mardi 22 octobre 2024

Il n'y a pas de politique scientifique

 Le «socialisme scientifique» fut une catastrophe intellectuelle et politique. Cette catastrophe trouve, pour partie, ses origines dans les œuvres de Marx qui voulut faire œuvre de science et compara en quelques passages son travail à celui de Galilée.


Il estimait aussi que la transformation radicale du mode de production capitaliste se produirait avec la nécessité qui préside aux métamorphoses de la nature. Mais l’œuvre majeure de Marx, Le Capital, ne s’intitule pas «Science de l’économie capitaliste», ni «Théorie scientifique de l’histoire», ni «Théorie générale des classes», ni quoi que ce soit de ce genre. Son sous-titre est Critique de l’économie politique. Marx se place d’emblée sur le terrain d’une «théorie critique», c’est-à-dire d’une critique des théories qui se veulent scientifiques. Marx ne nous donne pas une théorie scientifique, mais plutôt une «métathéorie», une théorie de la théorie. Marx n’est pas Auguste Comte! N’en déplaise à Althusser. 

samedi 12 octobre 2024

« Moins » par Kohei Saito

Kohei Saito est un philosophe japonais (né en 1987), docteur en philosophie de l’université Humbolt de Berlin, professeur associé à l’Université de Tokyo. Il participe aux travaux de la nouvelle MEGA (éditions des œuvres complètes de Marx et Engels). En 2020, il publie Hitoshinsei no ‘Shihonron’ (qu’on peut traduire par « Le Capital dans l’Anthropocène »), un livre qui se vend à 500000 exemplaires !


C’est une version remaniée de ce livre qui sort en français sous le titre Moins ! La décroissance est une philosophie (Seuil). Il a également publié en 2016 La Nature contre le capital. L’écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital (Syllepse, 2021), dont j’ai rendu compte brièvement dans La Sociale. Kohei Saito prend tout le monde à revers et propose une lecture de Marx aussi ébouriffante que stimulante, débouchant sur des perspectives politiques et sociales pour notre époque.

mardi 8 octobre 2024

Bifurcation


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L’action politique — si l’on pense qu’elle est utile parce que motivée par le sens du bien commun — demande que l’on soit capable de dégager des orientations à long terme, en fonction de ce que l’on peut discerner des tendances historiques générales. Lorsque Rosa Luxemburg analysait la dynamique globale du mode de production capitaliste, elle en déduisait le caractère inéluctable d’une sorte de crise finale de ce mode de production, et cette perception de l’avenir justifiait son pronostic : « socialisme ou barbarie ».

lundi 7 octobre 2024

La logique totalitaire (II)

Poursuivons notre lecture de Jean Vioulac. Nous abordons maintenant l’analyse du nazisme. Après Léviathan, nous avons affaire à Béhémot ! C’est un monstre terrestre que l’homme ne peut pas plus domestiquer qu’il ne peut attraper Léviathan avec un hameçon.

Jean Vioulac, Logique totalitaire (I)


Jean Vioulac (né en 1971) n’est pas un philosophe de plateaux de télévision. Il ne hante pas les émissions « culturelles » des stations de radio. Il fait avec sérieux son travail de philosophe, c’est-à-dire qu’il cherche à penser le réel, sans faire de concessions à la mode du moment, en s’appuyant sur une tradition riche et trop mal traitée, Marx, Nietzsche, Heidegger, Husserl, Freud, Sartre, Günther Anders et quelques autres comme Tocqueville. Parmi ses contemporains, il cite l’excellent Dany-Robert Dufour. J’avais eu l’occasion de signaler son intéressant ouvrage consacre à Marx. Une démystification de la philosophie (Ellipses, 2018). Je voudrais parler ici de deux ouvrages qui se situent dans le même ordre de préoccupations : La logique totalitaire (PUF, 2013, réédité en 2023, collection « Quadrige ») et les deux volumes de la Métaphysique de l’anthropocène, Nihilisme et totalitarisme (PUF/ Humensis, 2023) et Raison et destruction (PUF/Humensis, 2024).

jeudi 3 octobre 2024

Qu’est-ce que l’homme ? Première approche

 L’humanisme contient en lui-même une définition de l’homme. Mais celle-ci est problématique. Claude Lévi-Strauss faisait le reproche à l’humanisme d’avoir fixé à l’humain des frontières trop étroites, excluant ainsi une partie des hommes de l’humanité – ce qui permettrait de comprendre pourquoi les Européens ont eu tant de difficultés à reconnaître l’humain dans ces hommes étranges qu’ils ont rencontrés dans leurs expéditions, avant de les soumettre pour en faire des esclaves. Lévi-Strauss, à la suite de Jean-Jacques Rousseau à qui il se réfère, cherche ce qui est commun à tous les humains, ce qui les caractérise, en faisant abstraction de ce que l’évolution sociale et historique a pu imprimer en eux.

samedi 21 septembre 2024

Le spectacle banalise l'horreur

L’appel de 200 hommes mâles des arts, du spectacle et autres lieux réservés aux gens bien, émus par les faits terribles révélés par l’affaire Pélicot, est tout à la fois indécent et grotesque.

Indécent parce qu’ils saisissent un drame terrifiant pour le rabattre sur la « domination masculine » en général. Droguer sa femme pour la faire violer par une cinquantaine d’abrutis recrutés par petites annonces, ce n’est tout de même pas comme mettre une main au fesses ou siffler une fille dans la rue. Le vocabulaire de la « domination » archi-usé par les « intersectionnels » de tous poils, montre une fois de plus qu’il n’a aucune fonction critique, mais sert à tout mélanger et à interdire le jugement. La conséquence, non voulue, on l’espère, de cette confusion, c’est que si tout se vaut, rien ne vaut. Et donc, ce qu’a subi Gisèle Pélicot est réduit à toutes les manifestations de « machisme » et on instille l’idée atroce que « ce n’est pas si grave que ça. »

jeudi 12 septembre 2024

L’avenir a-t-il besoin de nous ?

Le titre de cette conférence m’a été inspiré par un texte d’un informaticien américain, Bill Joy, publié au début des années 2000 et largement diffusé sur internet. Bill Joy s’intéresse aux conséquences éthiques des nouvelles technologies et se demande si avec l’informatique, les nanotechnologies et le génie génétique, nous ne sommes pas en train de préparer un monde qui pourra se passer des humains – du moins des humains tels que nous les connaissons… Bill Joy fait référence à un autre texte américain très connu, le manifeste d’Unabomber, c’est-à-dire de Theodor Kaczynski.

samedi 7 septembre 2024

Antiquité de l’humanisme

Pascal, après d’autres, dont Giordano Bruno, a fait remarquer que les Anciens étaient en réalité la jeunesse de l’humanité et les Modernes étaient donc nettement plus vieux que les Anciens. Retourner aux Anciens, c’est donc retourner à la source de la nouveauté. On peut aussi aborder le problème autrement. Si beaucoup de peuples considèrent que la parole des Anciens a plus de valeur que celle des blancs becs, ce n’est pas sans raison : l’expérience des Anciens est précieuse, et un homme âgé a vécu tellement plus de choses qu’un jeunot. De quelque manière que l’on prenne le problème, le retour au passé est absolument nécessaire et riche des plus grands enseignements. Ceux qui veulent faire table rase du passé empruntent une impasse. Individuellement nous sommes notre passé, du passé fugitivement présentifié, et il en va de même des sociétés et des nations. Énée, fuyant Troie en flammes porte son père Anchise sur son dos et tient par la main son fils Ascagne (ou Iule) pour le guider. Telle est la condition humaine. Nous portons la charge de nos parents et nous avons à guider nos enfants. Malheureusement parce que le passé est souvent très lourd : lourd de crimes, de secrets de famille qui restent à dévoiler, d’échecs. Le bilan du passé est si souvent un bilan de faillite de nos espérances.

vendredi 30 août 2024

Kohei Saïto : La nature contre le capital. L’écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital. (Syllepse, 2021)

Voilà un ouvrage qui présente de très nombreux intérêts et qui mérite d’être lu largement. Tout d’abord, il tord le cou aux lieux communs propagés par les frères ignorantins de l’écologie politique officielle. Non, Marx n’ignore ni les limites des ressources naturelles, ni l’écologie, bien au contraire. S’il a pu un moment penser que l’industrie et la science pourraient permettre un développement presque illimité des « forces productives », dès les années 1860, il modifie son point de vue et s’intéresse particulièrement à la question de l’agriculture, lisant attentivement les traités de Liebig, Johnston ou de Fraas. Il retrouve là son intuition première : le rapport fondamental est le rapport de l’homme à la nature et la propriété privée qui prive une partie des humains de ce rapport à la nature constitue la première et la plus fondamentale des aliénations. Marx est parfaitement conscient que le développement sans fin ni mesure du mode de production capitaliste conduit à détruire la terre et le travail, c’est-à-dire les sources de la richesse. Kohei Saïto fait du « métabolisme de l’homme et de la nature », ce qu’est le travail, selon Marx, le fil directeur de ses interrogations et il faudrait creuser ce sillon.

Sur la question des forces productives

  J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pense du livre de Kohei Saito, Moins . Indépendamment des réserves que pourrait entraî...