vendredi 3 février 2023

Quelques réflexions sur la souveraineté et le souverainisme

 


Voilà plus de 30 ans que je suis convaincu de la nécessité de défendre la souveraineté nationale, que la souveraineté est absolument inséparable de la lutte contre la mondialisation et pour une transformation sociale radicale. Je considère que les impérialismes et principalement l’impérialisme dominant aujourd’hui, qui reste l’impérialisme américain, veulent défaire les nations en tant qu’elles sont les cadres nécessaires de la lutte sociale (la lutte des classes est nationale dans sa forme, disait Marx, même si elle est internationale dans son contenu).

La souveraineté nationale est la défense de l’un de ces cadres de vie dans lesquelles les individus peuvent se former, vivre, combattre, s’instruire, aimer et souffrir. Nous sommes tous, plus ou moins, attachés à ces formes de vie, héritées, mais qui sont nous-mêmes, au moins en partie. « Familles, je vous hais ! » D’accord, mon cher André Gide. Mais il faut reconnaître avec Christopher Lasch que la famille est souvent devenue « un refuge dans ce monde impitoyable », l’ultime refuge souvent. Il y a beaucoup d’autres communautés, plus ou moins larges, auxquelles nous sommes attachés. Nous sommes certes des citoyens du monde, mais nous sommes d’abord des Latins, des Grecs, des Européens, issus tous de cette matrice chrétienne que nous prétendons parfois rejeter. L’histoire n’est plus le récit qu’on en faisait jadis, mais elle demeure. Elle nous permet de tisser tant de liens ! Après tout, les Latins et les Grecs ne seraient rien sans les Étrusques et les Phéniciens. Et ainsi de suite ! Le monde que nous découvrent ces nations et ces civilisations, encore présentes souvent dans les ruines, les routes, les langues, est un monde bigarré, un patchwork et c’est ce qui en fait la beauté et l’intérêt. L’internationalisme abstrait et le mondialisme nous séparent les uns des autres en nous réduisant à des individus tous semblables. Les communautés nationales et culturelles établissent des liens, des liens dans lesquelles nous apprenons à reconnaître l’autre comme nous-mêmes et profondément autre simultanément.

Partisan de la souveraineté nationale, j’ai du mal à me dire « souverainiste » et je suis persuadé qu’un front des souverainistes ne serait qu’un front des refus, c'est-à-dire une union de gens qui ne sont en vérité unis sur rien. Je ne suis pas nationaliste pour deux sous. J’aime mon pays, mais je ne l’élève pas au-dessus des autres. Nous Français, ne sommes pas meilleurs que les autres. Je suis pourtant un peu triste de voir ce pays s’abaisser et s’enfoncer dans une sorte d’abattement qui nous dépossède de nous-mêmes. Le syndrome de la débâcle de 1940 dont, en vérité, nous ne nous serions jamais remis, en dépit des tours d’illusionniste de De Gaulle. Les reconstitutions intéressées de l’histoire n’y changeront rien. Penser qu’en tentant de faire revivre la mythologie « nationale » cela nous permettra de nous sortir de l’ornière, c’est commettre une grosse erreur. Observateur avisé de la France, Jérôme Fourquet note ainsi : « Le cas de la country nous dit à la fois le décrochage et l'ampleur de l'américanisation de la société française et la puissance de ce phénomène qui a été capable de produire des imaginaires adaptés à chacune des îles de l'archipel français : en gros, il y a la country pour la France périphérique, le rap pour les banlieues, le Starbucks coffee et la startup nation pour la France des métropoles, et vous voyez que chaque catégorie sociale a son imaginaire américain. » Même les « identitaires », ces rescapés d’extrême-droite française sont profondément américanisés, comme l’a montré une enquête de la revue Éléments. Désaméricaniser notre pays, voilà une tâche colossale que personne ou presque ne voudrait entreprendre. Les tentatives purement culturelles échouent parce qu’il faudrait une impulsion qui redonne de la vie à la culture nationale. L’état calamiteux du cinéma français (nous ne pouvons que regretter le « bon vieux temps »), de la littérature ou de la philosophie ne rend guère optimiste. La manière dont le « wokisme », produit made in USA, a pénétré les milieux universitaires ne laisse pas d’intriguer.

Une chose est certaine : électoralement les « souverainistes » pèsent peu. Le vote pour le RN n’est pas spécialement « souverainiste » puisque Mme Le Pen, comme son homologue italienne Giorgia Meloni, ne met plus en cause le cadre de l’UE, ni celui de l’OTAN. Et « l’union des souverainistes » est vouée à un fiasco si d’aventure elle se constituait à telle ou telle occasion électorale. Une nation ne se fabrique pas ou ne se refait pas par quelque astuce électorale. En outre, tant que nous sommes dominés par le mode de production capitaliste, nous ne sommes pas les maîtres, mais nous sommes soumis au pouvoir du capital. Les « souverainistes » mettent le plus souvent ces questions de côté et rêvent debout d’un capitalisme national et patriotique qui n’existe plus et qui, en vérité n’a jamais existé. Être maître chez soi, cela exige que l’on renverse la logique du capital, c'est-à-dire celle de l’accumulation de la valeur au profit d’une production tournée vers la valeur d’usage. Ce qui s’appelle en vieux français « socialisme ».

Le 3 février 2023 – Denis COLLIN

vendredi 27 janvier 2023

Quelques bonnes raisons pour laisser le dernier opus de Markus Gabriel sur l'étagère du libraire


Markus Gabriel est un philosophe très connu, pas seulement en Allemagne. Ses livres sont largement traduits. Il est connu pour avoir été, en compagnie de Maurizio Ferreris, un des inventeurs du « nouveau réalisme ». À la différence des « philosophes » médiatiques français qui ne font pas vraiment de philosophie, mais exercent surtout leur talent à la conversation mondaine et à la propagande, Markus Gabriel tente de faire vraiment de la philosophie, en écrivant clairement, et ses premiers ouvrages m’avaient intéressé. Deux ont retenu mon attention, Pourquoi la pensée humaine est inégalable et Pourquoi je ne suis pas mon cerveau, tous publiés chez JC Lattès. J’ai donc acheté sans hésiter N’ayez pas peur de la morale (chez le même éditeur) et là je suis vraiment déçu et même un peu plus. Les intentions de l’auteur sont louables, mais on a presque envie de dire que c’est avec de bonnes intentions que l’on fait de la mauvaise philosophie. La bonne intention : défendre l’objectivité des valeurs morales, indissociables de la démocratie. Markus Gabriel inscrit son propos dans la nécessité de promouvoir de « Nouvelles Lumières » (après le « nouveau réalisme »). Pourquoi pas ? Sur le principe, il n’y a rien à redire. Que les préceptes moraux aient une valeur universelle, c’est le contenu même de la morale (voir à ce sujet le livre, coécrit avec Marie-Pierre Frondziak, La force de la morale). Markus Gabriel nous propose un certain nombre d’arguments logiques, très classiques, tirés de l’arsenal kantien. Où les choses se gâtent, c’est qu’il éprouve le besoin de prendre à tout propos et hors de propos des exemples politiques, les « populistes » étant ses ennemis déclarés. Markus Gabriel en bon élève qu’il est, s’évertue à cocher toutes les cases de penseurs bien-pensants et à classer le monde entre bons et méchants. Mais il évite ainsi les difficultés. Or c’est aux difficultés qu’on l’attend.

Il a beau écrire qu’il n’y a pas vraiment de dilemmes moraux, il n’en apporte pas la preuve. Ainsi il est un défenseur de la tolérance et admet que les tolérants ont le droit de se défendre contre l’intolérance. Mais il ne va pas beaucoup plus loin. C’est pourtant un problème sérieux. Sur d’autres questions, il prend des positions sans intérêt proprement philosophique ou alors il fait passer en contrebande de la camelote « progressiste ». Il considère comme exemplaire du point de vue moral la politique suivie par les principaux gouvernements au moment de l’épidémie de COVID. Il estime même que l’on doit saluer la transparence des négociations menées par les dirigeants politiques. Peut-être en sait-il plus et de manière plus transparente que le commun des mortels sur les liens entre sa compatriote Von der Layen et la société Pfizer. Mais l’auteur soutient que les gouvernements ont su agir de manière éthique, car ils ont mis de côté les intérêts économiques… Le confinement est vu comme un exemple de la capacité à se placer du point de vue d’autrui et, à plusieurs reprises dans la presse, il s’est prononcé pour la vaccination obligatoire. Un autre exemple, minuscule, concerne la discrimination qu’a subie sa fille à la piscine, car une partie de l’établissement était interdite aux enfants… Il en profite pour plaider pour l’abolition des discriminations, dont sont victimes des enfants, prétextant qu’une expérience avait montré que les enfants et les adolescents étaient bien plus prêts à faire « avancer le progrès » que les adultes. Une simple expérience d’enseignant lui aurait pourtant appris combien les enfants et les adolescents sont prompts à se conduire en tyrans et à persécuter les plus faibles. On a aussi droit aux « vexations morales » qu’une « majorité d’hommes blancs âgés inflige aux autres… Bien, toutes les cases, vous dis-je.

L’auteur soutient une anthropologie bisounours. Il prétend que “la plupart des hommes (quelle que soit leur origine) sont horrifiés quand ils assistent à une scène d’une extrême violence physique.” Si cela état vrai, la Gestapo n’aurait pas existé, ni le KGB, ni “l’école française de la torture” qui avait prospéré en Algérie et essaima ensuite en Amérique latine (voir le livre de Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l’école française, La Découverte). Il s’appuie sur Peter Singer qui aurait, selon lui, exposé des idées importantes quant à l’origine de nos idées morales, omettant de signaler que le même Singer soutient l’avortement postnatal (c’est-à-dire l’infanticide) dès lors qu’on estime que le nouveau-né ne pourra pas vivre une vie qui mérite d’être vécue. Bien qu’il critique les “post-modernes” pour leur relativisme, en réalité, il vient dès que l’occasion se présente leur faire allégeance.

Le “nouveau réalisme moral” (encore un nouveau truc) soutient selon l’auteur une position médiane entre les éthiques purement subjectives (éthiques fondées sur la compassion ou éthiques fondées sur le plaisir) et les éthiques absolument objectives. Elle s’intéresse aux “circonstances réelles” qui ne sont jamais ni purement objectives ni purement subjectives. Cette proposition est un peu de la bouillie pour les chats. L’auteur aurait dit relire Hegel pour comprendre comment articuler objectif et subjectif. L’auteur soutient même que “le progrès des sciences physiques et naturelles, des technologies, nous en a appris davantage (même si nous sommes loin du compte) sur le statut de l’objectivité maximale et de la subjectivité maximale.” Le progrès des sciences peut nous apprendre beaucoup de choses, mais précisément rien sur le statut de l’objectivité. L’objectivité n’est pas un problème dont les sciences de la nature (les sciences de faits) puissent nous apprendre quelque chose…

Arrivé à ce point (j’en suis à la page 190), le livre me tombe des mains. Je suis prêt à reconnaître que je m’étais peut-être un peu emballé sur ses précédents livres. Il faudra revoir tout cela. Mais ce traité de morale peut être abandonné sans remords à la critique rongeuse des souris.

Le 27 janvier 2023

 

 

lundi 23 janvier 2023

Religions et fait religieux

À paraître au éditions Breal en février.

Vidéo d'une conférence sur le même sujet à l'Université Populaire de la Roya.

 

jeudi 19 janvier 2023

« Religion des droits de l'homme» et wokisme

Dans une publicité pour un numéro spécial de Valeurs Actuelles consacré au « wokisme », je lis :

Très lié à la religion séculière des droits de l’homme, dont il constitue le versant « agit-prop », le wokisme promeut une guerre des sexes et des races qui vise à l’éradication du mâle blanc occidental. Mélange de deux hérésies chrétiennes — la gnose et la (sic) millénarisme — il souhaite l’avènement d’un monde imaginaire débarassé (sic) de toute impureté, ce qui se passe par un mépris forcené du réel.

Ce court texte me donne l’occasion d’une mise au point. Je veux bien admettre qu’il y a quelque chose comme une « religion séculaire des droits de l’homme ». Après tout, les fameux droits de l’homme sont un pur produit du christianisme. Seuls, les « bouffeurs de curés » professionnels ne veulent pas le reconnaître. Comme le dit très bien Hegel, c’est le christianisme qui nous apprend que l’homme en soi est libre, pas seulement le maître, pas seulement le citoyen athénien. L’homme tout court. Comme le dit Paul, « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ. » (Galates, 3, 28) Cette idée de droits naturels de l’homme n’a été proclamée qu’en pays chrétien. Étant moi-même un chrétien athée (une des variétés possibles de chrétiens, quand on a lu Ernst Bloch), je me fais volontiers adepte de cette « religion séculaire ». En revanche, je comprends mal que des partisans (du moins en paroles) des valeurs chrétiennes occidentales s’en prennent avec virulence à ces mêmes valeurs…

Si je laisse de côté cette bizarrerie, j’en voudrais relever une autre plus grave — bien que conséquence de la première. Beaucoup d’adversaires du « wokisme » ont coutume d’y voir une nouvelle forme du marxisme. J’ai eu l’occasion de montrer combien c’était erroné. En substituant la lutte des sexes ou des genres ou des races à la lutte des classes, le « wokisme » est une arme de guerre contre le marxisme — comme l’ont été les théories issues de la philosophie française des années 1970, la fameuse « French Theory » des Foucault, Derrida, Deleuze et autres « déconstructeurs ». J’avais eu l’occasion de m’en expliquer dans une entrevue avec Le Figaro (« Le wokisme est-il un produit du marxisme ? » [lefigaro.fr]). Pour raisons différentes, mais qui se recoupent, on doit réaffirmer que le wokisme n’a rien à voir avec le christianisme même sous la forme de ses hérésies gnostiques et millénaristes.

Le « wokisme » en effet commence par nier l’universalité du genre humain. Sous sa forme genriste, l’obsession de la destruction du mâle blanc hétérosexuel me semble vraiment peu chrétienne. Ce frénétique « meurtre du père » est seulement la preuve que quelque chose n’est pas passé dans formation du sujet… D’autant qu’il s’agit du mâle blanc : le mâle noir ou arabe n’est pas mis en cause. Il est parfait lui, et surtout pas patriarcal. Que les pays musulmans emprisonnent ou pendent les homosexuels ne gêne pas la « religion des droits de l’homme » du woke de base. La « religion des droits de l’homme » affirme que la vie privée ne regarde que les individus et que leurs « orientations sexuelles », franchement, on s’en moque comme d’une guigne. Le woke au contraire est obsédé par le sexe. Pour tout dire, il ne parle que de ça ! Pour un peu, qu’un homme cède sa place à une dame dans les transports en commun, ce serait presque du viol par intention. L’idéologie du genre fait du sexe la différence majeure même si on fait mine de vouloir l’effacer. L’écriture inclusive nous apprend qu’en toutes choses, il faut bien séparer les hommes des femmes et non les réunir dans un seul groupe, les humains, qu’ils soient hommes ou femmes. Quant à la folie « trans », elle indique que nous avons affaire à des individus qui prétendent se faire eux-mêmes, qui prétendent décider à volonté s’ils seront hommes, femmes ou « neutres », ou on ne sait quelle autre catégorie née de leur cerveau détraqué. Si les hommes et les femmes sont considérés comme des égaux, toutes ces simagrées n’ont plus aucun sens. C’est encore une preuve que le wokisme n’a rien à voir avec la prétendue « religion des droits de l’homme ».

Dans tous les domaines et sous toutes ses formes, le « woke » soutient un différentialisme rageur. Il n’y a pas d’hommes, il y a des blancs et des noirs, des mâles et des femmes, des Occidentaux et des pas Occidentaux, etc. Ce différentialisme, cette négation radicale de l’unité de la communauté humaine fut longtemps le fonds de commerce d’une certaine droite qui utilisait, comme les woke aujourd’hui, ces catégories en vue de hiérarchiser les humains selon les classements de leurs idéologues. Il faudrait donc à nos journalistes en quête d’arguments s’intéresser un peu plus à l’histoire des idées et ils devraient conclure que le courant le plus proche des woke fut le fascisme. Le woke est un fasciste qui met un plus là il y avait un moins et réciproquement. Mais un fasciste retourné reste un fasciste. Du reste, comme tous les fascistes, ils détestent la liberté, la liberté de réunion, la liberté de discussion, la liberté d’enseigner, réclamant à corps et à cris des interdictions, des censures, le contrôle des paroles et attaquant physiquement les locaux et les personnes de ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis. Que les cervelles creuses de la France Insoumise abritent ces serpents dans leur sein, en dit long sur ce qu’est devenu ce mouvement, mais ne saurait du mouvement woke un produit des droits de l’homme.

Le 19 janvier 2023

 

 

dimanche 15 janvier 2023

La possibilité du communisme

La possibilité du communisme

Par Yvon Quiniou et Nikos Foutas. Éditions l’Harmattan, 2022, 192 pages, 20 €


Dans leur dernier livre, Yvon Quiniou et Nikos Foutas poursuivent leur dialogue. Chez le même éditeur, ils avaient publié Le matérialisme en question (2020). Nikos Foutas enseigne la philosophie à l’université en Grèce ; c’est un spécialiste de Lukács et un grand nombre de ses livres ont été publiés en français chez l’Harmattan. Yvon Quiniou est tout à la fois marxiste et défenseur du matérialisme en philosophie, mais aussi penseur de la morale : il tente une sorte de synthèse entre les perspectives classiques du marxisme et la philosophie morale de Kant. Il est aussi un militant laïque intransigeant, ce qui lui a valu quelques soucis dans certains milieux proches du Parti communiste qui préfèrent faire la cour aux islamistes…

La possibilité du communisme interroge une question centrale pour tout « élève de Marx » : le communisme est-il une utopie comme les autres, découle-t-il de la logique même du mode de production capitaliste ou est-il un objectif moral ? Les deux auteurs commencent par s’interroger sur l’existence réelle ou supposée du « communisme primitif » qui aurait constitué le stade originaire de l’histoire humaine. En réalité nous n’avons aucun moyen de trancher clairement cette question. Quoi qu’il en soit, le communisme n’est pas, chez Marx et Engels, le retour à un passé idéalisé, mais un « à-venir ». S’il faut résolument abandonner l’idée d’une histoire comme un progrès linéaire, il reste à définir ce que peut être le progrès historique.

Yvon Quiniou, comme il l’a fait en d’autres circonstances ne manque pas de souligner du renversement matérialiste opéré par Marx, un renversement qui serait scientifiquement confirmé par Darwin et par les neurosciences dans la lignée de Jean-Pierre Changeux. Toutefois, il rappelle que Marx met au premier plan la pratique (voir thèses sur Feuerbach) et que ce sont bien les hommes qui font l’histoire. C’est pourquoi le communisme doit être pensé comme une possibilité et non comme une nécessité qui le fera sortir du capitalisme comme le papillon sort de la chrysalide.

Les auteurs consacrent d’assez longs développements à ce qui empêche ce possible de se réaliser. Ils reviennent sur la question de l’aliénation et de tout ce qui constitue le malheur humain. Si Yvon Quiniou n’oublie pas d’intégrer Freud à sa réflexion, Nikos Foutas donne d’intéressants prolongements à la lecture de Lukács et surtout au Lukács théoricien de la réification dans Histoire et Conscience de classe. Ils insistent ainsi particulièrement sur la dimension morale du marxisme, sans laquelle il est privé de valeur.

Les auteurs n’esquivent pas les difficultés classiques du marxisme et notamment la question — rebattue — de la « dictature du prolétariat », Nikos Foutos faisant d’ailleurs remarquer que cette notion ne vient que rarement sous la plume de Marx et qu’elle est vraiment très peu thématisée. En tout cas, elle ne peut jamais s’interpréter comme la dictature sur le prolétariat, Quiniou rappelant que le communisme pour Marx est un état social dans lequel la liberté de chacun est la condition de la liberté de tous.

Les derniers chapitres sont plus directement embrayés sur les questions contemporaines. La mondialisation d’abord : ne rend-elle pas impossible toute expérience de passage au socialisme dans une nation moyenne comme la France ou faut-il envisager une révolution sur une plus large échelle ? Pour les auteurs, il n’y a pas de contradictions entre les deux approches. Ce dont je ne suis pas tout à fait certain. En ce qui concerne l’échec de l’Union soviétique, la position des auteurs est assez claire. Comme le dit Yvon Quiniou, « ce qui a échoué en Russie et dans les pays satellites de l’URSS qui n’ont fait qu’en reproduire le modèle, dans d’autres conditions meilleures pourtant, ce n’est pas le communisme ou le socialisme, mais sa caricature, son contresens théorico-pratique et on ne peut s’en réclamer sauf mauvaise foi ou ignorance, pour le déclarer en soi impossible. » En ce qui concerne la Chine (ils rattachent Cuba et le Vietnam à cette dernière), le jugement est beaucoup plus positif, soulignant tout de même les ambiguïtés et les contradictions qu’il y a à développer le capitalisme tout en réaffirmant l’objectif socialiste. L’idée que le parti unique, le PCC, est si gros qu’il est devenu en quelque sorte représentatif de la population chinoise et qu’il serait donc en quelque façon démocratique est défendue sans être convaincante. Les questions de l’écologie sont enfin abordées rapidement, en soulignant que trop souvent les mouvements écologistes mettent en cause l’activité humaine en général en omettant le fait qu’il s’agit du mode de production capitaliste.

Dans l’ensemble un ouvrage non dogmatique, qui rouvre des discussions théoriques et politiques qu’on ne voit plus très souvent aujourd’hui. Je partage sans barguigner l’ambition morale qui y est réaffirmée, je suis moins convaincu sur quelques autres aspects… Il me semble surtout qu’il faudra un jour faire un bilan historique de l’histoire du mouvement ouvrier (communiste, mais pas seulement !) et des raisons pour lesquelles la « révolution prolétarienne » n’a jamais paru aussi loin de nous qu’aujourd’hui.

Le 14 janvier 2023.

Denis Collin

jeudi 12 janvier 2023

Changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde

Christine de Suède et Descartes

Parmi les principes de ce qu’il appelle sa « morale par provision » (en attendant de pouvoir en construire une pleinement certaine), Descartes retient celui-ci : « tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde ». On y a vu à juste titre la marque du stoïcisme de Descartes, quoique notre grand philosophe ait aussi prétendu réconcilier les stoïciens et les épicuriens. Dans une lettre à Christine de Suède (20 novembre 1647), Descartes s’explique plus avant sur ses propres conception morales.  Ainsi il écrit :

On peut considérer la bonté de chaque chose en elle-même, sans la rapporter à autrui, auquel sens il est évident que c’est Dieu qui est le souverain bien, parce qu’il est incomparablement plus parfait que les créatures ; mais on peut aussi la rapporter à nous, en ce sens que je ne vois rien que nous devions estimer bien, sinon ce qui nous appartient en quelque façon, et qui est tel que c’est perfection pour nous de l’avoir. Ainsi les philosophes anciens, qui, n’étant point éclairés de la lumière de la Foi, ne savaient rien de la béatitude surnaturelle, ne considéraient que les biens que nous pouvons posséder en cette vie ; et c’était entre ceux-là qu’ils cherchaient lequel était le souverain, c'est-à-dire le principal et le plus grand.

Mais, afin que je le puisse déterminer, je considère que nous ne devons estimer biens, à notre égard, que ceux que nous possédons ou que nous avons le pouvoir d’acquérir. Et cela posé, il me semble que le souverain bien de tous les hommes ensemble est un amas ou un assemblage de tous les biens, tant de l’âme que du corps et de la fortune, qui peuvent être en quelques hommes ; mais que celui d’un chacun en particulier est toute autre chose, et qu’il ne consiste qu’en une ferme volonté de bien faire, et au contentement qu’elle produit. Dont la raison est que je ne remarque aucun autre bien qui me semble si grand ni qui soit entièrement au pouvoir de chacun. Car, pour les biens du corps et de la fortune, ils ne dépendent point absolument de nous ; et ceux de l’âme se rapportent tous à deux chefs, qui sont, l’un de connaître, l’autre de vouloir ce qui est bon ; mais la connaissance est souvent au delà de nos forces ; c’est pourquoi il ne reste que notre volonté, dont nous puissions absolument disposer. Et je ne vois point qu’il soit possible d’en disposer mieux, que si l’on a toujours une ferme et constante résolution de faire exactement toutes les choses que l’on jugera être les meilleures et d’employer toutes les forces de son esprit à les bien connaître. Et c’est en cela seul que consistent toutes les vertus ; c’est cela seul qui, à proprement parler, mérite de la louange et de la gloire ; enfin, c’est de cela seul que résulte toujours le plus grand et le plus solide contentement de la vie. Ainsi, j’estime que c’est en cela que consiste le souverain bien.

Et par ce moyen, je pense accorder les deux plus contraires et plus célèbres opinions des anciens, à savoir celle de Zénon, qui l’a mis en la vertu ou en l’honneur, et celle d’Épicure, qui l’a mis au contentement auquel il a donné le nom de volupté. Car, comme tous les vices ne viennent que de l’incertitude et de la faiblesse qui suit l’ignorance, et qui fait naître les repentirs ; ainsi la vertu ne consiste qu’en la résolution et la vigueur avec laquelle on se porte à faire les choses qu’on croit être bonnes, pourvu que cette vigueur ne vienne pas de l’opiniâtreté, mais de ce qu’on sait les avoir autant examinées, qu’on en a moralement le pouvoir. Et bien que ce qu’on fait alors puisse être mauvais, on est assuré néanmoins qu’on fait son devoir ; au lieu que si on exécute quelque action de vertu et que cependant on pense mal faire, ou bien qu’on néglige de savoir ce qu’il en est, on n’agit pas en homme vertueux. Pour ce qui est de l’honneur et de la louange, on les attribue souvent aux autres biens de la fortune, mais, parce que je m’assure que votre Majesté fait plus de sa vertu que de sa couronne, je ne craindrai point ici de dire qu’il ne me semble pas qu’il y ait rien que cette vertu qu’on ait juste raison de louer. Tous les autres méritent seulement d’être estimés, et non point d’être honorés ou loués, si ce n’est en tant qu’on présuppose qu’ils sont acquis ou obtenus de Dieu par le bon usage du libre arbitre. Car l’honneur et la louange est une espèce de récompense, et il n’y a rien que ce qui dépend de la volonté qu’on ait sujet de récompenser ou de punir.

Il me reste encore ici à prouver que c’est de ce bon usage du libre arbitre, que vient le plus grand et le plus solide contentement de la vie ; ce qui me semble n’être pas difficile, parce que, considérant avec soin en quoi consiste la volupté ou le plaisir, et généralement toutes les sortes de contentement qu’on peut avoir, je remarque, en premier lieu, qu’il n’y en a aucun qui ne soit entièrement en l’âme, bien que plusieurs dépendent du corps ; de même que c’est aussi l’âme qui voit, bien que ce soit par l’entremise des yeux. Puis je remarque qui puisse donner du contentement à l’âme, sinon l’opinion qu’elle a de posséder quelque bien, et que souvent cette opinion n’est en elle qu’une représentation fort confuse, et même que son union avec le corps est cause qu’elle se représente ordinairement certains biens incomparablement plus grands qu’ils ne sont ; mais que si elle connaissait distinctement leur juste valeur, son contentement serait toujours proportionné à la grandeur du bien dont il procéderait. Je remarque aussi que la grandeur d’un bien, à notre égard, ne doit pas seulement être mesurée par la valeur de la chose en quoi il consiste, mais principalement aussi par la façon dont il se rapporte à nous ; et qu’outre que le libre arbitre est de soi la chose la plus noble qui puisse être en nous, d’autant qu’il nous rend en quelque façon pareils à Dieu et semble nous exempter de lui être sujets, et que, par conséquent, son bon usage est le plus grand de tous les biens, il est aussi celui qui est le plus proprement nôtre et qui nous importe le plus, d’où il suit que ce n’est que de lui que nos plus grands contentements peuvent procéder. Aussi voit-on, par exemple, que le repos d’esprit et la satisfaction intérieure que ressentent en eux-mêmes ceux qui savent qu’ils ne manquent jamais à faire leur mieux, tant pour connaître le bien que pour l’acquérir, est un plaisir sans comparaison, plus doux, plus durable et plus solide que tous ceux qui viennent d’ailleurs.

La philosophie est, pour les philosophes depuis la Grèce antique, une discipline essentiellement pratique, c’est-à-dire qu’elle se propose de déterminer quel genre de vie doit choisir « le sage », l’homme qui veut vivre bien. La correspondance de Descartes avec la princesse Elisabeth ou avec Christine de Suède s’inscrit pleinement dans cette tradition. Il s’agit de déterminer en quoi réside le « souverain bien », le « summum bonum », ce bien que l’homme sage ou prudent place au-dessus de tous les autres biens, ce bien dont la possession suffit pour définir le bonheur. À la différence de ceux qui, les uns, font résider le bien dans le plaisir ou, les autres, dans la vertu, Descartes présente une hypothèse qui pourrait les mettre tous d’accord. Si on place le souverain dans la « ferme volonté de bien faire », alors on aura à la fois le plus grand des contentements et la réalisation des véritables vertus. Seront ainsi réconciliées les doctrines des épicuriens et des stoïciens et même celle des aristotéliciens.

En premier lieu, il s’agit de donner une définition générale du bien : un bien est quelque chose que nous possédons ou que nous pouvons posséder : « Je considère que nous ne devons estimer biens, à notre égard, que ceux que nous possédons ou que nous avons le pouvoir d’acquérir. » Ce premier point est aussi évident qu’essentiel. Comment pourrions-nous vivre heureux si nous devions passer notre vie à courir après des biens inaccessibles ? C’est ce que l’on a vu plus haut, sous une autre forme dans le Discours de la méthode, en énonçant la « troisième maxime » de la morale « par provision ». La citation, plus complète est plus éclairante :

tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde, et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible. (IIIe partie)

Maxime stoïcienne  comme on l’a dit, mais qui rejoint aussi ce précepte épicurien qui nous met en garde contre les « désirs vains », ce qu’on ne peut pas satisfaire et nous recommande de nous en tenir à ce qui est à notre portée.

En deuxième lieu, cette définition très générale n’épuise évidemment pas le sujet. « Il me semble », dit Descartes, c’est-à-dire si on se contente d’observer ce que les hommes considèrent comme le souverain bien, qu’on trouvera un « amas » de biens ou un assemblage de tous les biens « tant de l’âme que du corps et de la fortune » : être en bonne santé (un bien du corps), posséder de vastes connaissances (ce que peut posséder une âme) et de, surcroît être riche et honoré par ses concitoyens (un bien que seule la fortune peut procurer quand elle est bonne fortune), seuls quelques hommes le sont. Mais ce ne peut être un idéal que chacun puisse se donner. La santé du corps et la science ne sont pas données à tous. La fortune – cette capricieuse déesse romaine – les distribue sans raison particulière et sans que les mérites individuels y soient pour grand-chose. Tel qui mène une vie sobre et saine mourra fauché par une maladie ou un accident et tel autre, noceur surtout occupé aux plaisirs et à la débauche fera un gaillard centenaire. Descartes évidemment est tout prêt à admettre que l’on puisse souhaiter être honoré et en bonne santé, mais comme il s’agit d’un bien qu’on ne peut jamais être assuré de posséder, ce ne peut pas être le souverain bien.

Si on écarte les idées communes sur le souverain bien, alors, affirme Descartes, il ne reste plus qu’un seul bien qui soit à la fois au-dessus de tous les autres et facile à obtenir et à conserver : « une ferme volonté de bien faire » qui produit le « contentement ». Le souverain bien ainsi défini présente donc un double aspect : il réside dans un comportement (« ferme volonté de bien faire ») et dans son résultat (« contentement »). La formule réconcilie deux conceptions de l’éthique : celle qui juge l’action morale à son principe (ici la volonté de bien faire) et celle qui la juge à ses résultats (ici le contentement). Là encore, la première partie de la formule serait plutôt stoïcienne et la seconde plutôt épicurienne. Toujours ce syncrétisme dont Descartes se targue un peu plus loin dans la lettre à Christine : « Et par ce moyen, je pense accorder les deux plus contraires et plus célèbres opinions des anciens, à savoir celle de Zénon, qui l’a mis en la vertu ou en l’honneur, et celle d’Épicure, qui l’a mis au contentement auquel il a donné le nom de volupté. »

Descartes justifie maintenant cette affirmation. C’est là le souverain bien car, premièrement, aucun bien n’est aussi grand et aucun n’est aussi entièrement au pouvoir de chacun. Ce qu’une comparaison avec les biens de cet « amas » de biens qui désirent généralement les hommes permet d’établir aisément.

Commençons par le second aspect. Les biens du corps et de la fortune ne dépendent « point absolument de nous ». Absolument, cela veut dire en aucune manière. On peut évidemment suivre un bon régime, faire de l’exercice, etc., la santé et la vie ne sont pas pour autant garanties. Quant à la fortune, c’est par sa définition même qu’elle est indépendante de nous. Donc ces biens sont à peine des biens si l’on s’en tient à la définition donnée au début du texte.

Les biens de l’âme sont des biens réels puisqu'on peut les posséder, durablement et ils dépendent plus directement de notre liberté. Or ces biens doivent immédiatement être divisés en deux. Ceux qui relèvent de la connaissance et « vouloir ce qui est bon ». Descartes distingue clairement entendement et volonté. Mais la volonté peut être la volonté de mal faire, la volonté de dominer, de faire souffrir ou de se damner. Donc relativement au vouloir, on peut appeler « bien » seulement la « volonté de bien faire » ou encore la bonne volonté. Donc le souverain bien cartésien est un bien de l’âme. Pourquoi est-il le plus grand ? Descartes donne ici la réponse : « La connaissance est souvent au-delà de nos forces ». Notre entendement est fini et donc notre connaissance est toujours finie, étroitement bornée. Au contraire nous n’éprouvons jamais de limite à notre volonté. Notre volonté n’est certes pas toute-puissante. Et nous pouvons vouloir des choses qui ne se réaliseront pas, mais le vouloir lui-même ne rencontre aucune limite. Je ne suis pas assuré de toujours posséder la vérité en quelque chose, mais il m’est toujours possible de suspendre mon jugement, de refuser de donner mon assentiment à l’idée qui se présente à moi. Nous faisons donc directement, en nous-même et donc de manière absolument incontestable l’expérience de la supériorité de la volonté par rapport à l’entendement. Nous pouvons donc bien, comme le dit Descartes « absolument disposer » de notre volonté – même si nous ne disposons évidemment pas des résultats des actions dictées par cette volonté. Il n’est donc rien qui soit meilleur qu’une « ferme et constante résolution de faire exactement toutes les choses que l’on jugera être les meilleures et d’employer toutes les forces de son esprit à les bien connaître. » Certes, pour faire les choses les meilleures, il faut les connaître.  On peut se tromper, prendre pour une chose excellente ce qui se révélera catastrophique. Mais dès lors qu’on s’est efforcé de cerner ce qui est le meilleur, dès lors qu’on n’a été ni négligeant ni indifférent, dès lors qu’on a fait preuve de sa volonté de connaître le meilleur, on peut être assuré qu’on a fait le bien. « Fais ce que tu dois, advienne que pourra » dit l’adage que Kant reprendra à son compte : nous sommes comptables de nos engagements et non de leurs résultats.

Reste un dernier point à éclaircir : comment cette morale du devoir, cette morale qui pose au sommet de la hiérarchie des biens la bonne volonté, peut-elle encore se présenter comme une morale du bonheur ? Descartes reprend en fait – mais sur ce point Kant ne le suivra pas – la notion de bonheur moral. Le bonheur réside dans la pratique de la vertu et cette pratique de la vertu est aussi ce qui procure le plaisir (le contentement) le plus pur, une position que l’on trouvait déjà dans l’éthique aristotélicienne. En effet, la bonne volonté concentre toutes les vertus (celui qui n’agit qu’en vue de faire de son mieux, sera honnête, courageux, généreux, etc.) du même coup rend méritant – la vertu ne procure pas forcément les louanges ou la gloire (on peut être un vertueux ignoré) mais elle en rend digne celui qui la possède. Or, conclut Descartes, « de cela seul que résulte toujours le plus grand et le plus solide contentement de la vie. »

Il y a donc une morale du devoir qui est en même temps une morale du bonheur. Le bonheur le plus grand est celui qu’on trouve dans l’accomplissement du devoir. Il n’est pas la récompense du devoir accompli, la médaille remise au brave, car cette récompense ne dépend pas de nous mais de la fortune ! Le bonheur réside tout simplement dans l’accomplissement même du devoir, de la « volonté de toujours faire bien ». En ce sens il est un bien facile à posséder : il suffit de vouloir se bien conduire pour éprouver le contentement moral, ce qu’on appelle « la satisfaction du devoir accompli ».  Ainsi Descartes pourrait réconcilier non seulement Zénon et Épicure mais encore Aristote puisque cette union de la bonne volonté et du contentement apparaît bien comme un eudémonisme.

Pour autant, on ne peut pas être certain que le contentement résultant de l’accomplissement du devoir soit le plus grand des contentements possibles. Il est bien possible que la conception cartésienne du souverain bien soit d’un faible secours face à l’attrait des plaisirs égoïstes et même que le contentement et le devoir n’aillent pas toujours très bien ensemble. Il est même à craindre qu’une bonne volonté qui trouve du plaisir dans son accomplissement ne soit pas aussi bonne qu’elle pourrait le sembler. C’est la « dialectique de la raison pratique » qu’exposera Kant : la morale ne rend pas heureux et une action dont la recherche du bonheur est la cause n’est pas une action morale. Cette union du devoir et du bonheur peut aussi susciter le soupçon à l’encontre de la bonne conscience satisfaite. Le contentement qu’on éprouve à la contemplation de sa propre vertu n’est-il pas tout simplement la bonne vieille vanité, l’amour exagéré de soi-même.  Bref, on pourrait soumettre la morale de Descartes à la critique d’un La Rochefoucauld.

Le 12 janvier 2023

 

 

 

 

 

mardi 10 janvier 2023

L'homme qui se prend pour Dieu

La croyance dans LA science se porte bien. Les développements récents de l’IA (des machines passent le test de Turing) lui ont donné un nouvel élan. Mais ce n’est qu’une croyance, une opinion plus ou moins fondée, mais non pas une vérité et encore moins LA vérité. J’ai eu maintes fois l’occasion d’y revenir : LA science n’existe pas et la croyance en LA science est une expression aussi peu sensée qu’un cercle carré.


Nous, humains, avons développé, surtout au cours des derniers siècles, un ensemble de sciences et techniques visant à prédire avec exactitudes la survenue de certains phénomènes à partir de l’observation d’autres phénomènes. Ramener la diversité du réel à des lois mathématiques constantes, et en déduire les actions que l’on peut mener pour atteindre certains buts, c’est évidemment fantastique. Notre monde est devenu le produit de ces sciences et ces techniques qui découlent des propositions d’un certain Galileo Galilei, mathématicien et bricoleur, astronome et mécanicien, et bien d’autres choses encore. Ces sciences, formées dans le sillage de Galilée, sont des sciences de fait : elles s’occupent des faits observables et de rien d’autre. La mesure est l’alpha et l’oméga de ces sciences. Mais elles ne disent pas et ne peuvent pas dire ce qu’est la vérité ! Ce n’est pas leur objet, tout simplement. C’est parce que la mesure du « vent d’éther » dans l’expérience de Morley et Michelson échoue qu’il faut abandonner le vent d’éther et inventer une nouvelle théorie qui permettra de rendre compte de ces problèmes et de quelques autres par la même occasion. Einstein vint.

Tout cela atteste de la puissance de l’esprit humain. Mais ce que saisissent ces sciences, physique, chimie et dérivés, ce n’est qu’une mince couche du réel et non le réel. Et surtout ces sciences, de plus en plus, formulent des équations qui permettent de prédire des événements sans que nous soyons capables de définir leur sens physique. En fait, nous sommes souvent réduits à des formules magiques (big bang, énergie noire, sombre, grise ou je ne quoi encore), qui chantent à notre imagination, mais sont vraiment très proches de la magie des premières sociétés humaines.

Nous avons le plus grand mal à admettre qu’une partie du réel nous est à jamais inaccessible, alors que nous devrions méditer les leçons de Kant : n’est connaissable que ce qui peut être l’objet d’une expérience possible. Tout le reste n’est qu’illusion. Nous pouvons connaitre le cerveau, les neurones, toutes ces compositions de radicaux carbonés, mais jamais ces compositions de radicaux ne pourront dire ce qu’est la pensée qui n’est pas une combinaison de radicaux carbonés et que les composés carbonés sont des produits de la pensée. Après tout, nous ne voyons jamais ni notre visage ni notre crâne, nous n’en avons que des images (inversées qui plus est) ou des photos, des simulacres, mais jamais nous-mêmes en personne. Le petit malin qui prétend avoir découvert le siège de la conscience (par exemple) est un vantard qui affirme avoir vu son propre visage ou observé ses propres pensées dans son propre cerveau.

Le scientiste, celui qui croit en la science ou en LA science est un théologien. Plus qu’un théologien : non seulement il connait la réalité comme s’il était dieu (ou Dieu), comme s’il l’avait faite, mais il se prend pour Dieu. Méfiez-vous de lui, cet homme est dangereux.

Le 10 janvier 2023   

samedi 7 janvier 2023

Défense de l'anthropocentrisme

La nature n’existe que parce que l’homme existe ! Cette affirmation peut surprendre : la nature était là avant nous et sera encore là après nous, croit-on généralement. Peut-être serais-je devenu, à mon insu, un disciple de l’évêque Berkeley qui soutient que l’être n’est que l’être perçu ? Que nenni ! Ce que je mets en question, c’est l’idée de nature comme séparée et opposée à l’homme. Léo Strauss soutient à raison, selon moi, que l’idée de nature est une invention grecque, une invention corrélative à celle de la philosophie. Ce sont les philosophes grecs qui opposent la nature (physis) et la convention (nomos), la nature spontanée qui nait et meurt et la convention qui dépend de l’artifice humain. Suivre la nature, c’est alors refuser de suivre les conventions arbitraires des organisations humaines. Mais si utile pour la pensée qu’ait été cette séparation, elle n’est pas naturelle et procède d’un acte de la pensée.

La nature n’est pas hors de nous. Nous, nous sommes la nature devenue consciente d’elle-même ! Nous sommes « naturels ». Notre insatiable avidité, notre propension à peupler toute la surface de la Terre, à soumettre tout ce qui est à nos désirs et nos caprices, tout cela est parfaitement naturel, car cela découle de la nature humaine : bipédie, pas de poils, aptitude à la course à pied, gros cortex, capacité à utiliser un langage symbolique et pas seulement des signaux comme les abeilles, les marmottes ou les grands singes, bonne vue binoculaire, mais aussi naissance prématurée et inadaptation fondamentale à notre environnement. Quand on parle de défendre la nature, on ne devrait jamais oublier la défense de la nature humaine, à moins que penser qu’elle soit la seule qui n’a pas à être défendue et que l’être humain soit une abominable verrue qui défigure notre belle déesse Gaïa !

Quand on dénonce le point de vue anthropocentré (on trouve ça chez beaucoup d’écologistes), on ne voit pas bien ce qui est visé. Car, de la réalité, nous n’avons qu’un point de vue anthropocentré ! Sauf ceux qui se prennent pour Dieu, qui, lui, doit avoir un point de vue « théocentré », on ne peut pas avoir d’autre point de vue qu’anthropocentré ! Même ceux et surtout ceux qui essaient de penser la « nature sauvage » comme nature en dehors de l’homme, restent parfaitement anthropocentrés. Parler de la nature en dehors de l’homme, c’est encore la situer par rapport à l’homme, en donner une vision et un concept humains.

Nous ne pouvons pas séparer la nature de l’homme pour une autre raison : la nature est « le corps non organique de l’homme », comme le dit Marx (Manuscrits de 1844), ce que Merleau-Ponty reprend à son compte (voir son cours de 1956). L’homme nait, vit de la nature, meurt comme toutes les choses de la nature. Il y a, dit Marx, un métabolisme entre l’homme et la nature : nous respirons, nous restons cloués au sol, il nous faut boire et manger, nous protéger du froid, etc. Les échanges en l’homme et son environnement immédiat sont incessants et supposent une activité, une praxis, pour produire les vêtements, les maisons, la nourriture et bien d’autres choses encore.

En vérité, la nature n’existe pas. Ce n’est qu’une abstraction qui résulte de l’activité humaine — mais une abstraction peut être utile pour penser, à condition de ne pas l’hypostasier, d’en faire le fondement. Ce qui nous importe, de manière vitale, ce n’est pas « la nature », mais notre écoumène, le monde en tant que nous l’habitons, en tant que nous le façonnons pour le rendre non seulement habitable, mais aussi agréable et beau. Nous voulons préserver les paysages parce qu’ils sont beaux et pas encore salopés par ces éoliennes qui poussent comme des champignons sur nos plateaux de Bourgogne. Mais évidemment, il n’y a que des êtres humains qui peuvent trouver beau un paysage !

Le 7 janvier 2023

 

vendredi 6 janvier 2023

La cage d'acier

Max Weber avait deviné qu’une société qui ne fonctionne qu’à la rationalité instrumentale, au calcul et au contrôle devient une cage d’acier, emprisonnant les individus. C’est très exactement ce qui se produit chaque jour sous nos yeux. Une société de contrôle total — les stratégies anti-COVID et le « crédit social » en donnent un avant-goût. Le développement des réseaux et la disparition programmée du contact, de la présence réelle de l’autre estompent la différence entre l’homme et la machine. Les nouveaux programmes d’IA produisent des articles, des posts et des réponses aux questions qui ont un air parfaitement humain. Le contrôle de la diffusion des informations se raffermit et bientôt nous ne saurons plus que ce que le « système » tolérera. Les « vieux » s’en moquent un peu : ils seront morts quand tout cela sera « opérationnel », mais ils laisseront à leurs petits-enfants une société totalement inhumaine, une société où plus rien n’échappera à la réglementation et aux procédures.

Le capitaliste à gros cigare et chapeau haut de forme était un ennemi parfaitement identifiable. L’ennemi d’aujourd’hui est sans visage. Des personnages falots en tiennent lieu, répétant comme des perroquets les phrases toutes faites inventées par les spécialistes de la communication. La vérité ni le mensonge n’ont plus d’importance. Ne circulent plus que des signifiants vides, à l’instar des signes, suites de zéros et de uns, que manipulent les ordinateurs. On pense souvent que notre époque est celle d’un narcissisme exacerbé, une hypostase du « moi ». Ce n’était que l’entrée en matière, celle que dénonçait justement Christopher Lasch dans La culture du narcissisme. En réalité, il s’agissait surtout d’un enfermement du « moi » pour préparer son évidement progressif. Le « moi » cède la place à ses avatars informatiques. Le subjectivisme fou laisse la place à une « désubjectivation » radicale. Il n’y a plus de sujet possible puisque nous voilà réduits à l’état d’amas de neurones, à l’état de nuées d’atomes et la pensée ne diffère plus des signaux électriques qui allument nos écrans avec des phrases qui ne sont plus des phrases, mais de simples signaux, elles aussi.

Que nous reste-t-il ? Le pouvoir de dire non. Le refus de faire un pas de plus. Le pouvoir de dire non, même aux prétendues évidences, est la forme la plus rudimentaire de la liberté. La cage d’acier est celle que nous avons nous-mêmes construite. Les barreaux sont ceux que nous avons scellés. Nous n’avons pas besoin de faire des efforts surhumains pour les desceller. Il suffit de regarder la réalité en face, de cesser d’être fascinés par le progrès comme le lapin dans les phares de la voiture.

Le 6 janvier 2023

 

mardi 3 janvier 2023

Les classes sociales font-elles l'histoire?

« L’histoire de l’humanité jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes » : tout individu qui se pique d’un minimum de culture marxologique connaît cette phrase extraite du Manifeste. Faut-il en déduire que les classes sociales font l’histoire ? ou encore que c’est leur lutte qui fait l’histoire ?


En vérité, il n’en est rien. Car si l’histoire ne fait rien elle-même, comme le dit Marx dans la Sainte Famille, puisque l’histoire n’est rien d’autre que la succession des générations, les classes sociales non plus ne rien puisqu’elles ne sont rien d’autre que des êtres de pensée, des noms que nous donnons à un nombre suffisamment grand d’individus qui partagent suffisamment de propriétés communes. On a dit plus haut qu’il n’y avait pas chez Marx de théorie des classes sociales, celle-ci ayant toujours été remise à plus tard. Certes dans les analyses que Marx produit, notamment de la situation française entre 1848 et 1851, tous les mouvements politiques sont analysés en termes de classes sociales. Les individus, les partis, les journaux sont définis comme représentatifs de certains intérêts de classes, mais cela ne fait pourtant pas des classes, en tant que telles, des acteurs historiques.

Prenons l’exemple de l’analyse du bonapartisme. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte commence par une réflexion générale sur le lien entre l’histoire réelle et les représentations des hommes en train de faire cette histoire. Ce n’est évidemment pas un hasard : l’une des énigmes que Marx, tout au long de son œuvre, s’efforce de déchiffrer est celle des rapports entre les représentations spontanées que les hommes se font du monde et de leur propre activité et la réalité. C’est très exactement ce que Marx nomme « idéologie ». Ces questions sont posées de manière très précise dans le manuscrit de L’Idéologie allemande :

La structure sociale et l’État résultent constamment du processus vital d’individus déterminés ; mais de ces individus non point tels qu’ils peuvent s’apparaître dans leur propre représentation ou apparaître dans celle d’autrui, mais tels qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire, tels qu’ils œuvrent et produisent matériellement; donc tels qu’ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles déterminées et indépendantes de leur volonté.

La structure sociale n’est pas première, elle n’est pas la réalité, mais seulement l’hypostase d’une réalité qui a son origine ailleurs, dans « le processus vital d’individus déterminés ».

La difficulté vient de ceci : nous n’avons accès à la réalité humaine qu’à travers les paroles, les actions, les œuvres des acteurs eux-mêmes, qui sont autant de représentations de la réalité et non la réalité elle-même. La connaissance historique suppose donc que l’on comprenne 1° quelle est la structure réelle de la société, structure qui découle du processus vital des individus ; 2° comment cette structure réelle permet de comprendre les représentations que les acteurs s’en font ; et 3° quel effet ont ces représentations sur les actions des individus. On part des individus et on retourne à l’activité des individus qui se déterminent eux-mêmes, en dernier ressort.

On présente souvent la pensée de Marx comme un « déterminisme historique » qui laisserait peu de place à la liberté humaine, puisque le cours des évènements serait régi en dernière analyse par la dynamique des forces productives et des rapports de production, forces impersonnelles dont les individus ne seraient finalement que les jouets. Or, dans les premières lignes du chapitre I, Marx d’emblée réfute cette conception :

Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de leur plein gré, dans des circonstances librement choisies ; celles-ci, ils les trouvent au contraire toutes faites, données, héritage du passé.

Les hommes font leur propre histoire : ils ne sont donc pas des produits des circonstances. Ils sont d’abord des acteurs. Marx s’oppose au matérialisme classique, c’est-à-dire celui qui considère que la seule réalité est la réalité extérieure, celle que nous pouvons appréhender par l’usage des sens Certes, il ne soutient pas, contre ce matérialisme qui eût une si grande influence sur la philosophie du xviiie, l’existence d’une réalité suprasensible. Mais il critique une conception qui fait de l’homme un sujet passif, soumis aux forces extérieures. Or, pour Marx, il faut partir au contraire de l’activité humaine pratique comme réalité subjective. Par conséquent :

La doctrine matérialiste du changement des circonstances et de l’éducation oublie que les circonstances sont changées par les hommes et que l’éducateur doit lui-même être éduqué. (Thèses sur Feuerbach)

L’idéalisme ne vaut pas mieux que ce matérialisme, puisqu’il réduit la réalité à l’idée et transforme l’activité humaine en une simple manifestation du mouvement des idées.

L’histoire devient ainsi une simple histoire des idées prétendues, une histoire de revenants et de fantômes ; et l’histoire réelle, empirique, fondement de cette histoire fantomatique, est exploitée à seule fin de fournir les corps de ces fantômes et les noms destinés à les habiller d’une apparence de réalité. (Idéologie Allemande)

Il s’agit donc, pour Marx, de dépasser l’opposition entre l’idéalisme et ce matérialisme ancien pour fonder une nouvelle pensée : matérialiste en ce sens qu’elle doit s’en tenir à la réalité que nous avons sous les yeux, mais qui prend en même temps en compte comme objet premier les individus vivants, agissant, souffrant, et finalement donc se déterminant eux-mêmes, subjectivement. Faire des classes sociales des acteurs historiques, c’est retomber dans « l’histoire fantomatique » !

Toute l’analyse de Marx dans le 18 brumaire est d’ailleurs l’analyse des comportements des individus, de ce Louis Bonaparte, de ses partisans, de ses adversaires, de tous ces républicains bavards qui ont fini par lui faire la courte-échelle.  Ce n’est pas une histoire de fantômes, mais une histoire d’individus qui font leur propre histoire sans toujours savoir quelle histoire ils font. Citons encore ce passage de l’Idéologie allemande :

Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leurs représentations, de leurs idées, etc., mais les hommes réels, œuvrant, tels qu'ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives et du commerce qui leur correspond jusque dans ses formes les plus étendues. La conscience ne peut jamais être autre chose que l'être conscient…

L’idée de faire des classes sociales des choses, indépendantes du psychisme des individus est radicalement étrangère à l’esprit de Marx. Les individus qui portent les intérêts de telle ou telle classe sont d’abord des individus, avec leur propre façon de voir les choses, leur propre caractère et, si leurs pensées sont conditionnées par leur « appartenance de classe », elle n’est nullement déterminée. De Gaulle, par exemple, était typiquement un représentant de classe dominante, officier, membre du cabinet de Pétain au ministère de la guerre, mais il ne réagit pas à la défaite comme la majorité de « sa » classe ! L’histoire des débuts de la Résistance est l’histoire d’individus qui, chacun avec son propre parcours, vont se retrouver dans une lutte commune. Le républicain, radical, orienté à gauche qu’est Jean Moulin va prendre comme secrétaire un jeune homme issu de l’Action française, Daniel Cordier. Henri Frenay, issu lui aussi de l’extrême-droite va constituer un réseau important de la résistance avant de devenir député socialiste à la Libération. Des individus dont l’action va avoir une portée sociale, certes, mais des individus vivants. Dans « l’action de classe » par excellence qu’est la grève, il y a autant de positions que d’individus, ceux des ouvriers qui ne veulent pas faire grève, chacun avec des raisons différentes, et parfois tout simplement parce qu’ils sont contre la grève et pensent que les grévistes sont des fainéants, ceux qui adoptent une position modérée, les plus radicaux qui veulent tout casser, etc. La « ligne de classe », la « position de classe » ne sont jamais la ligne ni la position de la « classe ouvrière », mais seulement la ligne que le groupe dirigeant du parti ou du syndicat estime devoir être celle de tous à un moment donné. Mais il semble toujours plus efficace de subsumer tous les individus sous « la classe », de tous les ramener à une exemplification de cette abstraction qu’est la classe.

Vous qui entrez ici, gardez l'espérance...

On ne peut manquer d’être frappé par le paradoxe suivant : les classes moyennes supérieures théoriquement instruites ne cessent de prôner l’...