse et le Tiergarten où furent assassinés Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. Je pourrais évoquer toutes ces autres capitales européennes qui ravissent les sens et stimulent l’esprit : Londres et Amsterdam, Madrid, Lisbonne… Partout nous avons des variations sur des thèmes communs. Partout on est chez soi et ailleurs. Pour le dépaysement, il ne faut pas voyager en Europe mais pour se retrouver, rien de tel.
Nous sommes imprégnés de cette culture. Elle a façonné nos manières de voir et d’aimer les belles choses. Évidemment l’Europe ce sont aussi les affrontements les pires qu’ait connus l’humanité.  Deux guerres mondiales pour clore les conquêtes coloniales. Le sublime y côtoie l’horreur. L’esprit humain s’élève aux sommets pour retomber dans la fange. Mais si les autres civilisations n’ont pas à leur passif des crimes aussi grands, c’est uniquement parce que leur science et leur industrie étaient trop arriérées pour ça. Pas par grandeur d’âme. Les Arabes ont pratiqué la traite négrière bien avant les Européens et pendant bien plus longtemps. Les Ottomans ont été des conquérants féroces et ont imposé leur loi aux Arabes. Mais là encore il y a une supériorité de l’Europe : c’est ici et ici seulement que se sont élevées des voix pour l’abolition de l’esclavage, pour dénoncer les conquêtes coloniales, pour proposer même la paix perpétuelle. Condorcet, à la veille de la révolution fonde une société des amis des Noirs. Dans l’Histoire de deux Indes attribuée à l’abbé Raynal, Diderot dénonce en termes vigoureux le colonialisme et de partout en Europe souffle l’air de la liberté. Nous sommes critiques contre nous-mêmes parce que nous avons une haute idée de ce que doit être l’humanité, cette haute idée qu’ont élaborée les philosophes des Lumières, ces Lumières qui sont hollandaises, anglaises, allemandes ou italiennes tout autant que françaises.
L’idéal des États-Unis d’Europe que défendait Victor Hugo s’enracinait dans cet héritage européen. Et si les peuples européens, du moins ceux des six premières nations signataires du traité de Rome ont globalement soutenu, pendant les premières décennies, la « construction européenne », c’est parce qu’ils espéraient qu’elle était une étape nécessaire vers cette Europe pacifiée apportant au monde ses Lumières, son sens de la justice et du progrès social avec son indéfectible attachement à la liberté. Mais la construction européenne est l’inverse de cette aspiration. Alors que les différences nationales, cet esprit d’indépendance et cet attachement à la souveraineté des peuples, composent les éléments d’une unité plus haute, l’UE est une entreprise de rabotage de toute différence, sur le plan institutionnel, juridique et linguistique au profit d’un modèle unique, l’américain. L’UE détruit l’Europe parce qu’elle s’attaque à la civilisation européenne développée de manière si différenciée dans chacune des nations qui composent cet ensemble. La langue d’Europe, c’est le latin dans ses variantes française, italienne, espagnole, portugaise, roumaine, sarde, romanche, etc. C’est aussi l’allemand, langue officielle de plus d’un Européen sur quatre (Allemagne, Autriche, Suisse, partiellement Belgique et Luxembourg) et cette variante de l’allemand qu’est le néerlandais. Ce sont aussi les langues scandinaves et les langues slaves (Pologne, Bulgarie, Tchéquie, Slovaquie, et toute l’ex-Yougoslavie) et évidemment le grec, sans parler de ces exceptions : le hongrois, le finnois, le basque. Et c’est aussi l’anglais, non pas la langue du business mais celle de Shakespeare, de Milton ou de Bertrand Russell. Cette diversité qui s’est exprimée dans la littérature, la poésie, le théâtre, la poésie, l’UE la remplace, et c’est la logique de la marchandise, par l’équivalent général qu’est le globish.
Chaque nation d’Europe se gouverne selon son génie propre. L’UE tend à imposer des normes générales privant les peuples de la possibilité de choisir eux-mêmes les lois auxquelles ils veulent obéir. Mais c’est devenu impossible. S’applique la « règle de Juncker » qui veut que la démocratie ne peut pas être supérieure aux traités européens. Cette UE nous apporte-t-elle au moins la paix ? Rien n’est moins sûr. Les peuples européens ne manifestent aucune volonté de se faire la guerre. Ils ont appris à se connaître et à s’apprécier. Seuls certains politiciens et une certaine presse usent volontiers de la manipulation des passions les plus viles, dénonçant ici ces paresseux du Sud, là ces Allemands incorrigibles. Mettre sa propre impéritie sur le dos du voisin est une pratique humaine courante. Et l’UE ne nous met pas à l’abri de ces haines funestes, bien au contraire. D’ailleurs à l’intérieur du grand marché, la concurrence continue, y compris sur le terrain militaire. Au moment de la guerre dans l’ex-Yougoslavie, la France soutenait plus ou moins ouvertement ses vieux alliés serbes, alors que l’Allemagne et le Vatican ne ménageaient pas leur peine en faveur des Croates. Et surtout, cette UE qui n’a aucune politique extérieure commune est entièrement alignée derrière les États-Unis et suit docilement les entreprises douteuses des maîtres de Washington.
Par quelque côté que l’on aborde la question, l’UE a une grande réussite à mettre à son actif : elle est en voie de faire détester l’Europe. Impulsant une politique de destruction de l’« État social » elle contribue fortement à l’appauvrissement des classes laborieuses – celles que l’on appelle aujourd’hui, on ne sait trop pourquoi, « classes moyennes ».  Quant aux défis des prochaines décennies, l’UE est totalement incapable d’y faire face car dès qu’il s’agit de budgets prospectifs, il n’y a plus aucune entente et chacun tire la couverture à soi. L’UE n’est donc pas une construction et elle est au fond américanophile et non européenne.
Pour ceux qui prennent la nation au sérieux sans être des nationalistes, pour ceux qui tiennent pour particulièrement précieux l’héritage de la civilisation européenne, tant sur le plan des arts, de la pensée ou des langues que sur le plan politique proprement dit, il n’est pas d’autre voie que de rompre avec cette UE et ses disciplines mortifères pour construire une confédération des nations libres d’Europe.
Le 17 octobre 2018
Denis Collin

vendredi 5 octobre 2018

Jean Birnbaum, La religion des faibles. Ce que le djihadisme dit de nous. (Seuil, 2018)


Avec ce livre, Jean Birnbaum a certainement pris un billet pour monter dans le train des « nouveaux réacs ». Au demeurant c’est l’édito de Julliard dans Marianne qui m’a incité à acheter ce livre. C’est tout dire ! Rien ne prédisposait pourtant Birnbaum à se retrouver en si mauvaise compagnie. Rédacteur en chef du Monde des Livres, il a réalisé sur France-Culture une série consacrée au trotskisme, un courant qu’il connaît visiblement très bien : il est le portrait type d’un militant ou sympathisant de la Ligue Communiste ancienne manière – à ne pas confondre avec ce truc informe qui s’appelle NPA. Vu du « camp du bien », Birnbaum a donc un « bio » impeccable. C’est pourquoi son livre est d’autant plus fort, se gardant bien de tomber dans les excès et l’unilatéralisme de certains contempteurs de l’islamisme. Ce que conduit Birnbaum, c’est une critique clairement « de gauche », une critique menée du point de vue de la tradition du mouvement ouvrier révolutionnaire antistalinien.
Son dernier livre fait suite à La gauche face au djihadisme" (2016). Même quand on a de long temps critiqué les complaisances envers l’islamisme (ou l’islam) de ceux qui y voient la religion des déshérités, on prend ce livre en pleine figue car l'auteur n'y va pas par quatre chemins. Le credo occidental, surtout de la gauche occidentale, cette « religion des faibles », c'est que l’islamisme n'est rien d'autre qu’une forme déguisée de « désir d’Occident » car nous croyons que la seule civilisation possible est l’Occidentale et que les islamistes nous reprochent ce que nous faisons ou ce que nous avons fait. Erreur, dit Birnbaum, ils nous haïssent pour ce que nous sommes et non pas pour ce que nous leur avons fait. Et ils veulent nous détruire. J'en suis arrivé à ces conclusions voilà quelques temps, mais je n'osais pas (reste de la « religion des faibles » ?) le dire aussi nettement. Aussi brutalement et c'est pourquoi j'ai reçu ce livre comme un coup de poing dans la figure. Regarde-toi, regarde ta croyance au miroir du croyant, nous dit-il.
Il faut lire le rappel que fait Birnbaum des séquences précédentes, celles de faits sans précédents, l'assassinat méthodique de la rédaction de Charlie Hebdo, assassinat rendu possible parce que tout le monde avait laissé tomber Charlie après qu'il a publié les caricatures de Mahomet en solidarité avec les Danois. Assassinat du provo gauchiste Theo Van Gogh, affaire Rushdie. Tout y est détaillé et Birnbaum dresse le réquisitoire implacable contre cette gauche qui abandonne tous ses principes quand il s'agit de l'islam prétendue religion des opprimés. On lira aussi avec intérêt sa critique des études « post-coloniales ».
Mais Birnbaum donne a ses analyses un épaisseur historique. Il consacre à l’histoire du mouvement ouvrier de nombreux développements et rappelle que pour les « pères fondateurs », pour Marx et Engels et pour le mouvement ouvrier dans son ensemble, le cœur du mouvement ouvrier est occidental tout simplement parce que le mouvement ouvrier a pour « mission » d’accomplir les promesses de la civilisation occidentale. C’est ce qui explique qu’il ait pu y avoir des complaisances à l’égard du colonialisme (Birnbaum rappelle ici certains textes de Marx que les marxistes gardent bien cachés dans les placards) : le colonialisme est horrible mais il fait entrer les sociétés archaïques dans le monde moderne et rend possible et même nécessaire leur émancipation. À la civilisation occidentale, Marx opposait le « despotisme asiatique » et au fond l’histoire humaine se jouait pour lui entre ces deux pôles – restes de la philosophie de l’histoire de Hegel ?
Birnbaum consacre également de nombreuses pages à Victor Serge, militant intraitable, révolutionnaire sa vie durant, auteur de romans forts dont le S’il est minuit dans le siècle et également de ces très riches Mémoires d’un révolutionnaire. Serge qui parlait de « notre vieil ccident de chrétiens, de socialistes, de révolutionnaires, de démocrates ». De Serge, comme de Marx, Birnbaum trouve des arguments en faveur de cette idée qu’il y a un exceptionnalisme de l’Europe Occidentale, un goût de la liberté, un air qu’on y respire et qu’on ne respire nulle part ailleurs.  Et cet exceptionnalisme mérite d’être défendu.
Birnbaum montre bien que dans la complaisance envers l’islam, il y a chez toutes nos belles âmes un vieux fond de colonialisme et de mépris occidentalo-centré. On passe sur les atteintes au droit des femmes dans les pays musulmans parce qu’on estime, au fond, que « c’est assez bon pour eux » et que, de toute façon, il suffit de laisser faire et ils deviendront comme « nous ». Sur ce point, Birnbaum nous livre des analyses critiques qui tapent justes, aussi bien des thèses de Todd sur l’évolution du monde musulman que sur celle de Badiou. Il faut aussi lire ce que Birnbaum rapporte du colloque Derrida tenu à Alger et dont il devait rendre compte pour le journal Le Monde, ou encore ce rappel de la honte de Simone Signoret d’avoir méprisé les appels de sa cousine de Bratislava, un épisode de rapporte l’actrice dans ses souvenirs, La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Le « on ne vaut pas mieux » qui sert à légitimer toutes les petites et grandes saloperies, hier l’indifférence sinon l’approbation du système stalinien et aujourd’hui la défense du régime des mollahs… ou la complaisance à l’égard du système FLN en Algérie.
Sur quoi débouchent les analyses de Birnbaum ? Sur une prise de conscience chez les « gens de gauche », du moins on peut l’espérer. Quels que soient les crimes des impérialismes occidentaux, et ils sont immenses, il reste dans notre civilisation (il faut réapprendre ici à dire « nous ») quelque chose d’irremplaçable, une certaine idée de la liberté dans toutes ses dimensions, de l’égalité et de la fraternité. Quelque chose qui est radicalement absent de toutes les formes du « despotisme asiatique ». Peut-être que le jour où nous déciderons de reprendre ce drapeau nous serons mieux en mesure de nous opposer aux brutes et aux racistes qui reprennent un peu partout du poil de la bête.
Denis Collin, le 8 octobre 2018

jeudi 4 octobre 2018

Note de lecture : Libérons-nous du féminisme ! par Bérénice Levet, éditions de l’Observatoire, 2018



Sa critique de la « théorie du genre » avait valu une certaine notoriété à Bérénice Levet (voir ma recension sur ce blog). Philosophe, mais surtout préoccupée des liens entre philosophie et littérature (c’était le thème de sa thèse de doctorat sur Hannah Arendt), elle s’intéresse tout particulièrement à la configuration des idées (et des idéologies) dans le monde contemporain. Son dernier ouvrage, Libérons-nous du féminisme !  Sous-titré Nation française galante et libertine ne te renie pas ! (éditions de l’Observatoire). Ce livre présente une sorte de tableau des mœurs de notre époque. Le féminisme impose sa loi et soumet une par une par une toutes les institutions sociales et organise le contrôle des bonnes mœurs.  Si l’ouvrage précédent s’intéressait à l’aspect théorique de la question, ici on a travail plus journalistique qui établit la réalité de cette emprise du nouveau féminisme, à travers les lois prétendument contre le harcèlement, une notion qui a pris une telle extension que la plus innocente drague, voire un simple sourire peut être assimilé à du harcèlement. L’auteur met clairement en relief les conséquences de ce nouveau féminisme ardemment défendu par les derniers gouvernements français (celui de Hollande et celui de Macron) : un incroyable retour au puritanisme, une tentative d’éliminer les hommes de sexe masculin en tant que tels – il faut vraiment que les hommes deviennent des femmes comme les autres – et enfin un véritable séparatisme. Il y a des choses que l’on savait (notamment tous les délires qui ont suivi le mouvement #metoo et #balancetonporc. Elle analyse aussi comment les nouveaux censeurs sont à l’œuvre pour épurer la littérature et les Beaux-Arts de tout ce qui pourrait être en contradiction avec la nouvelle religion : réécrire la fin de Carmen, faire décrocher des musées les tableaux de Balthus, liquider Baudelaire, Breton et Aragon dont les errances dans Paris les conduisent au bordel, etc. Elle montre aussi la complémentarité totale, bien qu’en apparence paradoxale, entre l’islam et ce féminisme-là.  Si les hommes sont des violeurs en puissance, il faut bien cacher les femmes pour éviter de susciter cet abominable désir !  
Bérénice Levet n’aborde pas le sujet du point de vue réactionnaire. Elle est d’accord avec Simone de Beauvoir, les rôles sociaux des femmes ne sont déterminés par le sexe biologique, mais en même temps demeure une différence essentielle entre hommes et femmes, une polarité qui est la vie elle-même, manière dialectique de poser le problème. Pour elle l’égalité des hommes et des femmes dans tous les domaines de la vie sociale est un acquis tout comme le droit des femmes au plaisir et au libertinage. Son idéal est à la fois celui de la galanterie à la mode de l’Ancien régime – son siècle rêvé est visiblement le xviiie siècle – et l’idéal républicain universaliste. On pourra lui reprocher une vision un peu naïve et irénique même de l’idéal français des rapports entre hommes et femmes et d’oublier que l’amour courtois (une forme raffinée de la drague !) a aussi des sources arabo-andalouses  qu’appréciait tant Aragon. Mais tout cela est un secondaire.  Après avoir dressé l’état des lieux, il faudrait maintenant essayer d’en comprendre les racines anthropologiques, psychanalytiques et sociales. Que signifie cette véritable éradication des pères qui est cours et risque d’aller beaucoup plus loin encore avec la PMA pour toutes ? Quel sens a cette manie de l’indifférenciation ? Une approche globale s’impose qui mériterait d’être vraiment engagée. Philosophe, Bérénice Levet doit maintenant aller plus loin.

Notes de lecture : Le loup dans la bergerie, par Jean-Claude Michéa, éditons Climats, 2018


Le dernier livre de Jean-Claude Michéa, Le loup dans la bergerie a pour point de départ une conférence de novembre 2015 qui est agrémentée sur les habitudes de cet auteur d’assez nombreux scolies explicitant sa pensée. Il poursuit ici son chemin dans la critique du libéralisme comme complément nécessaire du capitalisme, dans la dénonciation de la vacuité de l’opposition droite-gauche qui n’est qu’un trompe-l’œil masquant la lutte des classes et l’opposition fondamentale entre le peuple (le petit peuple) et les puissants. Contre les divagations sociétales, il réhabilite la « common decency » d’Orwell.
 Comme toujours clair, c’est et incisif et je ne trouve guère de désaccords sérieux. Si Michéa est dans le camp des « nouveaux réacs », je me trouve assez bien avec lui. Au fond, son livr est composé d’une série de variations sur un passage important du Capital de Marx: «En réalité, la sphère de la circulation ou de l’échange des marchandises, entre les borens de laquelle se meuvent l’achat et la vente de la force de travail, était un véritable Eden des droits innés de l’homme. Ne règnent ici que la Liberté, l’Égalité, la Propriété et Bentham. Liberté ! car l’acheteur et le vendeur d’une marchandise, par exemple de la force de travail, ne sont déterminés que par leur libre volonté. Ils passent un contrat entre personnes libres, à parité de droits. Le contrat est le résultat final dans lequel leurs volontés se donnent une expression juridique commune. Égalité ! car ils n’ont de relations qu’en tant que possesseurs de marchandises, et échangent équivalent contre équivalent. Propriété ! car chacun ne dispose que de son bien. Bentham ! car chacun d’eux ne se préoccupe que de lui-même. La seule puissance qui les réunisse et les mette en rapport est celle de leur égoïsme, de leur avantage personnel, de leurs intérêts privés. Et c’est justement parce qu’ainsi chacun ne pense qu’à lui, personne ne s’inquiète de l’autre, et c’est précisément pour cela qu’en vertu d’une harmonie préétablie des choses, ou sous les auspices d’une providence tout ingénieuse, travaillant chacun pour soi, chacun chez soi, ils travaillent du même coup à l’utilité générale, à l’intérêt commun. » (Capital, Livre I, section II, chapitre IV) Il s’agit pour Michéa de critiquer l’idéologie des droits de l’homme aujourd’hui en s’emparant des analyses de Marx, un Marx d’ailleurs bien plus présent au fil de ses ouvrages. Comme il le fait remarquer : « on ne trouvera jamais un seul texte de Marx où celui-ci aurait eu l’étrange idée de se définir comme «un homme de gauche» (un point que la plupart des universitaires de gauche aujourd’hui continuent pourtant de dissimuler sans vergogne à leurs lecteurs moutonniers. » (p.80)
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On y trouOnOn On y trouvera aussi une bonne critique de Foucault, Deleuze, Guattari, et tutti quanti montrant leur parenté avec les libertariens et les apologistes du capitalisme absolu. On en déduira une proposition pour les amateurs de déconstruction: déconstruire toutes les idoles post-modernes, les Foucault, Derrida, et autres philosophes du même acabit et tous ceux qui croient qu'on peut éternellement leurrer les pauvres idiots ordinaires par une langue précieuse, contournée et aussi incompréhensible que possible. Je veux bien admettre qu’il y a quelque chose à sauver dans tout ce fatras de la « French Theory », Deleuze quand il se fait professeur et essaie d’expliquer Leibniz ou Bergson, mais pas L’Anti-Œdipe ou Mille plateaux. Peut-être le concept de « biopolitique » chez Foucault, mais pas grand-chose d’autre.
Je note encore ce passage désopilant sur le manque d'imagination des héros de la déconstruction. (pp 93 à 96) quand il propose en exemple de l’absurdité de la déconstruction des préjugés de sexe, de « race », etc., les préjugés « âgistes ».   Après tout, s’il suffit de se sentir femme pour être une femme, pourquoi ne suffirait-il pas de sentir jeune pour l’être. En effet, personnellement je me sens victime des stéréotypes « âgistes » puisqu'on me met à la retraite alors que mon âge ressenti n'est pas du tout mon âge sur l'état civil. Du reste puisque d'un homme qui se sent femme peut demander à être considéré comme femme sur l'état civil, pourquoi ne pourrais-pas demander qu'on recule de 10 ans ma date de naissance? Et nous, les victimes de préjugés âgistes, nous sommes nombreux !
Donc un livre à lire. Cependant, certains points me chiffonnent et ils concernent sans doute plus l’histoire de la philosophie que les conséquences qu’on en pourrait tirer aujourd’hui. Michéa fait des Lumières plus ou moins un « bloc libéral » qui serait responsable de la conception de la société comme agglomération d’individus menant des existences séparées et régie seulement par des règles « neutres » de coexistence des libertés individuelles. Cependant, cette vision est erronée car il y a plusieurs « Lumières ». Entre Voltaire et Rousseau, il y a un gouffre et pourtant Rousseau est bien un philosophe des Lumières. Jonathan Israël a soutenu de manière assez convaincante cette opposition entre les Lumières modérées et les Lumières radicales, courant qu’il fait remonter à Spinoza et aux penseurs hollandais proches de lui. Si le point commun des Lumières est la « foi dans le progrès », ce « progressisme » doit être conçu dialectiquement. Il est effectivement le porteur du mode de production capitaliste comme le soutient Michéa, mais aussi le porteur de la critique du mode de production capitaliste, il contient en lui « la conscience malheureuse » dont Hegel nous a donné la description. Ce caractère essentiellement contradictoire du progressisme permet de jeter sur l’histoire de la « gauche » en tant qu’elle s’identifie au progressisme un regard moins unilatéral que celui de Michéa. Un peu de dialectique ne nuit pas.
Denis Collin – 4 octobre 2018

lundi 1 octobre 2018

Faut-il légaliser l'euthanasie?

Cet article a été publié pour la première fois en décembre 2008. Je le publie à nouveau sans modification. Mais tout cela mériterait d'être développé au moment où ce débat refait surface et où la cause des euthanasieurs semble encore avoir progressé.

La philosophie devenue folle


Le livre de Jean-François Braunstein, La philosophie devenue folle (Grasset) n’est certes pas un grand livre de philosophie, peut-être même n’est-il pas du tout un livre de philosophie bien qu’il soit le livre d’un philosophe. En réalité il s’agit d’une vaste enquête sur l’idéologie postmoderne telle qu’est existe principalement dans le monde anglo-saxon – bien que les autres nations ne soient pas épargnées comme nous ne sommes à l’abri ni du MacDo, ni des « blockbusters » hollywoodiens. Entreprise de salubrité publique, le livre de Jean-François Braunstein est nécessaire, comme il est nécessaire de faire le ménage, ramasser les ordures ou nettoyer les écuries d’Augias. Et effectivement il a dû faire preuve d’une force herculéenne pour lire John Money, Judith Butler, Martha Nussbaum, Dona Haraway et tant d’autres « penseurs » de la même farine.
Le livre s’attaque à trois questions différentes dont la réunion en un seul volume pourrait sembler quelque peu arbitraire : la question du genre, la question des droits des animaux et enfin celle de l’euthanasie. On peut être partisan de l’euthanasie sans être un fanatique de la libération animale ou un lecteur passionné de Butler. Le lien entre ces trois branches de ce qui s’appelle encore « philosophie morale » réside dans l’abolition des frontières qui définissent l’humanité.
Abolition des frontières de genre d’abord. Homme, femme, nous expliquent les partisans de la « théorie du genre », laquelle, comme l’expliquait une ministre qui l’avait défendue, « n’existe pas » mais occupe des départements entiers des universités américaines et commence à coloniser certaines universités françaises. Braunstein retrace les origines de cette théorie du genre à partir des expérimentations de John Money (spécialiste enthousiaste des hermaphrodites) jusqu’aux spéculations de Judith Butler et le déni de la réalité corporelle qui caractérise cette penseuse, pour finir par les multiples fragmentations plus désopilantes les unes que les autres des « identités sexuelles » : j’ai appris à cette occasion qu’il y a des associations de bear, c’est-à-dire des gays baraqués portant la barbe. Je suppose qu’il s’agit qu’il s’agit d’homosexuels qui ne veulent pas avoir l’air d’être des « fiottes ». Au-delà de ces cocasseries, Braustein montre comment la théorie du genre est fondée sur un retour à la séparation du corps et de l’esprit et une volonté plus ou moins dissimulées d’en finir avec le corps, dans la plus pure tradition des gnostiques.
Il y aurait lieu de s’interroger sur ce qui reste de l’éthique médicale quand la médecine et la chirurgie sont enrôlées dans des opérations de changement de sexe avec phalloplastie pour les femmes devenant des hommes et une sorte de vaginoplastie pour les hommes qui veulent devenir des femmes. Il n’est pas certain du tout que le serment d’Hippocrate révisé s’accorde avec ce genre de pratiques qui peuvent, du reste, être prises en charge par la Sécurité Sociale… Il y a aussi une mode du transgenre qui ne laisse pas d’interroger tous ceux qui ont gardé une certaine idée de la « décence commune ».
En ce qui concerne « la libération animale », Braunstein inaugure son aventure dans les méandres de ces penseurs (Singer, Regan, Nussbaum, etc.) par une phrase de Stéphanie de Monaco qui résume tout : « les animaux sont des humains comme les autres ». Braunstein montre les impensés, les contradictions et les franches absurdités auxquels conduit cette pensée selon laquelle il n’y a pas de frontières entre l’homme et l’animal. On vient tout naturellement à l’idée que, pour éviter tout spécisme, il faut traiter les hommes comme des bêtes. Singer estime que la vie d’un mammifère tel que la chien ou le cochon vaut largement celle d’un humain affaibli, un enfant, un handicapé mental ou vieillard sénile. Plutôt que conduire des expériences médicales sur des chimpanzés bien portants, on pourrait très bien les faire, soutient Singer, sur des humains en coma dépassé. Singer distingue les « humains-personnes » dont il admet qu’ils ont une grande valeur, des « humains-non personnes » dont la vie ne mérite guère d’être vécue. Tout lecteur de bon sens se dira qu’au fond le nazisme n’est pas incompatible avec la pensée de Singer, ce que des Allemands manifestant contre les conférences de Singer avaient assez bien compris.
La troisième partie traite de la banalisation de la mort et de la question de l’euthanasie. Le lien avec la précédente est clair. Braunstein s’étonne que les « éthiciens », les spécialistes qui alimentent les « comité d’éthique » soient plus préoccupés de la possibilité de donner la mort que de la recherche de la vie bonne. On retrouve dans cette partie du livre Peter Singer qui est un des défenseurs majeurs de l’euthanasie, non seulement des personnes à demi-agonisantes sur un lit d’hôpital mais aussi des enfants handicapés. Il y a chez Singer et certains de ses disciples une défense assez atroce de l’infanticide et plus généralement de la suppression des vies qui ne méritent pas d’être vécues. On trouvera aussi des exemples de discussion pour savoir jusqu’à quel âge on a le droit de tuer les enfants : Francis Crick, le célèbre prix Nobel de médecine estimait qu’on ne devait considérer l’enfant comme un être humain que trois jours après sa naissance, d’autres vont beaucoup plus loin – un enfant ne devrait être considéré comme un humain qu’à partir du moment où il manifeste une certaine conscience de lui-même et quelques capacités morales (dont ces philosophes prétendus sont manifestement incapables à leur âge déjà avancé !).
Le ton de Braunstein  est polémique et à bien des égards son livre présente des parentés avec L’idéologie allemande et La Sainte Famille de Marx et Engels, quoique les idéologues auxquels ils s’attaquaient fussent nettement moins cinglés et nettement moins immoraux que ceux que Braunstein épingle. À la lecture de Braunstein, la philosophie morale postmoderne apparaît comme une immense accumulation de sottises et de pures folies, parfois de thèses profondément immorales et plutôt dégoûtantes et on se demande bien par quel tour de l’histoire des idées de telles billevesées ont pu occuper tant de cervelles universitaires dans des établissements parmi les plus prestigieux du monde anglo-saxon. Ces figures nouvelles de l’idéologie américaine sont des productions sociales d’un monde bien déterminé. Et leur fond commun est l’utilitarisme dans sa version la plus pure, celle de Bentham qui considérait les droits de l’homme comme une mauvaise plaisanterie. Si la règle fondamentale est de maximiser le plaisir global et de minimiser la souffrance globale, on voit clairement que les souffrances infligées à un petit nombre peuvent se justifier dès lors qu’elles apportent du plaisir à un plus grand nombre et, en outre, que l’euthanasie des « humains affaiblis » est parfaitement morale puisqu’on met fin à une vie de souffrance. Ainsi, comme le sous-entend Singer, l’euthanasie des handicapés intellectuels et des vieillards séniles serait parfaitement juste du point de vue de l’utilitarisme benthamien. C’est encore l’utilitarisme qui autorise toutes extravagances du transgenrisme puisque la satisfaction des transgenres ne cause de tort à personne, encore que l’on puisse déjà mesurer combien il est tenu pour très ringard d’être mâle blanc hétérosexuel et cisgenré… pour ne rien dire des « dommages collatéraux » du transgenrisme chez les adolescents. L’utilitarisme pervertit en son fond le sens de l’éthique. Singer et ses collègues éthiciens précisent d’ailleurs qu’il s’agit d’une « éthique pratique ». On ne se demande bien ce que serait une éthique non pratique. En fait comme dans les procédés de la novlangue, l’ajout d’un qualificatif à première vue redondant sert à justement à inverser le sens du nom auquel il se rapporte. C’est ainsi que l’éthique pratique peut affirmer que l’animal est l’homme, le masculin féminin, etc., alors on peut aussi affirmer sans risque que la paix c’est la guerre et la liberté l’esclavage ! Et l’éthique pratique est tout sauf une éthique.
Mais l’utilitarisme n’est pas seul en cause. Braunstein pointe clairement comme un des points communs de tous ces idéologues le refus des frontières qui doivent être abolies, frontières entre les sexes, entre l’homme et l’animal, entre la vie et la mort. Ce refus des frontières, qui est l’idéologie adéquate à la « mondialisation capitaliste » (ce que Braunstein ne dit pas et ne semble pas voir) n’est rien d’autre que la destruction de la raison. C’est parfaitement clair chez quelqu’un comme Donna Haraway mais aussi à un degré moindre et avec plus de filouterie chez Judith Butler. Singer ne proclame pas sa volonté de détruire la raison. Il est au contraire un maniaque de l’argumentation sophistique, un spécialiste d’une raison devenue folle – le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison disait Chesterton.
Braustein note bien un autre trait commun des transgenres, animalistes et autres euthanasieurs : le travail de ce que Freud désignait comme pulsion de mort. L’indifférenciation, c’est le retour à l’état inorganique. Mais pourquoi, encore une fois, ces idéologies ont-elles pignon sur rue ? Braunstein ne répond pas à cette question et ne la pose même pas. Il me semble que cette pulsion de mort a saisi la société toute entière : accumulation illimitée de la valeur, destruction de toutes les frontières, politiques, familiales, morales, déchaînement d’une technoscience qui se croit toute-puissante, c’est précisément le « capitalisme absolu », un capitalisme désormais sans contestation, sans contrepoids et qui mène inéluctablement à l’abîme. Les idées ne tombent pas du ciel, elles ne sont pas le fruit de l’imagination de quelques pervers, elles expriment les contradictions sociales. La volonté de mort des euthanasieurs fous est un concentré du stade présent des contradictions sociales.
Denis COLLIN – 1er Octobre 2018

Jean-François Braunstein, La philosophie devenue folle, Grasset, 2018, ISBN 978-2-246-811-93-0, 400 pages, 20,90€

dimanche 30 septembre 2018

Tony Andréani, Le « modèle chinois » et nous.


Note de lecture : Tony Andréani, Le « modèle chinois » et nous. Éditions l’Harmattan, 2018, 21,50€. 219 pages. ISBN : 978-2-341-15600-2

Bien qu’il se défende d’être un spécialiste de la Chine, Tony Andréani la connaît pour y avoir voyagé, fait des conférences, noué de nombreux contacts dans les milieux universitaires et consacré un certain nombre d’articles et de conférences (comme celle qu’il a donnée à l’université populaire d’Évreux). Son dernier ouvrage, Le « modèle chinois » et nous est une synthèse précieuse de l’état des réflexions de l’auteur qui a longtemps travaillé sur les modèles de socialisme et a consigné le résultat de ses recherches dans plusieurs livres dont l’ouvrage en deux volumes, Le socialisme est (à)venir. Pourtant il ne s’agit pas de faire de la Chine le modèle du socialisme (un modèle à suivre donc) mais de comprendre comment fonctionne le système socio-économique de la Chine, au-delà de l’abondance des données empiriques et des préjugés – fort nombreux en ce qui concerne l’Empire du milieu.
La modélisation permet à Tony Andréani de modéliser le fonctionnement des rapports sociaux et économiques en Chine et de les définir comme ceux d’une économie mixte que l’auteur rapproche de la NEP impulsée par Lénine dans les premières années de la révolution, quand il a fallu en rabattre des prétentions à passer directement au communisme. La politique  économique chinoise peut également être caractérisée comme un keynésianisme conséquent.  Ce système mixte est conçu comme allant dans le sens du socialisme. Tony Andréani commence par montrer les succès impressionnants du « modèle chinois » : croissance forte et soutenue qui a permis une très importante augmentation du niveau de vie de la population, élévation considérable du niveau d’instruction,  développement technologique qui, sur certains segments, a non seulement permis à la Chine de rattraper les pays capitalistes avancés mais parfois même de les dépasser – par exemple dans le domaine de l’informatique, des TGV ou de la production d’énergies renouvelables.
Ensuite, l’auteur montre le caractère « socialiste » des principes sur la base desquels fonctionne la Chine. C’est dit-il, « l’ébauche d’un socialisme de (avec) marché ». Pourquoi « socialisme » ? Non pas en en raison des rapports de propriété mais à partir d’une série de critères : prédominance des choix collectifs, existence d’une planification (très différente de la planification soviétique d’antan), existence de services publics, diversification des formes de propriété en adéquation avec le développement des forces productives, financement des entreprises par un système perfectionné de crédit et non par le marché des actions, distribution resserrée des revenus du travail et du capital, législation du travail encadrant fortement la concurrence. On peut contester la manière dont la Chine satisfait ou non à ces critères, mais on admettra qu’ils sont une bonne définition de ce qui pourrait caractériser une transition vers le socialisme (sauf à rêver d’un grand soir qui fait table rase du passé et bouleverse d’un coup toute la condition humaine).
Le livre de Tony Andréani n’est pas une apologie de la Chine. Il ne cache pas les faiblesses du régime, à la fois avec le développement incontrôlé des inégalités et les menaces qui pèsent sur la proprétié publique, car les composantes de ce « mixte » ne font pas toujours bon ménage. Laissé à sa propre dynamique, le marché tend à subvertir les décisions collectives et la planification. Plus fondamentalement, c’est l’objectif de la croissance illimitée qui est problématique, tout simplement compte-tenu de ce que la planète peut fournir. Pour amener la Chine au niveau des États-Unis, il faudrait en gros cinq planètes et la Chine en consomme actuellement 2,1…
Sur la ligne dont Tony Andréani fixe le point de départ  au Plenum du Comité central de la fin 2013 (« vers une nouvelle normalité), la Chine pourrait se transformer en une société de type singapourien. Les campagnes de moralisation de la population ne peuvent évidemment contrebalancer le triomphe des pratiques marchandes et du règne de l’argent.
Le dernier chapitre aborde le « et nous » du titre. En quoi le « modèle chinois » pourrait-il nous inspirer ? Tony Andréani commence par montrer que nous devrions nous inspirer des Chinois par un retour au keynésianisme, lequel est impossible dans le cadre actuel de l’UE. Il faudrait donc « reprendre nos billes », et notamment notre monnaie, notre banque centrale et l’autonomie budgétaire. Il discute la possibilité d’une monnaie commune parallèle à la monnaie nationale et qui pourrait sauver ce qui mérite de l’être de la construction européenne. Il s’agit de déterminer quelles formes de protectionnisme sont efficaces mais aussi de relever la compétitivité du travail par la recherche scientifique et technique. Les nationalisations seraient également un instrument d’action dont l’État souverain devrait se ressaisir.
En annexe, Tony Andréani publie quelques articles et études publiés dans différentes revues. Il affirme en introduction qu’on peut en omettre la lecture, mais il me semble que ce serait une erreur (sauf pour ceux qui les avaient déjà lus !).
On peut penser que Tony Andréani fait une confiance assez exagérée dans la volonté du Parti Communiste chinois de construire à terme une société véritablement communiste. Il imagine ce qu’il dirait aux dirigeants chinois pour corriger les faiblesses et les erreurs du cours pris la direction du Parti et de l’État. Mais je crois que, même en tant qu’expérience de pensée, cette tentative échoue. La direction prise par Xi Jinping tourne assez radicalement le dos à une évolution vers un système socialiste.  Xi Jinping veut se donner du temps en prolongeant indéfiniment son mandat pour assurer que personne ne viendra remettre en cause la marche de la Chine vers une nouvelle forme de capitalisme d’État et son plan de contrôle social total n’est pas un malheureux à-côté mais l’essence même de ce qui est en cause. Les campagnes anti-corruption ont comme objectif réel non pas d’éradiquer la corruption mais d’éliminer les ennemis et de protéger la corruption des amis. Je sais que Tony Andréani ne partage pas mes vues qu’il juge trop pessimistes. Selon lui, notamment dans la jeunesse, il existe une agitation et une effervescence intellectuelle qui interdisent l’évolution de la Chine vers un modèle nord-coréen. Si la grande presse est étroitement contrôlée par le pouvoir, il y a, dit encore Tony Andréani, une grande liberté d’expression au niveau local et sur les réseaux sociaux. Puisse-t-il avoir raison et moi tort ! Il reste que c’est la lutte entre les deux tendances fondamentales qui déterminera l’avenir de la Chine.
Mes réserves n’ôtent rien à l’intérêt du livre de Tony Andréani, précisément parce que, en dépit de nos divergences d’appréciation quant à l’évolution actuelle du régime, il met très honnêtement le doigt sur les contradictions fondamentales du régime et nous aident à mieux comprendre ce pays si important pour l’avenir du monde.
Le 24/9/2018 – Denis Collin

vendredi 28 septembre 2018

Demain est déjà là


Sous le règne du capital, l’humanité est confrontée à une crise dont on peut discerner quatre dimensions : crise de l’accumulation du capital, crise écologique, crise démographique, crise culturelle qui touche la civilisation humaine en tant que telle. Le « progressisme » à l’ancienne n’est plus de mise ; une transformation historique est en cours et nos façons de vivre et de penser le monde doivent subir une mutation radicale, faute de quoi avant la fin du siècle l’humanité sera dans une crise si profonde que nul n’en peut prévoir les issues.
Face à la crise écologique, il est bien tard pour inverser le cours de choses et nous ne pouvons peut-être que limiter les dégâts et nous préparer à nous adapter aux nouvelles conditions de notre écoumène, de la manière la plus économique et la plus conforme à ce qu’exige la dignité humaine. On ne pourra guère éviter une réduction drastique du « train de vie » global de l’humanité. Mais cela n’est possible et ne sera accepté que si les plus riches montrent l’exemple, ou si on les y contraint !
Réduire le train de vie de l’humanité exige aussi de réapprendre à trouver son plaisir ailleurs que dans la consommation de choses coûteuses. La convivialité est heureuse et ne coûte pas un euro. En toutes choses, il faut retrouver le sens de la mesure, le « rien de trop » grec.  Non pas l’austérité, mais le plaisir modéré, adapté à notre condition. Il n’est pas besoin d’être ivre pour goûter un bon vin ni se de rendre malade pour apprécier un bon plat. Il en va de même pour tous les plaisirs que la vie peut nous procurer.
Si on ne court plus après la consommation, on peut sans mal supprimer les secteurs parasitaires comme la publicité. Si la course à l’accumulation des profits n’est plus le moteur de la vie sociale, une part considérable des emplois à la fois qualifiés et inutiles, voire nuisibles pourra disparaître sans dommage. Ces heures de travail libérées pourraient être employées à des activités plus utiles. Au total, on aurait une décroissance en valeur (selon les règles du monde de la marchandise) mais une croissance des biens réels et utiles pour les citoyens. Sans compter que l’on dégagerait aussi beaucoup de temps pour les loisirs, manuels ou intellectuels, le jardinage aussi bien que la lecture ou la pratique d’activités artistiques.
Notre société est organisée de telle sorte que l’on ne puisse plus se déplacer autrement qu’avec des moyens de transports mécanisés, et du coup on crée des salles spéciales où les humains réduits à l’impotence dans la vie ordinaire vont courir sur des tapis roulants motorisés ! Quelle absurdité ! Nous devrions en fait réfléchir à une société relocalisée, « démondialisée ». On peut voyager, mais on n’est pas obligé de faire voyager toutes les marchandises que l’on consomme.   
Il faut définir le cadre de l’action et des réformes de structures qui ne proposent pas une utopie mais des actions possibles à court et à moyen terme en partant des germes déjà existant. On peut se dire, avec un peu de fanfaronnade, « citoyen du monde », le cadre de vie et d’action qui demeure accessible au citoyen est l’État-nation et pour l’heure on n’en connaît pas d’autre.  C’est si vrai que les peuples privés d’État-nation ou mécontents de celui qui leur était imposé n’ont eu de cesse de construire leur propre État-nation. La nation moderne, fondée sur le droit, est à juste de distance de l’universalisme abstrait de ceux qui réclament une gouvernance mondiale et de l’enfermement communautariste des tribus, des ethnies et de toutes les formes d’organisation close fondée sur des présumés liens du sang. Reconquérir la nation, c’est reconquérir le droit de décider, d’être maître chez soi, c’est-à-dire d’être libre. Le consentement des peuples à la destruction des formes sociales et politiques solidaires qui s’étaient imposées au cours du siècle dernier a été rendu possible précisément parce que les classes dominantes ont cherché à éviscérer l’État-nation de son contenu proprement politique.
La souveraineté des nations n’exclut pas la coopération entre nations libres. Des traités de paix sont des traités de bon voisinage qui peuvent aller aussi loin que les partenaires le souhaitent. La métaphore des relations de bon voisinage permettrait de définir assez clairement ce que pourrait une Union des Nations libres, qui pourrait se faire au niveau d’un ensemble de pays proches géographiquement ou culturellement et qui pourrait aussi s’intégrer dans une « Société des Nations » selon le modèle de Kant dans son projet de traité de paix perpétuelle.
Dans cette place privilégiée de la nation entrent toutes sortes de raisons différentes. La nation comme communauté politique suppose que les citoyens sont liés entre eux par les liens de « l’amitié civique » ou encore de la fraternité. Or celle-ci suppose que l’on partage un certain nombre de valeurs concernant le bien et le juste. Par exemple, les citoyens français sont généralement censés partager les idées de liberté, égalité, fraternité, laïcité de l’État, etc. Évidemment les interprétations de ces idées un peu générales sont souvent très différentes d’un individu et il se trouve une petite minorité prêtre à rejeter entièrement la devise de la république. Mais cela n’empêche pas qu’en moyenne nous, citoyens français, nous partageons ces références communes.
L’appartenance à une nation n’est pas, la plupart du temps, le résultat d’un calcul prudentiel. On est né là (c’est l’origine du mot nation) et on a un rapport particulier avec les paysages, le ciel et l’air de sa « petite patrie » et par extension à la grande patrie. Ceux qui viennent s’installent et font leur la nation d’adoption. Ils s’assimilent. L’enracinement dans la nation a une dimension affective qu’il serait stupide de négliger. La belle chanson de Jean Ferrat, « Ma France » maintient l’idée révolutionnaire de la nation.
On a trop confondu mondialisme, cosmopolitisme et internationalisme. Erreur funeste ! L’internationalisme reconnaît les nations : la première Association Internationale des Travailleurs s’est constituée lors d’un meeting en défense des droits nationaux des Irlandais et des Polonais. L’amour de la patrie est l’amour de ses concitoyens et il nécessite une forme de proximité, une capacité de partage physique, comme dans les grands embrasements populaires.
Il y a du même coup une histoire commune qui se construit et un récit commun. Le récit n’est pas forcément historiquement vrai : nos ancêtres ne s’appelaient pas Gaulois et ils ne sont que partiellement nos ancêtres, encore que l’homogénéité génétique des nations soit finalement beaucoup plus forte que ce que l’on avait cru un moment, ce qui est simplement l’indice de la stabilité de la population et du caractère endogamique des mariages à l’intérieur d’une même nation. Mais au-delà du récit national il reste une histoire commune. En bref, alors que les utopies mondialistes déchirent les nations et loin de favoriser la paix universelle ressuscitent les empires, l’orientation qui tourne le  dos à la dynamique du capital est une orientation de défense des nations. Face aux ravages de la mondialisation, un peu partout on voit des poussées de fièvres nationalistes, mais le nationalisme n’est pas le produit de la défense de la nation, il est le symptôme de la maladie de la nation. Faute de l’avoir compris, à moins qu’il ne s’agisse d’un calcul pervers, les partis « de gauche » ont abandonné la légitime défense de la nation aux partis xénophobes qui ont pris ou sont en train de prendre le pouvoir dans plusieurs pays d’Europe et font de la lutte contre les étrangers une diversion bien utile aux classes dominantes.
L’urgence d’agir ne doit ni conduire à un activisme stérile ni faire oublier que la perspective de transformation sociale qu’il s’agit de promouvoir est déjà là en germe, dans la société actuelle et donc il n’est pas nécessaire de réinventer la roue. Une part importante des réformes structurelles nécessaires est déjà expérimentée depuis longtemps. En premier lieu, la protection sociale (assurance maladie, protection contre le chômage et retraite), fondée sur la solidarité collective et non sur le principe assuranciel permet de garantir à tous des perspectives de vie décentes. Elle est indissociable de la conception républicaniste qui définit la liberté républicaine comme protection contre la domination. Sur un point la protection sociale reprend le principe communiste tel que Marx le définit ; chacun cotise selon ses moyens et chacun reçoit selon ses besoins. Ce n’est nullement un hasard si les classes dominantes concentrent les feux contre cette protection sociale collective. Elle est à défendre, à restaurer et à développer.
En deuxième lieu, le système des services publics garantit à tous un accès égalitaire aux biens sociaux primaires, l’éducation, la culture, la sécurité, la protection contre les dommages environnementaux, les possibilités ouvertes à chacun de conduire sa vie comme il l’entend. Les services publics doivent être des services étatiques, quel que soit le niveau auquel ils sont gérés. Les délégations de service public à des entreprises et les partenariats public-privé sont des moyens de détruire les services publics en les privatisant.
En troisième lieu, il existe des formes d’organisation non capitalistes de la production et des services. Les coopératives et les mutuelles sont des organisations sans capital, dont l’action par conséquent peut n’être pas guidée par la recherche du profit maximal. Ce sont des organisations de salariés (coopératives ouvrières de production) que des organisations de producteurs indépendants (comme les coopératives agricoles) et elles constituent une alternative valable à condition que l’État s’attache à les préserver et développe un environnement favorable.
En quatrième lieu, si la planification de l’économie à la mode soviétique est à rejeter, en revanche l’État doit donner des orientations à long terme. Ainsi, il ne peut y avoir de « transition écologique » sans des investissements, des réglementations, des taxations et des primes qui permettent que se mette en place un nouveau mode de production orienté sur la valeur d’usage et l’économie des ressources naturelles. Il faut une forte intervention de l’État dans l’économie. Il est aussi nécessaire que, conformément à la constitution toutes les industries qui ont un caractère de monopole de fait ou qui présentent un intérêt stratégique soient transférées au domaine public. L’État doit aussi disposer d’instruments d’action bancaire et la nationalisation des banques telle qu’elle avait été entreprise à la Libération et poursuivie en 1981 allait dans la bonne direction et il n’y a qu’à reprendre la tâche.
Bref, l’État social modèle 1945 n’est pas une vieillerie mais le programme pour demain. La seule condition est celle du contrôle démocratique. Comment éviter que la puissance de l’État ne devienne celle d’une caste bureaucratique ? Nous disposons de principes utiles en appliquant la formule républicaniste de la liberté comme non domination.

Communisme et communautarisme.

Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...