mardi 10 janvier 2023

L'homme qui se prend pour Dieu

La croyance dans LA science se porte bien. Les développements récents de l’IA (des machines passent le test de Turing) lui ont donné un nouvel élan. Mais ce n’est qu’une croyance, une opinion plus ou moins fondée, mais non pas une vérité et encore moins LA vérité. J’ai eu maintes fois l’occasion d’y revenir : LA science n’existe pas et la croyance en LA science est une expression aussi peu sensée qu’un cercle carré.


Nous, humains, avons développé, surtout au cours des derniers siècles, un ensemble de sciences et techniques visant à prédire avec exactitudes la survenue de certains phénomènes à partir de l’observation d’autres phénomènes. Ramener la diversité du réel à des lois mathématiques constantes, et en déduire les actions que l’on peut mener pour atteindre certains buts, c’est évidemment fantastique. Notre monde est devenu le produit de ces sciences et ces techniques qui découlent des propositions d’un certain Galileo Galilei, mathématicien et bricoleur, astronome et mécanicien, et bien d’autres choses encore. Ces sciences, formées dans le sillage de Galilée, sont des sciences de fait : elles s’occupent des faits observables et de rien d’autre. La mesure est l’alpha et l’oméga de ces sciences. Mais elles ne disent pas et ne peuvent pas dire ce qu’est la vérité ! Ce n’est pas leur objet, tout simplement. C’est parce que la mesure du « vent d’éther » dans l’expérience de Morley et Michelson échoue qu’il faut abandonner le vent d’éther et inventer une nouvelle théorie qui permettra de rendre compte de ces problèmes et de quelques autres par la même occasion. Einstein vint.

Tout cela atteste de la puissance de l’esprit humain. Mais ce que saisissent ces sciences, physique, chimie et dérivés, ce n’est qu’une mince couche du réel et non le réel. Et surtout ces sciences, de plus en plus, formulent des équations qui permettent de prédire des événements sans que nous soyons capables de définir leur sens physique. En fait, nous sommes souvent réduits à des formules magiques (big bang, énergie noire, sombre, grise ou je ne quoi encore), qui chantent à notre imagination, mais sont vraiment très proches de la magie des premières sociétés humaines.

Nous avons le plus grand mal à admettre qu’une partie du réel nous est à jamais inaccessible, alors que nous devrions méditer les leçons de Kant : n’est connaissable que ce qui peut être l’objet d’une expérience possible. Tout le reste n’est qu’illusion. Nous pouvons connaitre le cerveau, les neurones, toutes ces compositions de radicaux carbonés, mais jamais ces compositions de radicaux ne pourront dire ce qu’est la pensée qui n’est pas une combinaison de radicaux carbonés et que les composés carbonés sont des produits de la pensée. Après tout, nous ne voyons jamais ni notre visage ni notre crâne, nous n’en avons que des images (inversées qui plus est) ou des photos, des simulacres, mais jamais nous-mêmes en personne. Le petit malin qui prétend avoir découvert le siège de la conscience (par exemple) est un vantard qui affirme avoir vu son propre visage ou observé ses propres pensées dans son propre cerveau.

Le scientiste, celui qui croit en la science ou en LA science est un théologien. Plus qu’un théologien : non seulement il connait la réalité comme s’il était dieu (ou Dieu), comme s’il l’avait faite, mais il se prend pour Dieu. Méfiez-vous de lui, cet homme est dangereux.

Le 10 janvier 2023   

samedi 7 janvier 2023

Défense de l'anthropocentrisme

La nature n’existe que parce que l’homme existe ! Cette affirmation peut surprendre : la nature était là avant nous et sera encore là après nous, croit-on généralement. Peut-être serais-je devenu, à mon insu, un disciple de l’évêque Berkeley qui soutient que l’être n’est que l’être perçu ? Que nenni ! Ce que je mets en question, c’est l’idée de nature comme séparée et opposée à l’homme. Léo Strauss soutient à raison, selon moi, que l’idée de nature est une invention grecque, une invention corrélative à celle de la philosophie. Ce sont les philosophes grecs qui opposent la nature (physis) et la convention (nomos), la nature spontanée qui nait et meurt et la convention qui dépend de l’artifice humain. Suivre la nature, c’est alors refuser de suivre les conventions arbitraires des organisations humaines. Mais si utile pour la pensée qu’ait été cette séparation, elle n’est pas naturelle et procède d’un acte de la pensée.

La nature n’est pas hors de nous. Nous, nous sommes la nature devenue consciente d’elle-même ! Nous sommes « naturels ». Notre insatiable avidité, notre propension à peupler toute la surface de la Terre, à soumettre tout ce qui est à nos désirs et nos caprices, tout cela est parfaitement naturel, car cela découle de la nature humaine : bipédie, pas de poils, aptitude à la course à pied, gros cortex, capacité à utiliser un langage symbolique et pas seulement des signaux comme les abeilles, les marmottes ou les grands singes, bonne vue binoculaire, mais aussi naissance prématurée et inadaptation fondamentale à notre environnement. Quand on parle de défendre la nature, on ne devrait jamais oublier la défense de la nature humaine, à moins que penser qu’elle soit la seule qui n’a pas à être défendue et que l’être humain soit une abominable verrue qui défigure notre belle déesse Gaïa !

Quand on dénonce le point de vue anthropocentré (on trouve ça chez beaucoup d’écologistes), on ne voit pas bien ce qui est visé. Car, de la réalité, nous n’avons qu’un point de vue anthropocentré ! Sauf ceux qui se prennent pour Dieu, qui, lui, doit avoir un point de vue « théocentré », on ne peut pas avoir d’autre point de vue qu’anthropocentré ! Même ceux et surtout ceux qui essaient de penser la « nature sauvage » comme nature en dehors de l’homme, restent parfaitement anthropocentrés. Parler de la nature en dehors de l’homme, c’est encore la situer par rapport à l’homme, en donner une vision et un concept humains.

Nous ne pouvons pas séparer la nature de l’homme pour une autre raison : la nature est « le corps non organique de l’homme », comme le dit Marx (Manuscrits de 1844), ce que Merleau-Ponty reprend à son compte (voir son cours de 1956). L’homme nait, vit de la nature, meurt comme toutes les choses de la nature. Il y a, dit Marx, un métabolisme entre l’homme et la nature : nous respirons, nous restons cloués au sol, il nous faut boire et manger, nous protéger du froid, etc. Les échanges en l’homme et son environnement immédiat sont incessants et supposent une activité, une praxis, pour produire les vêtements, les maisons, la nourriture et bien d’autres choses encore.

En vérité, la nature n’existe pas. Ce n’est qu’une abstraction qui résulte de l’activité humaine — mais une abstraction peut être utile pour penser, à condition de ne pas l’hypostasier, d’en faire le fondement. Ce qui nous importe, de manière vitale, ce n’est pas « la nature », mais notre écoumène, le monde en tant que nous l’habitons, en tant que nous le façonnons pour le rendre non seulement habitable, mais aussi agréable et beau. Nous voulons préserver les paysages parce qu’ils sont beaux et pas encore salopés par ces éoliennes qui poussent comme des champignons sur nos plateaux de Bourgogne. Mais évidemment, il n’y a que des êtres humains qui peuvent trouver beau un paysage !

Le 7 janvier 2023

 

vendredi 6 janvier 2023

La cage d'acier

Max Weber avait deviné qu’une société qui ne fonctionne qu’à la rationalité instrumentale, au calcul et au contrôle devient une cage d’acier, emprisonnant les individus. C’est très exactement ce qui se produit chaque jour sous nos yeux. Une société de contrôle total — les stratégies anti-COVID et le « crédit social » en donnent un avant-goût. Le développement des réseaux et la disparition programmée du contact, de la présence réelle de l’autre estompent la différence entre l’homme et la machine. Les nouveaux programmes d’IA produisent des articles, des posts et des réponses aux questions qui ont un air parfaitement humain. Le contrôle de la diffusion des informations se raffermit et bientôt nous ne saurons plus que ce que le « système » tolérera. Les « vieux » s’en moquent un peu : ils seront morts quand tout cela sera « opérationnel », mais ils laisseront à leurs petits-enfants une société totalement inhumaine, une société où plus rien n’échappera à la réglementation et aux procédures.

Le capitaliste à gros cigare et chapeau haut de forme était un ennemi parfaitement identifiable. L’ennemi d’aujourd’hui est sans visage. Des personnages falots en tiennent lieu, répétant comme des perroquets les phrases toutes faites inventées par les spécialistes de la communication. La vérité ni le mensonge n’ont plus d’importance. Ne circulent plus que des signifiants vides, à l’instar des signes, suites de zéros et de uns, que manipulent les ordinateurs. On pense souvent que notre époque est celle d’un narcissisme exacerbé, une hypostase du « moi ». Ce n’était que l’entrée en matière, celle que dénonçait justement Christopher Lasch dans La culture du narcissisme. En réalité, il s’agissait surtout d’un enfermement du « moi » pour préparer son évidement progressif. Le « moi » cède la place à ses avatars informatiques. Le subjectivisme fou laisse la place à une « désubjectivation » radicale. Il n’y a plus de sujet possible puisque nous voilà réduits à l’état d’amas de neurones, à l’état de nuées d’atomes et la pensée ne diffère plus des signaux électriques qui allument nos écrans avec des phrases qui ne sont plus des phrases, mais de simples signaux, elles aussi.

Que nous reste-t-il ? Le pouvoir de dire non. Le refus de faire un pas de plus. Le pouvoir de dire non, même aux prétendues évidences, est la forme la plus rudimentaire de la liberté. La cage d’acier est celle que nous avons nous-mêmes construite. Les barreaux sont ceux que nous avons scellés. Nous n’avons pas besoin de faire des efforts surhumains pour les desceller. Il suffit de regarder la réalité en face, de cesser d’être fascinés par le progrès comme le lapin dans les phares de la voiture.

Le 6 janvier 2023

 

mardi 3 janvier 2023

Les classes sociales font-elles l'histoire?

« L’histoire de l’humanité jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes » : tout individu qui se pique d’un minimum de culture marxologique connaît cette phrase extraite du Manifeste. Faut-il en déduire que les classes sociales font l’histoire ? ou encore que c’est leur lutte qui fait l’histoire ?


En vérité, il n’en est rien. Car si l’histoire ne fait rien elle-même, comme le dit Marx dans la Sainte Famille, puisque l’histoire n’est rien d’autre que la succession des générations, les classes sociales non plus ne rien puisqu’elles ne sont rien d’autre que des êtres de pensée, des noms que nous donnons à un nombre suffisamment grand d’individus qui partagent suffisamment de propriétés communes. On a dit plus haut qu’il n’y avait pas chez Marx de théorie des classes sociales, celle-ci ayant toujours été remise à plus tard. Certes dans les analyses que Marx produit, notamment de la situation française entre 1848 et 1851, tous les mouvements politiques sont analysés en termes de classes sociales. Les individus, les partis, les journaux sont définis comme représentatifs de certains intérêts de classes, mais cela ne fait pourtant pas des classes, en tant que telles, des acteurs historiques.

Prenons l’exemple de l’analyse du bonapartisme. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte commence par une réflexion générale sur le lien entre l’histoire réelle et les représentations des hommes en train de faire cette histoire. Ce n’est évidemment pas un hasard : l’une des énigmes que Marx, tout au long de son œuvre, s’efforce de déchiffrer est celle des rapports entre les représentations spontanées que les hommes se font du monde et de leur propre activité et la réalité. C’est très exactement ce que Marx nomme « idéologie ». Ces questions sont posées de manière très précise dans le manuscrit de L’Idéologie allemande :

La structure sociale et l’État résultent constamment du processus vital d’individus déterminés ; mais de ces individus non point tels qu’ils peuvent s’apparaître dans leur propre représentation ou apparaître dans celle d’autrui, mais tels qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire, tels qu’ils œuvrent et produisent matériellement; donc tels qu’ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles déterminées et indépendantes de leur volonté.

La structure sociale n’est pas première, elle n’est pas la réalité, mais seulement l’hypostase d’une réalité qui a son origine ailleurs, dans « le processus vital d’individus déterminés ».

La difficulté vient de ceci : nous n’avons accès à la réalité humaine qu’à travers les paroles, les actions, les œuvres des acteurs eux-mêmes, qui sont autant de représentations de la réalité et non la réalité elle-même. La connaissance historique suppose donc que l’on comprenne 1° quelle est la structure réelle de la société, structure qui découle du processus vital des individus ; 2° comment cette structure réelle permet de comprendre les représentations que les acteurs s’en font ; et 3° quel effet ont ces représentations sur les actions des individus. On part des individus et on retourne à l’activité des individus qui se déterminent eux-mêmes, en dernier ressort.

On présente souvent la pensée de Marx comme un « déterminisme historique » qui laisserait peu de place à la liberté humaine, puisque le cours des évènements serait régi en dernière analyse par la dynamique des forces productives et des rapports de production, forces impersonnelles dont les individus ne seraient finalement que les jouets. Or, dans les premières lignes du chapitre I, Marx d’emblée réfute cette conception :

Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de leur plein gré, dans des circonstances librement choisies ; celles-ci, ils les trouvent au contraire toutes faites, données, héritage du passé.

Les hommes font leur propre histoire : ils ne sont donc pas des produits des circonstances. Ils sont d’abord des acteurs. Marx s’oppose au matérialisme classique, c’est-à-dire celui qui considère que la seule réalité est la réalité extérieure, celle que nous pouvons appréhender par l’usage des sens Certes, il ne soutient pas, contre ce matérialisme qui eût une si grande influence sur la philosophie du xviiie, l’existence d’une réalité suprasensible. Mais il critique une conception qui fait de l’homme un sujet passif, soumis aux forces extérieures. Or, pour Marx, il faut partir au contraire de l’activité humaine pratique comme réalité subjective. Par conséquent :

La doctrine matérialiste du changement des circonstances et de l’éducation oublie que les circonstances sont changées par les hommes et que l’éducateur doit lui-même être éduqué. (Thèses sur Feuerbach)

L’idéalisme ne vaut pas mieux que ce matérialisme, puisqu’il réduit la réalité à l’idée et transforme l’activité humaine en une simple manifestation du mouvement des idées.

L’histoire devient ainsi une simple histoire des idées prétendues, une histoire de revenants et de fantômes ; et l’histoire réelle, empirique, fondement de cette histoire fantomatique, est exploitée à seule fin de fournir les corps de ces fantômes et les noms destinés à les habiller d’une apparence de réalité. (Idéologie Allemande)

Il s’agit donc, pour Marx, de dépasser l’opposition entre l’idéalisme et ce matérialisme ancien pour fonder une nouvelle pensée : matérialiste en ce sens qu’elle doit s’en tenir à la réalité que nous avons sous les yeux, mais qui prend en même temps en compte comme objet premier les individus vivants, agissant, souffrant, et finalement donc se déterminant eux-mêmes, subjectivement. Faire des classes sociales des acteurs historiques, c’est retomber dans « l’histoire fantomatique » !

Toute l’analyse de Marx dans le 18 brumaire est d’ailleurs l’analyse des comportements des individus, de ce Louis Bonaparte, de ses partisans, de ses adversaires, de tous ces républicains bavards qui ont fini par lui faire la courte-échelle.  Ce n’est pas une histoire de fantômes, mais une histoire d’individus qui font leur propre histoire sans toujours savoir quelle histoire ils font. Citons encore ce passage de l’Idéologie allemande :

Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leurs représentations, de leurs idées, etc., mais les hommes réels, œuvrant, tels qu'ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives et du commerce qui leur correspond jusque dans ses formes les plus étendues. La conscience ne peut jamais être autre chose que l'être conscient…

L’idée de faire des classes sociales des choses, indépendantes du psychisme des individus est radicalement étrangère à l’esprit de Marx. Les individus qui portent les intérêts de telle ou telle classe sont d’abord des individus, avec leur propre façon de voir les choses, leur propre caractère et, si leurs pensées sont conditionnées par leur « appartenance de classe », elle n’est nullement déterminée. De Gaulle, par exemple, était typiquement un représentant de classe dominante, officier, membre du cabinet de Pétain au ministère de la guerre, mais il ne réagit pas à la défaite comme la majorité de « sa » classe ! L’histoire des débuts de la Résistance est l’histoire d’individus qui, chacun avec son propre parcours, vont se retrouver dans une lutte commune. Le républicain, radical, orienté à gauche qu’est Jean Moulin va prendre comme secrétaire un jeune homme issu de l’Action française, Daniel Cordier. Henri Frenay, issu lui aussi de l’extrême-droite va constituer un réseau important de la résistance avant de devenir député socialiste à la Libération. Des individus dont l’action va avoir une portée sociale, certes, mais des individus vivants. Dans « l’action de classe » par excellence qu’est la grève, il y a autant de positions que d’individus, ceux des ouvriers qui ne veulent pas faire grève, chacun avec des raisons différentes, et parfois tout simplement parce qu’ils sont contre la grève et pensent que les grévistes sont des fainéants, ceux qui adoptent une position modérée, les plus radicaux qui veulent tout casser, etc. La « ligne de classe », la « position de classe » ne sont jamais la ligne ni la position de la « classe ouvrière », mais seulement la ligne que le groupe dirigeant du parti ou du syndicat estime devoir être celle de tous à un moment donné. Mais il semble toujours plus efficace de subsumer tous les individus sous « la classe », de tous les ramener à une exemplification de cette abstraction qu’est la classe.

mercredi 14 décembre 2022

Avec Diego Fusaro: que signifie notre époque comme époque sans pères?

 Diego Fusaro revient ici sur la signification profonde de la "société permissive" comme société d'époque "sans pères", c'est-à-dire une société sans limites.


dimanche 4 décembre 2022

L’idéalisme allemand: remarques sur Kant, Hegel et la question de la liberté

Il est évident que l’éthique protestante luthérienne influence grandement Kant, mais il semble pourtant qu’en faisant de la liberté de la personne et de l’autonomie des principes fondateurs Kant s’oriente dans une direction opposée à celle de Luther. Dans Qu’est-ce que les Lumières ? Kant fait de l’obéissance à l’autorité le caractère même de la « minorité ». Les figures de l’autorité – le père, le prêtre, le médecin, l’officier – sont toutes présentées comme opposées à la véritable liberté humaine. Il reste que la « société civile » exige de ses membres « majeurs » l’obéissance mécanique qui seule permet à cette société d’exister.

Kant aperçoit la contradiction qui existe entre une société de contrainte universelle et l’idée d’une individu « libre par nature ». La synthèse de la liberté et de la contrainte ne doit pas intervenir de telle sorte que la liberté originelle de l’individu se trouve sacrifiée à l’hétéronomie sociale. La contrainte ne doit pas être appliquée à l’individu de l’extérieur, la limitation de la liberté doit être une auto-limitation, l’absence de liberté doit être volontaire.[1]

Et effectivement, chez Kant, la rébellion contre l’ordre établi ne peut avoir aucune justification morale. D’où les contorsions auxquelle il se livre quand il est confronté à cette question : on doit obéir au pouvoir politique existant, mais s’il est renversé on doit obéir au nouveau pouvoir… Et par ailleurs Kant approuve le nouveau pouvoir mis en place par la révolution en France. En tout cas, l’homme « majeur » doit se contenter de faire un usage public de sa raison afin défendre éventuellement des réformes nécessaires qui convaincront le souverain. Mais rien d’autre n’est envisageable. En théorie, Kant affirme la liberté de l’homme face à toutes les autorités mais en pratique il semble bien qu’il n’en reste rien et qu’il faille continuer d’obéir « comme si » l’ordre politique avait été voulu par Dieu. Comme le note Marcuse, cependant :

Le « comme si » transcendantal représente à coup sûr un important déplacement du poids de l’autorité dans le sens de la reconnaissance de l’individu autonome, une rationalisation de la structure  de l’autorité ; – les garanties érigées au sein même de l’ordre juridique contre la destruction du rapport d’autorité sont d’autant plus puissantes. [2]

Paradoxe donc : l’affirmation la plus absolue de la liberté s’accompagne de justifications juridiques plus puissantes du rapport d’autorité. On pourrait donc dire que la soumission qui, dans les sociétés traditionnelles, n’était guère garantie à long terme que par l’usage de la violence physique, laisse la place à une soumission à l’autorité fondée sur l’auto-limitation de sa propre liberté par le sujet. Marcuse montre que le centre de la solution kantienne à cette contradiction entre liberté de la personne et contrainte sociale est la question du droit de propriété.

L’avantage de Hegel sur Kant, même s’il partage nombre de ses présuppositions, est qu’il met en lumière « la négativité de cette société ». Les contradictions de la société civile nécessitent son dépassement dans l’État. Hegel reproche aux théoriciens du contrat de fonder l’autorité politique sur les intérêts privés. Mais d’un autre côté, la position hégélienne conduit à une divinisation de l’État. Au total, la philosophie allemande a montré la voie de la liberté tout en l’obstruant. Ainsi Hegel saisit que le rapport maître/esclave – le rapport de domination prototypique – est lié à un mode de travail déterminé, il en expose la dialectique, celle qui conduit à reconnaître l’esclavage comme la vérité de la domination :

Il se révèle que l’autorité de la domination dépend en dernier ressort de l’esclavage qui croit en elle et l’entretient.[3]

Si la dialectique de Hegel se referme à un moment et se lit comme téléologie – la dialectique fermée que critique Adorno – c’est en même temps à partir d’elle que peut être pensée une critique radicale de la domination.

[Extrait de Collin, D. Comprendre Marcuse, éditions Max Milo

[1]             H. Marcuse, Pour une théorie critique de la société, Denoël ,1971, p. 57

[2]             H. Marcuse, Pour une théorie critique… oc. p. 58

[3]             H. Marcuse, Pour une théorie critique …  oc. p.94

mardi 8 novembre 2022

L’homme-machine : le retour

Pour une Critique de la raison neuroscientifique

Nous constatons chaque jour que les neurosciences prennent une place croissante dans la réflexion sur la pensée, marginalisant de fait la psychologie traditionnelle et la philosophie. Précisons qu’il s’agit bien ici des neurosciences et de la neurobiologie, branche bien établie de la biologie, alors que les neurosciences se présentent comme un champ de recherche « transdisciplinaire » qui inclut « la bio-informatique ». On annonce régulièrement de nouvelles découvertes concernant le fonctionnement du cerveau. Couplées à la psychologie évolutionniste, certains chercheurs ou défenseurs des neurosciences promettent de résoudre à peu près toutes les grandes questions sur lesquelles la philosophie semble avoir échoué depuis plus de 2500 ans. L’engouement pour les neurosciences est largement motivé par les promesses technologiques qu’elles semblent en mesure de tenir. En effet, on peut coupler le système neuronal d’un humain à des dispositifs électroniques de telle sorte que le cerveau commande directement une machine. Ainsi les tétraplégiques pourraient être équipés d’un exosquelette artificiel qu’ils commanderaient directement. On a fait des expériences de « transmission de pensée » chez les souris (2014), là encore par couplage cerveau-machine. En 2019, des chercheurs chinois ont réussi à « piloter » un rat à partir d’un cerveau humain en utilisant une interface BBI (Brain to brain interface).

Le cyborg est à nos portes. Et nous ne saurions qu’en tirer les plus grands profits ! Tout cela semble d’autant plus évident que les progrès des systèmes informatiques et de ce que l’on appelle « intelligence artificielle » (IA) semblent rendre possible la fabrication de « robots intelligents ». Une série télévisée s’était emparée du sujet en vue de promouvoir la reconnaissance des droits des robots, presque nos frères (Real Humans, série suédoise diffusée entre 2012 et 2014).

La vérité est que, comme toujours, les promesses techniques nous éblouissent et ne servent qu’à alimenter la course folle vers un « avenir radieux », pour reprendre le titre du livre du dissident soviétique Alexandre Zinoviev (L’Âge d’homme, 1978). Dans tous les domaines, on procède ainsi : les ressources alimentaires sont menacées par le réchauffement climatique ? Qu’à cela ne tienne, les modifications génétiques, notamment par la prometteuse technique du crispR, nous permettront d’avoir des plantes qui se développent sans eau… et ainsi nous serons 15 milliards sur une planète semblable à celles qu’ont peintes les dystopies. Le monde promis par la technique est toujours très attrayant. Il en va de même avec les neurosciences. Le bien-être des tétraplégiques vaut bien que l’on sacrifie l’humanité de l’homme, voué à devenir « l’homme machine » cher à La Mettrie !

Mais il y a tout de même un problème, une gênante scorie que l’on voudrait cacher sous le tapis : les neurosciences nous apprennent beaucoup de choses concernant le cerveau, mais elles ne nous apprennent rien de la pensée, et même rien de la pensée des penseurs des neurosciences. On peut lire sous la plume de certains défenseurs des neurosciences : « le cerveau veut », « le cerveau pense », « le cerveau croit » (Watson, par exemple) etc., mais le cerveau ne veut ni ne pense ni ne croit rien ! Le cerveau est une chose physique qui produit des choses physiques (états neuronaux) et nullement de la pensée. Si la pensée était produite par le cerveau, elle serait susceptible de mesures physiques, exactement comme nous avons des mesures physiques pour les particules élémentaires. Mais quelle est la quantité de mouvement de votre pensée ? Ou son degré d’acidité ?

Certains neuroscientifiques prétendent qu’on a localisé le siège de la conscience. Cela fait irrésistiblement penser au médecin et criminologue Cesare Lombroso qui pouvait détecter le « criminel né » à partir de l’étude du crâne (voir L’homme criminel, 1876). Mais la conscience n’a aucun siège, tout simplement parce que la conscience n’est pas une chose localisable dans l’espace, mais un rapport, une relation, un entre-deux entre le sujet et l’objet. À ceux qui affichent la prétention de soigner le malheur humain que vantent les plus fanatiques, on peut répondre « laissez-nous avec notre malheur ! »

Si les neurosciences ne nous apprennent pas ce qu’est la pensée, parce qu’elles ne le peuvent pas, en revanche on commence à voir vers quoi ces prétentions insensées nous mènent. Technologisation croissante de l’homme dont l’autonomie ne cesse de se rétrécir, mécanisation des opérations mentales qui suivent des procédures, prise de contrôle des individus par le « système technicien ». La société techno-scientifique moderne est une société dans son essence totalitaire comme l’avait bien vu Herbert Marcuse. Les neurosciences apparaissent ainsi comme le parachèvement de la construction de l’homme unidimensionnel.

La philosophie, dès son origine, cherchait à nous apprendre nos propres limites (« rien de trop »). Accepter notre condition d’être mortel, viser à notre perfectionnement moral, voilà ce qui devrait être notre objectif essentiel. Si nous voulons nous mettre dans cette disposition, nous devrons refuser ce « bluff technologique » que dénonçait déjà Jacques Ellul, et nous garder de la folie techno-scientifique.

L’astronomie puis la physique furent longtemps les sciences majeures. Les premières, elles donnèrent des prédictions exactes et elles furent progressivement complètement mathématisées. Il n’en allait pas de même avec les sciences du vivant que l’on nommera, à la suite de Lamarck, biologie. La biologie a trouvé ses bases avec trois théories : la théorie cellulaire, la génétique (découverte par Mendel) et la théorie darwinienne de l’évolution.

Les progrès tant théoriques que pratiques de la biologie ont été prodigieux. Plus que toute autre science, elle nous donne l’illusion que nous pouvons maîtriser la nature parce que nous commençons à maîtriser la vie elle-même. Par ses liens directs avec la médecine et l’agriculture, elle est devenue aujourd’hui la science la plus importante. Mais elle reste fragile sur le plan épistémologique et ses capacités prédictives sont assez faibles. Ces fragilités cependant n’empêchent pas les plus enthousiastes de marcher d’un pas assuré, multipliant les communiqués de victoires à venir.

Les prodigieuses avancées de la biologie sont en réalité dues à la mise en œuvre des préceptes méthodologiques énoncés par Descartes, dès le Discours de la méthode (1637) ou encore dans De l’homme, un traité inachevé rédigé dans les années 1630. Ce grand philosophe tenait les êtres vivants pour des machines, des machines certes beaucoup plus subtiles, beaucoup plus composées que celles que peut concevoir le génie humain, mais des machines. Autrement dit, on ne pouvait comprendre les êtres vivants qu’en appliquant les règles de la mécanique : décomposer tout ce qui est trop complexe en éléments simples et ensuite les recomposer par synthèse, comme démonter le réveil pour savoir comment il fonctionne et nous donne l’heure. Ainsi, aujourd’hui, la partie la plus développée et la mieux assurée de la biologie est la biologie moléculaire, et ce sont ces mécanismes moléculaires qui semblent le mieux à même d’expliquer le fonctionnement des êtres vivants. De ce point de vue, on ne peut qu’admirer les résultats obtenus au cours des dernières décennies. On peut non seulement « décoder » l’ADN, mais on sait maintenant comment le modifier, par exemple avec la technique du CRISPR qui découpe des morceaux d’ADN et en colle d’autres presque aussi facilement qu’un « copier-coller » sur un ordinateur. On a commencé de les utiliser pour régénérer des tissus humains et les prophètes d’annoncer que nous pourrons, sur notre lancée, vaincre la mort, ou du moins en repousser l’échéance de plusieurs siècles ! Aucune science avant la biologie n’avait fait de telles promesses en ayant quelques chances d’être crue.

Mais si avancée soit notre connaissance du vivant, nous ne connaissons rien de plus de la vie par la méthode des « sciences de fait », pour parler comme Husserl. Certes, on peut distinguer quelques traits caractéristiques définissant les êtres vivants. Avec Claude Bernard, on peut admettre que, en dernière analyse, tout ce qui est vivant résulte de processus physico-chimiques et que, cependant, les êtres vivants possèdent certaines propriétés particulières qui ne sont pas des propriétés physico-chimiques : ainsi la délimitation d’un milieu intérieur, la relative indépendance de l’intérieur par rapport à l’extérieur, l’existence de mécanismes d’autorégulation, etc. Cette définition est à la fois précise et suffisamment générale pour pouvoir s’appliquer, le cas échéant, à des phénomènes très différents de ceux que nous connaissons sur Terre – sur notre planète, les composants de base des êtres vivants sont des macromolécules à base de carbone, mais on pourrait imaginer une forme de vie sur une autre planète basée sur le silicium qui est tétravalent comme le carbone (bien que cette hypothèse soit hautement improbable en raison de la solidité des liaisons chimiques du silicium) !

Mais quid de la vie ? Nous ne savons pas la définir comme objet de connaissance. La définition de la mort est une définition légale, parfois bien incertaine. Quand dire qu’il y a vie ? Il se pourrait qu’une machine construite avec habileté imitât à la perfection quelque animal : qu’est-ce qui les différencierait ? Suis-je moi-même une machine ?  Je m’éprouve pourtant comme vivant, je suis en vie. En vérité, la vie est invisible ! Elle est comme le dedans des êtres vivants et quand bien même nous savons reconstituer tous les processus physico-chimiques qui expliquent qu’un être vivant est vivant, nous sommes bien incapables de « voir » la vie dans cette suite de processus. La vie s’éprouve mais ne se connaît pas par concepts. On a tenté de se débarrasser de la vie : le vitalisme du XVIIIe et XIXe siècle ont été éliminés de la biologie. François Jacob assurait que la vie n’est pas un objet que l’on peut trouver dans un laboratoire.

Nous sommes ainsi dans une situation très curieuse : les évidences les plus immédiates, les plus indéracinables à partir desquelles nous bâtissons des édifices conceptuels abstraits sont balayées comme si elles étaient de pures apparences, et, au contraire, ces édifices conceptuels abstraits, produits de la culture humaine, deviennent la réalité et la vérité. Montaigne écrivait : « Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi plus que je ne fais d’elle ? Nous nous entretenons de singeries réciproques. Si j’ay mon heure de commencer ou de refuser, aussi a-t-elle la sienne. » (Essais, Livre II, ch. XII) N’est-il pas dans l’erreur complète : ni lui ni sa chatte ne jouent. Ce ne sont que des molécules qui s’agencent selon des lois de la physique et de la chimie !

Que les sciences de la nature soient efficaces et qu’elles témoignent du génie de l’esprit humain, il n’est pas question de le nier. Il est seulement urgent de délimiter leur champ d’action (œuvre à laquelle Kant s’était attelé) et donc de procéder à une critique, tout comme Kant avait opéré une « critique de la raison pure » et Marx une « critique de l’économie politique », une critique c'est-à-dire une délimitation du domaine de validité. 

En plein siècle des Lumières, un médecin français, Julien Offray de la Mettrie soutenait la thèse de l’homme-machine. Descartes, à titre d’hypothèse de travail, avait soutenu que les animaux n’étaient guère que des machines plus perfectionnées et construites avec des rouages plus subtils que ceux des machines construites par les hommes ; il ajoutait cependant que l’esprit humain échappait à cet univers machinique, même si le corps humain ne différait guère du corps des animaux. La Mettrie lui reprochait d’avoir craint de tirer les conclusions de ses propres thèses : on pouvait aisément montrer que l’esprit humain n’était rien de spécifique, mais seulement une manifestation des mouvements machinaux du corps. On trouve plus que des traces de ces idées-là chez Diderot, notamment dans sa Physiologie, publiée après sa mort.

Même quand, au XVIIIe siècle, avec Barthez ou Bordeu, par exemple, on abandonna définitivement le mécanisme cartésien pour revenir à une conception spécifique de la vie, au nom du « principe vital », l’idée de réduire l’esprit au corps ne disparut point. On attribue à Cabanis l’idée que le cerveau secrète la pensée comme le foie secrète la bile. Cabanis ne dit pas exactement cela, l’idée est dans l’air du temps. Certes, ce vitalisme est vite entré en déclin. Grand savant et philosophe des sciences, Claude Bernard aurait dit : « je n’ai jamais trouvé l’âme sous mon scalpel. » Dans les Principes de médecine expérimentale, (1858-1877), il dit clairement : « J'ai souvent raisonné de ces choses avec des philosophes et jamais il ne m'a paru nécessaire de faire pénétrer dans nos organes une âme libre et raisonnante, ou même une âme instinctive, pas plus qu'il n'est nécessaire d'en supposer une dans les organes d'une machine à vapeur. » C’est enfin, au siècle dernier le neurophysiologiste Jean-Pierre Changeux qui publie un livre intitulé L’homme neuronal, qui se propose de montrer comment nous pourrions avoir une description juste de la pensée en étudiant les complexes de neurones, et il propose ainsi d’abandonner purement et simplement le mot « esprit ». Comme la vie, l’esprit n’a pas sa place dans les laboratoires.

Avec le développement de la science, nous savons que le cœur n’est guère qu’une pompe et non le siège des sentiments, l’air respiré par nos poumons n’est pas un mystérieux principe vital. En revanche, il est évident que tout ce que nous appelons « pensée » a un rapport direct avec l’activation des réseaux neuronaux dans le cerveau. Si bien qu’il semble évident que « le cerveau pense » ou, à tout le moins, que « dans le cerveau, ça pense ». Du même coup, voilà la pensée qui, à son tour, déserte le champ de la philosophie, pour tomber dans celui de la neurobiologie.

En effet, il semble parfaitement cohérent avec l’ensemble du développement des connaissances scientifiques d’affirmer que le cerveau pense. La science a vocation à connaître selon ses propres méthodes l’ensemble de la réalité. Or l’homme est une des réalités parmi les plus intéressantes, pour nous humains ! La science ne peut cependant connaître que les phénomènes (au sens de Kant), donc des réalités susceptibles d’être objets d’expérimentation. La pensée, telle qu’en parlaient les philosophes, n’est pas susceptible d’une autre expérience que cette expérience intérieure, toute subjective, qui nous définit comme des êtres conscients.

Le cerveau en revanche – et notamment avec le développement de l’imagerie médicale – peut être l’objet d’une véritable science qui n’est rien d’autre qu’une spécialisation de la biologie. Dire que « le cerveau pense », c’est alors résumer la question à ceci : « la pensée, ce n’est rien d’autre que ce qui se passe dans le cerveau, c’est-à-dire un ensemble de processus complexes d’activation électriques et chimiques des connexions entre les neurones. »

De ce point de vue, la neurobiologie semble avoir validé les propositions matérialistes formulées de longue date par tout un courant philosophique, de l’atomisme antique aux thèses de Diderot dans Le rêve de d’Alembert :

-          nous savons corréler de nombreux processus mentaux avec l’activation de certains réseaux de neurones ;

-          nous commençons à savoir connecter le cerveau et nos machines (par exemple pour les commandes motrices) ;

-          nous savons comment les processus chimiques commandent les états mentaux (ex : toute la pharmacopée des névroses et des troubles mentaux).

Les neurosciences promettent beaucoup. Elles tiennent… un peu. Les applications médicales promises par les neurosciences ne manquent pas. C’est toujours pour d’excellentes raisons que le pire arrive ! On pense tout d’abord à des prothèses cérébrales qui viendraient pallier des lésions. Le plus spectaculaire est la commande directe d’une machine par le cerveau. Ainsi on teste des applications pour les tétraplégiques : leur exosquelette mécanique pourrait être commandé directement par la « pensée » et ce grâce à la greffe d’un dispositif électronique sur le cerveau.

Une meilleure connaissance du cerveau permettrait aussi d’en améliorer les performances. On pourrait imaginer un système de mémoire informatique directement intégré. D’ores et déjà il existe une vaste littérature pour apprendre à mieux « manager son cerveau », à utiliser les neurosciences en pédagogie ou dans le « développement personnel ».  On propose même de devenir un chef charismatique grâce aux neurosciences. Y a-t-il beaucoup de savants pour prendre au sérieux ces balivernes ? On peut penser que non. Il faudra donc s’interroger sur le sens de ces promesses et sur l’idéologie qui sous-tend le marketing scientiste des neurosciences. Autrement dit, nous devons nous demander quelle est la délimitation théorique des neurosciences – quel est leur objet propre – et déterminer ce qui sort de ce champ et exprime non plus une série de thèses scientifiques, mais une véritable idéologie, et c’est ce problème qui constituera le nœud de notre propos.

À y regarder de plus près, les questions du rapport entre pensée et cerveau (ou système neuronal) sont beaucoup moins simples que ne le laisseraient penser les prétentions neuroscientifiques, et le triomphe du matérialisme en philosophie de l’esprit pourrait bien n’être qu’un trompe-l’œil. Si on admet que la pensée dépend du cerveau, pour autant, on n’a pas démontré que pensée et activité cérébrale sont identiques. Il faudrait encore rendre compte de ces deux traits essentiels de la pensée que sont la conscience et l’intentionnalité.

L’intentionnalité est le fait qu’une pensée est toujours une pensée de quelque chose, qu’elle vise quelque chose. Quand je prononce la phrase « le chat est sur le tapis », cette phrase a un contenu sémantique. L’énonciation est bien une activité cérébrale (qui mobilise l’aire du langage), mais c’est une activité qui porte sur un état du monde (le fait que le chat est ou n’est pas sur le tapis). Si la pensée n’est qu’un état physique du cerveau, comment un état physique pourrait-il être « à propos » d’un autre état physique ? Un état physique peut être causé par un autre état physique, mais il n’a en lui-même aucun contenu sémantique : les phénomènes physiques « ne veulent pas dire quelque chose », sauf à retomber dans une conception purement animiste qui ferait des processus physiques des signes envoyés aux humains par on ne sait qui ou quoi ! La relation de causalité physique n’est pas une relation sémantique. Si je vois de la fumée, je pense qu’il doit y avoir un feu, mais la fumée n’est pas un état physique « à propos » du feu. C’est seulement un sujet humain qui, utilisant ses connaissances acquises par expérience, peut penser : « il y a de la fumée, ça veut dire qu’il doit y avoir un feu quelque part ». Il apparaît donc que la neurobiologie ne peut donner aucune description physique de l’intentionnalité de nos pensées.

La neurobiologie est tout aussi impuissante à décrire ce qu’est la conscience. Quand nous pensons, nous sommes conscients de nos pensées. Comme le dit Kant « le Je accompagne toutes mes représentations ». Nos représentations ne nous laissent pas indifférents ! En effet, la conscience est la présupposition de toutes nos pensées : toutes les conceptions scientifiques et toutes les expériences sur lesquelles elles s’appuient sont des faits de conscience. C’est la subjectivité qui fonde l’objectivité et non l’inverse ! Le point de vue scientifique sur la conscience serait celui qui réduit la conscience à un phénomène objectif, mais la conscience réduite à une phénomène objectif n’est plus la conscience ! La conscience échappe ainsi à toute objectivation scientifique.

Ainsi, ni les sciences cognitives ni la neurobiologie n’ont réussi à expliquer comment la subjectivité, cette expérience indiscutable que nous faisons de nous-mêmes, peut émerger d’un monde de faits objectifs. John Searle (voir La redécouverte de l’esprit. Gallimard, NRF-Essais, 1995), lui-même matérialiste, fait remarquer que nous ne sommes pas parvenus à expliquer comment la conscience peut être « naturalisée », c’est-à-dire comment nous pouvons la décrire scientifiquement comme n’importe quel phénomène naturel ; même s’il ne désespère pas qu’on y puisse parvenir un jour.

Si la pensée était une chose matérielle, un phénomène observable scientifiquement, elle devrait avoir des propriétés physiques soit macro-physiques (dimensions, masse, propriétés sensibles), soit microphysiques (comme les propriétés des particules élémentaires). Mais, évidemment, une pensée n’a absolument pas ce genre de propriété ! Il faudrait donc admettre :

-          soit que la pensée n’existe pas, ce qui serait ennuyeux ;

-          soit que la pensée est un simple effet dans le cerveau d’un processus physico-chimique et alors on voit mal comment cette pensée pourrait revendiquer le qualificatif de « vraie ». Les phénomènes ne sont ni vrais ni faux, ils sont observables ou non et la vérité ne peut pas être un prédicat d’une réalité naturelle.

Inversement, nous avons de bonnes raisons d’admettre que nos pensées existent : elles ont une certaine permanence, elles peuvent se transmettre aux autres, elles résistent à nos volontés et à nos fantaisies (pensons aux objets mathématiques : il est impossible de feindre sérieusement que 2 et 2 sont 5).

Mais si on admet que nos pensées sont causées par des processus matériels sans être elles-mêmes matérielles, on n’est pas plus avancé, car on devra expliquer comme un phénomène physique peut causer quelque chose qui n’a aucun rapport avec un phénomène physique – c’est le noyau de l’argumentation de Descartes selon qui « nul corps ne peut penser » (voir Réponses aux objections aux Méditations métaphysiques).

Nous pouvons ainsi d’un côté, admettre que pensée et cerveau sont inséparables, mais d’un autre côté, reconnaître que nous sommes incapables de réduire la description des états mentaux à la description des états physiologiques du cerveau. On peut professer un matérialisme métaphysique (le monde est un, il est « matériel », infini et incréé) tout en admettant que les comportements et activités humains peuvent être l’objet de deux descriptions hétérogènes, une description en termes d’états physiques et une description en termes d’états mentaux, sans que l’un des deux niveaux puissent être défini comme la cause de l’autre.

Il n’est pas nécessaire de revenir au dualisme cartésien des deux substances (chose étendue et chose pensante) pour admettre cependant que « nul corps ne peut penser » : dès lors qu’on admet que ni la conscience ni l’intentionnalité ne se peuvent expliquer en termes purement objectifs et physiques, il faut alors reconnaître que le cerveau – un organe de notre corps – ne pense pas au sens exact du terme.

Wittgenstein (voir Cahier bleu) prend l’exemple de la vision. « Ainsi a-t-on pu dire que l’espace visuel est situé dans la tête de l’observateur, et je pense qu’on a pu le dire que par une sorte d’abus de la logique grammaticale du langage. » De la même manière, nous pouvons donc dire que situer la pensée dans le cerveau est tout simplement un abus de langage.

Par conséquent, l’expression « le cerveau pense » peut être considérée elle aussi comme un abus de langage. Ce n’est pas que le cerveau ne pense pas et que ce serait autre chose qui pense, le corps, le cœur ou les poumons, etc. ! C’est tout simplement que, strictement parlant on ne peut pas plus dire qu’un cerveau « pense » qu’un ordinateur ou un distributeur automatique de café. La pensée n’est pas un prédicat possible pour une chose physique. Mais il n’est sans doute pas possible non plus de dire que c’est l’esprit qui pense, si on entend par « esprit » une entité particulière distincte du corps – ce serait revenir à un dualisme dont les complications sont trop connues : comment comprendre l’interaction entre substance matérielle et non pensante et une substance pensante et non matérielle ? Une pensée est une « chose mentale » qui a un contenu, ce contenu pouvant être une image d’une chose physique … ou une autre chose mentale : ma pensée de Pierre a pour contenu mon ami Pierre, ma pensée du triangle rectangle a pour contenu le triangle rectangle dont je connais la définition et ma pensée de la pensée a pour contenu l’acte de penser.

Évidemment, cette façon de voir les choses n’est pas agréable pour ceux qui pensent qu’on peut faire une théorie du tout, qui serait finalement une physique. Mais c’est la seule manière que nous ayons de rendre compte du fait que nous parlons et que nos paroles prétendent à la vérité. Si, en effet, nos pensées n’étaient rien d’autre qu’une appellation pour des processus physiques, il n’y aurait aucun sens à dire qu’elles sont vraies ou fausses : on pourrait seulement se demander si telle pensée est une action adaptée de l’individu dans des circonstances données. Mais une telle conception renonce à l’idée de vérité, car une erreur peut être une réponse adaptée… Sauf si on est un pragmatiste convaincu qui soutient que « est vrai ce qui marche » et que la vérité n’est qu’une manière de désigner les propositions qui nous agréent (voir sur ce point Richard Rorty, Conséquences du pragmatisme).

Pour autant, il n’est pas complètement insensé de dire que le cerveau pense, si par là on entend qu’il y a corrélation entre pensée et activité cérébrale. Que je pense implique qu’il se passe un certain nombre de processus dans mon cerveau. Cependant, du point de vue qui nous importe, c’est-à-dire du point de vue de l’intelligibilité des comportements humains, ce genre de proposition n’est pas d’une grande utilité. Quand un individu est malheureux parce qu’il a perdu un être cher, on constate que son état cérébral se modifie, que les neurotransmetteurs qui assurent la régulation des humeurs n’accomplissent plus leur fonction correctement. Cependant, on ne peut pas dire que c’est son état physique qui est en cause, c’est bien ce sentiment de la perte qui est la cause du malheur. Autrement dit, même si on admet que le « cerveau pense », c’est une proposition finalement vide puisqu’elle n’apporte aucun gain d’intelligibilité, et ne permet pas de dire quelque chose de plus intéressant que ce que la psychologie populaire nous dit.

Herbert Marcuse soutient que la société industrielle technicienne moderne produit ce qu’il appelle une pensée unidimensionnelle, une pensée « positive » qui ignore la contradiction.  Les neurosciences conduisent à une vision unidimensionnelle de la pensée comme effet des processus neuronaux. Ce qui contredit éventuellement cette approche est relégué au rang des superstitions métaphysiques. Le prototype de cette pensée unidimensionnelle est la pensée procédurale. À la question traditionnelle de la philosophie, « qu’est-ce ? » on substitue la question « comment faire ? » À la question « qu’est-ce que la pensée ? » les neurosciences substituent la question « comment le cerveau produit de la pensée ? » et si nous pouvons répondre à cette question alors nous pourrons modifier les conditions physico-chimiques pour produire une pensée conforme. On le fait déjà, en bricolant, à partir de certaines pharmacopées ou de techniques de conditionnement. Mais les neurosciences promettent la rationalisation de ce formatage des pensées.

À la fin de Les mots et les choses, Michel Foucault écrivait : « L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine. Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues (...) alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable ». La prédiction pourrait bien être en train de se réaliser sous nos yeux.

Disons les choses clairement. Tant que les neurosciences restent un auxiliaire de la médecine et si, par exemple, elles peuvent aider à soigner des tumeurs cancéreuses du cerveau, chose que l’on fait encore très mal et avec des chances de réussite très moyennes, il n’y a véritablement aucun problème avec les neurosciences, en tant que branche de la biologie. Le problème commence quand elles prétendent dire ce que c’est que penser et même fournir des normes du penser (« penser positif ! »). Comme la langue d’Ésope, elles peuvent donc être la meilleure et la pire des choses. Malheureusement l’engouement des scientistes et des investisseurs s’adresse au « côté obscur de la force ». Sans doute, Le meilleur des mondes n’est-il pas pour demain.  La fabrication des pensées dans un embryon placé dans un utérus artificiel est peut-être à jamais impossible. Pourtant, on travaille sur des projets qui ne visent rien moins qu’à cela : fabriquer des surhommes (des alpha plus) et nécessairement des epsilon. Nous sommes avertis : un cybernéticien, spécialiste de l’IA, Kevin Warwick a promis à ceux qui ne voudront pas suivre le mouvement de l’évolution et du progrès qu’ils seront « les chimpanzés du futur ». L’expression a été reprise par de nombreux autres chercheurs ou propagandistes du scientisme (comme Laurent Alexandre). Elle est révélatrice d’un certain nombre de tendances de notre ultra modernité. L’homme lui-même, en tant qu’être social culturel, en tant que sujet pensant devient objet de l’activité technoscientifique. Il devient un « produit fabriqué » selon des normes industrielles. Aucun défaut ne sera toléré ! On ne peut guère que reprendre l’expression désespérée de Pierre Legendre, « Hitler a gagné la guerre ». Enfin non, il ne l’a pas encore gagnée. L’impératif moral absolu qui doit être défendu est celui du respect de l’intégrité du corps humain qui n’est pas une chose que nous avons, mais qui est cette chair que nous sommes. Aristote définissait l’art (ou la technique) en disant qu’il imite la nature ou vient à son secours quand elle est trop faible. C’est une bonne norme pour l’éthique de la médecine scientifique : aider la nature quand elle est trop faible (par exemple quand le cerveau est atteint d’une tumeur) mais non la modifier. Défendre le caractère sacré de l’homme, les positivistes et les scientistes y verront une idée religieuse. Peut-être. Mais peu importe car c’est l’avenir d’une humanité humaine qui est en question.

mercredi 19 octobre 2022

Un projet totalitaire

Voici la vidéo de mon interview à Radio Courtoisie dans l'émission de Clémence Houdiakova Vu de haut.
J'y développe un certain nombre de points de mon livre Malaise dans la science.


jeudi 29 septembre 2022

A propos de Malaise dans la science.

 J'ai donné une entrevue à la revue "Elements" à propos de mon livre Malaise dans la science publié en juin 2022 aux éditions Krisis.

jeudi 15 septembre 2022

La technique nous asservit … avec notre consentement

Nous pouvons aisément croire que les outils intermédiaires entre nous et notre milieu vital (notre écoumène) n’ont aucune autre valeur particulière que celle que nous leur donnons. On peut l’admettre tant que l’outil est le simplement prolongement de la main qui garde le contrôle. Le développement des machines a complètement changé la donne. Marx a étudié tout cela avec un certain luxe de détails dans le chapitre du Capital consacré au machinisme et à la grande industrie. Ce qui n’était encore qu’embryonnaire à son époque a désormais quitté les usines pour envahir tout le « monde-de-la-vie ». La technique façonne notre façon de voir le monde, transforme nos rapports avec les autres, crée autant de nouveaux problèmes qu’elle offre de nouvelles possibilités.

On pense par exemple que l’internet permet de développer la communication, favorise les échanges, élargit le champ de nos connaissances. Mais ce n’est vrai qu’en partie. L’internet nous permet d’abord de sélectionner les gens avec qui nous avons des relations et renforce ainsi les réflexes de groupe, de caste, de communautés d’affinités, diminuant d’autant l’importance de la communauté réelle, vivante, celle des voisins à qui on doit dire bonjour, qui peuvent nous chercher des noises ou nous déplaisent pour telle ou telle raison. Nous croyons ainsi, par l’internet, briser la contrainte spatiale, mais c’est évidemment parfaitement illusoire. A tout jamais ce type de communication nous prive de la présence et de tout ce qu’elle comporte. Ainsi est encouragée une organisation sociale exprimant le plus complètement l’idéal libertarien énoncé par Robert Nozick : les individus mènent des existences séparées. On peut multiplier les exemples. Il ne s’agit pas seulement des « effets pervers » mais bien de conséquences prévisibles de la domination de la technique.

Il y a évidemment des classes dominantes qui tirent parti de la technique et l’utilisent comme instrument de domination. Le fétichisme propre à la domination technique réside dans le fait que la technique s’impose pour des raisons en apparence objectives. Si on veut internet, on veut des réseaux, et si on veut des réseaux, il faut vouloir tout ce qui va avec, c’est-à-dire une énorme toile d’araignée de câbles et de satellites. Et pour que tout cela fonctionne, il faut des dispositifs de surveillance. Si vous voulez vous servir de votre téléphone portable, il faut bien que le relai puisse vous détecter et donc votre trajet peut facilement être suivi tant que vous avez votre portable.

Si on poursuit, on verra aisément que la société totalitaire, la société de surveillance généralisée est intégralement contenue dans le système technicien d’aujourd’hui. Sur le système de communication se greffent d’autres systèmes, comme le système de la médecine scientifique et technique. La consommation est étroitement suivie et permet le marketing convenablement ciblé. Le télétravail s’impose partout où il est possible : économies de bureau, de chauffage, etc. et de réactions collectives ! En même temps, le système métavers permettra de surveiller les individus chez eux.

Le plus grave est cependant ailleurs. Le système de la technique modèle notre pensée. Dans ses ouvrages, le philosophe allemand Byung-Chul Han décrit la « disparition des choses », : « Ce sont ces “choses du monde”, au sens où l’entend Hannah Arendt, celles auxquelles revient la tâche de “stabiliser la vie humaine”, qui lui donnent un appui. L’ordre terrien est aujourd’hui remplacé par l’ordre numérique. L’ordre numérique déréalise le monde en l’informatisant. Il y a des décennies déjà, le théoricien des médias Vilém Flusser notait : “Les non-choses pénètrent aujourd’hui de toute part dans notre environnement et refoulent les choses. On donne à ces non-choses le nom d’informations.” (La fin des choses. Bouleversement du monde de la vie, Actes Sud, 2002). Dans un ouvrage précédent, Dans la nuée. Réflexions sur le monde numérique, Actes Sud, 2015, cet auteur avait déjà étudié les transformations structurelles de la psyché qu’opère la communication informatique. Il remarquait ainsi que « La suppression des distances spatiales s’accompagne d’une érosion des distances mentales. L’immédiateté du numérique est préjudiciable au respect. » Il remarque également que l’indignation généralisée a perdu toute force : « Les vagues d’indignation sont très efficaces pour ce qui est de mobiliser et de monopoliser l’attention. En raison de leur fluidité et de leur volatilité, elles sont cependant incapables d’organiser le débat public, l’espace public. » L’absence de tenue est une conséquence de cette société de la communication généralisée. Tout cela finit par détruire l’esprit lui-même. « Or il est manifeste que la communication numérique détruit le silence. L’accumulation, mère du vacarme communicationnel, n’est pas le mode opératoire de l’esprit. » (ibid.) Pour les plus âgés, ceux qui ont vécu encore à l’époque de la « graphosphère », ceux qui sont les contemporains de Gutenberg, les dégâts peuvent rester limités. Les « vieux » n’ont pas tous perdu le goût du silence de la lecture d’un bon livre et parfois ils ont su transmettre ce goût à leurs enfants. Pour être certains que les jeunes n’auront pas les mêmes vices que nous, on équipe très tôt les jeunes de tablettes et autres gadgets. On s’assure ainsi qu’ils seront parfaitement conditionnés au monde de la technique et très tôt dégoûtés de ce qui vit.

Les pires dystopies se mettent en place tranquillement et avec notre consentement, car nous y trouvons de nombreux avantages fort pratiques. Ce texte est écrit sur un traitement de texte, automatiquement sauvegardé sur le « cloud ». Le paiement par carte sans contact est rapide et pratique. La carte vitale nous évite beaucoup de paperasserie et permet des remboursements très rapides. Bref, nous aimons cette technologie et ainsi nous aimons ce qui nous asservit et diminue chaque jour un peu plus la longueur de notre chaîne.

Le 15 septembre 2022

Communisme et communautarisme.

Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...