vendredi 10 juin 2022

Gramsci et la démocratie

Dans un passage des Cahiers de prison (Q9.§69) qui s’inscrit dans les réflexions sur Machiavel, Gramsci écrit :

(Nombre et qualité dans les régimes représentatifs). L’un des clichés les plus banals que l’on répète contre le système électif de formation des organes de l’État est que « le nombre y est la loi suprême » et que « l’opinion de n’importe quel imbécile sachant écrire (et même d’un analphabète, dans certains pays) est valable pour déterminer le cours politique de l’État », (Les formulations sont nombreuses, certaines même plus heureuses que celle citée, qui est de Mario da Silva, dans la « Critica Fascista » du 15 août 1932, mais le contenu est toujours le même). Il n’est certainement pas vrai que les chiffres sont la loi suprême ni que le poids de l’opinion de chaque électeur est « exactement » égal. Les nombres, encore une fois, ne sont qu’une valeur instrumentale, donnant une mesure et un rapport et rien de plus. Et que mesure-t-on alors ? On mesure précisément l’efficacité et la capacité d’expansion et de persuasion des opinions du petit nombre, des minorités actives, des élites, de l’avant-garde, etc. etc., c’est-à-dire leur rationalité ou leur historicité ou leur fonctionnalité concrète. Cela signifie également qu’il n’est pas vrai que le poids des opinions des individus est exactement égal. Les idées et les opinions ne naissent pas spontanément dans le cerveau de chaque individu : elles avaient un centre d’irradiation et de diffusion, un groupe d’hommes ou même un homme isolé qui les élaborait et les présentait sous leur forme politique actuelle. Le nombre de « votes » est la manifestation finale d’un long processus dans lequel la plus grande influence appartient à ceux qui « consacrent leurs meilleures forces à l’État et à la nation » (quand ils le font). Si ces prétendus optimistes, malgré les forces matérielles illimitées qu'ils possèdent, n’ont pas le consentement des majorités, ils doivent être jugés ineptes et non représentatifs des intérêts « nationaux », qui ne peuvent que prévaloir pour induire les volontés dans une direction plutôt qu’une autre. Malheureusement, chacun est enclin à confondre son intérêt particulier avec l’intérêt national et trouve donc horrible que ce soit la « loi du nombre » qui décide.

Il y a dans ce passage de Gramsci une bonne dose d’ironie, notamment quand il parle des hommes « consacrent leurs meilleures forces à l’État et à la nation ». L’enthousiasme ou le désappointement à l’égard des élections sont renvoyés dos à dos. Car les élections ne décident de rien. Elles ne font que traduire en nombres l’activité des « minorités actives », celles qui contribuent à faire naître certaines idées dans les cervelles des citoyens.

Si on revient une minute à la situation française, au moment où ces lignes sont écrites, c’est-à-dire à la veille d’élections indécises, il est bon de méditer Gramsci. Le résultat des élections est la mesure de l’activité des divers groupes politiques et donc des diverses fractions de classes sociales. Les « combines » n’y feront rien. L’important, ce sont les idées qui se sont emparées des masses… ou les ont laissées indifférentes. Les sondages nous donnent, au coude à coude, deux groupes à 28 % chacun sur une base électorale très réduite, puisque plus de la moitié des électeurs potentiels ont l’intention de rester chez eux. Bref, en gros le vainqueur pourra se prévaloir du soutien du quart de la moitié des citoyens ! voilà qui indique assez clairement l’état des pensées, par-delà tout fétichisme électoral.

Ce qui est dramatiquement absent, c’est le travail de fond par lequel se forge une conscience politique. La démocratie athénienne était le régime de citoyens qui se rendaient massivement aux assemblées, qui participaient à toutes sortes de comités de dème, notamment sur le plan judiciaire, et qui se cultivaient en se rendant au théâtre pour assister aux représentations de Sophocle ou d’Aristophane. Sous les républiques précédant l’actuelle, les partis dits « ouvriers » avaient d’innombrables relais, du bistrot du coin jusqu’aux associations d’éducation populaire en passant par les clubs sportifs et les philharmonies. Plus rien de tout cela n’existe. Les « loisirs » ont tout absorbé.

Gramsci faisait du parti (le sien, le parti communiste) le « prince » machiavélien dont a besoin la classe ouvrière. Mais ce devait être un parti de masse, occupant toutes les casemates du pouvoir. C’est en suivant Gramsci, qu’après la Libération, le PCI s’est efforcé d’ouvrir un local communiste près de chaque église ! Aujourd’hui, le « prince » est aux abonnés absents. Mais ne nous y trompons : sans la reconstruction d’une forte conscience politique populaire, sans les institutions de cette conscience politique, nous aurons des aventures césaristes sans lendemain et l’éclatement du peuple en une plèbe mendiant le soutien de tel ou tel parrain.

Le 10 juin 2022

jeudi 9 juin 2022

Pourquoi être « du côté » des pauvres et des opprimés ?

Si on admet qu’il n’y a pas de « lois de l’histoire » et encore moins de « sujet révolutionnaire » (il faudrait revenir sur le « sujet révolutionnaire », car le vrai sujet révolutionnaire est la marchandise), alors quelles raisons demeurent pour prendre le parti des plus pauvres, des opprimés et des exploités ? Quelles raisons demeurent pour lutter contre le capitalisme et défendre l’avènement d’une société « socialiste » ?

Une première raison pourrait être que l’irrationalité du mode de production capitaliste le condamne à terme : le capital détruit les deux sources de la richesse qui sont la Terre et le travail. Cette affirmation de Marx trouve à notre époque des confirmations dramatiques et l’idée que l’avenir même de l’humanité est en jeu si nous continuons la course folle au développement des « forces productives » est aujourd’hui très largement partagée. Cependant cet argument rencontre au moins trois objections.

La première de ces objections est que le mode de production capitaliste a montré des ressources souvent insoupçonnées pour se tirer d’un mauvais, même si le prix à payer en fut lourd. Le « réchauffement climatique », par exemple pourrait être aubaine : de nouvelles routes maritimes s’ouvriraient par le Pôle Nord, les immenses surfaces de la Sibérie pourraient être cultivées ce qui compenserait la transformation des régions tropicales et équatoriales en déserts brûlants. On peut aussi imaginer que la très hypothétique maîtrise de la fusion nucléaire donnerait au capital l’envol pour une nouvelle phase d’accumulation. On pourrait aussi remplacer l’agriculture par le chimie et subvenir aux besoins d’une vaste population. Et ainsi de suite. Bref, le mode de production capitaliste ne tombera jamais de lui-même en vertu d’on ne sait trop quelle justice immanente.

La deuxième objection tient en ceci : un gouvernement autoritaire mondialisé pourrait être une solution aux menaces qui pèsent sur la planète. C’était la thèse soutenue par l’un des maîtres à penser de l’écologie radicale, Hans Jonas. Le gouvernement chinois a montré son aptitude à engager « la transition énergétique », selon ses propres modalités. Pour tous les gouvernements du monde, l’épidémie de Covid 19 fut une sorte d’exercice grandeur nature sur la manière de contrôler les populations.

Le troisième objection est que les motivations purement rationnelles sont tout à fait insuffisantes. L’irrationalité du système est un argument peu parlant pour l’immense majorité des gens qui se débattent dans les difficultés, parfois au ras de la survie. Les classes moyennes cultivées peuvent être sensibles à ce genre d’argument, mais l’accord théorique a du mal à entraîner un militantisme pratique décidé !

Il ne reste donc pour choisir « le camp des pauvres et des opprimés » que des raisons morales. L’indignation que provoque l’injustice est un puissant moteur politique. La guerre des paysans en Allemagne, menée par Thomas Münzer combina la révolte intellectuelle de ce disciple désobéissant de Martin Luther et la révolte élémentaire des paysans plongés dans la misère par la cupidité des seigneurs. Si on suit l’itinéraire du jeune Marx, on peut voir que ce n’est pas l’analyse du mode de production capitaliste qui le conduit au communisme, mais la solidarité avec les pauvres qui se heurtent aux lois iniques contre le ramassage du bois. L’analyse théorique, « froide », vient pour donner des armes intellectuelles à un choix moral et politique antérieur. Les marxistes qui affirment qu’ils ne combattent pas le capitalisme pour des raisons morales sont soit des bravaches, soit des imbéciles. À moins que cela n’explique pourquoi tant de jeunes « marxistes » deviennent des vieux bourgeois satisfaits.

Le Capital et le Sermon sur la montagne, voilà deux bonnes raisons d’être « socialiste » ou « communiste ». Voilà qui nous rappelle « la force de la morale » (pour reprendre le titre du livre écrit avec Marie-Pierre Frondziak).

Le 9 juin 2022

 

mercredi 8 juin 2022

Détruire les illusions

Le constat que seul le travail vivant produit de la survaleur et que, par conséquent, le capital ne peut poursuivre son accumulation que s’il trouve de nouveaux secteurs de production pour embrigader ces forces de travail dans la grande machinerie du capital, c’est une chose. Il faudrait avoir les yeux bouchés pour ne pas le voir. Toute l’analyse du procès de production capitaliste et de ses contradictions, telle qu’on la trouve dans le Capital et les divers manuscrits qui l’accompagnent (livre II et III, Grundrisse), toute cette analyse est profondément vraie et parfaitement « scientifique » si on tient à ce qualificatif un peu dévalué de nos jours.

Faut-il déduire de cela une « mission historique » du prolétariat, devenu « sujet » de l’histoire ? C’est une autre affaire. Marx d’ailleurs est très évasif sur ces questions. L’idée que l’on retrouve dans Le Capital est que « les producteurs associés », c’est-à-dire tous ceux, du directeur au balayeur, qui jouent un rôle nécessaire dans la production vont prendre en charge la direction du processus. Le socialisme (ou communisme phase I) est pour Marx une sorte de coopérative des coopératives de production. Il y a dans cette vision une dimension clairement proudhonienne qui s’appuie sur ce qu’est la classe ouvrière encore dans les années 1870, une classe d’individus tout juste sortis de l’artisanat et qui aspirent à reprendre le contrôle de leurs instruments de travail. Ainsi que Marx le dit, il s’agit de rétablir la propriété individuelle sur la base des acquêts de la socialisation opérée par le mode de production capitaliste ! S’il faut un État, pour Marx, ce sera seulement un État qui protège ce processus d’« expropriation des expropriateurs » et de passage aux « producteurs associés », un État dont la fonction essentielle sera de briser la résistance des anciennes classes dirigeantes. C’est toute cette perspective historique qui s’est effondrée, il y a longtemps en fait, au moins depuis 1914. Preve que la saignée que fut la répression de la Commune de Paris est ce qui a rendu obsolète la perspective « scientifique utopique » de Marx, définie avant 1867. Et de fait, dans les dernières années de sa vie, Marx va admettre la possibilité d’une transition parlementaire pacifique au socialisme. Dans une lettre à Niewenhuis de 1881 sur la Commune, Marx écrit : « Mais, abstraction faite de ce qu’il s’agissait d’un simple soulèvement d’une ville dans des conditions exceptionnelles, la majorité de la Commune n’était pas socialiste, et ne pouvait pas l’être. Avec une faible dose de bon sens, elle aurait pu néanmoins obtenir avec Versailles un compromis utile à toute la masse du peuple, seule chose qu’il était possible d’atteindre à ce moment-là. En mettant simplement la main sur la Banque de France, elle aurait pu effrayer les Versaillais et mettre fin à leurs fanfaronnades. » Rechercher un compromis utile à la masse du peuple, voilà l’orientation de Marx dix ans après l’écrasement de la Commune et c’est vraiment très loin de ce qui va fleurir sous le nom de « marxisme révolutionnaire » ou de « marxisme léninisme ».

La classe ouvrière moderne ne ressemble plus du tout à la classe ouvrière de l’époque de Marx, ni même à celle du soulèvement gréviste de 1936. À la classe indisciplinée que formait le prolétariat parisien a succédé une classe disciplinée par le taylorisme (ce dont Lénine se félicitait) et par le syndicalisme qui voyait dans la discipline de la classe ouvrière la condition de sa force. À une classe nettement séparée de la classe dominante a succédé une classe qui se distingue de moins en moins des autres classes de la société tant par le mode de vie (consommation, congés payés, télévision, etc.) que par les ambitions. Le « welfare » a bien été un puissant facteur d’intégration de la classe ouvrière. Cette classe qui ne vit que de la vente de sa force de travail s’est à la fois homogénéisée et diversifiée. Les « cols blancs » et les « cols bleus » se sont rapprochés par l’utilisation des technologies informatiques dans toute une série de domaines. Même les métiers du bâtiment ou des travaux publics qui restent de métiers usants et où les ouvriers sont confrontés aux intempéries, les machines ont considérablement diminué le besoin de force physique humaine. Dans le même temps se sont multipliés les « emplois de service », souvent précaires et très mal payés. Le « travail à façon » s’y développe et produit un « précariat » dont la condition ressemble à celle des canuts au début du XIXsiècle. Les chauffeurs-livreurs louent le camion avec lequel ils effectuent les livraisons pour le compte des sociétés vendant via l’internet. Les cyclistes de Deliveroo pédalent sur leur propre vélo pour une misère et se font concurrence. Ils sont tous des prolétaires, mais des prolétaires qui ne parviennent que difficilement à se forger une « conscience de classe ».

Les vieilles notions de « partis-ouvriers » ou même de « partis ouvriers bourgeois » (pour reprendre une catégorie léniniste) sont obsolètes. Ni ce qui reste des partis socialistes, ni les bouts des PC éparpillés « façon puzzle » ne forment des partis « ouvriers » et moins encore les épaves du trotskisme qui survivent tant bien mal sans aucune perspective réelle. Tous les partis sans exception sont des formations « bourgeoises », c’est-à-dire des formations des classes intellectuelles en vue d’intégrer les classes populaires au fonctionnement de ce que, par habitude, nous appelons encore « démocratie ». Mais, comme l’a montré Christophe Guilluy, ces classes ont commencé à faire sécession, à sortir du rôle d’appoint qu’on veut leur faire jouer.

Que faire, me demandera-t-on ? En fait, rien ! Car ce n’est pas aux intellectuels ou aux politiques professionnels de « faire » les choses. Le peuple trouvera seul les voies et les moyens de l’action, quand la situation l’exigera. En attendant, nous ne pouvons que pelleter pour nous débarrasser des immondices rejetées par la décomposition du vieux monde.

Le 8 juin 2022.

 

 

lundi 16 mai 2022

Matérialisme et morale : la question de la sacralité du corps humain

La thèse matérialiste « forte » suppose que l’être humain n’est rien d’autre qu’un amas de cellules, organisées de manière très complexe, certes, un amas de cellules tout de même, pas différent en son fond de l’amas de cellules qu’est une huître ou une éponge, et même, finalement, pas très différent de cette organisation mécanique très complexe qu’est ordinateur. S’il en est ainsi — et pour le matérialisme « fort », il en est ainsi — alors aucune espèce de sacralité ne peut s’attacher au corps humain. Il est du même coup « disponible » comme le monde entier doit être « disponible » pour celui qui s’est érigé en maître et possesseur de la nature.

Ce qui se trame aujourd’hui autour du « trans » (du transgenre au transhumanisme), c’est exactement cela : le corps humain peut être transformé en chose parmi les choses. On peut le remodeler à sa guise, transformer les hommes en femmes et réciproquement. Cet essai qui s’appuie sur le désir, c’est-à-dire sur les fantasmes sexuels, est le prélude à d’autres déjà en cours. Fabriquer des soldats infatigables, des travailleurs qui n’ont pas besoin de sommeil ou des hommes doués d’une mémoire artificielle qui évitera les affres et les ratés de l’instruction, tout cela est déjà testé. La recherche en « intelligence artificielle » n’a pas d’autre but : fabriquer des « episilons » qui seront facilement dirigés par les « alpha plus », comme dans Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley.[1]

Quand on a arrêté les sacrifices humains — ce que dit clairement l’apologue du sacrifice d’Abraham, quand on a interdit toutes les mutilations et les marquages du corps — une co-invention judéogrecque — on a énoncé clairement cette sacralité du corps. Le christianisme la pousse jusqu’au bout puisqu’il annonce cette chose inouïe, la résurrection des corps à la fin de temps, conséquence de cette autre invention extraordinaire, l’incarnation, Dieu qui se fait homme, souffre et meurt comme un hom me. Ce système d’interdits concernant le corps humain est en train de se disloquer. La technoscience s’annonce comme la nouvelle religion de notre époque, une religion plus gourmande de chair fraiche que le Moloch.

À la suite de Husserl, les philosophes ont séparé le corps comme chose occupant un certain espace (Körper) et le corps propre comme « mon corps » (Leib), le corps d’un sujet qui se rapporte au monde et dont le corps est précisément ce rapport au monde. Pour le matérialisme « fort » qui veut liquider la subjectivité comme un reste de superstition religieuse, cette distinction est nulle et non avenue. L’humanité de l’humain, ce n’est que de la viande. Pierre Legendre appelle cela « conception bouchère de l’humanité » et le triomphe de cette conception « bouchère » lui fait dire qu’en vérité, c’est Hitler qui a gagné la guerre.

La dissection des cadavres, pratique fort ancienne puisqu’on en trouve des traces en Mésopotamie au IIImillénaire av. J.-C., fut interdite par les Romains et toujours entourée de précautions sévères, même quand elle commencera à être pratiquée plus couramment au XVsiècle. Cette difficulté à considérer qu’on peut faire ce que l’on veut d’un cadavre humain est le corollaire des rites funéraires. A fortiori, nous sommes toujours remplis d’horreur lorsqu’on évoque la vivisection et l’utilisation des humains vivants comme sujets d’expérience. La sinistre figure de Mengele est toujours présente. Mais il n’y a pas de différence de nature entre les prétendues expériences de Mengele et celles du premier spécialiste américain du transsexualisme, John Money. L’idée que le corps n’est qu’un assemblage de pièces que l’on peut à volonté trafiquer fut une des bases de la soi-disant « science nazie ».

Aujourd’hui, c’est pour le « bien » qu’on fait du Mengele à la petite semaine. Mais, comme le faisait remarquer Machiavel, le bien et le mal se ressemblent tant que l’un se change en l’autre sans même que l’on s’en aperçoive. Les pouvoirs de la technoscience médicale sont tels que lui imposer des limites devient une absolue nécessité. Mais comme elle nous promet l’immortalité, on ne pourra lui imposer des limites infranchissables que si nous renonçons à cette chimère que nous vendent biologistes et médecins et avec eux tous ceux qui nous promettent de devenir les « chimpanzés du futur » si nous n’acceptons pas d’aller au-delà de l’humain.

Du point de vue philosophique, la critique de matérialisme fort, du « matérialisme scientifique », est une prise de position morale absolument indispensable. La « métaphysique » retrouve ainsi sa place dans la réflexion éthique.

Le 16 mai 2022



[1] Voir mon article « Transgenre, un post-humanisme à portée de toutes les bourses » dans l’ouvrage collectif édité par la revue « Quel Sport », La transmutation posthumaniste.

jeudi 5 mai 2022

Lumières Italie VI - Giordano Bruno

Sur la pertinence du clivage droite/gauche

 En décembre 2021, Fabien Schang (Université fédérale de Goias, Brésil) organisait un atelier international sur la question du clivage/droite, un atelier auquel j'ai participé.

Le 28 mars, nous avons eu un entretien sur le même, en prolongement de cet atelier. Voici en audio cet entretien

mardi 3 mai 2022

La morale, la politique et la belle âme

Pour Machiavel, si les gouvernements dégénèrent facilement, si le gouvernement des meilleurs devient une oligarchie et si la monarchie se transforme si facilement en tyrannie et le gouvernement populaire en anarchie, la raison en est que le bien et le mal se ressemblent beaucoup et que l’on passe insensiblement de l’un à l’autre. On fait souvent le mal au nom du bien et croyant faire le bien on fait le mal. Voilà quelle est la triste situation de celui qui est pris dans les tourbillons de la vie politique. C’est pourquoi, s’il est évidemment préférable que l’homme politique soit guidé par une morale exigeante, il faut séparer le plus rigoureusement possible morale et politique.

La morale, en premier lieu, est toujours un élan du cœur ou une disposition à certains comportements qui caractérisent l’individu subjectivement. Seule la bonne volonté est vraiment bonne, dit Kant. Celui qui fait le bien par calcul, par habitude, sous la contrainte ou mécaniquement, n’est pas véritablement moral. Il peut ne rien faire contre la morale, on ne lui reprochera rien, mais il n’agit pas par morale. Au contraire, en politique, on ne s’intéresse qu’aux effets et non aux intentions. La politique est essentiellement pragmatique. L’impuissance de la belle âme est un sujet de satire inépuisable. Les leçons de Machiavel ne doivent pas être oubliées. Si vous voulez rester dans le chemin du Bien, dit-il, alors n’entrez pas dans la voie du gouvernement, car si vous voulez gouverner, il faudra être capable de prendre le chemin du Mal.

La morale vise le bien, la politique ne peut guère faire autre chose que minimiser le mal. Il y a en morale un idéal perfectionniste, même s’il est hors de portée de la plupart d’entre nous. Nous savons avec la plus grande des certitudes où se trouve le bien et où se trouve le mal. Dès que l’on agit, cependant, les choses sont toujours un peu plus complexes et on doit trancher des « cas de conscience ». Même la doctrine morale la plus tranchante ne peut éviter les dilemmes et elle a recours à la casuistique. La politique vise d’abord des effets et ces effets n’ont pas a priori un caractère moral. Ainsi la croissance économique n’est ni morale ni immorale. La défense de l’ordre public est un impératif politique, puisque la légitimité dernière de l’État est la protection de la tranquillité des citoyens. Il en va de même de la défense nationale et finalement de toutes les fonctions que peut assumer l’État. On ne jugera pas l’homme politique à sa moralité, mais à sa capacité à bien gouverner. Celle-ci implique que sa conduite ne fasse pas scandale, qu’il ne vole pas les biens de l’État, qu’il respecte la parole qu’il a donnée aux citoyens quand il a sollicité leur suffrage et quelques autres règles morales du même genre, qu’il les suive par moralité, par intérêt ou pour quelque raison que l’on veuille. Il y a une exigence de conformité morale à l’égard du dirigeant politique ou du représentant, mais son affaire, en tant que politique, n’est pas directement la morale.

En troisième lieu, la morale n’a aucun compromis à faire. On ne transige pas sur le bien, on ne peut s’en tirer avec sa conscience en disant « je n’ai fait qu’un demi-mal » ! Au contraire, la politique est l’art des compromis : comme passer un compromis avec son adversaire ou son ennemi sans se compromettre ? Dans la politique internationale, il faut traiter avec de mauvais gouvernements et même respecter les accords que l’on a passés avec ces mauvais gouvernements. Il faut également s’abstenir d’entrer en guerre avec un État au seul motif de la manière immorale dont les citoyens y sont traités. Quelque scandaleuse que soit la conduite d’un État, il n’y a aucune paix possible si les autres États s’arrogent le droit d’intervenir dans ses affaires intérieures.

Enfin, le pire en politique est le fanatisme moral, c’est-à-dire le transfert à l’action politique des principes moraux qu’on s’est donné à soi-même. Tous les régimes de terreur reposent d’abord sur ce fanatisme moral. La belle âme au gouvernement est généralement une véritable catastrophe. Son narcissisme moral se repaît du combat contre la barbarie réelle ou supposée. Gouverner, ce n’est pas vouloir faire régner la vertu ni fabriquer un « homme nouveau » conforme au « règne des fins » kantien.

Distinguons donc clairement morale et politique. Non pour permettre à la politique de se vautrer dans l’immoralité, mais pour rétablir la hiérarchie entre les deux. À bien des égards, la morale est plus importante que la politique et tous les hommes ont besoin d’une éducation morale, alors que l’éducation politique est facultative. Il serait tout à fait néfaste de galvauder la morale dans des opérations politiques toujours plus ou moins douteuses, et tout aussi néfaste de transformer les gouvernements en tribunaux de la vertu.

Le  3 mai 2022 

Il n'y a pas de politique scientifique

 Le «   socialisme scientifique   » fut une catastrophe intellectuelle et politique. Cette catastrophe trouve, pour partie, ses origines dan...