jeudi 15 novembre 2012

Sur les traces de Jean-Jacques Rousseau

J'ai eu l'occasion  de dire ici tout le bien que je pense du livre de Christophe Miqueu et Gabriel Galice, PENSER LA RÉPUBLIQUE, LA GUERRE ET LA PAIX, Sur les traces de Jean-Jacques Rousseau. Avec un sens du symbole qui n'échappera à personne, l'Académie de Dijon a décidé en cette année du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau de décerner son grand prix à Christophe Miqueu et Gabriel Galice. Je publie ici les discours des deux lauréats à l'occasion de la cérémonie qui s'est tenue le samedi 10 novembre à l'hôtel de ville de Dijon.




Discours de réception de Gabriel Galice
Lors de la remise du prix Rousseau 2012
Académie des Arts, Sciences et Belles- Lettres de Dijon
Samedi 10 novembre 2012


Monsieur le Sénateur Maire,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Président de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon,
Mesdames et Messieurs les Académiciens,
Mesdames. Messieurs, en vos titres et qualités,
Chers amis,

Ma gratitude est immense pour l’honneur et le bonheur que vous me prodiguez, Mesdames et Messieurs les Académiciens, en couronnant notre livre Penser la République, la guerre et la paix, sur les traces de Jean-Jacques Rousseau.

En 1750, votre Académie a couronné le discours de Jean-Jacques Rousseau sur les arts et les sciences. Sa prescience et la vôtre nous enseignent que La Toile, pour commode et rentable qu’elle soit, ne fait ni la  ni la félicité. De l’eau, depuis, a coulé dans l’Ouche mais certaines vérités sont indémodables précisément en ce qu’elles contournent le souci d’être à la mode.

Un mot latin de cinq lettres vient vous dire mon attachement à Jean-Jacques Rousseau : Liber. Ce mot veut dire livre et libre, et au pluriel, liberi, enfants[1]. Héritière de la latine, la langue française sépare d’une seule consonne l’adjectif libre du substantif livre. Autrefois libraires, nos  parents nous enseignèrent, à mes frères ici présents et à moi, les livres et la liberté.  

A 17 ans, élève au lycée Berthollet d’Annecy, Jean-Jacques est venu naturellement à moi, partager ma solitude, mes rêveries. Le Contrat social, le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité tombaient en plein mai 68. Je sortis de l’adolescence dans ce tumulte. Promeneur solitaire, j’allais devant le bassin mémorable surmonté de son buste, où Jean-Jacques rencontra pour la première fois Madame de Warens. J’aimais Jean-Jacques intime, j’admirais Rousseau penseur.

La commémoration du bicentenaire de sa mort, en 1978, allait m’associer à l’aventure collective du livre: Jean-Jacques Rousseau au présent édité par l’Association chambérienne des amis de Jean-Jacques Rousseau. J’avais 27 ans, j’étais coopérant « Volontaire du Service National Actif », enseignant l’économie politique à l’université de Constantine. J’avais du temps pour lire et méditer Rousseau et ses commentateurs marxistes, italiens et français.


Ma contribution s’intitule : « La démocratie, Rousseau, Marx et nous ». Permettez-moi d’en citer la conclusion, qui, à mes yeux, reste actuelle : « Rousseau et Marx, chacun à sa façon et à deux époques successives, nous ont fait progresser sur la voie de l’idéal démocratique. Ne leur demandons pas plus qu’ils ne peuvent donner. Les adorateurs d’idoles, les amateurs de certitudes et de vérités révélées, s’attacheront aux « modèles » sans comprendre que le « trésor » théorique des grands penseurs est dans le travail de la fable[2]. En l’occurrence, c’est d’un travail DANS et SUR l’Histoire dont il s’agit. (…) Comme certains morts nous sont proches, cependant que nous semblent morts tant de vivants. »

En 1979, je soutenais, à l’université de Grenoble ma thèse en études urbaines, avec Annecy pour champ d’étude. J’introduisais un chapitre par la citation du Contrat social : « La plupart prennent une ville pour une cité et un bourgeois pour un citoyen. Ils ne savent pas que les maisons font la ville mais que les citoyens font la cité. » Monsieur le Sénateur-Maire François Rebsamen n’en disconviendra pas.

La vie intellectuelle et politique des années 90 m’a conduit à m’interroger sur la question républicaine au travers de la problématique nationale. Avec Rousseau pour référence majeure (p.26, 34,101, 102), l’ouvrage Du Peuple- – essai sur le milieu national de peuples d’Europe, est publié à Lyon, ma ville natale, en 2002.

En 2007, j’étais directeur de l’Institut International de Recherches pour la Paix à Genève quand, tel Jean-Jacques parcourant Le Mercure de France en allant rendre visite à Diderot emprisonné au Donjon de Vincennes, je tombais sur un article de presse annonçant l’appel à projets de la Ville de Genève pour la commémoration du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau.  D’emblée, je formais le projet de pointer, en un colloque, la filiation intellectuelle sur la paix perpétuelle conduisant de l’Abbé de Saint-Pierre à Emmanuel Kant en passant par Jean-Jacques Rousseau. De la paix, Rousseau écrit : « Quoique ces deux mots de guerre et de paix paraissent exactement corrélatifs, le second renferme une signification beaucoup plus étendue, attendu qu’on peut interrompre et troubler la paix en plusieurs manières sans aller jusqu’à la guerre.[3] » Veuillez croire, Mesdames et Messieurs, que ce propos importe à un chercheur pour la paix, un irénologue en terme savant. Par le truchement de notre ami commun, Denis Collin, Christophe Miqueu vint cordialement m’épauler de sa compétence philosophique et républicaine. Notre projet fut sélectionné. Il apparut à Christophe et à moi que l’ambition d’un Rousseau pour tous, selon l’enseigne du programme de la Ville de Genève, s’accommodait mal d’un cénacle strictement universitaire. Nous décidâmes d’un livre à quatre mains pour nous adresser aux citoyens, aux lycéens, aux étudiants. Puis vint l’invitation de votre Académie à concourir. J’y vis un signe, Mesdames et Messieurs les Académiciens.

Le colloque s’est tenu du 27 au 29 avril à Genève, dans la villa Sarasin, du nom de l’illustre famille genevoise. Issue de réfugiés huguenots ayant fuit l’intolérance politique et religieuse de la monarchie française, la branche genevoise de la famille Sarasin croise Rousseau et sa famille. Jean Sarasin dit l’aîné (1693-1760), est le fils de Vincent Sarasin, qui courtisa en sa jeunesse Suzanne Bernard, celle-là même qui, plus tard, devenue Madame Rousseau, conçut avec Isaac le bébé Jean-Jacques. Quand notre philosophe forma, en 1754, le projet de réintégrer la foi calviniste, Jean Sarasin fut l’un des six enquêteurs nommés par le Consistoire. Le rapport fut favorable. N’oublions pas, Mesdames et Messieurs, que le quartaïeul  français de Jean-Jacques, Didier Rousseau, originaire de Montlhéry, marchand de vin, s’exila semblablement en Suisse en 1549 « pour cause de religion ». Il s’installa cabaretier à Genève, puis se mit à vendre…des livres. Les livres, encore les livres…la liberté, toujours la liberté…
                                                                                    
Mesdames et Messieurs les Académiciens, vous avez eu la mansuétude de passer sur les imperfections du livre ; de cela aussi, je vous sais gré. La couverture de notre ouvrage rend hommage à un Dijonnais célèbre aux initiés de l’art pictural, Bénigne Gagneraux, auteur du tableau « Le Génie de la paix arrêtant les chevaux de Mars ». Gagneraux reprend habilement le thème des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Un chercheur pour la paix ne pouvait manquer d’y être sensible. Le génie de Rousseau, lui aussi, pénètre la réalité sous-jacente des évidences obscures.

En nos temps de troubles moraux, intellectuels, politiques, les propos de Jean-Jacques raisonnent avec une vraie fraîcheur. Etat de guerre, volonté générale, économie tyrannique et économie populaire, empire et argent, inégalités, peuple, intérêt général : vocables précieux quand le mot « peuple » est devenu au mieux suspect, au pire indécent, à telle enseigne que les avocats du peuple ont tôt fait de passer pour d’infâmes « populistes », puisque c’est ainsi que tant d’oligarques qualifient les partisans du bien public, les artisans inlassables de la res publica qui ne sont pourtant pas tous, heureusement, d’ignobles démagogues. En cette période de prolifération des Diafoirus de l’économie, je vous offre, Mesdames et Messieurs,  une pensée humaniste de Jean-Jacques : «Il serait donc à propos de diviser l’économie publique en populaire et tyrannique. La première est celle de tout Etat, où règne entre le peuple et les chefs unité d’intérêt et de volonté ; l’autre existera nécessairement partout où le gouvernement et le peuple auront des intérêts différents, et par conséquent des volontés opposées. Les maximes de celles-ci sont inscrites au long des archives de l’histoire et dans les satyres de Machiavel. Les autres ne se trouvent que dans les écrits des philosophes qui osent réclamer les droits de l’humanité  Ce qu’il y a de plus nécessaire, et peut-être de plus difficile dans le gouvernement, c’est une intégrité sévère à rendre justice à tous et surtout à protéger le pauvre contre la tyrannie du riche. Si, dans chaque , ceux à qui le souverain commet le gouvernement des peuples en étaient les ennemis par état, ce ne serait pas la peine de rechercher ce qu’ils doivent faire pour les rendre heureux.[4]» Fils du peuple, du peuple cultivé, du peuple des citoyens de Genève, marchant à pied, Jean-Jacques a un point de vue plébéien, à hauteur d’homme ; ce n’est pas celui d’un gentilhomme roulant carrosse. Nombre de révolutions se sont réclamées de lui, sa République, nom donné à la liberté collective, est à venir. Qu’on ne se méprenne pas sur sa conception de la liberté, toute républicaine. Je le cite: « La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre.[5] »

Puisse votre Académie perdurer, continuer d’éclairer par le savoir, rendre durablement hommage à ce misanthrope ami du genre humain que fut Jean-Jacques Rousseau, qui préférait être homme à paradoxes qu’homme à préjugés.

L’adresse électronique de votre Académie est « acascia ». Cet arbre est réputé imputrescible, ce qui est exagéré d’un point de vue organique mais éloquent d’un point de vue symbolique. L’arbre nous ramène au livre, par l’étymologie et l’usage. Jean-Jacques Rousseau aimait la nature et la botanique.

Mesdames et Messieurs les Académiciens, merci de votre très fine compréhension de notre ouvrage,
Mesdames et Messieurs, chers famille et amis, merci d’être ici aujourd’hui,
Merci Christophe, pour ton précieux et chaleureux compagnonnage,
Jean-Jacques, homme libre, frère rebelle, maître exigeant, merci à toi.



[1] Emile Benvéniste explique les dérivations de la racine commune leudh- signifiant « croître, se développer », in Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Les éditions de minuit, Paris, 1969, vol.1, p.321-333. Le livre était d’abord fait de bois « croissant » gravé. En allemand, le mot das Buch, le livre, vient de die Buche le hêtre.
[2] La Fontaine, Le laboureur et ses enfants.
[3] Principes du droit de la guerre, B. Bernardi et G. Silvestrini, Vrin, 2008.
[4] Article « Economie politique », OC III, p.247.
[5] « Lettres écrites de la montagne », OC III, p.841

Discours de Christophe Miqueu
Discours de réception de Christophe Miqueu
Lors de la remise du prix 2012
Académie des Arts, Sciences et Belles- Lettres de Dijon
Samedi 10 novembre 2012


Monsieur le Sénateur-Maire,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Président de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres,
Mesdames et Messieurs les Académiciens,
Mesdames, Messieurs, chers collègues, parents et amis,


C’est un immense honneur et un très grand privilège pour moi d’être aujourd’hui, aux côtés de Gabriel Galice, récompensé par ce prix si prestigieux pour les philosophes et particulièrement pour les spécialistes de la philosophie des Lumières et de Rousseau. Le citoyen de Genève a en effet si fortement marqué de son empreinte ce prix à nos yeux que l’on ne peut venir le recevoir, et en remercier, humblement et chaleureusement l’ensemble des membres du jury, qu’avec le souvenir vivace de ce qu’apportait le Discours sur les sciences et les arts en 1750 : je veux parler de l’esprit des Lumières dans toute sa radicalité, de la volonté de progresser dans le raisonnement sans concéder d’espace aux habitudes de pensée, et surtout, avant tout, du désir de partager avec le plus grand nombre cette capacité de s’interroger, de douter en homme éclairé, avec pour seul étendard cet esprit critique, celui qui, dénué de pouvoir, a pourtant la puissance de s’extraire par la pensée de toutes les tutelles. « Sapere aude », « Ose savoir », « Aie le courage de comprendre » nous exhortait le philosophe de Königsberg, Emmanuel Kant, pour résumer la philosophie des Lumières. Qui mieux que le si décrié Rousseau a su montrer, au cours du siècle, cette autonomie de la pensée, y compris par rapport aux convenances de son époque, et ses conséquences en termes d’émancipation, aussi bien au plan individuel qu’au plan collectif ?

Car ce n’est pas à proprement parler la démarche généreuse de l’encyclopédisme que l’on trouve dans le discours primé de Rousseau, mais bien plutôt le désintéressement incarné par la figure de Fabricius, héros de la République romaine, et pour aller un peu plus loin la valorisation de la  et la primauté donnée à l’intérêt général, que l’on retrouvera douze ans plus tard au cœur de l’œuvre politique centrale, le Contrat social. Après la phase naturelle d’étonnement, de surprise, puis de joie et de partage collectif de la nouvelle, la première chose qui m’est venue à l’esprit lorsque j’ai appris que notre ouvrage était courronné, c’est précisément la force propre à l’Académie de Dijon de ne pas célébrer ce qu’une doctrine officielle applaudirait, mais bien ce qui donne à penser. Nous vous sommes immensément reconnaissants, chers membres du jury, Mesdames et Messieurs les Académiciens, de mettre ainsi au cœur de votre belle et grande institution, ce qu’on appelait à l’âge classique la liberté de philosopher. Je crois qu’avec cet ouvrage, Penser la République, la guerre et la paix sur les traces de Jean-Jacques Rousseau (Slatkine), Gabriel Galice et moi-même nous sommes efforcés de satisfaire cette exigence première en faisant œuvre de réflexion critique et en donnant à voir, non pas le Rousseau attendu, mais celui qui nous interroge car il interroge continûment son présent et le nôtre.

Ce Rousseau, nous le suivons en usant, dès les premères lignes, d’une boussole intellectuelle, nous menant vers deux directions convergentes : le républicain et le pacifiste. Nous ne cherchons donc pas le penseur d’une interprétation unique, tant sa philosophie prête à discussion. Nous trouvons néanmoins l’homme d’une synthèse philosophique, celle du républicanisme. Cette philosophie politique qui remonte à l’Antiquité met au premier plan le combat contre la domination et pour la liberté commune. Elle a été redécouverte depuis une quarantaine d’années par les historiens des idées que l’on associe habituellement à l’Ecole de Cambridge, et qui ont voulu montrer combien une longue tradition de la pensée politique, celle du vivere civile, a précédé l’invention et l’hégémonie progressive de la pensée libérale, et le rôle que cette tradition a joué, aussi bien dans la lutte contre toutes les formes de despotisme, que dans des expériences concrètes depuis Rome jusqu’aux révolutions américaines et françaises, en passant par Venise, Florence et d’autres cités italiennes, mais aussi l’Angleterre et les Provinces-Unies à l’âge classique, et bien sûr Genève.
C’est cette philosophie républicaine qui, depuis près d’une dizaine d’années, est devenue mon objet central d’enseignement, aujourd’hui à l’université Montesquieu – Bordeaux IV (IUFM d’Aquitaine), mais également mon principal objet de recherche, aujourd’hui dans le cadre du laboratoire SPH (Sciences, Philosophie, Humanités, EA 4574). J’ai déjà consacré à ce thème plusieurs articles et deux autres livres : tout d’abord le livre issu de ma thèse, Spinoza, Locke et l’idée de citoyenneté. Une génération républicaine à l’aube des Lumières, paru également cette année aux éditions Classiques Garnier et qui s’intéresse à cette génération de philosophes républicains modernes qui plus d’un demi-siècle avant l’auteur du Contrat social ont articulé le principe individualiste de la philosophie moderne avec les schèmes classiques de la pensée républicaine ; ensuite un livre collectif, co-dirigé avec celui qui présida mon jury de thèse, le professeur Jean Terrel, consacré à ce républicain anglais auteur de Oceana, James Harrington, qui près d’un siècle avant Rousseau, au cœur de la révolution anglaise, proposa un modèle de société républicaine adapté à la situation politique de ses contemporains et en rupture avec l’ancienne constitution (à paraître prochainement aux Presses Universitaires de Bordeaux).
Je souhaite souligner ici l’importance de mon ami et collègue Denis Collin, que je remercie de sa présence aujourd’hui, dans mon parcours d’enseignant et de chercheur. Il n’est pas simplement celui qui nous a mis en contact, Gabriel Galice et moi-même, afin de travailler, depuis 2010, sur cette année de commémoration du tricentenaire. Il est aussi celui qui a suivi, comme tuteur pédagogique, mes premiers pas d’enseignant, et mes premiers cours sur le Contrat social de Rousseau, auquel je concacrais un mémoire de fin d’année de formation il y a dix ans, puis un article dans la revue l’Enseignement philosophique en 2008, pour expliquer combien cette œuvre a des vertus pédagogiques pour « apprendre à philosopher » et faire « découvrir la citoyenneté » à nos élèves de classe de terminale. Il est surtout de ces philosophes contemporains, penseurs du politique, qui m’inspirent et nourrissent au quotidien ma réflexion. Son Comprendre Machiavel, son Cauchemar de Marx et surtout son Revive la Républiqueont en particulier alimenté cette tension vers la République sociale, que nous retrouvons chez Rousseau, contempteur de la confusion des intérêts privés et de l’intérêt général, critique des oligarques et de la logique du profit. La République ne peut se contenter d’une paix d’apparence, qui nous réduit à l’état de « bête brute » au lieu de rendre possible « une vie humaine », comme le disait un des grands prédécesseurs de Rousseau, le philosophe des Lumières radicales Spinoza. Une vie humaine est celle qui demande bien plus que la simple « circulation du sang », car elle pose comme exigence une existence décente, digne d’être vécue. Comme Spinoza, Rousseau pense que la République ne peut négliger la question sociale si elle tient à marcher sur ses deux jambes. L’égalité formelle des citoyens est en permanence instable si la société qui l'établit laisse se répandre une inégalité insuportable des conditions. C’est ce caractère subversif, et ses échos pour notre monde contemporain, que nous avons notamment tenté de retrouver au cœur de ce livre.

Mais si la paix est bien plus que l’absence de guerre, c’est aussi parce qu’elle est une construction politique longue qui n’est pas affaire simple. La guerre vise la destruction du contrat social républicain, elle se nourrit du conflit des intérêts privés et de l’expansion immodérée des ambitions. Intérêt particulier et intérêt général ne font pas, là aussi, bon ménage. Si l’on veut l’un, on ne peut le combiner avec l’autre. Si l’on veut la paix, on ne peut laisser les motifs de conflits entre intérêts personnels gouverner. L’attention de Rousseau à l’égard de la question européenne est alors des plus singulières pour son époque, mais également des plus avant-gardistes pour la nôtre aujourd’hui. Sa méfiance s’inscrit dans la nécessité de penser la solidarité d’un peuple, et la fraternité au sein d’une République, au lieu de laisser place aux déclamations hypocrites de ceux qui n’ont d’autre patrie que leur propre personne et « se vantent d’aimer tout le monde pour avoir le droit de n’aimer personne » (Manuscrit de Genève). Une assocation européenne qui irait à l’encontre des peuples serait bel et bien une contradiction dans les termes. Toute recherche de paix qui se ferait au détriment du plus grand nombre serait vouée à la perpétuation de la guerre. La paix est une œuvre politique de longue haleine qui n’admet pas l’approximation ou l’amateurisme, et qui doit intégrer la claire conscience des objectifs collectifs à atteindre. La  républicaine, celle de la  des citoyens, est sans doute le noyau de base pour toute association internationale, et c’est bien dans une articulation des peuples souverains que se comprend l’idée de coopération politique, économique et sociale. Nous avons pu développer de manière plus ample et détaillée ces questions lors du colloque « Rousseau, la République, la paix », que nous coorganisions, Gabriel Galice et moi-même, avec le soutien de la ville de Genève, du 27 au 29 avril 2012. Les actes de cette rencontre pluridisciplinaire et internationale devraient paraître d’ici quelques mois aux éditions Honoré Champion.

Enfin, cet ouvrage, s’il définit une orientation interprétative qui donne à penser et permet le débat, n’en est pas moins porteur d’une méthode. Et celle qui nous est chevillée au corps est de rendre populaire la philosophie. De ce point de vue, notre livre est celui de deux rousseauphiles plus que celui de deux rousseaulogues. Comme Gabriel et moi le répétons souvent lors de nos présentations, ce livre n’aspire pas à donner une interprétation de l’ensemble de la philosophie de Rousseau. Se présentant plutôt comme une introduction à sa pensée républicaine pacifiste, il ambitionne, plus modestement et démocratiquement, de permettre l’accès à ses textes politiques et à leur actualité pour le plus grand nombre de nos concitoyens. Cette dimension civique, d’utilité publique, a vraiment été au cœur du processus d’écriture à quatre mains. Je soulignerai donc pour finir le plaisir immense qu’a été pour moi cette expérience de travail en duo avec cet objectif premier en tête. L’harmonie intellectuelle est rare dans nos domaines de recherche, elle a ici véritablement existé. Partageant les mêmes principes et la même finalité, nous avons, de manière tout à fait complémentaire, rédigé ces six chemins parcourant une partie de l’univers de Rousseau, mais aussi cette terminologie empruntant des citations de l'auteur et un ensemble de repères chronologiques facilitant ainsi le partage public de sa pensée.

Mes derniers mots iront pour ceux qui ont accompagné ce travail : nous n’étions pas que deux à travailler, car autour de ce livre, il y a eu notre participation au programme de la ville de Genève « 2012 – Rousseau pour tous », grâce au GIPRI, support institutionnel essentiel et dont Gabriel Galice est le vice-président, et à ceux qui travaillent dans cette Fondation qui par son engagement joue un rôle majeur d’éducation populaire. C’est aussi de cela dont nous pouvons être fiers, d’avoir contribué par ce livre au projet d’un intellectuel collectif, se reconnaissant dans des principes communs et visant ce bel objectif de rendre la philosophie politique de Rousseau populaire.

jeudi 1 novembre 2012

La crise de l’humanité




[Abstract : The current crisis is not simply an economic crisis. It is a global crisis that affects all aspects of human life on a worldwide scale. The system based on the unlimited accumulation of capital can no longer be perpetuated without threaten civilization itself. In this sense, it is a crisis of mankind, much more than an economic crisis. The resumption of marxians key concepts allows us to understand its seriousness and depth.] 
Depuis le début de la crise des « subprimes », en 2007, la fragilité du système financier mondial est patente. Mais on aurait tort de n’y voir qu’un avatar de la bonne vieille crise économique pour laquelle nous disposons d’une pléthore d’analyses. Précisément, il ne s’agit pas d’économie, ou pas seulement. Pour en comprendre les ressorts et la profondeur, il faut passer par la critique de l’économie politique, c’est-à-dire par Marx. De là, on pourra saisir qu’il ne s’agit que d’une manifestation d’une crise globale des rapports de production fondés sur la marchandise et l’accumulation du capital, une crise qui englobe tous les aspects de la vie et pose la question même de la survie de l’humanité dans le siècle qui vient.

La fièvre spéculative

De nombreux auteurs analysent la crise actuelle du mode de production capitaliste comme la crise de la financiarisation de l’économie qui a suivi la phase des trois décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale, une phase qui prend fin, officiellement, par la déclaration Nixon du 15 août 1971, annonçant la fin du système monétaire international de Bretton Wood avec la non convertibilité du dollar en or. C’est évidemment une question importante dans la compréhension de la réalité actuelle mais à condition d’en comprendre la portée plus globale.
Les crises financières font partie de la marche normale du mode de production capitaliste depuis qu’il existe. On en trouve par exemple une description saisissante dans le roman d’Émile Zola, L’argent. Mais jusqu’à présent la fièvre spéculative apparaissait comme un état maladif du mode de production capitaliste que la crise venait purger. La spéculation financière aujourd’hui n’est plus ni passagère ni limitée à la couche supérieure du capitalisme, elle tend à devenir son mode de fonctionnement normal ; toute la production lui est soumise et n’existe plus que comme une variante des placements financiers possibles. Comme, progressivement, toutes les frontières prudentielles ont sauté, tout le monde peut spéculer. Les banques de dépôt sollicitent leurs clients, même les plus modestes pour qu’ils se lancent dans le grand jeu de la spéculation. Les hypermarchés vendent de l’assurance et des placements financiers. La libéralisation et la mondialisation qui se sont développées simultanément, se renforçant l’une l’autre, de la fin des années 70 jusqu’à aujourd’hui, ont été les moyens de cette expansion et de cette domination de la sphère financière sur l’ensemble de l’économie.
En août 1971, Richard Nixon ouvrait une nouvelle période en déclarant le dollar inconvertible en or. Jusque là, la monnaie américaine fonctionnait comme monnaie internationale parce qu’elle était censée être « as good as gold » : une once d’or était représentée par 35 dollars. A partir de la déclaration Nixon, le dollar n’est plus qu’une « monnaie de papier » à cours forcé. La crise du SMI va ouvrir la voie à la spéculation financière avec la mise en place à la fin des années 70 du régime des changes flottants, avec la démonétisation de l’or et le développement des opérations sur les eurodollars, dollars détenus par les banques européennes, principalement anglaises ou soviétiques.
Ces événements vont conduire les États à changer leur politique économique et à abandonner les principes de régulation qui marquaient la période antérieure. Paul Volcker, le directeur de la Fed américaine va impulser le tournant monétariste qui trouvera son expression politique dans les « Reaganomics » et dans la politique de Mrs Thatcher. Ce qui dominera ces politiques, mises en œuvre par les États les plus puissants ­qui ont donc montré, de ce point de vue, l’efficacité du politique sur l’économique ­ c’est la déréglementation financière : notamment, sont progressivement supprimés tous les cloisonnements existant entre les divers types d’établissements bancaires et financiers, cloisonnements qui avaient été mis en place après la crise de 1929 pour prévenir un nouveau krach.
Ensuite, du fait même de l’instabilité que crée le système des changes flottants et la déréglementation en cours, vont se multiplier les produits dérivés, notamment tous les produits qui permettent de se garantir contre les risques à terme. Enfin, et conformément aux dogmes monétaristes, la seule régulation subsistante, sera la régulation par la masse monétaire et par la politique des taux d’intérêt élevés. Ainsi, alors que la période précédente était marquée par des taux faibles et parfois même négatifs (compte tenu de l’inflation), la nouvelle période sera une période de taux réels élevés, atteignant 6% sur certaines périodes, ce qui, pratiquement, ne s’était jamais vu dans toute l’histoire du capitalisme. Le capital porteur d’intérêt saigne à blanc l’économie « réelle » tout entière.
Cette nouvelle phase du mode de production capitaliste semble avoir tétanisé l’opinion et les experts de la gauche traditionnelle ; grâce à la théorie keynésienne, ils s’étaient trouvé un corpus théorique alternatif au corpus marxiste. En déréglant les conditions de fonctionnement du mode de production capitaliste, la phase monétariste/dérégulatrice qui s’ouvre à la fin des années 70 sape à la base l’édifice de la politique social-démocrate. L’idée que les intérêts des travailleurs et les intérêts des capitalistes puissent être réconciliés à long terme, dans un mode d’accumulation fondé sur le partage des gains de productivité, est désormais privée de toute base sérieuse.
La constitution d’un marché financier unifié à l’échelle du monde n’est pas mystérieuse. Elle correspond au développement du « capital fictif » dont les titres d’emprunt d’État constituent la forme la plus achevée. Le capital financier peut se diviser en deux catégories qu’on confond habituellement et qui, néanmoins, sont, quant à leur nature, radicalement différentes :
1. les emprunts à moyen et long terme qui financent des investissements productifs et dont l’intérêt qu’ils rapportent n’est au fond qu’un prélèvement sur la plus-value produite dans le procès de production.
2. le capital « fictif » qui est représenté par les créances échangeables contre des engagements futurs de trésorerie dont la valeur est entièrement dérivée de la capitalisation de revenus anticipés sans contrepartie directe en capital productif.
Suivons un moment le raisonnement de Marx. « La forme du capital productif d’intérêt fait que tout revenu monétaire déterminé et régulier semble être l’intérêt d’un capital, qu’il provienne ou non d’un capital. »[1] Le « capital fictif » se fonde sur une opération intellectuelle rétrospective, qui suppose une inversion des moyens et des fins, opération propre au processus de production des représentations idéologiques. « Le revenu monétaire est d’abord transformé en intérêt, et, à partir de là, on trouve également le capital qui en est la source. » Marx se contente ici de décrire le fonctionnement concret du mode de production capitaliste. Ainsi le prix de vente d’un bien immobilier est-il calculé en considérant que ce bien est un capital portant intérêt, ce dernier étant représenté par le loyer. Mais ce processus a une conséquence importante : « toute somme de valeur apparaît comme capital, dès lors qu’elle n’est pas dépensée comme revenu ; elle apparaît comme somme principale par contraste avec l’intérêt possible ou réel qu’elle est à même de produire. »[2]
L’exemple de la dette de l’État est particulièrement éclairant quant aux conséquences de ce processus : « L’État doit payer chaque année, à ses créanciers une certaine somme d’intérêts pour le capital emprunté. Dans ce cas le créancier ne peut pas résilier son prêt, mais il peut vendre sa créance, le titre qui lui en assure la propriété. Le capital lui-même a été consommé, dépensé par l’État. Il n’existe plus. »[3] Ce que possède le créancier, c’est (1) un titre de propriété, (2) ce qui en découle, savoir un droit à un prélèvement annuel sur le produit des impôts, et (3) le droit de vendre ce titre. « Mais dans tous ces cas, le capital qui est censé produire un rejeton (intérêt), le versement de l’État, est un capital illusoire, fictif. C’est que la somme prêtée à l’État, non seulement n’existe plus, mais elle n’a jamais été destinée à être dépensée comme capital. »[4] Pour le créancier, prêter de l’argent à l’État pour obtenir une part du produit de l’impôt ou prêter de l’argent à industriel moyen intérêt ou encore acheter des actions en vue de toucher des dividendes, ce sont des opérations équivalentes. « Mais le capital de la dette publique n’en est pas moins purement fictif, et le jour où les obligations deviennent invendables, c’en est fini même de l’apparence de ce capital. » C’est précisément ce qui produit avec la crise de la dette de la Grèce, de l’Espagne ou du Portugal. Et c’est ce qu’enregistrent les agences de notation en dégradant la note de ces dettes souveraines.
Mais la dette publique n’est pas la seule forme de capital fictif. Le « capital monétaire fictif » comprend toutes les variétés de titres monétaires portant intérêt dans la mesure où ils circulent à la Bourse ainsi que les actions. Il faut ajouter les multiples « nouveaux produits financiers » qui tous, sous une forme ou sous une autre, visent à « titriser » le crédit et à faire circuler les titres de créance comme du capital. Dans cette catégorie, on doit évidemment faire entrer les « produits à haut risque », tels les junk bonds, obligations d’un rapport élevé dans la mesure où elles sont assises sur des créances douteuses. Les « subprimes » à l’évidence faisaient partie de ces crédits « pourris ». Plus généralement la « prospérité » immobilière de l’Espagne et du Portugal reposait sur les mêmes bases, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que les maisons ne trouveront plus d’acheteurs ou que les acheteurs se trouvent dans l’impossibilité de rembourser les crédits.
Alors que l’allusion faite par Marx à la monnaie de crédit comme capital fictif concernait uniquement la monnaie fiduciaire non couverte par les réserves d’or, aujourd’hui nous opérons exclusivement avec de la monnaie sous cette forme. Et par conséquent, c’est la monnaie elle-même qui doit être considérée en tant que « forme du capital fictif ». Des milliers de milliards de dollars, comptabilisés comme de la richesse réelle, se déplacent d’une place financière à l’autre sans trouver d’emploi à un niveau de rentabilité suffisant.  
C’est la dynamique même du mode de production capitaliste, telle que Marx l’a analysée, qui tend à cette « financiarisation » de l’économie. Il ne s’agit donc pas d’un accident ou d’une mauvaise politique des managers capitalistes, mais d’une tendance lourde, immanente à ce rapport social qu’est le capital. Le parasitisme croissant de cette « économie politique du rentier » (pour reprendre l’expression de Boukharine[5]) ainsi que l’effacement progressif de la distinction entre les affaires saines et les affaires frauduleuses sont les conséquences inéluctables de ces processus qui affectent les fondements mêmes de l’économie. Que les mafias aient joué un rôle central dans l’introduction du capitalisme en Europe de l’Est et en URSS, ce n’est pas simplement un trait contingent, un résultat de l’histoire spécifique de certains pays (la mafia est loin d’être spécialité sicilienne !), mais une des dimensions essentielles du capitalisme dans son ensemble. Il suffit, pour s’en convaincre, de connaître les revenus fabuleux du commerce de la drogue, et plus généralement de toutes les affaires illicites, lesquels revenus sont ensuite recyclés dans l’économie « saine ». Le développement de la sphère financière tend à devenir incontrôlé.
Le marché financier concerne les opérations de financement de l’activité des entreprises (emprunts auprès des banques, émission d’obligations, etc.). Le marché des changes concentre la spéculation sur les monnaies. Enfin le marché des produits dérivés qui progressivement submergé toute la sphère financière est ce marché des options dont parle Galbraith à propos des terrains en Floride[6]. On voit que les transactions qui concernent « l’économie réelle » ne représentent qu’une faible part des marchés financiers (guère plus de 2%) : lever des fonds pour construire une nouvelle usine, payer des brevets ou acheter de nouvelles machines, visiblement ce n’est plus ce qui occupe le capitalisme du troisième millénaire. Ce qui est encore plus frappant, c’est l’extraordinaire croissance des marchés dérivés. Or ces marchés correspondent essentiellement à des opérations de « couverture » : une entreprise qui prévoit d’acheter une certaine quantité de matière première dans trois mois peut se prémunir contre une hausse des prix en posant une option auprès d’un intermédiaire qui s’engage à lui fournir la quantité de marchandise demandée au prix demandé. Si à la date J+3 mois, le prix des matières premières a baissé, l’intermédiaire empoche le bénéfice ; si le prix est celui prévu il se contentera d’une commission et si les matières premières ont monté il en sera de sa poche. C’est en fait un marché de l’assurance des opérations d’achat et vente sur les marchés réels ou sur les marchés des transactions financières. Il est pour le moins curieux de voir que c’est au moment même où les idéologiques vantent le risque au nom de la fluidité des marchés que se développe de manière totalement incontrôlée ce marché de l’assurance sur les aléas du capitalisme.
Ces montants ne correspondent évidemment pas à des richesses réelles. Si je passe la journée à échanger des billets de 10 euros contre leur équivalent en dollars avec mon ami, à la fin de la journée nous aurons éventuellement un montant cumulé de transactions tout à fait fabuleux mais il ne se sera rien passé sinon éventuellement des pertes et des gains d’un côté ou de l’autre. Mais cette richesse fictive a des effets bien réels, même s’ils ne sont que limités dans le temps et elle donne un pouvoir d’agir et de disposer du surplus social. Car ces marchés dérivés ne créent bien sûr aucune richesse nouvelle – leurs défenseurs les plus charitables peuvent éventuellement concéder qu’ils facilitent la prise de risque et donc la création de richesses – et ne vivent que des ponctions qu’ils opèrent sur la plus-value globale.
Cette financiarisation générale du capital n’est pas seulement une source d’injustice croissante, poussant les inégalités sociales et les inégalités entre les diverses nations à un point qui n’avait encore sans doute jamais été atteint au cours de l’histoire. La frénésie qui règne sur les marchés, l’impossibilité où se trouvent les décideurs de calculer sur un terme un tant soit peu long semblent compromettre toute tentative visant à favoriser la stabilité macro-économique minimale exigée par l’accumulation.
Il faut, cependant, ne pas se laisser prendre aux descriptions qui mettent l’accent sur la spéculation et qui font de l’économie actuelle une économie purement parasitaire. Le parasitisme ne peut se développer qu’à la condition qu’il y ait un corps vivant à parasiter. La spéculation n’est possible que si le corps vivant de l’économie réelle le permet. Michel Husson fait remarquer que « les discours sur l’économie-casino fournissent des descriptions utiles et des critiques opérationnelles, mais qui ne vont pas suffisamment à la racine des choses. La limite principale de bien des approches, même celles qui se veulent critiques, est de ne pas rompre avec un certain fétichisme de la finance. »[7]
Ce discours, en effet, conduit à prendre les signes de la richesse pour la richesse réelle, les grandeurs virtuelles, de confondre, par exemple, la somme des transactions, généralement électroniques, effectuées en une journée sur l’ensemble des places financières qui opèrent en continu, les places occidentales prenant le relais de Hongkong et Singapour, ­ et les grandeurs réelles, ­ les échanges d’automobiles, d’ordinateurs, de blé et de chaussures de sport. C’est précisément dans ce genre de fantasmagorie que tombent fréquemment les apologistes fanatiques des réseaux, de la mondialisation, et de la manipulation des symboles remplaçant la manipulation des choses, de la réalité virtuelle supplantant la réalité matérielle et autres sornettes de la même farine.
La financiarisation de l’économie ne constitue pas une augmentation de la richesse réelle globale, mais un gigantesque transfert de richesses des salariés ­ soit directement sous forme de baisse des salaires, soit indirectement par la mise au chômage d’une partie des salariés et l’aggravation de l’exploitation de ceux qui ont la chance d’avoir encore un travail,­ vers la classe capitaliste au sens large, incluant une partie des classes moyennes qui vit directement ou indirectement de cette financiarisation, par les rentes qu’elle procure qui peuvent assez vite être substantielle, ou par les métiers liés à cette explosion des marchés financiers, ou encore par le développement des activités parasitaires liées à la communication, la publicité, etc..
Les États, loin d’être les victimes d’une mondialisation financière qu’ils ne maîtriseraient pas, en sont au contraire des acteurs majeurs. Leur endettement, qui paraît catastrophique au contribuable, est au contraire une bénédiction pour le spéculateur. Car c’est la dette publique qui va être l’un des principaux leviers permettant ce transfert de revenu de la classe ouvrière vers la rente financière. En effet, la financiarisation du monde, c’est d’abord un essor spectaculaire des opérations sur les titres de la dette publique. Entre 1980 et 1993, on passe, aux États-Unis d’une moyenne journalière de 13,8 milliards de dollars à 119,6 milliards de dollars ; en France, pour la période 1986/1993, on passe de 200 millions de dollars à 13,7 milliards. La crise de la zone euro, avec la catastrophe grecque n’est que le couronnement de ce processus. Pour éviter l’effondrement de tout le système financier, les pays de la zone euro ont garanti les banques et pris à leur charge la faillite virtuelle de ces institutions financières. Ainsi pendant que les États remboursent la dette à des taux très élevés, la banque centrale européenne refinance les banques à 0% et parfois même à des taux négatifs, et les banques peuvent ensuite refinancer à taux fort (5 ou 6%) les États endettés.
Les taux d’intérêts élevés rendent particulièrement intéressants les placements financiers, singulièrement dans les emprunts d’État, bons du trésor, etc. et en même temps ils augmentent la dette publique, puisque, en raison de ces taux d’intérêts, le service de la dette occupe une part croissante dans les budgets publics. Du même coup, les besoins de financement des États augmentent ce qui tire les taux d’intérêt vers le haut. C’est ce mécanisme infernal que mettent en œuvre les fameux « critères de Maastricht » qui semblent avoir été taillés sur mesure pour les besoins de la spéculation. Le mécanisme européen de stabilisation complété par la règle d’or fixe à 3% du PIB le déficit maximum des comptes publics et vise à imposer le contrôle de la bureaucratie européiste sur les budgets de tous les États. Ce qui a pour premier effet de plonger les nations dans la dépression économique. Plus on oblige la Grèce à rembourser sa dette, sous les coups de fouets de la troïka (UE, FMI, Banque européenne) et plus la Grèce se trouve dans l’incapacité de rembourser sa dette. Ayant pratiquement divisé les salaires des fonctionnaires par deux et taillé dans les pensions, ayant jeté à la rue des centaines de milliers de travailleurs, dépecé le système de santé, la Grèce sera sans doute en faillite irrémédiable dans quelques mois
Pendant longtemps les économistes néolibéraux ont justifié la hausse des taux d’intérêt par le manque de capitaux disponibles et la nécessité de relancer l’épargne. La preuve indirecte que les taux d’intérêt élevés n’ont été que le moyen d’un transfert de revenu d’une classe vers une autre est donnée par le fait que, contrairement à ce que prédisait le dogme, le taux d’épargne n’a cessé de baisser alors que les taux montaient.
Des auteurs peu connus pour leur marxiste échevelé comme Joseph Stiglitz proclament la « fin du néolibéralisme. » Après les recettes keynésiennes de politiques contra-cycliques, les politiques dites néolibérales sont à leur tour épuisées. On commence – timidement – à reparler de régulation étatique. L’OMC ne fonctionne plus qu’en hoquetant. L’optimisme débridé a laissé la place à l’inquiétude. Mais ce nouveau changement de phase n’est pas l’annonce d’une mutation radicale. Ceux qui avaient jugé opportun d’échanger l’anticapitalisme pour l’antilibéralisme risquent fort de se retrouver dans une situation inconfortable si nous nous dirigeons vers un capitalisme autoritaire à forte intervention étatique en vue de mater par avance toute résistance populaire. À Berlin comme à New York, on se demande comment on pourrait se débarrasser de la démocratie.

La question de la valeur

Les théoriciens de la « Wertcritik » (critique de la valeur), comme Robert Kurz, Anselm Jappe ou Moishe Postone, proposent une explication globale qui fait sur le noyau théorique de la pensée de Marx, la critique de la valeur. La question de la valeur occupe la première section du Capital, une section qu’Althusser et ses disciples jugèrent obscure et contaminée par les scories du hégélianisme. C’est pourtant là que se noue la critique marxienne de l’économie politique. Le mode de production capitaliste ne produit pas des richesses, c’est-à-dire des valeurs d’usage, il a pour moteur la production de la valeur dont le corollaire est la transformation du travail en travail abstrait. La contradiction fondamentale est la suivante : dans le mode de production capitaliste, la richesse s’identifie à la valeur et la grandeur de la valeur est « seulement fonction de la dépense de travail en tant que mesurée par une variable indépendante (le temps abstrait) »[8]. Or la dynamique de la production de la valeur pousse à l’augmentation de la productivité du travail (ce que Marx analyse comme plus-value – ou survaleur – relative). Mais au final, l’augmentation de la productivité, si elle procure un avantage temporaire à la fraction du capital qui en bénéficie, n’augmente pas la valeur. Si on produit deux fois plus de toile en une heure, la valeur du mètre de toile a tout simplement diminué de moitié ! Il suffit d’ailleurs, soit dit en passant, de partir de là pour comprendre le fond de l’actuelle crise de mode de production capitaliste, ce qui évitera de passer son temps à courir après des fantômes, la spéculation, les spéculateurs, les « subprimes », etc., tour à tour mis en cause comme responsables de la crise. L’augmentation de la productivité augmente la richesse mais pas la valeur. La dynamique même du capitalisme sape la base sur laquelle repose le capitalisme. Postone insiste : si évidemment l’antagonisme prolétaires/capitalistes joue un rôle central, ce n’est pas de cet antagonisme que peut sortir une perspective de renversement du mode de production capitaliste. La raison en est que : « le lutte de classes et le système structuré par l’échange marchand ne reposent pas sur des principes opposés ; ce type de lutte ne représente pas une perturbation dans un système par ailleurs harmonieux. Elle est, au contraire, inhérent à une société constituée par la marchandise comme forme totalisante et totalisée. »[9]
Prolétaires et capitalistes n’existent que dans leur relation réciproque, au fond comme les deux pôles de cette forme générale qu’est le capital. Le capital ne peut être aboli que si est aboli ce qui le produit, à savoir le « travail abstrait », c’est-à-dire le travail salarié source de la valeur. Et de ce point de vue, les formes précises de la propriété sont plutôt indifférentes. Le marxisme traditionnel qui envisage la société socialiste comme une sociétés de travailleurs salariés par un employeur unique, l’État, reste donc à l’intérieur du cadre de soumission à la loi de la valeur et, donc au travail aliéné. De même, la contradiction n’est pas entre des forces productives dont la dynamique propre, fondée sur le travail et la coopération, entreraient en contradiction avec des rapports de production. Les rapports de production, selon la théorie de Marx, ne sont absolument pas extérieurs aux forces productives. L’idée que le socialisme libéreraient des forces productives bridées par la propriété privée des moyens de production n’a, elle non plus, aucun rapport direct avec la pensée de Marx (telle qu’elle s’expriment dans le Capital). « Selon la théorie critique élaborée par Marx, abolir l’aveugle processus accéléré de « croissance » économique et de transformation socio-économique sous le capitalisme, ainsi que la nature porteuse de crise de ce processus, exigerait l’abolition de la valeur. Dépasser ces formes aliénées impliquerait nécessairement d’établir une société fondée sur la richesse matérielle, une société où la productivité augmentée conduirait à une augmentation correspondante de la richesse sociale. »[10]
Ce que le développement du capital ouvre, c’est une possibilité, celle de son dépassement en renversant la valeur, c’est-à-dire la domination des hommes par leur propre travail social, et, à partir de là, une révolution radicale dans ce que l’on appelle « travail ». Il ne s’agit pas de la « croissance illimitée des forces productives » … ni de la « décroissance », mais d’une autre croissance, celle des possibilités pour les humains de se débarrasser aussi loin que possible, des formes harassantes, abrutissantes du travail, de ne plus être ligoté par une division du travail de plus en plus poussée et donc la possibilité d’une véritable libération – dont le capitalisme garde l’idée sous une forme parfaitement aliénée : « le rêve contenu dans la forme capital, c’est celui d’une illimitation absolue, d’une idée de la liberté comme libération complète à l’égard de la matière, de la nature. Ce « rêve du capital » est devenu le cauchemar pour cela et ceux que le capital s’évertue à libérer : la planète et ses habitants. L’humanité ne peut s’éveiller complètement de cet état de somnambulisme qu’en abolissant la valeur. Cette abolition entraînerait la nécessité qu’a la productivité d’augmenter sans cesse... »[11]

Le fond du problème

Le capital se présente donc comme de l’argent qui augmente sa valeur en circulant. Marx expose en détail le mécanisme d’exploitation qui rend possible ce miracle. Pour des raisons qu’on trouve exposée au long des milliers de page du Capital, il en découle que le mode de production capitaliste ne peut survivre que par l’accumulation du capital. Ce qui suppose que l’on bouleverse sans cesse le mode de production et que soient continuellement découverts de nouveaux champs d’accumulation. La chute des pays du « socialisme réel », le conversion de la Chine au capitalisme, l’émergence de nouveaux acteurs majeurs comme le Brésil ont donné un souffle réel au mode de production capitaliste pendant les deux dernières décennies. On a cru qu’internet était l’avenir du capitalisme, mais l’explosion de la « bulle internet » au début des années 2000 a sonné le glas de ces espoirs. Pour des raisons qu’il faudrait expliquer plus en détail, les nouvelles techniques de l’information et de la communication ne peuvent qu’accélérer encore la baisse de la rentabilité du capital et leur part dans la production totale de valeur ne peut que rester limitée. On peut vendre des automobiles par internet, mais le problème reste de produire des automobiles et de trouver des acheteurs. Internet ou pas, c’est sur les terres agricoles ou potentiellement agricoles que se concentre de plus en plus une partie importante des investissements. Enfin, sous la pression des écologistes ou du capitalisme vert, on a cru que l’environnement constituerait un marché miraculeux pour les prochaines décennies. Mais cela demande des investissements lourds que seuls les États pourraient assumer – or ils ne peuvent plus conduire à bien cette tâche – et pour mettre l’habitat des pays riches aux normes de qualité environnementale, il faudrait détruire des millions de logements, bref produire l’équivalent d’une bonne guerre avec bombardements aériens !
Fondamentalement la poursuite à long terme de l’accumulation du capital est une entreprise chimérique pour plusieurs raisons que je voudrais exposer ici.

La croissance durable impossible

Comme on l’a expliqué plus haut, la financiarisation et sa crise ne sont que le moyen employé par le mode de production capitaliste pour réaliser de la plus-value qui n’est pas ou pas encore produite dans la « salle des machines » du mode de production capitaliste. La reprise de la croissance suppose la reprise de la production réelle de valeur donc l’emploi de travail productif. Les néokeynésiens plus ou moins socialistes soutiennent que l’augmentation des salaires, la redistribution des richesses permettrait la création d’une large demande solvable qui relancerait la croissance. Mais cette redistribution des richesses supposerait qu’on taille dans le vif des profits. Or la crise du mode de production capitaliste n’est pas une crise de sous-consommation mais fondamentalement une crise du profit. Voilà pourquoi les dirigeants des grands États et des institutions financières ne croient plus à ces politiques de soutien de la demande.
Mais admettons que cela soit possible et qu’on procède à une euthanasie massive des rentiers. Le problème se reposerait à nouveau à terme plus ou moins rapproché. Développement durable ou pas, on ne peut pas éternellement augmenter la production. La croissance et la capacité de résistance du mode de production capitaliste tiennent aux possibilités d’expansion qui se sont ouvertes d’abord par le colonialisme puis par l’intégration dans le cœur même de la division mondiale du travail de centaines de millions d’hommes jusque là tenus l’écart. Elles tiennent aussi à cette expansion intensive qui soumet progressivement tous les secteurs qui lui échappaient à la loi du capital (l’économie familiale, le corps, les relations sexuelles, etc.). Mais, tôt ou tard, cette expansion rencontrera ses limites. D’abord parce que la planète est finie et qu’on ne voit pas bien que la Lune ou Mars puissent à échéance raisonnable – et pour un capitaliste l’échéance raisonnable n’est jamais bien longue – constituer des nouveaux champs d’accumulation du capital.
Le capitalisme est révolutionnaire par essence et il ne peut subsister que dans l’accumulation et en même temps cette accumulation menace le taux de profit et l’existence même du capitalisme. Le capitalisme se développe donc nécessairement dans le conflit. Supposons un capitaliste unique – par exemple la concurrence est allée à son terme et il n’existe plus qu’une seule firme, la firme « Monde SA ». Supposons également que ce capitaliste unique (il pourrait être aussi un capitaliste collectif, une assemblée d’actionnaires) dispose de moyens de persuasion et de coercition suffisants pour se prémunir contre les éventuels concurrents ou contre les révoltes des dominants. Un tel capitaliste n’aurait plus aucun intérêt à accumuler du capital et nous ne serions plus dans un régime capitaliste mais dans une sorte de despotisme comme en ont peut-être connus les sociétés antiques. Pour exister le capitalisme doit être fractionné en capitaux concurrents. Mais la concurrence ne fait qu’exécuter les lois immanentes du mode de production capitaliste.

La question démographique

Le développement du capitalisme s’est toujours accompagné d’un développement démographique impétueux. Toute son histoire l’atteste. C’est avec son puissant essor démographique que l’Allemagne du début du XXe siècle a réclamé la première place dans le concert des nations, et sur cette démographie que Hitler se fonde pour réclamer un « Lebensraum » pour les Allemands. Les nouvelles puissances capitalistes (Chine, Inde, Brésil, mais aussi Corée, etc.) sont des nations jeunes dont la population est nombreuse. Inversement la relative stagnation économique du Japon ou des pays d’Europe est à mettre en rapport avec leur démographie déclinante.
Selon la plupart des estimations la population mondiale devrait atteindre un maximum vers 2050 avec 9 milliards d’habitants. À cette époque la population chinoise aura déjà commencé à décliner sérieusement, comme conséquence de la politique de l’enfant unique. Il n’y aurait pas de problème en soi pour nourrir 9 milliards d’humains, les terres cultivables restent suffisamment vastes pour cela, mais cela demanderait une autre répartition des richesses à l’échelle mondiale et c’est sans doute là que gît le problème principal. Cela exigerait aussi et peut-être avant tout que les modèles de développement économiques soient radicalement changés. La prospérité capitaliste mondiale repose largement sur le dynamisme de l’économie chinoise dont les taux de croissance entre 8 et 10% l’an ont entraîné le système tout entier. Mais les conséquences écologiques en sont déjà désastreuses. Certains modèles prévoient que d’ici 2030, les terres qui nourrissent actuellement 65% de la population chinoise deviendront incultivables  en raison de la pollution.
Mais il y a une autre dimension : une population stagnante est aussi fatalement une population vieillissante et il y a fort à parier que le dynamisme global du mode de production capitaliste en sera mortellement touché, même si les autres problèmes auxquels il est confronté trouvaient une solution au moins provisoire. La politique de l’enfant unique en Chine a été un facteur de croissance (en améliorant le rapport population active/population totale) mais elle va entraîner à moyen terme (2030/2040) un contrecoup terrible. C’est d’ailleurs pourquoi les scénarios qui prolongent la croissance chinoise linéairement sont totalement irréalistes. La Chine est la deuxième puissance économique mondiale, mais elle pourrait ne rattraper les États-Unis qu’en raison du déclin de ces derniers. Les bouleversements que cette situation nouvelle entraînera seront considérables, car ce sera une transformation radicale des conditions de la vie sociale. Si les plus de 50 ans forment la majorité un peu partout, mécaniquement le poids du conservatisme sera renforcé (on le voit bien dans les pays d’Europe) et les problèmes sociaux liés à la retraite et au système de santé seront des plus aigus. Il est inutile de dessiner ici les scenarios possibles, mais dans tous les cas la question du partage des richesses sera posée sous un angle complètement nouveau – à moins que les classes dominantes ne procèdent à un nouvel holocauste.

Des ressources limitées et crise environnementale

Un autre facteur décisif est celui de la raréfaction des ressources, gaspillées allégrement sous le régime de l’accumulation illimitée du capital. Même si les prédictions des écologistes sont souvent exagérément alarmistes – le député français Cochet avait prévu la fin du pétrole pour les années 2010-2020 – il reste que les sources d’énergie fossile ne pourront pas continuer longtemps d’être consommées au rythme actuel. Les optimistes nous promettent du pétrole pour une centaine d’années encore. Mais le problème est sans doute plus aigu que cela. La poursuite de l’accumulation du capital sur une échelle élargie supposerait que les Chinois et les Indiens puissent assez rapidement accéder aux standards de consommation européens ou étatsuniens. Or c’est tout bonnement impossible. S’il y avait autant d’automobiles en Chine qu’aux États-Unis, il faudrait très vite mettre la clé sous la porte de la planète Terre et rechercher éventuellement quelque exoplanète un peu plus accueillante, mais cette perspective de science-fiction restera éternellement de la science-fiction.
On nous fera remarquer que d’autres sources d’énergie existent. Les agro-carburants mobilisent maintenant près de 40% des terres agricoles des États-Unis, mais le plus grand producteur et exportateur d’éthanol est le Brésil – où pourtant une partie non négligeable de la population reste sous-alimentée. Brésil et États-Unis produisent à eux deux 85% de l’éthanol mondial. Mais cette filière est aujourd’hui dénoncée par les spécialistes de l’environnement qui ont montré qu’elle était au total bien plus polluante que les carburants fossiles et que sa rentabilité finale est loin d’être assurée. Pour rien dire de la pression que cette production induit sur la production agricole destinée à l’alimentation humaine ou animale. Typique du mode de production capitaliste : pendant qu’on alimente les 4X4 des riches, on affame les pauvres. Les automobiles sont mieux soignées que les humains.
Les autres sources d’énergie comme les panneaux photovoltaïques ou les éoliennes ne permettront jamais de remplacer les carburants fossiles, d’autant que le rentabilité est aujourd’hui essentiellement due au fait que les États ou les entreprises de production d’électricité les financent. Au cours du marché, ces énergies alternatives n’auraient jamais vu le jour et l’on voit mal les TGV rouler avec des panneaux photovoltaïques. Reste évidemment le nucléaire, mais qui sera lui aussi confronté à moyen terme à la raréfaction du combustible (l’uranium) et dont la récente catastrophe de Fukushima a montré l’extrême fragilité et les menaces qu’il fait peser sur la planète. Quant à la maîtrise de la fusion nucléaire, c’est le serpent de mer ; on la promet pour bientôt et elle permet de justifier la poursuite de recherches scientifiques qui autrement auraient été abandonnées depuis longtemps, mais rien ne permet de penser que cette énergie pourrait être vraiment utilisable un jour.
Les gadgets comme la voiture électrique ne résolvent évidemment aucun problème, bien au contraire. Seules les propagandes gouvernementales et l’activisme des courants écologistes permettent le développement de ces productions qui ne sont pas censées être des alternatives face à la crise gouvernementale mais plutôt des tentatives de sortir l’industrie automobile de son marasme. 
La situation est semblable pour les sources de matière première. D’ores et déjà la question des terres rares (indispensables dans la fabrication des écrans tactiles, par exemple) est la source de tensions entre la Chine (qui en détient pratiquement le monopole de fait) et les autres pays industrialisés. La pression sur les terres agricoles ira en s’aggravant.
Si on fait le bilan, le coût environnemental des « solutions » proposées pour remédier à la raréfaction des ressources de la planète est déjà très élevé. Il suffit d’évoquer le cas de l’agriculture du Brésil avec la déforestation massive, la réduction drastique de la biodiversité, le triomphe des OGM, pour s’en convaincre. Mais c’est surtout le coût social qui est déjà énorme et le sera encore plus dans l’avenir.
Bien que le réchauffement climatique ait quelque peu disparu des écrans radars du système médiatique et bien que sous les coups de la crise financière les États aient globalement décidé qu’il était urgent de ne rien faire, les questions demeurent. S’il n’est pas certain que les activités humaines soient le principal facteur du réchauffement climatique – sur ce point on est souvent allé bien vite en besogne – et si on peut s’interroger sur la question de savoir s’il y a un réchauffement à long terme (comme la planète en a d’ailleurs déjà connu) ou s’il ne s’agit que d’une oscillation conjoncturelle, il reste que, en supposant que les menaces annoncées par le GIEC et entérinées par plusieurs conférences internationales soient sérieuses, ce sont les conditions de vie sur terre qui seront chamboulées, avec notamment la disparition de millions de kilomètres carrés de terres habitées et des exodes massifs de population et des bouleversements dans l’agriculture que nous sommes incapables d’anticiper.
Les analyses développées par le rapport Meadows[12] corroborent largement ce qui vient d’être dit. Dans une entrevue avec le journal français Le Monde, Meadows explique : « La croissance va s'arrêter en partie en raison de la dynamique interne du système et en partie en raison de facteurs externes, comme l'énergie. L'énergie a une très grande influence. La production pétrolière a passé son pic et va commencer à décroître. Or il n'y a pas de substitut rapide au pétrole pour les transports, pour l'aviation... Les problèmes économiques des pays occidentaux sont en partie dus au prix élevé de l'énergie. Dans les vingt prochaines années, entre aujourd'hui et 2030, vous verrez plus de changements qu'il n'y en a eu depuis un siècle, dans les domaines de la politique, de l'environnement, de l'économie, la technique. Les troubles de la zone euro ne représentent qu'une petite part de ce que nous allons voir. Et ces changements ne se feront pas de manière pacifique. »[13]

L’humanité au bord du gouffre

Toutes les questions que l’on vient d’aborder sont assez bien connues. Mais il en est encore une autre. Marx disait que le capital détruit les deux sources de la richesse, la Terre et le travail. Mais nous arrivons aujourd’hui à un point où c’est l’existence même de l’humanité qui est menacée. Pendant longtemps, nous avons craint l’holocauste nucléaire : les grandes puissances n’avaient-elles pas à la disposition de quoi détruire 10 ou 20 fois la planète ? La menace est tout à fait différente aujourd’hui, bien que l’on ne puisse pas du tout écarter définitivement la menace nucléaire. C’est dans le développement même des activités « pacifiques » de la haute technologie que résident les dangers les plus graves parce que les plus difficiles à percevoir.
Commençons par les biotechnologies appliquées à l’homme dont le développement impétueux s’appuie sur les revendications – légitimes – en matière de santé. C’est dans le domaine de la procréation que ces techniques posent d’abord les problèmes les plus graves.
Peter Sloterdijk a fait scandale il y a quelques années avec une conférence devenue un petit livre, Règles pour le Parc Humain[14]. Il parlait – bien que cela ne constituât point le centre de son propos – des biotechnologies et tentait d’explorer quelques-unes des questions angoissantes qui se posent à nous sous l’impulsion des nouvelles possibilités ouvertes. « L’un des traits caractéristiques de la condition humaine, dit Sloterdijk, est de placer les hommes devant des problèmes trop lourds pour eux, sans qu’ils puissent décider de ne pas y toucher en raison de leur poids. »
Sloterdijk évoquait « un processus de civilisation au sein duquel déferle, d’une manière apparemment irréversible, une vague de désinhibition sans précédent. » Il ajoutait une question trop mal comprise : « Mais l’évolution à long terme mènera-t-elle à une réforme génétique des propriétés de l’espèce — une anthropo-technologie future atteindra-t-elle le stade d’une planification explicite des caractéristiques ? L’humanité pourra-t-elle accomplir, dans toute son espèce, un passage du fatalisme des naissances à la naissance optionnelle et à la sélection prénatale ? »
Les interrogations de Sloterdijk (et de pas mal d’autres philosophes ou moralistes) ont quelque chose de paradoxal. Le progrès technique augmente non seulement notre maîtrise sur la nature, mais promet même de ne plus laisser la génération des humains au hasard des rencontres et à la loterie de la méiose. Il apparaît donc comme un progrès de la liberté, si la liberté est la possibilité de maîtriser son propre destin, d’être moins soumis à des causes qui ne dépendent pas de nous. Pourtant, la maîtrise biologique de l’humain pourrait apparaître bientôt comme le prélude d’une transformation radicale de la condition humaine, dans laquelle l’idée de liberté n’aura plus de sens.
Les questions environnementales (effet de serre, préservation de la biodiversité, OGM, etc.) n’ont, en elles-mêmes, qu’une importance relative, puisque ce sont des questions posées relativement à l’utile et au nuisible. Mais l’application des techniques de manipulation génétique aux humains, le développement de l’ingénierie neuronale avec la possibilité de greffer sur l’appareil neuronal humain des prothèses électroniques ou les possibilités ouvertes par les nanotechnologies, tout cela nous place maintenant au bord de l’abîme.
Les nouvelles technologies qui posent des problèmes éthiques graves peuvent schématiquement se diviser en trois groupes.
1.      Les procédés qui permettent de choisir les humains à naître : cela va de l’utilisation de la FIVETE avec tri sélectif des embryons à l’ingénierie génétique.
2.      Les procédés qui permettent de prendre le contrôle des cerveaux humains – en particulier tout ce qui tourne autour de la chimie du cerveau.
3.      Les procédés qui permettent de modifier directement la nature humaine elle-même, avec l’introduction de prothèses électroniques en tant que prolongements du cerveau et comme moyens de contrôle des humains.
Dans tous les cas de figure, nous avons de bonnes raisons de développer ces techniques et leurs avantages sont difficilement contestables. Elles s’inscrivent, en outre, dans la continuité stricte de la conception de la science qui s’est esquissée au début des temps modernes. Nul ne voudrait avoir un enfant souffrant d’un handicap congénital dès lors qu’existent les moyens techniques de l’éviter. Le « tri sélectif » des enfants à naître existe du reste depuis un certain temps. Le dépistage de la trisomie 21 aboutit dans 99 % des cas à un avortement… Il y a bien longtemps que nous avons admis que nous pouvons modifier nos états cérébraux et mentaux au moyen de molécules chimiques. L’acide acétylsalicylique en fluidifiant le sang peut éliminer la douleur. Les médications chimiques de la dépression (Prozac, par exemple) ou de la schizophrénie sont d’usage courant et indiscutable. Si on est malheureux, la stimulation de production de sérotonine fera l’affaire… Les prothèses ont rendu d’inappréciables services aux humains, victimes d’accidents, de guerre ou de maladies. Personne ne pense qu’il y a le moindre problème éthique à porter des lunettes ou un appareil auditif ! Si on peut réellement mettre au point une « puce » qui permettrait aux paraplégiques de diriger par la pensée un robot, où est le mal ? Après tout la technique imite la nature ou la supplée là où elle n’est pas assez forte, disait déjà Aristote.
Ce qui nous amène à accepter et même à appeler de nos vœux les progrès illimités de la maîtrise technique sur l’humain, c’est l’illusion de la continuité : au fond, l’argument classique est celui-ci : si vous ne voulez pas des modifications programmées du génome humain, il ne fallait inventer ni le feu ni la roue ! Retournez donc marcher à quatre pattes. C’était déjà en somme la réponse de Voltaire à Rousseau. Mais cet argument de « bon sens » apparent est fallacieux. Il oublie simplement que, comme le disaient les vieux marxistes qui croyaient avoir lu cela chez Marx, « la quantité se transforme en qualité. »
Tous les progrès techniques antérieurs, de la machine à vapeur au nucléaire, du télégraphe de Chappe à l’internet, de la chirurgie d’Ambroise Paré à la microchirurgie moderne, etc., laissent intact l’homme lui-même. Si le nucléaire, pour la première fois dans l’histoire, met entre les mains de l’homme la possibilité d’une autodestruction de l’espèce humaine (et de pas mal d’autres espèces à titre de dommages collatéraux), c’est encore un homme identique fondamentalement à ses ancêtres chasseurs-cueilleurs qui pourrait être détruit. Avec les biotechnologies, c’est l’identité même de l’espèce humaine qui est en jeu.
Il s’agit tout d’abord donc de la substitution de la fabrication de l’humain à la procréation. Déjà les techniques permettant le choix du sexe de l’enfant à naître se sont largement répandues. De l’avortement après échographie à la FIVETE, on a des moyens de sélection de plus en plus perfectionnés. Mais on en reste encore à la sélection de ce qui est produit au hasard, par le processus aléatoire de la meiose. La phase suivant est celle de l’intervention directe sur le génome humain, c’est-à-dire d’une production directement pilotée ab initio  de l’embryon humain, une idée qui n’est pas sans rappeler la contre-utopie d’Aldous Huxley, Le meilleur des mondes (A brave new world). L’ingénierie génétique, au-delà des mythes et des craintes plus  moins rationnelles, au-delà des prises de position religieuses, est dans la logique même du développement du capitalisme : il s’agit d’étendre partout où c’est possible la transformation des activités vitales en production marchande et du même coup de poursuivre jusqu’à son terme le processus proprement mortifère propre à ce mode de production. Ce processus est analysé par Marx dans la transformation du travail vivant au travail mort.
Le concept de travail mort, ainsi que nous en avons esquissé la démonstration est inséparable d’un autre concept, développé surtout par Lukacs et ses disciples, le concept de réification. Bien que ce concept de réification ait été développé non par Marx mais par quelques-uns de ses disciples les moins conformistes – ceux qui ont su, au moins partiellement, rester libres du joug du marxisme officiel – comme Lukacs ou certains philosophes de « l’école de Francfort ». Pour Lukacs, la réification désigne d’abord la colonisation du monde vécu par les représentations imposées par la domination de la valeur[15]. Mais si le mot n’est pas chez Marx, la chose y est. Dans le chapitre I,IV du Capital, consacré à l’analyse du fétichisme de la marchandise il est clairement exposé de quoi il s’agit. Au sens strict le fétichisme consiste dans le fait d’accorder une valeur sacrée à un être de notre monde. Lorsque Marx parle du caractère fétiche de la marchandise, c’est en relation avec les analyses anthropologiques qui en traitent. Le fétichisme de la marchandise fait de la valeur et de son incarnation monétaire la véritable puissance vivante, transformant le travail vivant en chose, les travailleurs devenant significativement des « ressources humaines ». La transformation de la vie en processus de fabrication technoscientique couronne donc cette dynamique interne au mode de production capitaliste.
Si la colonisation des consciences à grande échelle et avec l’aide des sciences sociales est une des parties – et non des moindres – de la modernité capitaliste[16], c’est aujourd’hui avec les moyens de la biologie et des techniques de l’informatique que ce processus se poursuit. Il s’agit bien sûr du traitement massif des données personnelles par les « réseaux sociaux » ou les vendeurs sur internet (genre Amazon). Il s’agit aussi de l’intrusion directe dans le cerveau humain avec la recherche d’une sorte de machine à lire les pensées qui renverrait à la préhistoire les bons vieux détecteurs de mensonges de la police. IBM annonce une telle machine pour 2017, ce qui est sans doute très optimiste, mais les travaux dans ce sens occupent déjà de nombreux chercheurs. Évidemment, comme toujours le pire prend les atours chatoyants du meilleur : on pourra communiquer avec le cerveau des individus atteints de paralysie totale ou plongés dans le coma.
Pour compléter ces projets déments, on travaille aussi massivement sur le cyborg, c’est-à-dire sur la possibilité de greffer des dispositifs électronique dans le cerveau humain, en vue d’obtenir un « humain amélioré ». C’est l’annonce du post-humain qui a quitté les rayons science-fiction des librairies pour devenir un enjeu de la recherche. Plusieurs universités délivrent déjà des diplômes de cyborgologie (sic).
Dans tous ces projets, on reconnaîtra sans peine le fantasme de toute-puissance de ceux qui se prennent pour Dieu. Mais alors que le Dieu d’Abraham avait créé l’homme à son image et à sa ressemblance, c’est-à-dire libre, le capital transforme l’homme en chose non libre, en rouage pur et simple de l’accumulation du capital qui devient la force vivante. « On n’arrête pas le progrès », dit l’adage. Mais le « progrès » se résume aujourd’hui à cette transformation massive de la puissance personnelle des hommes en travail mort, en travail coagulé qui menace toute la civilisation humaine.
Car la poursuite du développement du mode de production capitaliste ne dessine pas d’autre avenir que celui d’une nouvelle barbarie dont nous avons déjà quelques aperçus sous les yeux : dans la prétendue « culture » qui émerge des jeux de vidéos presque tous des jeux de guerre qui connectent aujourd’hui plus de 10 millions de joueurs de par le monde – ainsi le célèbre World of Warcraft – ; dans le développement d’une société de surveillance généralisée et la destruction de l’intimité ; dans la mécanisation de la littérature produite industriellement à destination en priorité des jeunes « cerveaux disponibles ; mais aussi dans une vie de plus en plus soumise aux exigences d’une consommation dépourvue de sens, au point que les individus ressemblent de plus en plus à ces hamsters qui font jusqu’à la mort tourner la roue de leur cage.

À nouveau la question de la crise

Ainsi la crise que nous affrontons, loin d’être une question à laisser aux économistes et aux technocrates seuls autorisés à définir « la bonne gouvernance », est véritablement une crise de l’humanité dans toutes ses dimensions. Pendant des millénaires, les hommes ont d’abord été préoccupés par le processus de leur cycle vital : comment assurer la nourriture du lendemain, comment se protéger de la nature, comment assurer la perpétuation de l’espèce humaine. Aujourd’hui, le moyen employé pour assurer ce processus vital, le mode de production capitaliste, se retourne contre la vie elle-même. Chassé de l’université par les nazis, Husserl écrira un de ses plus beaux textes consacré à la « crise de l’humanité européenne »[17]. Il ne s’agit plus aujourd’hui de la seule humanité européenne mais bien de l’humanité tout court. Et cette crise exige bien une prise de conscience, la plus lucide et la plus radicale et la préparation méthodique d’une alternative contre la barbarie qui vient.
 Denis Collin
Le 1er novembre 2012
Mots-clés : accumulation du capital – agriculture – biotechnologie – crise – croissance – cyborg –démographie – internet – keynésianisme – marché – Marx – profit – reagnomics – régulation – système monétaire international – valeur (critique de).

Ouvrages cités

Bodei, Remo: Destini personali. L’età della colonizzazione delle coscienze, Milan, Feltrinelli, 2002
Boukharine, Nicolas : L’économie politique du rentier. Critique de l’économie marginaliste. Réédition Syllepse, 2010
Galbraith, John K. : La crise économique de 1929, éditions Payot, 1989
Husserl, Edmund : La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, traduit de l’allemand, Gallimard, 1976.
Husson, Michel, Les trois dimensions du néo-impérialisme, in revue « Actuel Marx », n°18, PUF, 1995
Lukacs, Georg, Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique marxiste, éditions de Minuit, 1960
Marx, Karl, Le Capital, livre III, édition de La Pléiade, tome 2, Gallimard, 1968
Meadows, Dennis et alii, Les limites de la croissance, 2004, éditions Rue de l’Échiquier, 2012
Postone, Moishe, Temps, travail et domination sociale. Une interprétation de la théorie critique de Marx, traduit de l’anglais par Olivier Galtier et Luc Mercier, éditions Mille et une nuits, 2009
Sloterdijk, Peter : Règles pour le parc humain : une lettre en réponse à la lettre sur l’humanisme de Heidegger, traduit par Olivier Mannoni, éditions Mille et une nuits, 2000.



[1] Marx, Capital, livre III, section V, édition de La Pléiade, tome 2, p. 1191
[2] Ibid.
[3] Op. cit. p. 1192
[4] Ibid.
[5] Voir N. Boukharine, L’économie politique du rentier. Critique de l’économie marginaliste. Réédition Syllepse, 2010
[6] Voir J.K. Galbraith, La crise économique de 1929, éditions Payot, 1989.
[7] Husson, Michel, Les trois dimensions du néo-impérialisme, in revue « Actuel Marx », n°18, 1995
[8] Postone, Moishe, Temps, travail et domination sociale. Une interprétation de la théorie critique de Marx, traduit de l’anglais par Olivier Galtier et Luc Mercier, éditions Mille et une nuits, p. 425 
[9] Op. cit. p. 466
[10] Op. cit. p. 461
[11] Op. cit. p.561
[12] Meadows, Dennis et alii, Les limites de la croissance, 2004, éditions Rue de l’Échiquier, 2012.
[13] Entretien avec Hervé Kempf et Stéphane Foucart, 25/05/2012
[14] Sloterdijk, Peter, Règles pour le parc humain : une lettre en réponse à la lettre sur l’humanisme de Heidegger, traduit par Olivier Mannoni, éditions Mille et une nuits, 2000
[15] Lukacs, Georg, Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique marxiste, éditions de Minuit, 1960
[16] Voir sur ce point le livre de Remo Bodei, Destini personali. L’età della colonizzazione delle coscienze, Milan, Feltrinelli, 2002
[17]  Voir La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Gallimard, 1976, un ouvrage qui contient la conférence de Vienne de 1935, La crise de l’humanité européenne et la philosophie

Sur la question des forces productives

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