L’obéissance est généralement considérée comme
une vertu. Sans l’obéissance des enfants aux parents, des élèves aux maîtres,
des citoyens au gouvernement, aucune vie sociale n’est possible. Même les révolutionnaires vantent les vertus
de l’obéissance aux chefs du parti et la discipline fait la force des armées. Dans
un passage célèbre de la République
de Platon, Socrate voit dans la désobéissance générale « le vigoureux commencement de la tyrannie ». Dans cette
perspective, la désobéissance serait donc un repoussoir
absolu. Toutefois, le XXe siècle a vigoureusement
remis en cause
cette idée, à la faveur notamment de ce que les
criminels de guerre nazis ont invoqué pour leur défense le fait qu’ils
n’avaient fait qu’obéir aux ordres. Lors de son procès,
Eichmann a même invoqué l’impératif kantien pour justifier la mise en œuvre, sans états d’âme, de la « solution finale » voulue par
le Führer. Si l’obéissance permet de justifier le crime impardonnable et
imprescriptible, ne serait-il pas devenu judicieux de célébrer les vertus de la
désobéissance ? C’est que la désobéissance n’est pas une, mais s’exprime
sous des formes très diverses.
La rébellion et la
révolte
La première forme de la désobéissance consiste en la rébellion. Le rebelle est celui qui ne se plie
pas aux ordres, comme la mèche rebelle au mouvement du peigne. La rébellion
n’est pas réfléchie : elle s’inscrit dans le caractère du rebelle. Ainsi, il y a
des enfants « obéissants » et des
enfants « rebelles ». Il
arrive que l’homme « soumis »
devienne un rebelle, mais c’est quand « la
coupe est pleine », quand les réserves de la propension à la
soumission ont été épuisées.
La rébellion va du simple refus d’obéir à la
révolte violente. Au lieu de courber la tête, le rebelle relève le visage, fait
face, regarde droit dans les yeux celui qui lui veut le dominer. Alors qu’il
suffit de ne pas vouloir obéir pour être rebelle, la révolte suppose l’action.
Le déserteur est un rebelle, le mutin est déjà un révolté. A. Camus
définit ainsi l’homme révolté : « un
homme [qui] dit non » (Camus, 1965). Mais il ajoute : « le mouvement de révolte s’appuie en
même temps sur le refus catégorique d’une intrusion jugée intolérable et sur la
certitude confuse d’un bon droit (…). La révolte ne va pas sans le sentiment
d’avoir soi-même, en quelque façon et quelque part, raison. »
Dans le passage de la rébellion à la révolte, l’on observe déjà
deux modes profondément différents de la désobéissance : le premier est le
simple refus d’obéir, alors que le second suppose non seulement la
désobéissance aux ordres reçus mais aussi l’obéissance à un impératif que le
sujet trouve en lui-même. Le rebelle désobéit parce qu’il ne sait pas obéir. La
désobéissance du révolté s’appuie sur des raisons.
La désobéissance nue et sans raison tourne
court et se transforme souvent en une nouvelle forme de soumission. Spinoza évoque
« ces
enfants ou ces adolescents » qui « ne peuvent supporter d’une âme égale
les reproches de leurs parents se réfugient dans la vie militaire, choisissent
les inconvénients de la guerre et le despotisme d’un tyran, plutôt que les
avantages du foyer et les sermons paternels, et subissent avec docilité quelque
fardeau que ce soit, pourvu qu'ils se vengent de leurs parents »
(Spinoza, 2005).
L’anarchisme
Le refus de l’obéissance érigé en programme politique
s’appelle anarchisme. « Ni Dieu, ni
maître ! » : le titre du journal fondé par Blanqui en 1880
est éloquent : il s’agit de n’obéir ni à un pouvoir transcendant ni aux
pouvoirs humains. La désobéissance est la règle. Dans l’esprit des
théoriciens de l’anarchisme, elle ne signifie pas la revendication du chaos :
« l’ordre moins le pouvoir »,
telle est la formule qui résume l’idéal anarchiste. Un ordre spontané qui naît
de la liberté de chacun des individus composant la communauté. Comme dans
l’abbaye de Thélème, cette utopie inventée par Rabelais, chacun fait ce qu’il
veut et donc pas à obéir : « Toute
leur vie était régie non par des lois mais par leur volonté et leur libre
arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, dormaient
quand le désir leur en venait. » (Rabelais, 1973) Les « gens
libres, bien nés, bien éduqués » ne peuvent supporter le joug de la
servitude et doivent chercher à s’en défaire.
Face à la servitude, la désobéissance est donc
une vertu. La figure emblématique de l’anarchisme, c’est l’insoumis. Et passant
du refus à l’action, l’insoumission devient insurrection. Désobéir à l’ordre
militaire, refuser la guerre, c’est glorifier le déserteur, le
mutin qui défile crosse en l’air, comme les « braves
pioupious du 17e » qui refusèrent, en 1907, de tirer sur
les vignerons languedociens révoltés, ou les marins du cuirassier Potemkine en
1905. Désobéir, c’est aussi refuser la discipline du travail et la grève
générale est le mythe fondateur de l’anarcho-syndicalisme.
La désobéissance anarchiste peut – mais pas
toujours – conduire à l’exaltation du caractère rédempteur de la violence. La
violence individuelle des anarchistes poseurs de bombe de la fin du XIXe
et du début du XXe siècle, mais aussi et surtout la violence
collective. Georges Sorel montre l’opposition absolue entre le syndicalisme
révolutionnaire et l’État et du même le fossé qui existe entre la violence
prolétarienne et le jeu parlementaire des socialistes (Sorel, 1936).
Le refus d’obéir de l’anarchisme peut le
conduire à s’opposer aux pouvoirs révolutionnaires. Après avoir aidé les
bolcheviks à dissoudre l’Assemblée Constituante issue de la révolution, les
anarchistes se heurtèrent au nouveau pouvoir. L’insurrection de Cronstadt est
largement inspirée par l’anarchisme et la révolte de Makhno en Ukraine puise
aux mêmes sources.
La désobéissance interdite
La désobéissance peut n’être ni la révolte ni
l’action révolutionnaire anarchiste. Il peut y avoir une désobéissance
raisonnable et compatible avec l’État de droit. C’est là quelque chose de
paradoxal qui mérite explication.
Toute la tradition philosophique – ou presque –
justifie l’obéissance et condamne la désobéissance aux lois, fussent-elles
injustes. Dans sa prison, Socrate
refuse de se dérober à la condamnation injuste dont il fait l’objet. Désobéir
aux lois
est une action privée de sens parce que celui qui
désobéit se contredit lui-même, affirme Hobbes. En effet, puisque le pouvoir
souverain est souverain par la volonté de ses sujets qui l’ont
contractuellement érigé en arbitre suprême, aller contre la volonté du pouvoir
souverain, c’est aller contre sa propre volonté. Pour Rousseau, l’obéissance à
la volonté générale s’impose évidemment :
être libre, c’est obéir à la loi que l’on s’est soi-même prescrite – autrement dit,
obéir à la loi « expression de la
volonté générale » à la formation de laquelle on a pris part c’est
s’obéir à soi-même – et celui qui ne suit pas cette volonté générale
manifeste qu’il n’est pas libre et c’est pourquoi il faut le contraindre à être
libre. Mais peut-être est-ce Kant qui a consacré les plus amples développements
à la justification de l’obéissance.
Le principe qui, selon
Kant, ne
souffre aucune discussion est celui de l’obéissance à la loi morale, laquelle
trouve son expression dans l’impératif catégorique – lequel procède « dictatorialement » : « je dois toujours me conduire de telle
sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime devienne une loi
universelle. » Il n’existe aucun raison qui pourrait justifier la
désobéissance à la loi morale. Ainsi Kant reprend la vieille maxime
augustinienne : ne jamais mentir. Dans sa polémique contre Benjamin
Constant à propos « d’un prétendu
droit de mentir par humanité », il pousse cette affirmation
jusqu’au paradoxe. La thèse de Benjamin Constant peut être résumée
ainsi : l’on ne doit la vérité qu'à celui qui a droit à la vérité. Or nul
n'a droit à la vérité qui nuit à autrui. Kant lui oppose l’exigence de vérité
inconditionnelle, quelque désavantage qu'il en résulte. Pour comprendre
clairement ce qui est en cause, il convient de suivre
l’argumentation de Kant. Elle ne s’applique qu'au cas où l’on est obligé
de parler (se taire n'est pas mentir pour Kant).
Premièrement, avoir droit à
la vérité est une expression vide de sens et Kant oppose vérité objective et véracité
subjective. Deuxièmement, si l’on ment pour la
« bonne cause », l’on ruine en même temps la source de tout droit.
Et,
troisièmement, ce n'est pas parce que l'application d'une loi dictée par la
raison pure paraît dangereuse qu'il faut rejeter cette loi. Cette configuration
tient seulement au fait que manque le moyen de l'application. Ainsi Kant
soutient que le droit de mentir doit être refusé même dans le cas où un
mensonge permettrait de sauver une vie humaine. Soit la
situation suivante : Un personne X veut assassiner Y. X vous demande si Y
est chez lui. Comme vous soupçonnez les mauvaises intentions de X, devez-vous
répondre ce que vous pensez sincèrement être vrai (que X est chez lui) ou
mentir pour détourner l’assassin ? Pour Kant, et contrairement à ce que
suggérerait le bon sens commun, dans ce cas aussi s’applique l’exigence de
véracité.
C’est de ce caractère
inconditionnel de l’obéissance à la loi morale que Kant déduit le caractère
inconditionnel de l’obéissance au pouvoir politique. Ainsi, « l’Idée d’une constitution politique en général qui soit en même temps
pour tout le peuple un commandement absolu de la raison pratique jugeant
d’après des concepts du droit, est sainte et irrésistible ; et même si
l’organisation de l’État était par elle-même défectueuse, aucune puissance
subalterne en son sein ne saurait pourtant opposer de résistance active à son
souverain législateur » (Kant, 1986). Kant
ajoute même que l’on
n’a pas
même le droit de soumettre ce principe à quelque condition que ce soit.
Ainsi l’origine du pouvoir ne doit pas être une raison pour mettre en cause
sa prétention à légiférer : « Le
commandement “Obéissez à l’autorité qui a puissance sur vous” ne subtilise pas sur la question de savoir
comment l’autorité est parvenue à cette puissance (au besoin pour la miner),
car l’autorité déjà existante, sous laquelle vous vivez, est déjà en possession
de la législation sur laquelle vous pouvez certes ratiociner publiquement mais
contre laquelle vous ne pouvez pas vous élever en législateurs opposants. »
(Kant, 1986)
Rien de tout cela n’a pas
empêché Kant de soutenir la révolution française. Sans doute peut-on, d’un
point de vue kantien,
soutenir la « résistance à
l’oppression » qui est l’un des « droits
naturels et imprescriptibles » dont la « conservation » est « le
but de toute association politique » selon la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789. Somme toute, le
texte de Kant offre
des arguments à tous ceux qui obéissent sans discuter à tous les
ordres d’un pouvoir, quel qu’il
soit, son organisation fût-elle « défectueuse ».
La
désobéissance civile
Il a
toujours été
plus ou moins admis que, dans certains cas, la
rébellion contre le pouvoir politique peut devenir un devoir moral. Beaucoup de
nations, dont les dirigeants ne jurent que par la loi et l’ordre, commémorent
tous les ans les héros insurgés contre l’ancien ordre établi : les
fondateurs de la nation américaine sont les héroïques insurgents ; les Suisses fêtent Guillaume Tell, etc. Quand le
général De Gaulle
désobéit au gouvernement « légal »
de la France et appelle, depuis Londres, à la poursuite de la guerre contre
l’Allemagne, cet acte de rébellion s’appuie non seulement sur un fondement
moral légitime, mais encore sur un principe juridique essentiel, celui de la
souveraineté de la nation, bafouée par la volonté des dirigeants de Vichy de
collaborer avec l’envahisseur. La révolte des Résistants n’est certainement
pas, pour eux, le simple exercice d’un droit moral à la désobéissance, mais
bien plutôt un devoir impérieux.
Si l’obéissance est une vertu, il existe
néanmoins toute une tradition philosophique autant que religieuse qui justifie
la désobéissance civile. Dans
ce cas, il ne s’agit pas de justifier n’importe quelle
forme de désobéissance à la loi – le voleur désobéit à la loi mais nul ne pense
à soutenir qu’il s’agit là d’un acte de désobéissance civile. La
désobéissance civile suppose chez le désobéissant des motifs moraux ou
religieux suffisamment puissants pour l’obliger à une opposition ouverte avec
l’ordre constitutionnel. Ainsi, les « objecteurs
de conscience » refusent de porter les armes, d’accomplir leur service
militaire ou de partir à la guerre ; la
lutte pour l’indépendance de l’Inde commence par l’appel à la désobéissance et
au boycott des produits étrangers puis des institutions coloniales lancé par
Gandhi ;
le mouvement des droits civiques aux états-Unis
d’Amérique, qui permit dans les années 1960 d’en
finir avec la ségrégation raciale officielle dans les États du Sud commença par
des manifestations de désobéissance, dont le célèbre refus de Rosa
Parks, en 1955, de céder sa place dans un bus à un
Blanc –
des manifestations dont l’aboutissement légal a autant été des décisions
judiciaires dé-ségrégationnistes (Cour suprême, Brown et al. v. Board of Education of Topeka et al., 1954) que le Civil Rights Act (1964) et le Voting Rights Act (1965).
La
question se pose de savoir si, rationnellement, la désobéissance
civile
peut substantialiser un droit comme
le prétend la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Une loi
qui disposerait qu’on
peut désobéir à la loi est une absurdité, fait valoir Kant. Mais
si la loi est injuste, comme l’homme juste pourrait-il obéir à la loi de l’État
sans violer la loi morale ? La contradiction est au cœur de la pensée de
Kant qui
soutient d’un côté la validité de la maxime « Fiat justitia et pereat mundi » (« que la justice soit faite et que le monde périsse »,
Kant, 1986) mais qui,
d’un autre côté, incite à supporter un pouvoir politique
injuste en invoquant de fait la nécessité de maintenir la possibilité d’un
ordre politique constitutionnel.
C’est sans doute à Henry David Thoreau
que l’on doit l’expression de « désobéissance
civile » qu’il justifie en affirmant la primauté de la conscience
morale sur l’ordre politique : « Je
crois que nous devrions être hommes d’abord et sujets ensuite. Il n’est pas
souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule
obligation qui m’incombe est de faire à toute heure ce que je crois être
bien. » (Thoreau, 1992) Mais comme Thoreau n’est pas anarchiste et
maintient tout de même la nécessité d’un État – d’un État qui gouverne le moins
possible – il faut trouver des critères permettant de légitimer la
désobéissance civile.
Dans sa Théorie
de la justice,
John Rawls, qui par ailleurs s’inspire fortement des positions
kantiennes en morale, définit le champ de légitimité de la désobéissance civile,
tout en précisant que l’on ne
peut guère attendre d’une théorie de la désobéissance qu’elle nous permette de
trancher dans les cas pratiques. Son utilité serait seulement d’éclairer notre
jugement. Rawls commence par définir ainsi la désobéissance civile : « La désobéissance civile peut, tout
d'abord, être définie comme un acte public, non violent, décidé en conscience,
mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener à un
changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. En agissant
ainsi, on s'adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté et on
déclare que, selon son opinion mûrement réfléchie, les principes de la
coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pas actuellement
respectés. » Cela suppose que toutes les voies légales permettant de
contester une décision gouvernementale aient été épuisées. On pourrait ajouter
que cette définition restreinte de la désobéissance ne convient pas pour les
États tyranniques qui ne peuvent laisser subsister des manifestations de
désobéissance publique. Enfin, la désobéissance civile suppose une conception
publique de la justice largement partagée même si les lois existantes n’en
tiennent pas toujours compte. Le caractère public de la désobéissance civile
est également essentiel : la résistance peut et souvent doit être
largement clandestine ; la désobéissance civile fait appel à une
conception publique et celui qui désobéit accepte d’en payer le prix – comme
Bertrand Russell emprisonné pour son pacifisme lors de la première guerre
mondiale.
On peut définir globalement les cas qui
légitiment le recours à la désobéissance civile. Selon Rawls, « il est souhaitable de limiter la
désobéissance civile aux infractions graves au premier principe de la justice,
le principe de la liberté égale pour tous, et aux violations flagrantes de la
seconde partie du second principe, le principe de la juste égalité des chances ». John Rawls
ajoute une autre clause, soit
l’idée que les appels à la bonne foi de la majorité
aient été vains – c’est souvent la situation d’une minorité qui cherche à faire
reconnaître ses droits. Il faut enfin que le recours à la désobéissance civile
ne mette pas en cause les
principes et règles juridico-politiques fondamentaux qui caractérisent le
constitutionnalisme libéral moderne et contemporain.
La
désobéissance obligatoire
L’expérience historique du XXe
siècle oblige à aller un peu loin et à envisager non seulement un droit moral à
la désobéissance mais aussi, dans certains cas, un véritable devoir.
En effet, si l’obéissance s’impose comme un
devoir, dans tous les cas, sans condition ni discussion, alors on ne peut pas
reprocher aux officiers nazis et aux organisateurs de la « solution finale » d’avoir agi comme ils l’ont fait
puisqu’ils ne faisaient qu’obéir aux ordres du pouvoir légal de leur pays.
Eichmann, lors de son procès à Jérusalem en 1961, invoqua ainsi la doctrine
kantienne pour justifier ses actes ; il affirma avoir vécu toute sa vie
selon les préceptes moraux de Kant : la loi est la loi et son application
ne peut souffrir aucune exception. Qu’il y ait là une utilisation frauduleuse
de la philosophie de Kant, cela ne fait pas de doute. On peut considérer que le
devoir d’obéissance est longtemps apparu comme un impératif indiscutable dans
la mesure même où les hommes vivaient dans des sociétés menacées en permanence
par la guerre civile. Les États autoritaires, monarchiques, voire tyranniques,
des sociétés traditionnelles étaient en même temps des États faibles. À
l’inverse,
l’expérience du
XXe siècle est celle des États forts,
totalitaires, dans lesquels le mécanisme de l’obéissance s’impose presque sans
résistance. Après Auschwitz, un certain nombre de débats classiques de la
philosophie politique et morale ne peuvent plus être posés dans les mêmes
termes qu’auparavant. Les criminels de guerre nazis furent jugés pour avoir
exécuté des ordres manifestement contraires aux principes moraux les plus
élémentaires. Certains
de leurs crimes furent jugés tellement hors du commun qu’ils furent
déclarés imprescriptibles. Ces criminels, a-t-on considéré, n’avaient pas
seulement le droit de désobéir aux
ordres encore avaient-ils le devoir de ne pas se transformer en
bourreaux et de ne pas se rendre complices de crimes
contre l’humanité.
Un raisonnement comparable fut suivi à l’occasion des procès devant le tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie, les juges ayant pu
reprocher à certains prévenus d’avoir
été les exécutants d’ordres qui
conduisaient aux massacres des populations civiles. Pour ainsi
dire, l’appropriation du droit, face notamment au crime contre
l’humanité conduit à l’idée de la désobéissance aux ordres d’un pouvoir légal
peut être un devoir au regard du droit international appliqué par une instance
qui dépend de l’ONU.
On fait là un pas supplémentaire par rapport à
la position morale concernant la désobéissance. Si les Résistants ont agi
poussés par leur sens du devoir, ce devoir restait un devoir moral :
personne n’a été poursuivi à la Libération pour n’avoir point été un résistant
actif. Les
décisions du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
transforment le devoir moral de désobéissance en obligation juridique, assortie
de sanctions.
Bibliographie sélective :
Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, Calmann-Lévy,
1972
(traduction de Guy Durand) –
Albert Camus, L’homme révolté, in
Essais, Gallimard,
coll. « La Pléiade »,
1965 –Emmanuel Kant, Métaphysique des mœurs, in Œuvres III, Gallimard,
coll. « La Pléiade »,
1986
(traduction de Joëlle Masson et Olivier Masson) –
Emmanuel Kant, D’un prétendu droit de mentir par humanité, in Œuvres III, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1986 (traduction de Luc Ferry) – François Rabelais, Gargantua, in Œuvres Complètes, coll. « L’intégrale », Seuil, 1973 –
John Rawls, Théorie
de la justice, éditions du Seuil,
1987
(traduction de Catherine Audard) –
Georges Sorel, Réflexions sur la violence, éditions
Marcel Rivière, 1936 – Spinoza,
Éthique, éditions de l’Éclat, 2005 (traduction de Robert Misrahi) ; Henry David Thoreau, La désobéissance civile, éditions
Climats, 1992 (traduction de Micheline Flak).
Mots-clés : Anarchisme – Nihilisme – Non-Violence – Loi morale – Rébellion – Révolte
– Révolution
Denis Collin