lundi 15 juin 1998

Le salaire de l'idéal

Le salaire de l'idéal par Jean-Claude Milner: (Seuil, 1997)
Ce livre ressortit au genre de l'essai rapide où une idée plus ou moins paradoxale devient la clé unique qui permet de rendre compte de l'ensemble des phénomènes sociaux. Ce qui est particulièrement agaçant. Un gros article est délayé jusqu'à atteindre la taille d'un livre, afin d'entrer dans le cadre de la politique éditoriale du vite fait, vite vendu, vite lu et vite oublié. Dommage, parce ce qui y est dit aurait mérité de plus amples développements et une discussion sérieuse.
Commençons par ce qui ne va pas.
Ainsi la théorie de Milner du " sursalaire " comme fondement de la bourgeoisie salariée, sans être dénuée de toute pertinence, est mise à toutes les sauces et doit résumer l'histoire du mode de production capitaliste au cours de notre siècle. L'idée de la dissociation du titre de propriété et de l'appropriation de la plus-value capitaliste n'est pas nouvelle. La croissance d'une classe salariée " capitaliste " exerçant la direction du procès de production en lieu et place des possesseurs de capital est une question discutée depuis les années 30. C'est le développement d'un phénomène dont on trouve les premières analyses chez Marx lui-même : les fonctionnaires du capital font le " travail " du capitaliste au fur et à mesure que se développent les sociétés par action. C'est, pour Marx, une des manifestations de ce que le processus même de développement du mode de production capitaliste se heurte en permanence à l'obstacle que dressent les rapports sociaux capitalistes eux-mêmes (ce que dit, à sa façon, Milner quand il dit que le capital peut devenir le fossoyeur de la bourgeoisie).
Le rôle des managers, remplaçants des capitalistes classiques, dans le capitalisme des monopoles est également au centre de la stratégie léniniste de construction du socialisme. Les courants " planistes ", les " néos " au sein de la vieille SFIO, pour la gauche, les technocrates du groupe " X-Crise " de l'autre côté, y voient aussi la marque d'une transformation fondamentale du mode de production capitaliste. On retrouve, du côté des dissidents du trotskisme, des analyses de ce genre, chez Bruno Rizzi (La bureaucratisation du monde, 1938) et James Burnham (Managerial Revolution). Après guerre les mêmes thèmes seront débattus et ressassés aussi bien dans la social-démocratie que chez les keynésiens comme Galbraith. Il est bien dommage que Milner ne fasse référence à aucune de ces recherches et présente sa découverte des nouvelles classes moyennes en s'appuyant uniquement sur la littérature romanesque. L'incroyable nonchalance théorique dont il fait preuve l'amène à employer le terme de bourgeoisie salariée avec une extension telle qu'on ne voit plus bien qui est en dehors de cette classe, les SDF et les clochards mis à part. Milner en arrive même à qualifier la grève de novembre-décembre 1995 de grève de la bourgeoisie salariée (évidement les chauffeurs de bus et les contrôleurs de la SNCF font partie de bourgeoisie à sursalaire !)
Sur le même thème, mais avec de la rigueur théorique, on aurait plus intérêt à lire les recherches de Dumesnil et Lévy, appuyées en particulier sur l'exemple américain. Ces deux auteurs tentent de définir le " cadrisme " comme mode particulier de régulation du capitalisme (voir La dynamique du capital, PUF, collection Actuel Marx, 1996). Mais Dumesnil et Lévy doivent constater que ce rôle de la " bourgeoisie salariée " est justement en train de se terminer avec le retour au premier plan du possesseur de capital, du détenteur de titres boursiers, qui réclame la direction effective des entreprises (le problème de la " corporate governance ") contre le manager. Il est à remarquer d'ailleurs que le " sursalaire " dont parle Milner est de plus en plus versé directement sous formes d'actions (fonds de placement des entreprises, stock options, etc.) et que le mot d'ordre des années 60, " tous salariés " est remplacé par celui de " tous capitalistes ".
Il est reste quelques points sur lesquels Milner est beaucoup plus convaincant. C'est, d'abord, quand il analyse le compromis historique entre la bourgeoisie française et les fractions avancées du prolétariat autour de la république (ce qu'il appelle " le Palais National "). Sans se perdre en considérations nostalgiques sur le passé, il montre bien que ce compromis était la base de la liberté de la culture et du fonctionnement même de l'Université. La dissolution de ce pacte avec la 5e République et ses prolongements actuels mettent directement en cause la culture (ses analyses sur l'opposition entre l'État cultivé et l'État culturel sont souvent très justes) et conduisent à la dictature des nouvelles élites incultes. Avec toutes les conséquences directes concernant l'école et l'université.
Les dernières pages sur l'Europe et le sauve qui peut généralisé qui la menace, la concurrence des Églises chrétienne-mercantile (Delors) et socialiste-mercantile (Cresson) sont d'une vigueur assez roborative. Comme le sont les analyses qui montrent que la gauche est devenue " le parti du sursalaire ".
Mais tout cela reste dans une confusion conceptuelle assez stupéfiante. Bien qu'il critique ceux qui pleurent et crient aujourd'hui sur " L'horreur économique ", Milner ne met guère plus de sérieux et de rigueur dans son essai que ne le fit il y a quelques temps Viviane Forrester.

Communisme et communautarisme.

Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...