jeudi 21 novembre 2019

Du néolibéralisme à l'islamisme, n'est-ce pas de gauche que viennent ces entraves à la liberté ?​​

Denis Collin analyse les menaces qui pèsent sur la liberté, incarnées par le libéralisme économique, le "politiquement correct" et l'islamisme. Selon lui, aussi curieux que cela puisse paraître, la gauche joue un rôle néfaste sur les trois plans. (Article publié le 12/11/2019 sur le site Marianne.net)
En 2011, j’avais publié un "essai sur la liberté au XXIe siècle" sous le titre La longueur de la chaîne (éditions Max Milo). Les années passées n’ont fait que confirmer les craintes qu’exprimait ce livre. Si Ronald Dworkin avait pu qualifier l’égalité de "valeur en voie de disparition" (cf. La vertu souveraine, Gallimard), je soutenais que la liberté, elle aussi, était en voie de disparition. Quant à la fraternité, inutile d’en parler, plus personne n’a la moindre idée de ce que cela pourrait vouloir dire.
Que la liberté suive l’égalité dans les "poubelles de l’histoire", c’est tout à fait compréhensible. La liberté n’a de sens que si elle est la liberté égale pour tous, sinon la liberté des uns a pour corollaire la servitude des autres. Les balivernes "libérales" qui opposent la liberté à une égalité qui serait une intolérable oppression ne font que reprendre, en inversant les signes, les balivernes staliniennes d’antan qui prétendaient qu’on devait sacrifier la liberté à l’égalité.

LA TRAHISON DE LA GAUCHE

L’égalité est un principe politique et moral qu’ont abandonné ceux qui étaient censés le défendre : les "partis de gauche" convertis au libéralisme économique et au "chacun pour sa pomme" depuis le "grand tournant" des années 80, depuis ces horribles années 80 qui ont vu les triomphes politiques, à la Pyrrhus, des Blair, Schröder et Mitterrand (un Mitterrand que l’exercice du pouvoir avait converti en un rien de temps à tout ce qu’il avait dénoncé avant son élection). Mais une fois que le renard est libéré dans le poulailler encore faut-il empêcher les poules de faire front contre le renard, d’appeler le fermier à leur secours ou de cribler de coups de becs cette horrible bête. C’est pourquoi, partout, à des degrés divers cependant, les pouvoirs répressifs des États se sont renforcés. Les dispositifs de surveillance, plus efficaces et plus raffinés que ceux imaginés par Orwell dans 1984, s’emparent de nos vies.
Des lois qui eussent horrifié les libéraux d’antan sont adoptées en rafale au motif de "lutte contre le terrorisme" (du Patriot Act américain à l’institutionnalisation française de l’état d’urgence). Même dans la patrie de la Magna Carta et de l’habeas corpus, Julien Assange est jeté dans un cul de basse fosse et jugé par une parodie de tribunal britannique aux ordres de son maître, l’État américain, celui d’Obama autant que celui de Trump. Dans la France "mère des droits de l’homme", les Gilets jaunes ont subi une répression impitoyable, éborgnant, blessant grièvement et jetant en prison des milliers de braves citoyens qui ne réclamaient qu’un peu de justice.
"C’est bien (...) un retour de l’ordre moral qui s’annonce, mais un ordre moral qui ne vient pas du côté où on l’attendait"
Mais on savait qu’on ne peut rien attendre des pouvoirs d’État tant qu’ils sont entre les mains des fondés de pouvoir de la classe dominante. La classe dominante domine, rien que très normal. Ce qui l’est moins, c’est l’apport venu de "l’extrême gauche" à cette entreprise de destruction de la liberté. La pulvérisation de la communauté politique consécutive au triomphe du néolibéralisme et de la marchandisation totalitaire a produit la naissance d’ "identités" nouvelles plus extravagantes les uns que les autres et de nouvelles "communautés" fantasmatiques qui prolifèrent comme les métastases du cancer capitaliste.
Chacun son identité, chacun sa volonté d’être reconnu et de faire taire tous ceux qui pourraient ne pas s’extasier devant les revendications folles de ces gens. Ainsi le "politiquement correct "qui a déjà ravagé les universités américaines et fourni les troupes réactionnaires (ou plutôt réactionnelles) qui ont fait Trump, a-t-il gagné la France. La censure la plus impitoyable commence à s’exercer dans le domaine de la culture – contre telle pièce de théâtre antique, contre tel auteur au programme de l’agrégation de lettres, contre telle philosophe accusée d’homophobie au motif qu’elle est opposée à la pratique des "mères porteuses". C’est bien comme le dit Pierre Jourde dans L’Obs un retour de l’ordre moral qui s’annonce, mais un ordre moral qui ne vient pas du côté où on l’attendait.
"La gauche de gauche, au nom d’un faux antiracisme s’est mise à la remorque de ceux qui pendent les communistes, battent les femmes et emprisonnent les syndicalistes"
En embuscade, le troisième parti des ennemis de la liberté a engagé le combat. Les islamistes (Frères Musulmans sous leurs divers faux nez, prédicateurs salafistes tous plus obscurantistes les uns que les autres, "antisionistes" enragés) ont engagé sous le drapeau de la "lutte contre l’islamophobie" une offensive de conquête politique visant à gagner l’hégémonie, d’abord sur les musulmans vivant en France à qui ils veulent imposer les coutumes et accoutrements des pays du Golfe. Cette hégémonie gagnée, ils pourront passer à la phase II, celle très bien décrite dans le roman de Houellebecq Soumission. Pour la phase I, ça marche comme sur des roulettes : la gauche de gauche, au nom d’un faux antiracisme s’est mise à la remorque de ceux qui pendent les communistes, battent les femmes et emprisonnent les syndicalistes dans les pays où ils ont le pouvoir.
"Espérons pourtant que la lutte de classe sera la plus forte, qu’elle balayera les miasmes de la décomposition de la gauche et que nous pourrons sortir de cette étreinte mortelle"
Telle est la situation désespérante dans laquelle nous sommes. Alors que l’offensive antisociale du gouvernement se poursuit à marche forcée et alors que les forces de résistances se manifestent, comme elles s’étaient manifestées l’an passé avec les Gilets jaunes, l’issue politique du mouvement social semble bouchée. Espérons pourtant que la lutte de classe sera la plus forte, qu’elle balayera les miasmes de la décomposition de la gauche et que nous pourrons sortir de cette étreinte mortelle.

lundi 18 novembre 2019

Nation


Il y a toute une tradition de débats sur la « question nationale » dans le marxisme et le mouvement ouvrier et bien évidemment, nous ne pouvons pas ici entrer dans ces polémiques passionnantes et qui rappellent un temps, aujourd’hui disparu, où le marxisme était quelque chose de vivant. Il reste que nous avons affaire encore et toujours avec la question de la nation. La lecture la plus intéressante sur cette question reste l’ouvrage d’Otto Bauer[1], La question des nationalités et la social-démocratie, publié en 1907 à Vienne et traduit en français seulement en 1987 (EDI, 2 volumes). Otto Bauer commence par montrer qu’on ne peut aborder la question nationale qu’à partir de l’étude du caractère national, sachant que ce caractère national n’a rien de figé, qu’il est un produit historique susceptible de varier et que d’autres caractères déterminent l’individu (par exemple le caractère de classe). Les utilisations abusives qui ont pu être faites de ce concept ne doivent pas conduire à le rejeter. Ainsi Bauer en vient à cette première définition : « La nation est une communauté relative de caractère, c'est-à-dire une communauté de caractère en ce sens que, dans la grande masse des membres d’une nation à une époque donnée, on remarque une série de traits qui concordent ». Il n’y a pas à chercher dans la nature l’origine de cette communauté de caractère qui n’est pas autre chose que le produit d’une sédimentation historique. Ce qui conduit Otto Bauer à une deuxième définition : une nation est une « communauté de vie et de destin ».
Loin de conduire à l’effacement des nations, le développement du mode de production capitaliste en constitue l’aliment. Bauer analyse la montée des revendications nationales en Europe – singulièrement dans l’empire austro-hongrois comme manifestation que ces peuples sont entrés dans la danse infernale de l’accumulation du capital. Toute l’histoire du siècle passé confirme ces hypothèses de Bauer et la « décolonisation » est une dimension saillante de l’expansion mondiale et de l’approfondissement de la domination du capital. Mais ce qui vaut pour les nations jadis soumises à la domination directe des puissances coloniales, vaut aussi pour les vieilles nations dominantes, confrontées au rouleau compresseur de la « mondialisation ».
Ce « caractère national » renvoie à ce que les Grecs désignaient par ethos. Dans une communauté politique, il y a un certain nombre de dispositions acquises par l’éducation et qui permettent la vie commune. Penser que l’on peut faire abstraction du « caractère national » au nom de constructions juridiques (le « patriotisme constitutionnel » d’Habermas par exemple), c’est se fourvoyer complètement.
La nation joue un rôle politique considérable en Europe aujourd’hui. Nous avons déjà eu l’occasion de nous exprimer sur les tendances nouvelles de la politique italienne, mais aussi sur la Pologne et la Hongrie. Quand on n’a rien ou presque rien et qu’on risque encore de descendre dans l’échelle sociale ou de disparaître, quand on est menacé de n’être plus – les gens « qui ne sont rien » pointés par Macron – il ne reste plus comme seule propriété que ce « caractère national ». Je n’ai pas de logement à moi, j’ai du mal à payer mon loyer, mais au moins en France « je suis chez moi ». Les petits bourgeois aisés, drogués au « politiquement correct » et au cerveau lessivé par la mondialisation des réseaux et de la high tech dénonceront les « beaufs », les fascistes, les franchouillards, etc. Mais ces petits-bourgeois vont bientôt être précipités dans la poubelle à précaires parce que leur utilité pour le capital tend vers zéro et ils ne se maintiennent socialement que parce que la classe capitaliste transnationale a besoin de classes-tampons et tous les managers, commerciaux, communicants, etc. sont une classe purement parasitaire. Quant aux professions intellectuelles « utiles », « l’intelligence artificielle » (ainsi dénommée parce qu’elle exprime à merveille la bêtise humaine) va les renvoyer pointer chez Pôle Emploi.
La nation c’est le peuple constitué, le peuple qui se sent peuple, le peuple politique. Vouloir parler au peuple sans parler de la nation ? des calembredaines ! La « gauche » a disparu parce qu’elle a abandonné la nation. La révolution se fait au cri de « Vive la Nation ! » La Commune de Paris naît comme un mouvement national révolutionnaire, contre l’occupation allemande et contre la couardise de la bourgeoisie française qui pactise avec les « boches ». La plus grande avancée sociale de notre histoire, le programme du CNR, c’est l’alliance de la nation et du mouvement ouvrier. Ayant troqué la nation pour le mondialisme, la gauche a abandonné la défense des revendications populaires au nom de la soumission à la « gouvernance » mondiale. Partout elle a perdu la confiance populaire et contraint les citoyens à l’abstention ou au vote pour les partis réactionnaires qui semblent les seuls à défendre la nation tout entière et non ses seules couches privilégiées. Ainsi en Pologne le PIS ultra-catholique et nationaliste est-il le dernier parti à revendiquer une sorte « d’État-providence » contre une gauche européiste et libérale. Ainsi en Italie, la Lega de Salvini est-elle le seul parti à proposer une renaissance de la nation italienne, plongée dans le marasme après avoir été le meilleur élève des règles de l’ordo-libéralisme des euroïnomanes. Et ainsi de suite.
La situation présente est chaotique et si on ne sort pas du marasme, c’est tout simplement parce que, l’extrême droite mise à part, personne n’ose parler franchement. Pour ne pas parler de souveraineté nationale, on parle de souveraineté populaire. C’est la même chose, direz-vous. Eh bien, non ! La déclaration de 1789 stipule que la souveraineté réside essentiellement dans la nation. La nation a des limites, des frontières et des institutions. Le peuple, c’est beaucoup plus vague et certains n’hésitent pas à parler d’un peuple européen. Pour reprendre en la précisant la formule de Rousseau, la nation, c’est le peuple qui s’est fait peuple, le pouvoir constituant enfin constitué. La nation ainsi conçue est fondée sur la séparation entre ceux qui sont dedans, qui en sont les membres et les étrangers. Le sans-frontiérisme est l’adversaire farouche de la nation et l’adversaire non moins farouche du peuple existant réellement. « Le patriote est dur aux étrangers », disait Rousseau. Pourquoi ? « Ils ne sont qu’hommes, ils ne sont rien à ses yeux. Cet inconvénient est inévitable, mais il est faible. L’essentiel est d’être bon aux gens avec qui l’on vit. […] Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins. » Quelle meilleure description de nos modernes cosmopolites pleins de compassion pour la terre entière mais indifférents à ce que pensent, disent et souffrent les « petites gens » qui sont leurs compatriotes. En réalité les cosmopolites de gauche sont les frères jumeaux des cosmopolites de droite, ils ne sont que l’aile gauche de la classe capitaliste transnationale (cf. l’excellent livre de Leslie Sklair, The transnational capitalist class, Oxford, 2001).
Le nationalisme est la maladie de la nation. Et ce n’est pas en crachant sur la nation qu’on chassera le nationalisme, bien au contraire. La consolidation et la poussée lepéniste n’ont été possibles que parce que la gauche a délaissé la nation et le peuple avec elle. Il est temps de tirer de tout cela les conséquences qui s’imposent.
Denis Collin. Le 18 novembre 2019


[1] Otto Bauer a été un des principaux dirigeants du SPÖ, le parti socialiste autrichien et un des théoriciens de « l’austro-marxisme », une tendance du marxisme très souvent critiquée par Lénine et ses héritiers mais qui reste une des tendances intellectuelles les plus riches de celles qui se sont mises à l’école de Marx.

jeudi 14 novembre 2019

Internationalisme


Le mot internationalisme a un sens très clair. Il désigne le rapport entre les nations. Si la Manifeste du Parti de Communiste de 1848 annonçait que « les ouvriers n’ont pas de patrie » et donc « prolétaires de tous les pays unissez-vous », il s’agissait d’abord de prendre acte d’une situation où la bourgeoisie considérait les ouvriers comme des apatrides, puisque, la plupart du temps, ils n’étaient pas considérés comme des citoyens (le suffrage universel masculin n’est gagné en France qu’en 1848 et au Royaume-Uni en 1867). Mais dans le même temps, Marx et Engels, à l’encontre des anarchistes donnaient comme tâche aux partis ouvriers la conquête du pouvoir d’État. Et ainsi ils se donneraient une patrie. Il s’agissait, en deuxième lieu, de refuser les guerres entre nations et de réaffirmer l’engagement des ouvriers de tous les pays à s’unir contre la bourgeoisie. Ce fut d’ailleurs la doctrine de tous les partis socialistes jusqu’en ce funeste mois d’août 1914.
Mais l’internationalisme n’est ni le mondialisme ni le cosmopolitisme. Pour qu’il y ait internationalisme, il faut des nations ! L’internationalisme est la reconnaissance des nations et la revendication de leur égalité. Marx le dit et le répète : « un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre ». Et donc les ouvriers anglais ne pourraient s’émanciper que lorsque l’Irlande serait libre ! Au meeting de Saint-Martin’s Hall, en 1864, lorsque fut fondée l’Association Internationale des travailleurs, la première Internationale, était à l’ordre du jour la libération nationale de l’Irlande et de la Pologne, deux nations qui tenaient particulièrement au cœur des « pères fondateurs » du mouvement ouvrier international.
À l’inverse, le capitalisme est mondialiste, car son expansion est sans limites, ni politiques, ni morales. Les capitalistes états-uniens considèrent que la seule nation ayant droit à l’existence est celle qu’ils dominent complètement et que les autres doivent leur être asservies. Les impérialismes en général nient les droits des nations qu’ils envahissent ou décomposent de l’intérieur jusqu’à en contrôler tous les rouages en s’appuyant sur les classes dominantes locales, ces bourgeoisies « compradores » d’acheteurs achetés, comme on le voit avec la plus grande clarté en Amérique du Sud. Mais, autant que possible, le capitalisme aimerait bien se passer des États-nations. C’est pourquoi la destruction des plus vieux États-nations est à l’ordre du jour sur le continent européen, via cette machine de guerre atlantiste qu’est l’Union Européenne.
Il y a donc deux règles de base de l’internationalisme : premièrement, défendre la souveraineté nationale de sa propre nation, deuxièmement interdire à son propre État d’engager des guerres de conquête et toute forme d’impérialisme. Ces deux règles sont indissociables.
Un citoyen ne peut être libre que dans une république libre. Cette maxime du républicanisme suppose que l’on s’oppose à toute soumission à l’égard de quelque puissance extérieure, mais également à toute les formes de désagrégation intérieure de la communauté politique par les diverses factions « communautaristes » ou religieuses.
Denis Collin – 13 novembre 2019
(à suivre)

mercredi 13 novembre 2019

Communisme


Comme dit l’autre, les mots sont importants. Commençons par le mot communisme.
Un communiste est tout simplement un partisan du commun. Et le commun est ce qui existe dans une commune et dans toute association plus large qui regrouperait de nombreuses communes. Le commun est le bien commun : par exemple, l’air que nous respirons, les paysages dont nous jouissons, les chemins et les routes que nous empruntons, la langue et la culture que nous partageons. Le commun est aussi l’assurance (autant que faire se peut !) que ceux que nous rencontrons ne nous agresserons pas, respecterons comme nous les règles de base de la civilité. Le commun consiste aussi à partager quand cela est nécessaire et donner à chacun selon ses besoins, sachant que chacun œuvrera au bien commun selon ses capacités. Celui qui meurt de faim sera nourri et l’enfant sera dispensé du travail. Dans toute société, il y a du commun et dans toute société des gens pour défendre ce commun et qu’on pourrait appeler des communistes. Une société sans commun est tout simplement invivable et pour tout dire impossible. Ce serait le monde de l’état de nature que décrit Hobbes, la guerre de chacun contre chacun.
On peut établir une loi : plus la vie sociale se développe, plus la moralité des individus se perfectionne, plus il y a de commun. Quand on établit des lois qui fixent la durée maximale de la journée ou de la semaine de travail, on fait du communisme puisqu’on abolit la concurrence que les vendeurs de travail se font entre eux en établissant une loi commune. Quand on rend l’école gratuite et obligatoire, on fait encore du communisme : voilà un bien qui appartient à tous et dont chacun peut jouir selon ses besoins. C’est la même chose quand on institue des caisses de retraites, quand on fonde la sécurité sociale, etc.
Le communisme n’est donc pas un projet utopique. C’est le mouvement historique réel que nous avons sous nos yeux, mouvement qui a pu subir des reculs et des défaites mais qui reste au cœur de nos sociétés. Mouvement aussi que l’on peut voir dans les sociétés où l’on ne dispose pas encore de lois sociales étendues, de dispositions de protection sociale, etc.
Le communisme est un mouvement. Rien d’autre. Un mouvement qui va vers l’élargissement des biens communs. Comment lutter pour la défense de l’environnement sans faire de l’eau, de la nature, de l’habitat global des hommes un bien commun qui doit être protégé des atteintes par la force commune ? Comment faire sans coordonner les efforts, sans fixer un plan ?
Mais le communisme n’est pas qu’un mouvement. Il est aussi une perspective : celle d’une humanité pacifiée, d’une humanité débarrassée non pas des inégalités en général – comme le croient ou feignent de le croire les ennemis du communisme – mais des inégalités sociales, celles qui sont liées aux positions de classe. C’est aussi la marche vers une société où le produit de l’effort commun ne sera pas capté par quelques-uns mais profitera à tous et où chacun trouvera les moyens de son épanouissement personnel. D’une société aussi où, une vie décente étant garantie à tous, on pourra privilégier l’être sur l’avoir, le plaisir de la vie commune sur la frénésie de la consommation.
Rien de tout cela n’est utopique. C’était déjà, en partie, dans le programme du Conseil National de la Résistance, symboliquement intitulé « Les jours heureux ». Rien de tout cela n’est utopique puisque c’est précisément ce qui est au cœur des avancées sociales des « trente glorieuses ».
(à suivre)
Denis Collin – 12 novembre 2019  
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vendredi 8 novembre 2019

Athéisme, laïcité et république


Philosophiquement, je suis athée. Dieu est une hypothèse inutile pour qui suit la raison. Sauf si on appelle Dieu ce que les Grecs appelaient l'Être et qu'on pourrait appeler le réel, qui existe nécessairement, est éternel et absolument infini, omniprésent et tout-puissant... Mais cela n'a aucun rapport avec le Dieu transcendant des religions abrahamiques. Si on voulait chipoter d'ailleurs on pourrait tirer une certaine interprétation
du Dieu biblique vers autre chose – voir Athéisme dans le christianisme d’Ernst Bloch.
Politiquement, je suis partisan de la laïcité, la laïcité sans adjectif qualificatif, la séparation absolue de la sphère privée de la foi et de la sphère publique. Si l’on entend par religion le « fait social total » analysé par Durkheim, la laïcité est « antireligieuse puisqu’elle dénie à la religion sa vocation traditionnel d’organisation de l’espace public, d’organe régenté les conduites des hommes, d’institutions sacralisant les grands moments de la vie (naissance, mariage, mort). La laïcité est sous cet angle, anticléricale. Et donc, ceux pour qui la religion n’est pas la foi mais l’ordre social, ceux-là se sentent sans doute brimés par la laïcité, ils la trouvent « liberticide », bien que le cléricalisme ne reconnaissant pas le principe de liberté de conscience des individus n’est aucunement fondé à réclamer pour lui-même l’application d’un principe qu’il ne reconnait pas. Mais si au contraire de l’institution religieuse, on entend par religion (comme dans l’expression « avoir de la religion) la foi, toute subjective, c'est-à-dire un ensemble de règles de vie et une manière que chacun trouve pour s’arranger avec la mort, la laïcité admet toutes les religions et tous les religieux sincères peuvent parfaitement être laïques. Plus : s’ils tiennent vraiment à leur foi, ils doivent désirer qu’elle soit pure de toute intrusion politique. Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, voilà la bonne règle. Dès lors on peut être un musulman laïque, un chrétien laïque, un Juif laïque et un athée tout aussi laïque. Rappelons d’ailleurs que les athées ne sont pas, loin de là, les seuls acteurs qui ont permis les lois laïques en France : protestants et Juifs y ont pris toute leur place et on trouvait même des catholiques à la Libre Pensée.
Tout cela est assez simple, finalement. Où les choses se compliquent c’est quand on y mêle d’autres considérations. Il va de soi que l’universalisme républicain dont je me réclame est universaliste et donc le racisme est évidemment impensable dans ce contexte. Mais on ne doit pas appeler « racisme » n’importe quel type d’animosité à l’égard d’un groupe humain. Traditionnellement, les militants ouvriers n’aiment pas particulièrement le patronat. Font-ils preuve d’un racisme « antipatrons » ? Nullement ! On peut même être ami à titre personnel d’un patron sans renoncer à son animosité contre le patronat. Je n’aime pas spécialement l’Église catholique ni son Pape, devenu une vedette de la « gauche », mais je n’ai rien contre les chrétiens en général et beaucoup de mes mais embrassent cette foi respectable. Je n’ai aucune dilection pour l’islam mais je n’ai rien contre les musulmans, parmi lesquels je compte un certain nombre d’amis. L’universalisme laïque refuse toute discrimination envers les individus en raison de leur foi, mais se réserve évidemment le droit absolu de critiquer toutes les religions !
Que des questions aussi simples soient devenues incompréhensibles en dit long de la décomposition de l’ethos républicain dans notre pays. Le refus de voir une religion en particulier empiéter sans cesse sur l’espace public, imposer ses règles ségrégationnistes contre toute la décence commune sur laquelle repose la communauté politique est maintenant assimilé à du racisme ! Et d’éminents membres de la « gauche » apportent leur caution à cette imposture. C’est à désespérer de tout.

vendredi 18 octobre 2019

Changement de monde

Toute une partie de l’opinion publique républicaine, socialiste, communiste, progressiste (employons tous les qualificatifs que nous jugerons bons) est paralysée par la crainte d’être taxée d’islamophobie et de racisme à chaque fois qu’il s’agit de parler des multiples provocations organisées par les réseaux islamistes, fréristes ou salafistes. C’est pourquoi le ministre Blanquer qui se veut un républicain impeccable ne veut pas prendre de circulaire interdisant aux femmes voilées d’accompagner les sorties scolaires. Il se contente de dire que les accompagnatrices voilées, « ce n’est pas souhaitable. » Tout cela lui a cependant une volée de bois vert de la part des spécialistes de l’islamophilie. Il avait pourtant entre les mains tous les outils juridiques pour trancher une bonne fois pour toutes la question. Interrogée sur France-Inter, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol finit par dire que « les professeurs n’ont qu’à se débrouiller », cri du cœur qu’elle a ensuite tenté, en vain, de rattraper. On déploie des trésors d’ingéniosité pour garder un jugement balancé (« oui, mais les catholiques, hein, ils n’en font pas autant ») et éviter de regarder en face la bête qui s’apprête à nous dévorer tout crus. Tous se sentent obligés de prendre des tas de précautions oratoires (variations sur le mode « pas d’amalgame »), si bien que ce brouhaha des bonnes intentions antiracistes est devenu inaudible et que le seul à parler clair est le RN/FN. Et quand une provocatrice vient voilée dans une assemblée politique, le seul à lui faire remarquer qu’elle contrevient à la loi est un élu RN qui va devenir le bouc émissaire parfait. Dans une tribune, 90 « intellectuels » dénoncent la haine contre les musulmans au lendemain de l’attentat islamiste qui coûte la vie à quatre policiers. On finit par se demander si on ne vit pas dans un cauchemar où toute la réalité aurait été inversée. Car les propagateurs de la haine, aujourd’hui, ce sont d’abord les prédicateurs salafistes et fréristes, qui enseignent que toutes les idées et valeurs des républicains sont haïssables et que les seuls purs, les seuls dignes d’estime sont les musulmans. Et leurs prédications sont suivies d’effets. Aurions-nous déjà oublié « Charlie », ce massacre inouï de la rédaction d’un journal ? Et le Bataclan, serait-ce le fait des évangélistes ou des chrétiens intégristes ?
Nous sommes paralysés parce que nous croyons que le capitalisme, l’économie de marché et la « démocratie » (c'est-à-dire la domination de l’oligarchie avec mise en scène pseudo-démocratique) dominent le monde et que les conflits entre peuples, nations, civilisations ne peuvent plus exister. Nous sommes victimes de ce que Jean Birnbaum appelle « la religion des faibles » : « ils » veulent devenir comme nous et s’« ils » ne nous aiment pas, c’est de l’envie que nous pourrons finalement extirper avec de la bienveillance – le coup de la « maman voilée » est un grand classique.
Il serait plus utile de regarder la réalité globalement, dans l’espace et dans le temps. Le temps de la domination totale des impérialismes occidentaux est terminé et l’utile contrepoids qu’était le « socialisme réellement existant » a disparu. Nous vivons l’émergence de nouveaux impérialismes et de nouvelles puissances qui cherchent à leur tour l’hégémonie au moins régionale. La Chine est la deuxième puissance mondiale et peut-être la première sur le plan économique et elle avance, selon son génie propre, ses pions sur la grande scène du monde. En Inde, Modi, rompant avec tous les poncifs occidentaux sur l’Inde, « la plus grande démocratie du monde », fait carburer le « nationalisme » hindouiste à plein régime et envie son voisin chinois. L’Iran se souvient d’avoir été l’empire perse et cherche une hégémonie régionale et se heurte au néo-ottoman Erdogan. Tous ces gens-là ne sont pas des « pauvres opprimés » mais des leaders de grands ensembles à qui l’Occident ne fait plus peur. La condescendance méprisante (pléonasme) avec laquelle l’intelligentsia bobo-parisienne traite de l’islam est celle des aveugles qui aiment s’aveugler et croient ou font semblant de croire qu’ils appartiennent toujours à la classe des maîtres du monde. Mais voilà, Trump bat en retraite et ne veut plus envoyer les « boys » se battre aux quatre coins de la planète parce que, plus ou moins clairement, il sait que la puissance absolue des USA, c’est fini. « L’Europe puissance » a toujours été une mauvaise blague et les Européens ne dominent plus, sans espoir d’inverser le cours des choses, les autres nations. Il va leur falloir apprendre à vivre en milieu hostile ! Défendre pied à pied ce à quoi ils croient, s’ils croient encore à quelque chose, ce qui n’est pas garanti.
Il est nécessaire de revenir à l’histoire, car le contemporain n’est qu’un concentré d’une histoire très longue. Quand la crise yougoslave a commencé, aboutissant à la disparition de ce pays, on sait le rôle important qu’y ont joué la république musulmane de Bosnie et le Kosovo et, comme si les années n’étaient pas passées par là, on retrouvait les lignes de fracture entre les Ottomans et la chrétienté. Pendant longtemps les immigrés turcs ou maghrébins n’étaient que de la main-d’œuvre, qu’éventuellement on prenait en pitié. Aujourd’hui les immigrés de confession musulmane sont les plus convaincus par l’islamisme pour lequel ils votent massivement. On l’a vu : Erdogan n’a sauvé sa peau aux dernières élections générales que par le vote massif des émigrés turcs en faveur de l’AKP. Les dernières élections tunisiennes suivent un schéma analogue : Ennahda et Kaïs Saïed font carton plein chez les émigrés de France. On a assez décrit les « territoires perdus de la république » et gagnés par les islamistes (archétype : la Seine-Saint-Denis) et on pourrait faire des constats semblables en Belgique ou en Allemagne. Le djihad armé est l’arbre qui cache la forêt : l’infiltration frériste est bien plus importante, bien plus insidieuse et progresse presque à vue d’œil. Entre la « terre de l’islam » et la « terre de la guerre », les frontières sont en train de changer. Les revendications islamistes, de plus en plus insolentes, finissent toujours par l’emporter et les islamistes – c'est-à-dire une part croissante des musulmans – pensent que le moment est venu où ces vieux pays chrétiens deviendront enfin « dar-al-islam ». En réalité, tout cela exprime la poussée de nouveaux capitalismes, en Turquie, dans les pays du Golfe (pensons au poids d’un petit pays comme le Qatar) ou en Iran. Le dynamisme de ces nations emprunte les habits de l’islam comme les mouvements anticolonialistes d’hier avaient pris les habits du marxisme.
L’image de l’immigré soumis est en voie de s’effacer. Beaucoup se sentent maintenant des conquérants et à juste titre. En face personne ne résiste. Erdogan peut faire ce qu’il veut : tout au plus, les dirigeants européens froncent les sourcils. Nos hommes politiques courtisent, qui le Qatar, qui l’Arabie Saoudite. « Nous » croyons avoir enrayé la poussée des Frères Musulmans en Égypte en soutenant la dictature militaire de Sissi. Encore une funeste erreur qui fait suite à un long cortège d’autres erreurs aussi funestes.
Peut-être sommes-nous condamnés à commettre encore de nouvelles erreurs et à perdre encore plus de terrain parce que nous n’avons plus aucun objectif historique. Ravagées par l’individualisme et la toute-puissance du fétichisme de la marchandise, nos sociétés semblent privées de tout ressort vital. Qui croit encore à la raison, aux Lumières, à l’idéal noble du XVIIe et du XVIIIe siècle ? Qui exige encore le gouvernement du demos ? Le peuple qui se fait peuple a cédé à la place aux communautaristes les plus extravagants et aux théories les plus folles – y compris chez les philosophes qui se veulent pourtant en quête de sagesse (voir le livre de Jean-François Braunstein, La philosophie devenue folle). Dans le chaos et la décomposition actuelle, l’islam apparaît comme un facteur d’ordre, comme une idéologie qui redonne sens à la vie ! Quelle misère ! La soumission devient et deviendra sans doute plus demain la voie du salut, ou du moins de ce que certains croient être leur salut et le livre éponyme de Michel Houellebecq est d’un réalisme glaçant.
Une remarque en passant : sans doute existe un islam non conquérant, un islam purement spirituel et prêt à faire sa réforme – réforme toujours avortée jusqu’à présent. Nous connaissons d’assez nombreux représentants de cet islam éclairé mais ultra-minoritaire. Et peut-être conviendrait-il d’appuyer ces gens de bonne volonté, mais cela suppose qu’on reste ferme face aux islamistes.
Chacun des points évoqués plus haut pourrait être développé et étayé et ce pourrait être le travail d’une équipe ou le résultat d’une vaste collaboration. On pourrait aussi remarquer combien le capital est malléable et combien il peut s’adapter à toutes les situations. Un capitalisme avec idéologie « communiste » s’est développé en Chine. L’islam est tout autant une religion « pro-business », autant pro-business que le protestantisme tel que l’avait analysé Max Weber. Il nous faudrait une analyse précise des liens entre la remontée des religions fanatiques et le stade actuel du capitalisme.
Dans l’immédiat, il faut nous demander si une issue est possible ou si on doit attendre la catastrophe en reprenant à notre compte les thèses de l’histoire cyclique et du déclin de l’Occident à la Spengler. Machiavel disait que notre sort dépend pour moitié de la fortune mais que l’autre moitié nous est laissée. Si on prolonge simplement les tendances actuelles, la vérité est « qu’on est foutus » ! Mais il n’y a aucune raison de se contenter de prolonger les tendances actuelles. Une appréciation lucide de la situation permet de combattre pour défendre l’essentiel, c'est-à-dire la liberté, la laïcité, l’égalité, égalité des hommes et des femmes, mais aussi égalitarisme social, le recherche d’un monde débarrassé de l’exploitation, parce que, finalement, c’est dans l’exploitation et la domination que résident les principaux maux qui nous menacent.
Le 20 octobre 2019


lundi 30 septembre 2019

Extinction des Lumières



Pour une analyse de l’idéologie post-moderne en décomposition
Marx et Engels s’en prenaient, aux alentours des années 1843-1846 à L’Idéologie Allemande et à ses diverses figures. Ils avaient de la chance, puisqu’il y avait un noyau commun à tous ces jeunes hégéliens contre qui ils rompaient des lances, l’idéalisme philosophique. Nous sommes, quant à nous, confrontés à une floraison – mais des fleurs peuvent être putrides – d’idéologies qui font mine de s’opposer au néolibéralisme dominant. La diversité est telle d’ailleurs qu’il faudrait parler des diverses idéologies, au pluriel et non de l’idéologie en général. Ces idéologies se présentent comme des doctrines soit religieuses, soit sociologico-philosophiques, soit politiques et visent des publics différents ; mais elles ont un point commun : la haine de la raison, la violence sectaire, la guerre contre toute forme d’universalisme et la perte du sens commun. De quoi s’agit-il ?
On pourrait commencer par faire une liste – mais comme toutes les classifications, une telle liste est nécessairement schématique :
-          Les diverses théories du « genre », c'est-à-dire toutes ces doctrines qui remplacent le sexe biologique par la construction sociale du genre, ou plutôt de genres aussi nombreux qu’on le souhaite. Le tableau des genres élémentaires ne cesse de s’allonger.
-          Le véganisme et son petit frère l’animalisme qui prônent plus ou moins l’abolition de la séparation entre les hommes et les animaux.
-          L’islamisme politique, dont le point de départ est religieux, parce qu’il prétend s’ancrer dans une foi, mais est engagé dans une entreprise conquérante qui vise à casser tous les cadres de la république laïque et tous les acquis philosophiques des Lumières.
Quels sont les points communs ? D’abord, ils ont tous les trois une cible et c’est la même, c'est-à-dire, précisément, la civilisation européenne telle qu’elle a été remodelée par les Lumières. Les uns voient en « l’homme blanc » le croisé et le colonisateur, se basant d’ailleurs sur une singulière conception de l’histoire. Les autres y voient le prédateur absolu et le dominateur de la nature dont le temps doit s’achever. Les derniers y voient l’hétéronormé binaire, l’exploiteur par excellence qui doit disparaître au profit des nouveaux genres flottants. Ces trois grandes formes d’idéologie ont réussi à capter des militants, des intellectuels, des philosophes venant de « la gauche », parce qu’elles se présentent comme des doctrines opposées à la domination (la domination des colonisateurs, la domination des humains ou la domination machiste). Mais elles se distinguent immédiatement de la gauche à l’ancienne par le refus radical de l’universalisme, le communautarisme le plus sectaire et l’indifférence radicale à la lutte des classes et aux rapports sociaux de production. Au moment où le vieux mouvement ouvrier semble agonisant, où la classe capitaliste est engagée dans une offensive contre tous les acquis sociaux, ces trois idéologies renvoient la classe ouvrière à son néant supposé. L’ouvrier blanc, macho, qui mange des saucisses, et roule en diesel est l’être le plus méprisable que puissent trouver ces nouveaux héros et hérauts de la lutte contre la domination.
Quelques penseurs ont cru ou voulu croire que tout cela pourrait se compléter harmonieusement. La lutte de classes des ouvriers devait se fondre dans un mouvement « intersectionnel », dont les premières manifestations en France remontent à « Nuit debout ». Mais par nature, dès lors que l’on refuse l’universalisme (encore une invention du mâle blanc européen), il est impossible de faire « converger » ou d’intersectionner les luttes. L’intersectionnalité des luttes est tout aussi chimérique que l’union des nationalistes. Chacun pour soi ! On a même vu des protestations venant de certains groupes de lesbiennes contre les « trans », ces hommes qui se veulent femmes et ces femmes qui se veulent hommes ne peuvent coller avec « l’hyperespace lesbien ». Quant à l’intersectionnalité de l’islamisme, du féminisme et des LGBT, elle est une chimère au sens biologique du terme, bien que cette chimère ait quelque existence (les féministes qui soutiennent le port du burqini et du foulard). C’est un dernier point curieux : bien que chacun défende son pré carré, ces divers groupes communautaires évitent de trop s’attaquer les uns les autres. Les végans évitent soigneusement de s’en prendre aux boucheries hallal alors que les élevages « bio » ne trouvent à leurs yeux aucune grâce. Les genristes se gardent bien de critiquer l’islam et trouvent dans l’hostilité des végans à la nature des convergences d’idées… Pas d’intersectionnalité donc, mais des convergences souterraines qui tiennent au terreau commun dont ils sont issus. 
Essayer de « déconstruire » ces idéologies, c’est un peu comme nettoyer les écuries d’Augias. On sait que seul Héraclès a réussi cet exploit. Je ne suis pas Héraclès ! Il faut pourtant essayer de montrer en quoi tous ces discours (1) sont autant d’attaques violentes contre la raison, ou si on veut faire moins grandiloquent, contre le sens commun ; (2) qu’ils manifestent des tendances profondes des formations sociales soumises à la dictature du « capitalisme absolu », ce « capitalisme du troisième âge » qui a déjà fait l’objet de nombreuses analyses, et, (3) qu’ils ont une fonction politique précise.

Irrationalisme

Genrisme

Quand on lit dans la presse que s’est tenu un festival féministe qui propose ni plus ni moins que de « sortir de l’hétérosexualité » qui est un « régime politique » et un système d’exploitation, on se demande comment ces gens trouvent de l’argent et des moyens matériels pour soutenir leur folie. Car c’est évidemment pure folie. Si l’humanité sort de l’hétérosexualité, alors son sort va être assez vite réglé, à moins qu’avant cette révolution et en attendant la généralisation de la parthénogenèse, on ait congelé suffisamment de sperme – on pourrait par exemple enfermer tous les machos dans des grands hangars pour qu’ils se masturbent en cadence dans des tubes ou des bocaux stériles jusqu’à épuisement de l’espèce « macho », le sperme ainsi récupéré pouvant alimenter les désirs de PMA pour toutes qui est en train de se généraliser… Revenons aux choses plus sérieuses.
La « théorie du genre » n’existe pas disent tous ses défenseurs et propagateurs. De leur point de vue, cela se comprend : ce n’est pas une théorie (discutable) mais une vérité scientifique indiscutable, et les « marchands de doute » peuvent aller voir ailleurs. Il est certain que les comportements sexuels sont conditionnés socialement. Être femme ensachée dans une burqa et être une femme occidentale à peu près libre et qui peut aller boire un pot avec un homme qui n’est ni son mari ni son père, c’est effectivement une construction sociale. Mais les règles des rapports entre les hommes et les femmes sont toujours articulées au substrat biologique. Il s’agit d’organiser la reproduction de la société, dans toutes ses dimensions, non seulement la simple reproduction biologique, mais aussi la reproduction institutionnelle, sociale et idéologique. Mais il s’agit toujours de reproduction ! Les règles qui conditionnent les comportements sexuels (ou de genre pour être compris des modernes) sont elles-mêmes rendues indispensables, quelle que soit la forme d’organisation sociale précisément parce que la pulsion doit être domestiquée. Qu’on excuse ici cette référence à Freud qui a dit des choses fondamentales sur toutes ces questions, quoi que l’on puisse en médire aujourd’hui.
Il n’y a pas de théorie du genre qui puisse se prévaloir du nom de théorie pour une autre raison : il n’y a ni hétérosexuels, ni homosexuels, ni tout ce que l’on veut d’autre. Il y a quelque chose qu’on appelle sexualité et dont les variations infinies n’ont absolument rien à voir avec les catégorisations maniaques des docteurs en LGBT+. La sexualité est l’ensemble des modalités par lesquelles s’exprime le désir, désir qui, fort heureusement, est ensuite soumis à la surveillance vigilante du Surmoi. J’ai dit « heureusement » parce que, Freud l’a bien montré, la pulsion sexuelle est toujours intriquée à la pulsion de mort – voir les jeux sadomasochistes qui sont une tentative de jouer là-dessus. Le désir sexuel est le désir d’abolir toute tension, d’atteindre cette « petite mort » orgastique. En même temps, il est l’expression de la vitalité même. Contradiction ? Eh oui, la vie est dialectique, de la dialectique en chair et en os.
Pour sortir du « binaire », les docteurs en LGBT+ nous proposent des catégories plus absurdes les unes que les autres. Lesbienne, gay, on connaît. Les choses se compliquent ensuite avec les « bi » et surtout avec les « trans » : où mettre les trans homos – une femme qui devient homme et préfère les hommes ou l’inverse ? On introduit ensuite ceux qui ne choisissent pas et jouent sur tous les tableaux – les « queer » – sans parler des « asexuels » et même les autosexuels… Chose curieuse, peu nombreux sont ceux qui revendiquent la zoophilie (on en trouve tout de même chez les disciples de Peter Singer), les nécrophiles se cachent et les pédophiles se font discrets – on se demande bien pourquoi… Si ces catégorisations sont si minutieuses, c’est parce qu’il faut en quelque sorte légitimer tous les comportements sexuels et refouler tout le savoir freudien qui explore, lui, les perversions.
 Les prétentieuses « gender studies », à commencer par les ouvrages abscons de Judith Butler, représentent une terrible régression par rapport au savoir hérité de la tradition de la psychanalyse, mais aussi par rapport à ce que nous ont appris la sociologie et l’histoire. La caisse de résonnance dont bénéficient ces élucubrations ne laissent pas d’interroger. Quels intérêts sociaux poussent à la roue ? Il est toutefois très clair que ces « théories » sont marquées au sceau du fantasme infantile de la toute-puissance. Je serai ce que je veux ! Homme, femme, les deux à la fois, autre chose encore, qu’importe ! Quand on est tout-puissant, c’est toujours sur les autres que s’exerce cette puissance et le complément de la toute-puissance est la réification qui atteint ses sommets dans les opérations de « réattribution de genre » (chirurgies de changement de sexe) ou dans la PMA et la GPA (je désire un enfant, j’ai droit à un enfant). Le refus de toute limite et de toute frustration, le déni du réel, tel est le substrat du genrisme.

Animalisme et véganisme

Après ceux qui nient la différence des sexes, une autre tribu de délirants, ceux qui nient la différence entre humains et animaux et proclament que les humains n’ont aucun droit sur les animaux, qu’ils doivent s’abstenir de les manger, de faire de la fourrure ou du cuir avec leur peau, ou de les utiliser au cirque ou au cinéma.
Comme dans le cas précédent, ce qui frappe de prime abord, c’est la haine résolue de la nature. Si les humains mangent de la viande, c’est une construction sociale ! Que l’homme ne soit pas un ruminant capable de transformer directement la cellulose en protéine, qu’il ne soit pas comme le panda, un carnivore, comme tous les ours, condamné à passer sa journée à manger du bambou, voilà qui ne peut frapper les têtes creuses de végans. Toute l’idéologie végan repose non seulement sur la méconnaissance de la nature, mais aussi et surtout sur une véritable haine de la nature. Si, en effet, on interdit la viande aux humains et si toutes les espèces sont égales, alors il faut interdire aux lions de manger gazelles et antilopes et il faut transformer les loups en agneaux … mais comme on veut faire disparaître les animaux d’élevage… Dans cette étrange faune du véganisme, on trouve toutes sortes de zigotos. Certains estiment que seul l’homme est concerné par les interdits alimentaires du véganisme puisqu’il a une conscience, ce qui contredit évidemment le dogme antispéciste de l’égalité de toutes les espèces. Les végans condamnent non seulement l’élevage, mais évidemment toutes ses conséquences comme l’insémination artificielle assimilée à un viol. Ce qui n’empêche pas de très nombreux végans d’être partisans de la PMA.
On peut sans problème admettre que la consommation de viande dans les pays riches est excessive et que limiter l’apport de protéines animales peut être une idée juste (lesquelles, à quelle dose, tout cela est une autre affaire). On peut sans mal dénoncer l’élevage industrielle et la transformation du métier d’éleveur en celui de « producteur de viande ». Mais rien de tout ce qui ouvrira la voie à une discussion raisonnable n’entre en ligne de compte. Le véganisme est un dogme religieux, et l’absurdité en est une partie nécessaire (« credo quia absurdum »). Il est donc insensible à toute réfutation rationnelle et ce d’autant moins qu’il entre en harmonie avec les industries du « green washing » et du remplacement de la viande par des protéines produites par la chimie (« biftecks » de synthèse et compléments alimentaires de tous poils). Son frère jumeau l’animalisme est non moins absurde. Les animalistes respectent-ils araignées et cafards ? Il est vrai qu’on en voit protester contre la dératisation. Sont-ils candidats pour vivre avec les rats et les cancrelats ? Sur l’animalisme, on ne peut que renvoyer à l’excellent livre de Jean-François Braunstein (La philosophie devenue folle).

L’islamisme

Ici nous retrouvons une forme plus classique d’irrationalisme, celui qui procède des superstitions religieuses, dans le cadre d’une religion où la dimension spirituelle joue un rôle assez mince alors que la stricte observance de préceptes ridicules ou odieux remplace tout élan du cœur. Disons-le clairement : l’islamisme n’est pas une foi, une de ces nombreuses inventions qu’ont fabriquées les hommes pour trouver un arrangement avec leur angoisse de la mort. L’islamisme est une entreprise totalitaire de contrôle de la société et c’est pourquoi le contrôle des habitudes alimentaires et des vêtements y joue un rôle central. Comme les sectes précédentes, l’islamisme est un antihumanisme. Les genristes nient l’universalité du genre humain et dénoncent la culture humaniste comme un produit du « mâle blanc hétérosexuel ». Les animalistes et autres végans dénoncent la prétention de l’humanisme à placer l’homme au-dessus des autres vivants. Les islamistes dénoncent la vanité de l’homme qui se croit libre au lieu de se soumettre à Dieu. Pour eux le genre humain se divise en deux : les soumis qui appartiennent à la bonne communauté et les autres qu’il faut soumettre, y compris par la violence.
Pas plus que les autres sectes, les islamistes n’admettent le débat fondé sur la raison. Les plus subtils, qu’on trouve chez les intellectuels « frères musulmans », ne contestent pas ouvertement les sciences de la nature : les défenseurs de la « terre plate » ne sont qu’une minorité, mais ils y cherchent une preuve que cette nature ordonnée par des lois ne peut être que l’œuvre de Dieu et, au demeurant, ils s’évertuent à trouver dans le Coran sous une forme cryptique, les manifestations de la théorie de la relativité, par exemple. Pour la théorie de l’évolution, c’est une autre affaire, car celle-ci percute le dogme, mais ils peuvent s’y adapter en évoquant le « dessein intelligent ». En revanche, dès qu’il s’agit des affaires humaines, on ne badine plus. Le Coran est une vérité indiscutable et ses préceptes doivent être mis en œuvre sans faiblir, même si Tariq Ramadan concédait la nécessité de mettre un moratoire sur la lapidation des femmes.
Le point commun le plus important avec les deux types de sectes précédents est la volonté de se présenter comme des victimes. Les musulmans sont les victimes de l’homme blanc, chrétien, occidental et rationaliste et, éventuellement, allié des Juifs. Que l’islam ait toujours été une religion de guerriers, une religion qui a organisé la soumission des peuples (par exemple ceux d’Afrique du Nord), que l’empire ottoman musulman ait été le premier empire colonisant les Arabes (qui eux-mêmes avaient colonisé chrétiens et juifs : tout cela ne compte pas, parce que les faits ne comptent pas dans le « story telling » de l’islamisme). C’est parce qu’ils sont des victimes qu’ils ont aujourd’hui tous les droits : bénéficier de la liberté de culte et de manifestation au nom des droits de l’homme (occidental) et appliquer la sharia là où ils le peuvent au nom de leur propre droit.

Les ressorts de l’idéologie

L’idéologie n’est pas un système d’idées mais une représentation renversée du monde. Les trois grandes sectes modernes véhiculent chacune à sa manière et non sans contradiction une représentation du monde où tout est mis cul par-dessus tête. Leur discours veut s’imposer, y compris par le terrorisme intellectuel et le cas échéant la terreur pure, contre toute pensée critique, contre toute volonté de libre examen. Si vous n’admettez pas que l'hétérosexualité soit une construction du capitalisme, vous n’êtes qu’un hétérosexuel qui veut perpétrer sa domination à moins que vous ne soyez qu’une femme aliénée, vendue à l’ennemi.  Les animalistes, végans et antispécistes ne reculent devant rien : un abattoir est un camp d’extermination, les bêtes dans un élevage sont des personnes retenues en otage. Éleveurs, bouchers et employés des abattoirs sont des sortes de nazis contre lesquels on est fondé à employer les moyens de la résistance (attentats, par exemple).
Dans toutes ces sectes, les mécanismes de la domination jouent à plein :
-          Imposer une idéologie, aussi aberrante que possible pour s’assurer que le sectateur est bien devenu un fidèle et non un esprit rationnel déguisé.
-          Exclure et interdire autant que possible la liberté de pensée. Tous ces gens utilisent massivement les tribunaux contre leurs adversaires et font un lobbying forcené pour imposer des lois interdisant les « mauvaises paroles » ou les mots qui pourraient exprimer de mauvaises pensées.
-          Occuper les postes de pouvoir en attendant d’occuper le pouvoir lui-même.
Reste à savoir pourquoi ça marche. Il y faudrait une psychanalyse. Les liens entre croyance et soumission dans leur soubassement inconscient ont été bien exposés (Marie-Pierre Frondziak, Croyance et soumission, L’Harmattan, 2019). Dans le cas de l’islamisme on pourrait ajouter qu’il bénéficie du ressentiment contre une société qui a déboulonné les mâles et assure à des adolescents et des jeunes hommes des compensations narcissiques nécessaires face à l’angoisse portant sur leur virilité. Dans Soumission, Michel Houellebecq montre assez bien cet aspect de la question qui n’est peut-être pas du tout secondaire – un des personnages du roman a deux femmes (au moins), une de quarante ans, experte en gâteaux et l’autre de quinze ans, visiblement experte en gâteries, et toutes deux très obéissantes. Islamisme et genrisme pourraient être considérés comme se renvoyant l’un l’autre dans un miroir qui inverse les valeurs. Dans un monde où domine l’indifférenciation pendant que triomphe le narcissisme, affirmer d’une manière ou d’une autre, « je ne suis pas comme vous » procure sans doute une certaine jouissance – il est bien possible que les filles et les jeunes femmes voilées ne le fassent pas seulement par obligation des mâles, mais aussi par la jouissance particulière qu’elles en éprouvent.
En suivant encore Freud, on peut remarquer à quel point, chacune dans son « trip », ces idéologies expriment une pulsion de mort en voie de désintrication. Pulsion de mort et désir de castration dans le genrisme, évidente pulsion de mort dans le véganisme qui ne tolère pas la nature telle qu’elle est, pulsion de mort dans l’islam par l’enfermement des femmes et l’exaltation du sacrifice. Si dans le mode de production capitaliste, « le mort saisit le vif » comme l’a montré Marx, nous voyons pourquoi ces idéologies sont en parfaite harmonie avec la dynamique capitaliste tout en se donnant l’air de le critiquer.
Mais le soutien assez large que reçoivent ces idéologies et la place qu’occupent ces mouvements dans le monde des médias obligent à chercher d’autres raisons. L’effondrement du mouvement ouvrier sous les coups de la globalisation, la sécession des élites, la rupture du lien entre classes moyennes et classe ouvrière et entre classes moyennes supérieures et classes moyennes, concourent à la montée de cet irrationalisme mortifère. Le capital n’est absolument pas menacé par ces idéologies.  Il y trouve au contraire un soutien précieux. L’islam et l’argent font bon ménage et l’enrichissement ne pose aucun problème doctrinal. Le véganisme recoupe les intérêts de l’industrie chimique mondiale et de nombreux secteurs de l’agro-alimentaire sont déjà très actifs sur ces nouveaux marchés. Quant au genrisme, il présente l’avantage de substituer la lutte des sexes à la lutte des classes. Donc aucun problème pour faire de la place à ces idéologies et à ces sectes quelque étranges qu’elles puissent paraître. Seuls les niais des mouvements soixante-huitards ont pu croire que le capitalisme adorait la famille et haïssait tout ce qui n’était pas chrétien, mais en réalité le capital n’aime que le profit pour accumuler du capital, quels que soient les moyens employés. Les rayons « veggies » dans les supermarchés, le burqini chez Décathlon, tout cela fait du profit parce que tout cela est « capital-friendly ». Le commerce de la GPA et de la PMA se porte bien et la chirurgie est un secteur d’avenir.

Et pour la suite ?

On ne doit jamais oublier que l’idéologie est imperméable à l’argumentation rationnelle et donc les chances de faire reculer ces idéologies sont extrêmement minces. Ceux qui ne voudront devenir ni islamisé ni queer n’auront plus beaucoup de place. Ils rejoindront la cohorte de tous ceux que les belles gens vouent aux gémonies : les fumeurs qui mangent des saucisses et font des plaisanteries, grasses, les « beaufs », les « réacs », tout ce populo qu’exècre la classe dominante. Ce « populo » n’a déjà plus guère d’autre solution que de faire sécession d’une société qui, de toutes façons, est déjà très cloisonnée ou de voter pour les partis de l’extrême-droite, comme c’est le cas en Europe de l’Est et comme cela se développe à l’Ouest (RN, AfD, Lega…) Prise dans cette étreinte morale, la vieille revendication de la révolution sociale risque fort de ne plus trouver aucune place et les partis qui se disent révolutionnaires (NPA, LFI en France) auront fait tout ce qu’il faut pour qu’on en arrive là.
Le 30 septembre 2019.

Annexe : sur l’islam et l’islamisme

On a pu croire, et certains y croient encore, à la possibilité d’une « réforme » de l’islam, un islam qui, en se basant sur les ressources de la « théologie naturelle » voudrait réconcilier les musulmans avec le monde moderne, la rationalité et la liberté de conscience. Il est à craindre que ce temps de cette réforme ne soit passé. Ce qui triomphe aujourd’hui, même chez les « modérés », c’est un islam intégriste, bien plus soucieux de séparer le pur et l’impur et d’imposer l’obéissance stricte à une loi stupide que de spiritualité et de théologie. En prétendant que le Coran est incréé et qu’il est de toute éternité la parole de Dieu lui-même, l’islam (surtout sunnite) barre largement la voie à l’interprétation. Quant à admettre comme Averroès dans son Discours décisif que foi et raison ne peuvent se contredire et que la foi ne peut contredire la raison, c’est tout bonnement impossible parce que tous les préceptes de la sharia pourraient être remis en cause et la « communauté » exploserait. À l’époque du pourrissement du capitalisme, c’est l’islam le plus fou qui a le vent en poupe.

vendredi 6 septembre 2019

Vers un changement anthropologique majeur?


La PMA pour toutes (j’ai récemment écrit un papier sur la PMA « pour tou.te.s ») introduit un changement anthropologique majeur. Sur sa demande, une femme pourra bientôt obtenir des gamètes mâles en vue de concevoir un enfant sans père – car on ne peut guère appeler « père » un homme réduit à être un donneur de sperme. Ce pourrait facilement être une opération démédicalisée et on ira vers toujours plus de facilité : on achètera sa fiole de sperme comme achète le vaccin contre la grippe. mutatis mutandis, pour les homosexuels. À moins qu’on admette qu’il y a une différence essentielle entre hommes et femmes, une différence qui tient à la nature (les femmes portent les enfants et non les hommes) et là les « genristes » vont hurler contre ce retour inopiné du sexe.
Bernini: Enée fuyant Troie
Bernini: Enée fuyant Troie
Le danger du passage de la PMA à la GPA est le seul qui inquiète la gauche progressiste. Mais c’est avoir le nez collé sur le problème si bien qu’on n’y plus que goutte. Si on va jusqu’au bout de la signification de la PMA pour toutes, elle signifie purement et simplement l’élimination symbolique des pères, l’éradication radicale de toute tentation de revenir au patriarcat en éliminant la paternité. On pourrait très bien concevoir une société de femmes utilisant un mâle producteur de sperme comme une simple ressource. Un peu comme dans l’élevage bovin moderne on utilise un taureau pour inséminer un troupeau de vaches, lesquelles constituent le véritable bien de l’éleveur. Les autres mâles deviennent totalement inutiles (on en sélectionnerait quelques-uns pour leurs qualités physiques inscrites dans leur ADN) et il faudrait trouver un usage pour les autres tant qu’on ne peut pas complètement guider les mécanismes de la méiose et produite à volonté des mâles ou des femelles. Chez les bovins, les mâles surnuméraires sont castrés et engraissés pour être mangés. On pourrait reprendre ici la Modeste proposition de Jonathan Swift qui proposait de manger les bébés des pauvres pour éradiquer la pauvreté en Irlande. Comme nous sommes devenus insensibles à l’humour noir anglais, on pourrait imaginer une autre solution : que tous les mâles inutiles se transforment en femmes en subissant une procédure de « réassignation de genre » (traitements hormonaux plus chirurgie plastique). Nombreux sont les « militant.e.s » qui ne sont pas loin de cette solution quand ils proposent la « dévirilisation » systématique de l’éducation des garçons et le pauvre Aragon qui chantait que « la femme est l’avenir de l’homme » trouverait un peu grinçante la traduction post-moderne de son poème.C’est le progrès ! Ceux qui pensent qu’on pourra mettre des garde-fous s’illusionnent complètement. Du côté de la gauche « progressiste », on dit « la PMA, oui, mais la GPA, non ! ». Autre blague, mauvaise blague. Comment continuera-t-on d’interdire la GPA pour les homosexuels alors qu’on a accordé la PMA à toutes les femmes. Les « gays » vivront cette situation comme une intolérable discrimination puisque tous les arguments développés pour justifier la PMA pour toutes peuvent être repris,
Évidemment, j’exagère ! Au lendemain du vote de la nouvelle loi bioéthique promise pour l’automne, rien n’aura changé… en apparence. Mais une nouvelle étape aura été franchie sur un chemin qui conduit au-delà de l’humain. Foucault l’avait annoncé : l’homme est voué à disparaitre comme un visage de sable. L’au-delà de l’homme est annoncé depuis un siècle et demi. Le post-humain, quelle que soit l’interprétation qu’on en donne, est dans l’air du temps.
C’est peut-être plus ancien : le christianisme repose sur l’histoire d’un homme né d’une femme et de l’intervention du saint Esprit. Cet homme n’a pas de père au sens ordinaire du terme, Joseph ayant été dûment chapitré par l’ange sur la place à laquelle il devait se tenir. Ce Jésus devenu « Christos », « oint », est aussi celui qui affirme : « Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. » (Matthieu, 23,9). Mise à la place de Dieu, la technoscience réalise la prédication. Toutes les femmes pourront devenir des vierges maries et on sera définitivement débarrassé du péché de la chair. Une autre humanité naîtra ou renaîtra grâce à la nouvelle normativité qui n’est plus dans le livre mais dans la science.
Mais, comme toujours, la réalisation s’effectue comme négation. Ce qui dans le christianisme était symbolique et seulement symbolique – c'est-à-dire renvoyant à l’effort spirituel – se réalise sous la forme barbare, grâce aux colifichets de la technique. Quand Paul dit « il n’y a plus ni hommes ni femmes », il n’a évidemment pas voulu dire « devenez transgenres » ! Invoquera-t-on le progrès ? Si les Lumières ont commencé à envisager l’égalité des femmes et des hommes (voir Condorcet … et même Descartes qui écrit en français pour être compris « même des femmes »), leur progressisme n’a jamais même imaginé l’abolition de la séparation sexuelle de l’humanité, même si les hermaphrodites fascinaient Diderot.
Le christianisme tout comme les Lumières annonçaient un accomplissement plein et entier de l’humanité. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est tout autre chose : arracher l’humanité à sa condition – l’homme a été créé homme et femme, dit la Genèse – pour préparer l’advenue d’un autre genre, celui d’après l’homme. Délire d’un philosophe en mal de prophétisme ? Hélas, non ! Pendant que l’on se prépare à procréer sans rapport sexuel (l’idéal des curés enfin réalisé), on greffe des cellules humaines sur des souris et on tente de réduire toute ce qui mental à du machinal (IA).
« On n’arrête pas le progrès ! » C’est possible. Ce monde radicalement nouveau, nous avons tous contribué à sa venue et les nouvelles générations l’adopteront avec enthousiasme – les « vieux cons » étant priés de se taire avant que les lois « anti-haine », qu’on adopte un peu partout, de l’Allemagne à la France en passant par le Canada, ne les conduisent en prison pour le délit de haine des post-humains.
Le 19 août 2019 – Denis Collin

vendredi 2 août 2019

Le progressisme totalitaire


L’actuel président de la République française se définit comme un progressiste et cherche à présenter la lutte politique de notre époque comme l’affrontement entre les progressistes qui sont déjà dans le Nouveau Monde et les « nationalistes » qui sont les tenants de l’Ancien Monde. D’un autre côté, il défend le libéralisme tout en multipliant les mesures les plus antilibérales dans le domaine des libertés publiques et dans la généralisation d’une société de surveillance. La « vieille gauche » qui se voulait progressiste et voit le progrès détruire les acquis sociaux, et les libéraux « à l’ancienne », qui prétendaient que le libéralisme économique et les libertés publiques sont consubstantiels, tous perdent leurs repères et sont incapables d’enrayer la stratégie du président de la République. La confusion dans les esprits est à son comble. Mais c’est qu’on ne parvient pas à comprendre, chez les opposants au président, est que nous avons affaire à un véritable progressisme et que ce progressisme a une dynamique totalitaire.

Communisme et communautarisme.

Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...