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dimanche 4 décembre 2022

L’idéalisme allemand: remarques sur Kant, Hegel et la question de la liberté

Il est évident que l’éthique protestante luthérienne influence grandement Kant, mais il semble pourtant qu’en faisant de la liberté de la personne et de l’autonomie des principes fondateurs Kant s’oriente dans une direction opposée à celle de Luther. Dans Qu’est-ce que les Lumières ? Kant fait de l’obéissance à l’autorité le caractère même de la « minorité ». Les figures de l’autorité – le père, le prêtre, le médecin, l’officier – sont toutes présentées comme opposées à la véritable liberté humaine. Il reste que la « société civile » exige de ses membres « majeurs » l’obéissance mécanique qui seule permet à cette société d’exister.

Kant aperçoit la contradiction qui existe entre une société de contrainte universelle et l’idée d’une individu « libre par nature ». La synthèse de la liberté et de la contrainte ne doit pas intervenir de telle sorte que la liberté originelle de l’individu se trouve sacrifiée à l’hétéronomie sociale. La contrainte ne doit pas être appliquée à l’individu de l’extérieur, la limitation de la liberté doit être une auto-limitation, l’absence de liberté doit être volontaire.[1]

Et effectivement, chez Kant, la rébellion contre l’ordre établi ne peut avoir aucune justification morale. D’où les contorsions auxquelle il se livre quand il est confronté à cette question : on doit obéir au pouvoir politique existant, mais s’il est renversé on doit obéir au nouveau pouvoir… Et par ailleurs Kant approuve le nouveau pouvoir mis en place par la révolution en France. En tout cas, l’homme « majeur » doit se contenter de faire un usage public de sa raison afin défendre éventuellement des réformes nécessaires qui convaincront le souverain. Mais rien d’autre n’est envisageable. En théorie, Kant affirme la liberté de l’homme face à toutes les autorités mais en pratique il semble bien qu’il n’en reste rien et qu’il faille continuer d’obéir « comme si » l’ordre politique avait été voulu par Dieu. Comme le note Marcuse, cependant :

Le « comme si » transcendantal représente à coup sûr un important déplacement du poids de l’autorité dans le sens de la reconnaissance de l’individu autonome, une rationalisation de la structure  de l’autorité ; – les garanties érigées au sein même de l’ordre juridique contre la destruction du rapport d’autorité sont d’autant plus puissantes. [2]

Paradoxe donc : l’affirmation la plus absolue de la liberté s’accompagne de justifications juridiques plus puissantes du rapport d’autorité. On pourrait donc dire que la soumission qui, dans les sociétés traditionnelles, n’était guère garantie à long terme que par l’usage de la violence physique, laisse la place à une soumission à l’autorité fondée sur l’auto-limitation de sa propre liberté par le sujet. Marcuse montre que le centre de la solution kantienne à cette contradiction entre liberté de la personne et contrainte sociale est la question du droit de propriété.

L’avantage de Hegel sur Kant, même s’il partage nombre de ses présuppositions, est qu’il met en lumière « la négativité de cette société ». Les contradictions de la société civile nécessitent son dépassement dans l’État. Hegel reproche aux théoriciens du contrat de fonder l’autorité politique sur les intérêts privés. Mais d’un autre côté, la position hégélienne conduit à une divinisation de l’État. Au total, la philosophie allemande a montré la voie de la liberté tout en l’obstruant. Ainsi Hegel saisit que le rapport maître/esclave – le rapport de domination prototypique – est lié à un mode de travail déterminé, il en expose la dialectique, celle qui conduit à reconnaître l’esclavage comme la vérité de la domination :

Il se révèle que l’autorité de la domination dépend en dernier ressort de l’esclavage qui croit en elle et l’entretient.[3]

Si la dialectique de Hegel se referme à un moment et se lit comme téléologie – la dialectique fermée que critique Adorno – c’est en même temps à partir d’elle que peut être pensée une critique radicale de la domination.

[Extrait de Collin, D. Comprendre Marcuse, éditions Max Milo

[1]             H. Marcuse, Pour une théorie critique de la société, Denoël ,1971, p. 57

[2]             H. Marcuse, Pour une théorie critique… oc. p. 58

[3]             H. Marcuse, Pour une théorie critique …  oc. p.94

jeudi 28 février 2019

Pour Hegel

Prolégomènes à la lecture des Principes de la philosophie du droit

Ces lignes sont écrites en vue d’une étude plus approfondie des Principes de la philosophie du Droit. Il s’agit du prologue à un travail plus développé qui viendra par la suite.

vendredi 28 décembre 2018

L’ordre de la science ou pourquoi la science n’est pas spontanément matérialiste


Dans ma thèse de doctorat sur la théorie de la connaissance chez Marx, j’ai consacré un développement à la question de l’ordre de la science chez Marx. J’y reviens ici en développant certains points qui, à la réflexion, me semblent plus importants que je n’avais cru lors de la rédaction de ce travail.

L’ordre de la science selon Marx

Marx en donne un premier exposé dans l’Introduction de 1857. Dans ce texte, il commence par définir l’objet de la Critique de l’économie politique, « la production matérielle », et après avoir délimité son terrain par rapport aux économistes et refusé la plupart des généralités dont les économistes font précéder leurs analyses, il détaille ce qu’est la méthode de l’économie politique.
Il est apparemment de bonne méthode de commencer par le réel et le concret, la supposition véritable ; donc dans l’économie par la population qui est la base et le sujet de l’acte social de la production dans son ensemble. Toutefois, à y regarder de plus près cette méthode est fausse.[1]
Cette méthode est fausse nous dit Marx parce que la population est une abstraction. Autrement dit, le concret immédiat n’est pas véritablement concret. On ne peut s’empêcher de penser à Hegel analysant le processus de la connaissance sensible et ce qu’il appelle la « logique de la perception ». Ainsi pour Hegel, le vrai que
… on était censé ainsi conquérir par cette logique de la perception, s’avère dans une seule et même perspective, être le contraire et avoir donc pour essence l’universalité sans différenciation ni détermination.[2]
La population est bien ce qui se présente d’abord à la perception mais au lieu d’être un objet de connaissance elle se révèle comme un universel sans détermination. La population se divise en classes et les classes sont à leur tour des abstractions vides si on ne met pas à jour les éléments sur lesquelles elles reposent. Ainsi, nous dit encore Marx, on va finir
par découvrir au moyen de l’analyse un certain nombre de rapports généraux abstraits, qui sont déterminants, tels que la division du travail, l’argent, la valeur, etc.[3]
À partir de ces moments abstraits, on peut seulement reconstruire le concret en s’élevant du simple abstrait vers le concret complexe. Et ainsi :
Le concret est concret parce qu’il est la synthèse de nombreuses déterminations, donc unité de la diversité.[4]
Marx ici semble être un élève de Hegel : le réel, dans son effectivité est engendré à partir de l’abstraction, à partir des catégories comme la valeur. Notons cependant que Marx ne trouve rien à redire sur l’assimilation de sa méthode à celle de « l’école anglaise » qui est très éloignée de la méthode de Hegel. Et de fait, il ajoute immédiatement :
C’est pourquoi le concret apparaît dans la pensée comme le procès de la synthèse, comme résultat et non comme point de départ, encore qu’il soit le véritable point de départ, et par suite aussi le point de départ de l’intuition et de la représentation.[5]
Notons que le véritable point de départ du procès de connaissance est le concret parce que la connaissance part effectivement de l’intuition et de la représentation, et donc ce qui se donne spontanément à la conscience. En remarquant ce point, on aurait pu éviter les interprétations « théoricistes » et rendre à l’empirie ce qui lui est dû. Mais évidemment la connaissance rationnelle ne peut en rester à l’intuition et à la représentation, même si son point de départ est là, au plus près de la vie immédiate.
Ce que Marx pose ici et sur lequel il insiste un peu plus loin, c’est la distinction et même la séparation radicale entre l’ordre réel tel qu’il se donne à la sensation et l’ordre réel tel qu’il doit être pensé et donc, d’une certaine manière, produit, bref entre deux ordres de la réalité. La synthèse, en tant qu’elle produit l’intelligibilité de la chose ne peut procéder que du simple vers le complexe. Mais on ne doit pas « platoniser » Marx. Chez Platon, les choses telles qu’elles se présentent à nous, dans leur diversité, participent de l’idée qui est en quelque sorte première et dans la méthode, le plus important est la phase ascendante de la dialectique, celle qui conduit à la séparation des idées des réalités qui participent d’elles. Chez Marx, le passage du simple au complexe n’est pas une redescente mais est aussi le passage d’une représentation pauvre à une représentation riche : ce qui est vraiment à comprendre, c’est la singularité et comprendre cette singularité, c’est une ascension, une remontée. On peut encore rapprocher ce texte de Marx de la position exprimée par Aristote :
On s’accorde à reconnaître pour des substances certaines substances sensibles, de sorte que c’est parmi elles que nos études doivent commencer. Il est bon, en effet, de s’avancer vers ce qui est plus connaissable. Tout le monde procède ainsi, c’est par ce qui est moins connaissable en soi qu’on arrive aux choses plus connaissables.[6]
Le donné initial est donc le « moins connaissable », mais pas dans l’absolu. Il y a deux sortes de « moins connaissable » et deux sortes de « plus connaissable :
La démarche qui semble ici toute naturelle, c’est de procéder des choses qui sont plus connues et plus claires pour nous, aux choses qui sont plus claires et plus connues de leur propre nature.[7]
Or ajoute Aristote
Ce qui est d’abord pour nous le plus notoire, c’est ce qui est le plus composé et le plus confus.[8]
Aristote ajoute que ce rapport entre le notoire pour nous et ce qui est connaissable par soi est encore analogue au rapport entre le nom et sa définition, entre une dénomination indéterminée et une détermination. Ainsi à la différence de la conception empiriste vulgaire de la science qui fait de la généralité le résultat de l’induction sur la base de la multiplication des expériences, Aristote conçoit la science comme le processus qui va du général confus au particulier déterminé – ce qui donne un tour singulier aux formules trop souvent citées selon lesquelles il n’y a de science que du général puisqu’il apparaît finalement que la science du général vise le particulier. Sans entrer dans le détail de la théorie de la science chez Aristote, notons encore une fois que Marx est entièrement d’accord avec Aristote sur la conception de la démarche scientifique et que là où Marx semble le plus hégélien, c’est précisément là où Hegel est d’accord avec Aristote, c’est sur ce qui est commun à Hegel et Aristote.
Nous avons donc ici deux processus qui sont nettement séparés : d’abord le processus par lequel on accède aux « choses les plus connaissables », c’est-à-dire à ce qui est premier dans l’ordre de l’exposition rationnelle, et ce processus nécessairement part du sensible, des « substances sensibles », qui pourtant sont en soi les moins connaissables précisément parce qu’elles sont composées et complexes ; mais ces substances sensibles sont celles qui se présentent d’abord à l’esprit de l’homme. Ensuite le processus qui part de l’essence pour reconstruire la réalité sensible. Ainsi, ce qui se présente d’abord, ce sont les catégories de rente, de profit et d’intérêt mais conceptuellement ce ne sont que des formes dérivées qui ne peuvent être comprises pleinement qu’à partir de l’analyse de la plus-value. Autrement dit à la première opposition entre l’ordre de la connaissance et l’ordre de la chose – laquelle n’est pas autre chose que l’ordre de l’analyse opposée à l’ordre de l’exposition – s’ajoute une deuxième opposition entre le processus logique et le processus historique : ainsi dans la genèse historique des diverses formes du capital, le capital commercial et le capital bancaire ont historiquement précédé le capital industriel mais ils ne peuvent être expliqués que par ce dernier ; on ne peut connaître vraiment que ce qui est déjà développé et l’essence d’une chose est donc cette chose quand elle est réalisée, quand elle n’est plus simplement en puissance : le capital bancaire n’est que du capital en puissance, le capital industriel du capital en acte.
Quoi qu’il en soit, et pour l’instant c’est ce qui nous importe le plus, Marx ne confond pas l’ordre temporel, c’est-à-dire l’ordre d’apparition des phénomènes empiriques et l’ordre logique, c’est-à-dire l’ordre dans lequel doivent être articulés les concepts ; cette séparation est encore la séparation l’ordre du réel et l’ordre de la science. Il maintient fermement cette séparation de ces deux ordres et même leur opposition, au point qu’il y revient dans la Postface à la seconde édition allemande du Capital afin de dissiper tous les malentendus.
Or cette séparation est étrangère à l’esprit de Hegel pour qui le vrai est « cette identité qui se reconstitue ». L’opposition brutale entre les deux procès, procès d’analyse et de procès de synthèse qui recoupe l’opposition entre l’ordre historique et l’ordre logique, cette opposition n’est rien moins que dialectique au sens où la dialectique serait toujours réconciliation et si on veut qu’elle soit dialectique alors il faut entendre la dialectique négative d’Adorno. Cette séparation maintenue entre le réel et le réel connu, entre la chose et le concept, est une des questions fondamentales qui opposent Marx à l’idéalisme allemand. Pour Hegel, le réel est rationnel. Pour Marx le réel et le rationnel sont deux ordres différents, hétérogènes, deux sphères qui ne peuvent jamais se superposer véritablement. À la différence de l’unité hégélienne qui résulte du mouvement même du concept, la seule unité possible de la pensée et du réel est pour Marx une unité pratique[9], une unité qui est effective non dans la réflexion mais dans l’action par laquelle les hommes transforment le monde et se transforment eux-mêmes.
La manière dont Marx expose ce qui le sépare de Hegel nous permet de préciser ce qu’il entend par concret.
Dans la première méthode, Hegel est tombé dans l’illusion de concevoir le réel comme résultat de la pensée qui se résorbe en soi, s’approfondit en soi, se meut par soi-même, tandis que la méthode de s’élever de l’abstrait au concret n’est pour la pensée que la manière de s’approprier le concret, de le reproduire en tant que concret pensé.[10]
Autrement dit le réel et le concret sont pratiquement deux termes équivalents. Ils désignent l’un et l’autre ce qui, avant comme après le procès de connaissance, subsiste en dehors de notre esprit. Car ce procès de connaissance « n’est nullement le procès de genèse du concret lui-même. »[11] Marx précise :
La réflexion sur les formes de la vie sociale, et par conséquent leur analyse scientifique suit une route complètement opposée au mouvement réel. Elle commence après coup, avec des données toutes établies, avec les résultats du développement.[12]
Il dénonce cette confusion qui est le propre de la philosophie spéculative :
Donc pour la conscience (et la conscience philosophique est ainsi faite), la pensée qui conçoit, c’est l’homme réel, et le réel, c’est le monde une fois conçu comme tel ; le mouvement des catégories lui apparaît comme le véritable acte de production […] dont le résultat est le monde.[13]
Marx critique ici l’idée d’une connaissance comme système autonome de production ; la connaissance ne produit pas le réel et elle est donc l’illusion propre à la conscience, qui est « ainsi faite ». Donc quand Louis Althusser affirme qu’un des grands résultats de la philosophie de Marx est la conception de la connaissance comme production, ce qui lui permet d’induire le concept de « pratique théorique » avec des modes de production des connaissances, il y a plus qu’une confusion, mais une véritable méprise sur l’apport de la pensée marxienne. Marx refuse, certes, la connaissance comme un pur voir – la fameuse évidence cartésienne – et l’illusion spéculative qui en découle. La connaissance est inséparable de la production de la vie matérielle, elle n’est et n’a de sens que dans ce corps à corps de l’homme avec la nature et avec les autres hommes et Marx dénonce avec virulence les vues idéologiques de la philosophie pure. Mais l’idée de la connaissance comme production peut tout aussi bien être prise dans un sens « théoriciste » : on critique certes la connaissance comme pur voir, comme mouvement du regard ou conversion spirituelle, mais on affirme que la connaissance travaille sur des concepts, avec un mode de production théorique donné et on réintroduit d’emblée toute la philosophie spéculative car alors la connaissance comme production est précisément du domaine de l’illusion, c’est l’illusion de la conscience sur sa propre activité. Et cette illusion lui semble presque consubstantielle tant est-il qu’elle ne peut travailler qu’en reconstruisant le réel à partir du mouvement des catégories.
Autrement dit, et ce point paraît fondamental, en définitive pour Marx la connaissance scientifique et l’illusion ne sont point séparables comme on pourrait séparer le bon grain de l’ivraie, puisque l’illusion spéculative découle de ce que la conscience est « ainsi faite ». La science ne produit pas seulement « le vrai », elle génère aussi l’illusion qui forme la brique élémentaire de l’idéologie, à savoir l’illusion que le concept produit de lui-même le réel.

L’illusion idéaliste de la science

Cette dialectique qui sépare le monde tel qu’il se donne immédiatement, de manière presque préréflexive pourrait-on dire en suivant Merleau-Ponty du monde construit par la démarche scientifique se rompt avec l’apparition de la conception moderne de la science, celle qu’on attribue à Galilée mais qui est partagée par tous ses successeurs. Elle s’agit maintenant de discréditer le témoignage direct des sens pour comprendre la nature comme une nature mathématisée. Que le grand livre de la nature soit écrit en langage mathématique, ainsi que le soutenait Galilée, c’est ouvrir grande la voie à une conception purement idéaliste de la science moderne. Cette thèse semble aller à l’encontre des jugements courants sur les rapports qui existeraient spontanément entre science et matérialisme : chez eux, les savants peuvent être idéalistes, croire en Dieu, etc., mais dans leur laboratoire, en tant qu’ils travaillent scientifiquement, ils seraient spontanément matérialistes. Engels avait déjà fait des remarques en ce sens et Louis Althusser, dans Philosophie et philosophie spontanée des savants pose qu’il y a dans toute activité scientifique un noyau matérialiste même si la philosophie spontanée des savants est dominée par l’idéologie.
En quoi consiste la science telle qu’elle s’invente avec et après Galilée. Le premier trait, celui que valorise particulièrement Bachelard, est la rupture avec le sens commun. Il est difficile d’admettre que la Terre se meut « et pourtant elle se meut ». On peut dire que la réalité est bien celle-ci et que nous, tant que nous en restons à notre gros bon sens, nous sommes incapables de la saisir tel qu’elle est. Autrement dit, la science suppose que nous soyons en quelque sorte capables de sortir de nous-mêmes, de faire abstraction du moi sensible que nous sommes pour constituer ce sujet situé hors du monde et apte à la contempler dans son objectivité. La cohérence des relations mathématiques dans lesquelles s’expriment les phénomènes non pas tels qu’ils se donnent à nous mais tels que nous les produisons dans des dispositifs expérimentaux est la garantie ultime de cette objectivité, comme l’a parfaitement montré Kant dans la Critique de la Raison pure. C’est ainsi que, progressivement la diversité foisonnante du réel sensible est remplacée par des abstractions et ce sont ces abstractions qui vont maintenant expliquer le monde de la perception.
Quelle est la signification de ces abstractions dont la physique use pour décrire les phénomènes observés dans l’expérimentation ? Qu’est qu’une masse, une vitesse, un moment cinétique, tension, etc. ? Ce ne sont pas des entités existant indépendamment de l’esprit humain. Ce sont des idées produites par l’activité cognitive humaine en vue de rendre intelligibles les phénomènes de la nature. Que veut dire ici rendre intelligible ? D’une part, c’est pouvoir saisir le phénomène concret comme la synthèse de déterminations multiples dont on peut donner des expressions mathématiques : par exemple la puissance dissipée par le radiateur est proportionnelle à la tension aux bornes et à l’intensité du courant électrique. Ce que je ressens, c’est seulement la chaleur du radiateur, c'est-à-dire l’impression d’avoir chaud mais je ne ressens pas P=UI ! Mais cette dernière formule me permet de comprendre pourquoi en manipulant le rhéostat je vais pouvoir augmenter l’intensité et donc la chaleur dissipée. Et c’est le deuxième aspect de ces abstractions : elles sont des schémas qui nous permettent d’agir sur la réalité. On parle encore de modèles.
Ces schémas ou ces cartographies de la réalité sont évidemment des plus précieuses, comme les signes sur les arbres ou les rochers aident le marcheur à retrouver son chemin. Ce ne sont pas inventions fantaisistes : leur critère de validité est donné par la pratique, c'est-à-dire par des interactions réussies avec la nature. Ce n’est parce qu’ils manquaient d’intelligence que les hommes ont si longtemps conservé le système ptolémaïque mais parce qu’il donnait beaucoup de résultats en accord avec le réel et avait permis d’établir des cartes du ciel fort utiles aux navigateurs. En ce sens on peut bien dire vraies les théories scientifiques qui ont réussi à passer le maximum de tests expérimentaux. Ainsi la théorie darwinienne de l’évolution est-elle vraie, d’une vérité qu’on ne saurait vraisemblablement démentir un jour, sinon en insérant la théorie de Darwin dans une théorie plus vaste dont nous n’avons pas aujourd’hui l’ombre d’une idée. La théorie de Darwin est confirmée par la génétique, par la géologie et la paléontologie, corroborée par des mesures physiques qui ont été rendues possibles par les avancées de la physique et de la chimie. Il y a donc bien un sens à parler de vérité dans les sciences et les différentes formes de relativisme ou de scepticisme (y compris celles engendrées par la théorie des révolutions scientifiques de Kuhn) peuvent être assez aisément réfutées. Mais tenir des discours vrais ce n’est pas pour autant exhiber la réalité en elle-même. Confondre « vrai » et « réel », c’est précisément le propre de l’idéalisme platonicien, pour qui les idées (en tant qu’idées vraies) ont plus de réalité (justement parce qu’elles sont vraies) que les choses qui participent de ces idées.
Les objets produits par les sciences de la nature (par exemple « le courant électrique ») ne sont pas des objets « réels », ils ne sont pas des choses de la nature et on ne peut donc pas dire que les sciences de la nature décrivent la structure du monde telle qu’il est, elles se contentent (ce qui est énorme) de construire un monde théorique qui nous sert de modèle. On ne peut pas purement et simplement balayer d’un revers de manche la philosophie kantienne de la science qui soutient que la science ne décrit que les phénomènes et non les choses en soi (les noumènes). On peut cependant interpréter cette thèse de plusieurs manières. La première consiste à penser que plus la science progresse et plus nous nous rapprochons de la connaissance de la réalité en elle-même – les voiles qui nous masquent le réel (le « réel voilé ») se dissiperaient peu à peu. La deuxième interprétation consiste à se débarrasser purement et simplement de la « chose-en-soi » pour ne considérait que le phénomène qui serait la seule réalité dont il y a du sens à parler. La troisième interprétation consiste à maintenir deux ordres séparés, l’ordre de la science et l’ordre de la réalité, deux ordres certes unis dialectiquement mais dans une opposition impossible à dissoudre. La première interprétation revient à supprimer la critique kantienne pour revenir à un réalisme traditionnel, quoique plus modéré : la science nous fait connaître le réel en lui-même, même si c’est seulement dans une progression infinie – c’est encore la position de Lénine dans Matérialisme et Empiriocriticisme. La deuxième position est proche de celle des empiristes et de l’empiriocriticisme pourfendu par Lénine : s’il n’y a pas d’autre réalité que la réalité expérimentale scientifiquement, cela ne peut que conduire à l’idée que le réel est le produit de notre pensée. La troisième position est la seule tenable pour un matérialiste, si l’on veut bien admettre que le matérialisme est a minima la reconnaissance de l’existence de la réalité en-dehors de la pensée ou encore le caractère extra-logique du réel.
En suivant cette ligne réflexive, il apparaît que dès lors que la science prétend connaître le réel en lui-même, dès qu’elle affirme que le monde n’est rien d’autre que le monde que dévoile la science, elle se situe d’emblée sur le terrain de l’idéalisme : le monde, ce sont les idées que nous nous faisons du monde. L’engendrement du réel à partir de l’idée, l’engendrement de la poire à partir d’idée de poire, c’est très exactement le fond commun de ce de ce que Marx critiqué sous le nom d’idéologie allemande, dans La Sainte Famille tout d’abord puis dans le manuscrit intitulée L’Idéologie Allemande. Certes, les scientifiques ne disent pas nécessairement que le monde est celui que décrivent leurs théories, mais ils tendent spontanément à la faire, à prendre la carte pour le territoire. En ce sens, on peut bien dire que la science est spontanément idéaliste, ainsi que l’avait déjà remarqué Hegel puisque la science en tant que science de la nature se donne pour objectif de montrer l’idée abstraite « cachée » dans la chose sensible.
D’un autre côté, on doit bien admettre qu’il n’y a pas d’autre monde que le monde pour nous et que parler du monde indépendamment de toute perception et de toute pensée humaine, d’un monde en soi, c’est donner à la pensée un « non-objet » puisque par définition on ne peut rien dire de cet objet, on ne peut même pas parier sur son existence, puisque l’existence suppose déjà un sujet relativement à qui la chose existe. Comment se tirer de ce mauvais pas ? En rappelant que l’élaboration de l’objectivité scientifique est toujours seconde. Ce qui fait qu’il y a un monde, c’est qu’il y a d’abord un monde pour moi, un monde qui m’est donné d’emblée dans la sensibilité et qui se donne tel qu’il est, pour moi, de manière totalement indiscutable. C’est un monde « concret », mais d’une concrétude immédiate, non construite, qui ne nécessite pas que l’on procède à des synthèses pour le saisir. Et c’est seulement à partir de ce monde donné subjectivement et face auquel nous sommes d’abord passifs, affectés, que nous élaborons l’objectivité. Mais sous cet angle, on peut encore parfaitement admettre que « la Terre ne se meut point » comme l’avait montré Husserl. Le « monde-de-la-vie » (Lebenswelt) est la réalité première à partir de laquelle peut se construire cette réalité seconde qu’est le monde déterminé par la science. Mais, si l’on peut parler ainsi, il y a moins de réalité dans ce monde de la science pensé à partir des abstractions théoriques que dans le monde de la vie, même si ce monde de la science nous a permis d’agir et de modifier profondément le monde de la vie à partir duquel nous émergeons.
L’idéalisme de la science est précisément ceci qui produit l’illusion de la coïncidence entre les déductions théoriques, l’illusion d’une construction a priori alors même que le monde de la science n’est qu’une manière pour le sujet de s’emparer du réel qui lui est donné, de le soumettre à son désir, autant qu’il le peut. De cela on peut déduire de très nombreuses conclusions concernant les sciences du vivant qui se veulent à tort des sciences de la vie, alors même que la vie est bien invisible et que ne se manifestent pour la science que les phénomènes physico-chimiques propres aux êtres vivants, sans que jamais nous ne puissions produire une définition de la vie que pourtant nous sentons et reconnaissons sans réflexion. De même, on comprend à quelles impasses se heurtent toutes les tentatives de « naturaliser » la conscience, c'est-à-dire de rendre compte scientifiquement de ce qu’est la subjectivité (voir mon article sur la question de l’intelligence artificielle).
Le 28 décembre 2018


[1] Introduction générale – édition de la Pléiade, Gallimard, tome 1 p. 254 (noté P suivi du tome par la suite)
[2] Hegel : Phénoménologie de l'Esprit - (Traduction J.P. Lefèbvre) - Aubier p. 113
[3] Introduction générale P1 p. 254/255
[4] Introduction générale P1 p. 255
[5] Introduction générale PL 1 page 255
[6] Aristote : Métaphysique - Livre Z- 3,1029 b (Traduction Tricot - VRIN)
[7] Aristote : Physique Livre I - i §2 (180 a) - traduction Jules Barthélémy Saint-Hilaire
[8] Aristote : ibid.
[9] Citons encore la deuxième thèse sur Feuerbach : « La question de savoir si le penser humain peut prétendre à la vérité objective n’est pas une question de théorie mais une question pratique. C’est dans la pratique que l’homme doit prouver la vérité, c'est-à-dire la réalité et la puissance, l’ici-bas de sa pensée. » (P3 page 1030)
[10] Introduction générale P1 page 255
[11] Introduction générale P1 page 255
[12] Capital I,I,4 P1 page 609
[13] Introduction générale P1 page 255

lundi 9 mai 2016

La Dialectique dans la Téléologie

Un livre d'Évelyne Buissière

La dialectique n’est pas cette valse à trois temps (thèse, antithèse, synthèse ou plutôt foutaise) que l’on vend aux étudiants pressés. Ce n’est pas non plus cette histoire écrite à l’avance dont les médiations ne sont que les astuces d’un prestidigitateur qui à la fin de son tour sort un lapin du chapeau. Le propos d’Évelyne Buissière est d’abord de restituer à la dialectique hégélienne son tranchant, son caractère essentiellement critique et son mouvement. Sa cible est claire : montrer que la dialectique hégélienne n’est pas une téléologie et que la fin de l’histoire n’est pas déjà écrite dans son commencement. C’est alors que s’impose la confrontation avec deux des principaux continuateurs critiques de Hegel, Giovanni Gentile, « réformateur » de la dialectique pour en faire une dialectique affirmative et Theodor Adorno, défenseur de la dialectique négative. La longue introduction vise à montrer que la dialectique de Hegel n’a rien à voir avec les caricatures qui en sont généralement données. Les deux parties consacrées à Gentile et à Adorno montrent les incompréhensions et les impasses des tentatives de réformer la dialectique. Et la conclusion s’impose : « Les tentatives de Gentile et de Adorno pour sauver la totalité de la contingence et leur refus d’une science de la logique qui accompagne la dialectique permettent de comprendre par les difficultés et les formes d’impasses qu’elles rencontrent en quoi le Savoir absolu hégélien n’est en rien une perspective téléologique dépassée qui clorait en beauté le système achevé. » (134)
Évelyne Buissière reprend la question de la dialectique à la racine : la dialectique n’est pas autre chose que l’esprit de contradiction (selon un propos informel de Hegel relaté par Eckermann). Ce n’est pas un propos plaisant mais sans profondeur. Évelyne Buissière en développe toutes les conséquences. La dialectique est le mouvement même de la vie, celui par lequel le fini qui ne peut se suffire se dépasse lui-même sans jamais cependant s’abîmer dans l’infini. Chez Hegel, la dialectique a une origine grecque : Héraclite est le commencement de la dialectique. Rendons grâce à Évelyne Buissière d’avoir souligné ce point de façon très convaincante. « Aux yeux de Hegel, Héraclite n’est pas tant le penseur d’une guerre mère (ou père) de toutes choses que le penseur de la première réconciliation spéculative. Ainsi il défend Héraclite contre les accusations portées contre lui dans le Banquet. Comment expliquer qu’un équilibre puisse survenir sans l’amour et la concorde ? Quoi de plus absurde qu’une telle question pour Hegel ? L’harmonie est un libre jeu de la discorde et non un apaisement transcendant. » (22) C’est à partir d’Héraclite que l’on peut précisément penser l’alterité non pas extériorisée mais bien comme intériorisée. « Il ne s’agit pas de l’autre mais de son autre. » (23) Si la dialectique est la pensée du devenir, le devenir n’est pas la simple mouvance, il est « la synthèse de l’identité et de la différence intériorisée d’avec son autre. » (24)
Évelyne Buissière revient également sur la proximité de Hegel et Spinoza – une question longuement analysée jadis par Pierre Macherey, notamment dans son Hegel ou Spinoza, qu’on doit lire comme « Hegel sive Spinoza ». Elle montre cette proximité tout en exhibant les différences, qui du reste deviennent moins importantes au fur et à mesure que s’approfondit la lecture hégélienne de Spinoza – la tonalité est très différente du chapitre consacré à Spinoza dans les leçons sur l’histoire de la philosophie aux très nombreuses références souvent en défense de Spinoza que l’on trouve dans l’introduction de la dernière édition de l’Encyclopédie. « En un sens, il y a une proximité très forte entre les deux penseurs puisque pour l’un comme pour l’autre, tout le problème de la philosophie est de libérer le fini de sa finitude sans pour autant présupposer un infini providentiel et transcendant. » (29) Au-delà de la confrontation Hegel/Spinoza, Évelyne Buissière rappelle que « c’est pourtant chez Spinoza qu’on trouve l’idée d’un infini comme acte de totalisation » (42) et de renvoyer à cette lettre XII à Louis Meyer trop peu étudiée. Ni une totalité vide, ni une fin transcendante, tel est le tout chez Hegel : « Le tout n’est donc pas un but mais l’immanence du mouvement dialectique dans son aspect positif-rationnel. » (45)
Les mises au point d’Évelyne Buissière nous obligent à relire la philosophie hégélienne de l’histoire en la débarrassant de toute téléologie. Hegel ne pense pas un progrès linéaire – par exemple, la liberté d’un seul dans le despostisme asiatique, la liberté de quelques-uns dans la Grèce antique et la liberté de tous proclamée par le christianisme et réalisée dans l’État rationnel moderne ainsi que pourraient le laisser penser quelques pages de La Raison dans l’histoire. Mais cette vision de la philosophie de l’histoire de Hegel dans laquelle chaque moment particulier refléterait le tout est celle de la monade de Leibniz et non celle de Hegel.
On comprend donc pourquoi les deux « réformes » de la dialectique que proposent Gentile et Adorno manquent leur but. Mais manquant leur but, elles s’enfoncent dans des impasses. La théorie de l’acte pur de Gentile, « plus que constituer une régression vers la subjectivité par rapport à Hegel » construirait peut-être une pensée que Hegel qualifierait « d’acosmisme spirituel ». On connaît l’aphorisme d’Adorno, « le tout est le non-vrai » qui semble prendre l’exact contrepied de Hegel. Mais Évelyne Buissière montre qu’il n’en est rien et qu’Adorno reste à l’intérieur de la dialectique hégélienne qu’il cherche à critiquer à partir d’elle-même. Mais, en même temps, la « dialectique négative » d’Adorno, privée de la logique, mais libérée de la subjectivité, la dialectique devient collision en lieu et place de la nécessité. Il n’y a plus de devenir nécessaire mais une simple espérance.
Espérons que ces quelques aperçus donneront l’envie de lire l’ouvrage d’Évelyne Buissière et de là l’envie de se plonger ou de se replonger dans Hegel, de lire Gentile – si peu lu en France – ou de s’attaquer sérieusement à Adorno.
La Dialectique sans la Téléologie, Hegel, Gentile, Adorno, par Évelyne Buissière, éditions Kimé, collection « Philosophie en cours », 144 pages

D.COLLIN -  8 Mai 2016

mardi 8 décembre 2015

Spinoza vu par Hegel

Leçons sur l'histoire de la philosophie. Werke, 20. Suhrkamp

Traduit de l'allemand par Denis Collin
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La philosophie de Descartes a pris de très nombreux tours non spéculatifs. A elle, se rattache immédiatement Spinoza, qui l’a poussée à toutes ses conséquences. Il a surtout étudié la philosophie de Descartes et parlé dans sa terminologie. Le premier écrit1 de Spinoza est « Principes de la philosophie de Descartes ». La philosophie spinoziste se présente par rapport à la philosophie de Descartes seulement comme une amplification conséquente et une application de ce principe. Pour lui l’âme et le corps, la pensée et l’être cessent d’être des choses particulières, étant chacune en soi. Spinoza, en tant que Juif, rejeta complètement le dualisme qui caractérisait le système de Descartes. Cette profonde unité de sa [158] philosophie, telle qu’elle se manifeste en Europe, l’esprit, l’infini et le fini identiquement en Dieu, non comme dans un troisième terme, c’est comme un écho de l’Orient.2 La vision orientale de l’identité absolue est introduite dans la pensée européenne et rapprochée encore plus immédiatement du philosopher européen cartésien.
Tout d’abord, il faut toutefois considérer les circonstances de la vie de Spinoza. Il est né à Amsterdam en 1632 dans une famille juive portugaise et a été prénommé Baruch, prénom qui a cependant été changé en Bénédikt. Dans sa jeunesse, il a reçu l’enseignement des rabbins. Cependant, tôt, il se prit de querelle avec les rabbins de la synagogue à laquelle il appartenait. Ils s’étaient émus de ce qu’il s’était déclaré contre les rêveries talmudistes. De bonne heure, il se trouva à l’écart de la synagogue. Les rabbins craignaient que son exemple pût avoir de mauvaises suites. Ils lui offrirent 1000 florins de traitement annuel s’il voulait bien cohabiter avec eux et se tenir tranquille. Il le refusa. Leurs persécutions allèrent alors si loin qu’ils pensèrent à l’écarter de leur chemin par l’assassinat et à peine put-il échapper au poignard pointé sur lui. Aussitôt il abandonna formellement la  juive, sans toutefois rejoindre l’église chrétienne. Il s’appliquait maintenant avant tout à la langue latine, étudiait Descartes et donna aussi une présentation de son système, « exposé selon la méthode géométrique », qui est incluse dans ses oeuvres. Plus tard, il écrivit son Tractatus theologico-politicus ; par là, il acquit une grande célébrité. Il y est question de l’enseignement de l’inspiration, un traitement critique des livres mosaïques et, de même, avant tout du point de vue que ces lois se limitent aux Juifs. Ce que les théologiens chrétiens postérieurs [159] ont écrit de critique sur cette question, par où il doit devenir habituel de montrer que ces livres ont été rédigés postérieurement et pour partie sont plus récents que la captivité à Babylone, — un chapitre capital pour les théologiens protestants par quoi les nouveaux se distinguent des plus anciens et se mettent en avant avec beaucoup d’ostentation — , tout cela se trouvait déjà dans ce livre de Spinoza.
Celui-ci alla ensuite à Rynsburg près de Leyde et vécut, soumis à l’attention de nombreux amis, mais calmement, à partir de 1664, puis d’abord à Voorburg, un village près de La Haye et ensuite à La Haye même, et gagna sa vie dans la fabrication de verres optiques ; la Lumière le préoccupait. Il vivait pauvrement ; il avait des amis et aussi de puissants protecteurs. Il refusa les plus grands cadeaux que lui faisaient des amis riches (et même des seigneurs). Il se le défendit comme Simon de Vries voulait l’établir comme son héritier, accepta de lui un salaire annuel de 300 florins, abandonna sa part de l’héritage paternel à sa soeur. Par le prince électeur palatin, très hautement noble et libre des préjugés de son temps, il fut appelé à être professeur à Heidelberg, où il aurait pu enseigner et écrire en toute liberté, du moment que « le prince croit qu’il n’en abusera pas pour inquiéter ouvertement la religion établie. » Spinoza, dans ses lettres publiées, déclina cette invitation, mais avec prudence, parce qu’il ne savait dans quelle limite cette liberté philosophique devrait être enfermée, pour qu’il ne paraisse pas inquiéter ouvertement la religion fermement établie. Il demeura en Hollande, un pays au plus haut point intéressant pour la culture universelle, qui le premier en Europe donna l’exemple d’une tolérance totale et garantit aux individus un asile pour la liberté de pensée ; si furieusement que se déchaînaient les théologiens de ce pays contre la philosophie cartésienne, comme par exemple Bekker et Votius, ceci n’avait [160] pas cependant les conséquences qui en auraient suivi dans d’autres pays.
Il mourut le 21 février 1677, dans sa 44° année, atteint de phtisie, dont il souffrait depuis longtemps — en accord avec son système dans lequel toute particularité et toute unicité disparaissent dans la substance unique. Son oeuvre maîtresse, l’Ethique, fut publiée pour la première fois après sa mort par Louis Mayer, un médecin et l’ami de confiance de Spinoza. Elle se compose de cinq parties : la première traite de Dieu (De Deo) ; la seconde de la nature et de l’origine de l’esprit (de natura et origine mentis). Ainsi elle ne traite pas de la nature — étendue et mouvement — mais au contraire passe de Dieu même à l’esprit par l’aspect éthique. Le troisième livre traite des affects et des passions (De origine et natura affectuum) ; le quatrième de leur force ou de la servitude de l’homme (De servitute humana s. de affectuum viribus.) ; enfin le cinquième de la puissance de l’intelligence, de la pensée ou de la liberté de l’homme (de potentia intellectus s. de libertate humane). Le professeur Paulus, membre du consistoire, édita ses oeuvres à Iéna. J’ai été intéressé à cette oeuvre par la collation des traductions françaises. Comme il avait attiré sur lui une grande haine de la part des rabbins, de même il devait s’en attirer une plus grande encore chez les chrétiens et avant tout chez les théologiens protestants, en premier lieu à cause de son « Tractatus Théologico-philosophicus » mais aussi à cause de toute sa philosophie que nous allons maintenant étudier. Un religieux protestant, Colerus, publia un récit de la vie de Spinoza ; il s’emportait en vérité fortement contre lui, mais il donnait des informations à peu près justes et généreuses au sujet de sa fortune : comment il laissait seulement 200 Talers pour les dettes qu’il avait eues, etc. A l’inventaire le barbier fit parvenir une facture du « bienheureux monsieur Spinoza ». Le prédicateur s’en scandalise et fait cette remarque au sujet de ce compte : « s’il avait su de quel genre de fruit il s’agissait, il ne l’aurait certainement pas [161] nommé bienheureux ! » Sous le portrait de Spinoza est écrit : signum reprobationis in vultu gerens — le plus sombre trait d’un penseur profond, et cependant doux et bienveillant : reprobationis sans doute — non pas une réprobation passive, mais au contraire une réprobation active des préjugés, des erreurs et des souffrances impitoyables des hommes.
Ce que vise son système, c’est très simple et tout à fait facile à saisir. Une difficulté réside en partie dans le méthode, dans la méthode renversée selon laquelle il expose ses pensées3, et aussi dans la limite de l’examen par lequel il passe de manière insatisfaisante sur les points essentiels et sur les questions principales.
La philosophie de Spinoza est l’objectivation du cartésianisme dans la forme de la vérité absolue. L’idée simple de l’idéalisme de Spinoza est la suivante : ce qui est vrai, c’est seulement et tout simplement la substance unique, dont les attributs sont la pensée et l’étendue (nature) ; et seulement cette unité absolue est réelle, elle est la réalité — seule elle est Dieu. C’est comme chez Descartes, l’unité de la pensée et de l’être ou ce que le concept de son existence contient en lui-même. La substance de Descartes, l’idée, a bien complètement son être dans son concept, mais c’est seulement l’être comme être abstrait, non l’être comme être réel ou comme étendue. Au contraire les corporéités sont d’une autre substance et non pas un mode de celle-ci. De même le Je, la chose pensante, est pour soi, aussi un autre être qui subsiste par soi.4 Cette indépendance des deux extrêmes est surmontée par le spinozisme et ils deviennent des moments de l’être un absolu. Nous voyons qu’on arrive ici au point de saisir l’être comme unité des contraires. C’est l’intérêt majeur, de ne pas laisser en chemin la contradiction ; elle ne devra plus être mise de côté  — la médiation, le dénouement de la contradiction est la chose capitale. La contradiction n’est pas [162] posée dans l’abstraction du fini et de l’infini, de la limite et de l’illimité, mais au contraire de la pensée et de l’étendue. Nous ne disons pas « être » car c’est l’abstraction qui est seulement dans la pensée. La pensée est le retour en soi, le simple être égal à soi-même ; mais c’est l’être en général — aussi il n’est pas difficile de montrer son unité. L’être, pris plus précisément, est l’étendue.

Critique de la philosophie de Spinoza


a) On accuse le spinozisme d’être un  : Dieu et la nature (le monde) c’est un, les deux ne sont pas séparés. Cela ferait de la nature le véritable Dieu ou de Dieu la nature, si bien que Dieu disparaîtrait et que seule nature serait posée. Bien plutôt Spinoza ne pose pas la nature et Dieu l’un en face de l’autre, mais au contraire la pensée et l’étendue. Et Dieu est l’unité, la substance absolue dans laquelle c’est plutôt le monde, la nature qui s’abîme et disparaît. Les adversaires de Spinoza font comme s’ils s’intéressaient à Dieu, comme si cela était à eux de le faire pour lui. Mais les gens qui parlent contre Spinoza ne doivent pas le faire au sujet de Dieu mais au sujet du fini ou de soi soi-même. De Dieu et du fini nous donnons des relations de trois sortes. 1°  Le fini est et de même seulement nous sommes, et Dieu n’est pas. C’est l’. Ainsi le fini est pris absolument, il est le substantiel, et Dieu, donc, n’est pas. 2°  Dieu seul est, le fini n’est pas véritablement, il est seulement phénomène, apparaître. 3°  Dieu est et nous sommes aussi ; c’est l’unité synthétique pauvre, c’est l’accommodement de la justice. Chaque côté est aussi substantiel que l’autre, c’est la sorte de présentation suivante : Dieu a la gloire, il est au-delà, et de même les choses finies ont l’être. La raison ne peut pas s’arrêter dans une telle indifférence à l’égard d’une telle position. La nécessité philosophique est par là de saisir cette différence, si bien que la différence ne soit pas laissée en chemin, mais au contraire qu’elle ressorte toujours de la substance mais sans être pétrifiée dans le dualisme. Spinoza est au dessus de ce dualisme ; de même l’est la religion quand nous [163] changeons les représentations dans la pensée. Des deux premiers rapports est le premier , quand les hommes établissent le libre arbitre de la volonté, leur vanité, les choses naturelles finies comme la fin suprême. Ceci n’est pas le point de vue de Spinoza : Dieu seul est la substance unique ; la nature, le monde est d’après une expression de Spinoza seulement affection, mode de la substance, mais n’est pas substantielle. Le spinozisme est aussi un a-cosmisme. L’être du monde, l’être fini, la finitude n’est pas le substantiel — c’est seulement Dieu. C’est l’opposé de ce que soutiennent ceux qui accusent Spinoza d’ : chez lui il y a trop de choses en Dieu. «  Dieu est l’identité de l’esprit et de la nature, de même la nature, l’individu humain est aussi Dieu  ». Tout à fait exact ! Mais ils oublient qu’eux-mêmes y sont placés, ils ne peuvent oublier qu’ils ne sont rien. Ceux qui noircissent Spinoza de cette façon veulent considérer non pas Dieu mais le monde, le fini. Ils prennent à mal que ceci ne puisse pas valoir comme substantiel, ils prennent à mal leur propre déchéance.
b) Deuxièmement : la méthode démonstrative. Elle appartient à la méthode de la connaissance par entendement. C’est la méthode géométrique : axiomes, explications, théorèmes, définitions viennent en premier. Dans les temps nouveaux (Jacobi) on pose en principe que toute démonstration, tout savoir scientifique conduit au spinozisme, qu’il serait seul la méthode conséquente de la pensée5 ; ceci devrait conduire, à cause de ce que cela ne vaut essentiellement rien, à mettre en avant le seul savoir immédiat. Jacobi prend le spinozisme comme , parce qu’il y voit que Dieu n’est pas différencié du monde. Mais si on dit cela, alors le monde reste pérennisant dans la représentation ; mais chez Spinoza le monde ne se pérennise pas. On peut ajouter que la démonstration conduit au spinozisme si seulement on comprend là-dessous seulement la méthode de la connaissance par entendement. Spinoza est le point capital de la philosophie moderne : [164] ou le spinozisme, ou pas de philosophie. Spinoza a cette grande phrase : toute détermination est une négation.6 Le déterminé est le fini ; alors il peut être montré de tout cela et aussi le penser (par opposition à l’étendue) qu’il est un déterminé et qu’il renferme aussi une négation ; son essentiel repose sur la négation. Parce que Dieu est seulement le positif, l’affirmatif, tout chose autre est seulement une modification et non un étant en et pour soi. Ainsi Dieu seul est la substance. Aussi Jacobi a raison. La simple « Détermination » — Bestimmung — (la négation appartient à la forme) est un Autre contre la déterminité absolue, la négativité, la forme. La véritable affirmation est la négation de la forme. C’est la forme absolue. La marche de Spinoza est juste ; seule une phrase est fausse, dans laquelle il expose seulement un côté de la négation. Par l’autre côté la négation est négation de la négation et par là affirmation.
g) Le principe de la subjectivité, de l’individualité, de la personnalité ne se trouve donc pas dans le spinozisme, parce que la négation y est saisie seulement de façon unilatérale. La conscience, la religion se révolte contre cela. Le principe leibnizien d’individuation (dans les monades) intègre Spinoza. L’entendement a des déterminations qui ne se contredisent pas. La négation est simple déterminité. La négation de la négation est contradiction ; elle nie la négation ; ainsi est-elle affirmation mais aussi négation généralement. Cette contradiction, l’entendement ne peut pas la soutenir ; elle est le raisonnable. Ce point fait défaut à Spinoza ; c’est son manque. Le système de Spinoza est dans la pensée panthéisme absolument élevé et monothéisme. La substance absolue de Spinoza n’est rien de fini, rien du monde naturel. Cette pensée, cette conception est le fond ultime, l’identité de l’étendue et de la pensée. Nous avons devant nous deux déterminations, l’universel, l’étant en soi et pour soi, et deuxièmement [165]la détermination du particulier et de l’isolé, l’individualité. Alors il n’est pas difficile de montrer du particulier, de l’isolé, qu’il est en général le borné, que son concept généralement dépend d’un Autre, qu’il est dépendant, non pas véritablement existant pour soi, non pas véritablement réel. En considération du déterminé, Spinoza a établi la proposition omnis determinatio est negatio ; aussi c’est seulement le non-particulier, l’universel qui est véritablement réel, seulement substantiel. L’âme, l’esprit est une chose isolée, est comme tel borné ; ce qui, d’après cela, est une chose isolée est une négation et n’a pas de véritable réalité. La simple unité de la pensée auprès d’elle-même s’exprime en effet comme la substance absolue.
C’est dans sa totalité l’idée spinoziste. Elle est celle-là même qui chez les Eléates est le on.7 C’est la conception orientale qui s’est exprimée pour la première fois en Occident avec Spinoza.8 En tout, il est à remarquer ici que le penser doit s’être hissé jusqu’au point d’appui du spinozisme ; c’est le commencement essentiel du philosopher. Quand on commence à philosopher, aussi doit-on d’abord être spinoziste. L’âme doit se baigner dans cet éther de la substance une, elle doit s’être enfoncée dans le tout que l’on a tenu pour vrai. C’est cette négation de tout particulier à laquelle chaque philosophe doit être parvenu ; c’est la libération de l’esprit et son fondement absolu. La différence avec la philosophie éléate est seulement celle-ci que, à travers la chrétienté dans le monde moderne dans l’esprit l’individualité concrète est totalement présente. Auprès de cette exigence infinie du tout concret la substance n’est cependant pas déterminée comme concret en soi. Aussi, là le concret n’est pas dans le contenu de la substance, aussi tombe-t-il seulement dans la pensée réfléchissante et c’est d’abord de cette opposition infinie de cette dernière que résulte même chaque unité. De la substance en tant que telle, il n’y a rien de plus à dire ; il est seulement possible de parler du philosopher à son sujet et [166] des contradictions surmontées qu’elle renferme. La distinction tombe seulement celle de quelle espèce sont les oppositions qui sont surmontées en elle. Ceci, Spinoza l’a montré de beaucoup pas tant que les Anciens n’étaient parvenus à le faire.
Cette idée spinoziste doit être reconnue comme véritable et fondée. La substance absolue est le vrai, mais elle n’est pas encore tout le vrai ; elle doit aussi être pensée comme active, vivante, en soi et par là être déterminée comme esprit. La substance spinoziste est l’universel et aussi la détermination abstraite ; on peut dire qu’il s’agit du fondement de l’esprit, mais non en tant que sol se tenant fermement en dessous, mais au contraire, en tant que simple unité abstraite qui est l’esprit en soi. Si on en s’en tient à cette substance, on ne peut parvenir à aucun développement à aucune spiritualité, à aucune activité. Sa philosophie est seulement la substance indifférenciée, non pas esprit, parce qu’elle n’est pas le trinitaire. La substance reste dans la rigidité, dans la pétrification, sans les sources de Böhm.9 Les déterminations isolées dans la forme des déterminations de l’entendement ne sont pas les esprits des sources de Böhm qui travaillent les uns dans les autres et s’épanouissent. Dans la substance une, toutes les différences et déterminations des choses et de la conscience reculent ; ainsi, peut-on dire, dans le système spinoziste, tout se trouve rejeté dans l’abîme de l’anéantissement. Mais il n’en revient rien et le particulier dont il parle est seulement trouvé à l’arrivée, emprunté à la représentation sans ce que cela ait été justifié. Si cela devait être justifié, Spinoza aurait du le déduire, le tirer de sa substance ; elle ne s’ouvre pas sur ce qui serait vie, spiritualité. Ce qui arrive à ce particulier, donc, est qu’il est seulement une modification de la substance absolue, rien de réel n’étant en lui ; l’opération est pour lui seulement de dégager sa détermination, sa particularité, de le rabattre dans la substance absolue unique. Ceci est ce qui est insuffisant [167] chez Spinoza. La différence est posée extérieurement, elle demeure extérieure, on ne peut rien en saisir. Avec Leibniz, nous allons voir l’opposé, l’individualité fait en principe, de sorte que le système spinoziste est ainsi intégré extérieurement à travers Leibniz. C’est le grandiose de la manière de penser de Spinoza, de pouvoir renoncer à tout déterminé, à tout particulier, de pouvoir s’en tenir seulement à l’un, de pouvoir ne considérer que lui ; c’est une grandiose pensée, qui pourtant doit seulement être le fondement de tout examen véritable. Car c’est une immobilité rigide dont la seule efficacité est de tout jeter dans le gouffre de la substance, dans lequel tout disparaît, toute vie déchoit en elle-même ; Spinoza lui-même est mort de consomption10. C’est l’universel.
Quelques autres déterminations sont encore à mentionner. La méthode employée par Spinoza pour l’exposition de sa philosophie est, comme chez Descartes, la méthode géométrique, celle d’Euclide, celle que l’on tient pour la plus éminente quand on veut l’évidence mathématique, mais qui, inutilisable pour le contenu spéculatif, est dans son élément avec les sciences de l’entendement finies. Cela apparaît comme un manque concernant la forme extérieure, mais c’est un manque fondamental. Dans sa méthode mathématique démonstrative, Spinoza part des définitions ; celles-ci concernent l’ensemble des déterminations. Et elles sont prises directement, présupposées11 et non pas dérivées ; il ne sait pas comment il en arrive là. Les moments essentiels du système sont déjà parfaitement contenus dans les déductions directes12 des définitions, sur lesquelles toutes les démonstrations ultérieures doivent être rabattues. Mais d’où viennent les catégories qui commencent ici comme définitions ? Nous les trouvons en nous dans la formation scientifique. Il ne pourra pas non plus être développé à partir de la substance unique qu’il y a la Raison, la Volonté, l’Étendue, mais au contraire on en parlera directement dans ces déterminations. Et cela tout naturellement ; car c’est déjà l’Un où rentre pour y disparaître et d’où rien ne ressort.
[168] 1. Spinoza commence (dans l’Ethique) avec les Définitions ; il faut à partir de là considérer ce qui suit.
a) La première définition de Spinoza est la cause d’elle-même (causa sui). Il dit : «  Par cause de soi, j’entends ce dont l’essence [ou concept] contient en elle-même l’existence ou ce qui ne peut pas être pensé autrement qu’existant.  » L’unité de la pensée et de l’existence est ainsi établie de prime abord (l’essence est l’universel, le penser) ; et il s’agira toujours de cette unité. Causa sui est une expression importante. L’effet sera opposé à la cause. La cause de soi est la cause qui agit, sépare un autre ; mais ce qu’elle produit, c’est elle-même. Dans la production, elle surmonte en même temps la différence ; le fait de se poser comme un autre est la chute et en même temps la négation de cette perte. C’est là un concept entièrement spéculatif. Nous présupposons que la cause agit en quelque chose, et que l’effet est quelque chose d’autre que la cause. Ici au contraire, le sortir-de-soi de la cause est immédiatement surmonté, la cause de soi produit seulement soi-même. C’est ici un concept fondamental dans tout ce qui est spéculatif. C’est la cause infinie dans laquelle la cause est identique à l’effet. Si Spinoza avait développé plus loin ce qui se tient dans la causa sui, sa substance n’aurait pas été le rigide.
b) la deuxième définition est celle du fini. «  Est fini ce qui est limité par un autre de son genre.  » Car là où il a une fin, il n’est plus là, il est autre. Mais cet autre doit être du même genre. Car les choses qui veulent se limiter, pour pouvoir se limiter doivent avoir un point de contact, une relation l’un avec l’autre13, c’est-à-dire doivent être du même genre, s’élever sur le même sol, avoir une sphère commune. C’est le côté affirmatif de la limité. «  Une pensée peut seulement être limitée par une autre pensée, un corps par un autre corps, mais une pensée ne peut pas être limitée par un corps ni un corps par une pensée.  » Cela, [169] nous l’avons vu chez Descartes : la pensée est pour elle-même la totalité et il en va de même pour l’étendue ; elles n’ont rien à faire l’une avec l’autre. Chacune est la clôture en elle-même. La relation à l’autre est la limite.
c) la troisième définition est celle de la substance.   «  J’appelle substance ce qui est en soi et est conçu par soi ou dont le concept ne nécessite pas le concept d’une autre chose dont il serait rempli.  », — ce qui n’a pas besoin d’un autre ; sans quoi cela serait fini, accidentel. Ce qui nécessite un autre pour pouvoir être conçu n’est pas absolu mais assujetti à un autre.
d) Quatrième définition. Ce qui vient en second après la substance, ce sont les attributs ; ceux-ci lui appartiennent. «  Par attribut, j’entends par attribut ce qui l’entendement conçoit de la substance comme constituant son essence  » ; et seulement ceci est vrai chez Spinoza. C’est la grande détermination. L’attribut est en vérité déterminité, mais totalité. Il y a en a seulement deux, la pensée et l’étendue. L’entendement les saisit comme l’essence de la substance, l’essence n’est pas plus élevée que la substance mais au contraire elle est seulement essence dans la réflexion de l’entendement. Cette réflexion est en dehors de la substance. Elle peut être réfléchie de deux manières, comme pensée et comme étendue. Chacune est totalité, contenu de toute la substance, mais seulement sous une certaine forme ; par là même les deux côtés sont en soi identiques, infinis. Ceci est le véritablement accomplissement. Dans l’attribut l’entendement saisit la substance toute entière. Mais où la substance passe dans l’attribut, cela n’est pas dit.
e) Cinquième définition. Ce qui vient en troisième est le mode. «  Par mode, j’entends les affections de la substance ou encore ce qui est dans une autre chose, par laquelle il peut être conçu.  » Aussi la substance est conçue par soi-même ; l’attribut n’est pas ce qui est formé par soi-même, mais au contraire a une relation avec l’entendement concevant, mais aussi longtemps qu’il conçoit l’essence ; le mode fini est ce qui n’est pas conçu comme l’essence mais au contraire à travers et en quelque chose d’autre. Ces trois moments, Spinoza aurait non pas les poser comme concepts, [170] mais au contraire les déduire. Les trois dernières déterminations sont tout à fait importantes. Elles correspondants à ce que nous distinguons plus précisément comme Universel, Particulier et singulier. Mais on ne doit pas les prendre comme formelles mais au contraire dans leur sens véritablement concret. L’universel concret est la substance, le particulier concret est le genre. Le père et le fils sont ainsi des particuliers mais dont chacun contient la nature entière de Dieu (seulement sous une forme particulière). Le mode est le singulier, le fini comme tel, lequel entre en connexion extérieure avec l’autre. Spinoza a ainsi une descente ; le mode est l’entravé. Le défaut de Spinoza est qu’il saisit le troisième uniquement comme mode, comme mauvaise singularité. La véritable singularité, l’individualité, la véritable subjectivité n’est pas seulement l’éloignement de l’universel, la détermination tout court ; au contraire, c’est en tant que déterminé tout court l’étant-pour-soi, seulement le déterminant soi-même. Le subjectif est ainsi de même le retour à l’universel ; le singulier est l’étant auprès de soi-même et aussi l’universel. Le retour consiste en ceci qu’il est l’universel auprès de lui-même et Spinoza n’a jamais poursuivi jusqu’à ce retour. La substantialité figée est ce qui vient en dernier chez Spinoza et non la forme infinie ; cela il ne le pouvait pas. C’est toujours cette pensée dans laquelle la déterminité disparaît.
Sixièmement, la définition de l’infini est encore importante. L’infini a la signification double suivant qu’il est pris comme infiniment nombreux ou comme l’infini en soi et pour soi. « De l’infini dans son genre (in suo genere inifinitum) on peut nier une infinité d’attributs. L’infini absolu est tel que appartient à son essence tout ce qui exprime une essence et n’enveloppe aucune négation. » Dieu est l’être absolument infini et l’infini est l’affirmation de lui-même.
Plus loin, Spinoza différencie l’infini de l’imagination (infinitum imaginationis) et l’infini de la [171] pensée (infinitum intellectus, infinitum actu). La plupart des hommes parviennent seulement au premier. Celui-ci est le mauvais infini, quand on dit « et ainsi de suite jusqu’à l’infini », par exemple l’infinité de l’espace d’étoile en étoile, les hommes le veulent sublime, de même dans le temps. Les séries infinies en mathématiques, le nombre, sont de la même sorte. Une fraction peut-être représentée comme nombre décimal ; c’est mauvais ; 1/7 est le véritable infini à quoi rien ne manque. Les séries infinies sont imparfaites ; leur contenu est en vérité limité. Mais l’infinité qu’on a présente à l’esprit d’habitude quand on parle d’infinité. Et si on peut essayer de la concevoir de manière plus élevée, elle n’est rien de présent, elle ressort toujours du négatif, elle n’est pas actu. L’infinité philosophique, ce qui est infini en acte, est l’affirmation de soi même. L’infini de l’intellect, Spinoza le nomme affirmation absolue. Tout à fait vrai ! Mais il aurait été mieux de pouvoir l’énoncer comme « C’est la négation de la négation » — Spinoza ici aussi emploie des exemples mathématiques pour l’explication du concept d’infinité ; dans ses operibus postumis, par exemple, il en vient à la figure, comme image de cette infinité (et aussi avant son Ethique). Il a deux cercles qui sont inclus l’un dans l’autre mais ne sont pas concentriques. Le plan entre les deux cercles ne peut pas être indiqué, il n’est pas exprimable par un rapport déterminé, pas commensurable. si je veux le déterminer, je dois prolonger à l’infini, une série infinie14. C’est le dehors, il est toujours imparfait, toujours entaché de négation. Et pourtant ce mauvais infini est terminé, limité, affirmatif dans chaque niveau actuel. L’affirmatif est ainsi négation de la négation ; duplex negatio affirmat, d’après une règle de grammaire connue. L’espace entre les deux cercles est un espace parfait, il est effectif et non unilatéral ; et pourtant la détermination de l’espace ne peut pas être suffisamment donnée en termes de nombres. Le déterminer n’épuise pas l’espace lui-même ; et pourtant il est en acte. Ou une [172] ligne, une ligne finie consiste en un nombre infini de points et est cependant présente, en acte.15 L’infini doit être représenté comme effectivement actuel. Le concept de « cause de soi » est ainsi la véritable infinité. Aussitôt que la cause a au-dessus d’elle un autre, l’effet, le fini est présent ; mais ici cet autre est en même temps surmonté, il est à nouveau la cause elle-même.
Septième définition. « Dieu est l’être absolument infini, ou la substance, qui consiste en une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence (essentiam) éternelle et infinie. » L’infini est l’indéterminé, le nombreux infini et indéterminé ; ensuite seulement deux attributs sont admis par Spinoza.
Toute la philosophie de Spinoza est contenue dans ces définitions ; mais celles-ci sont des déterminations universelles et ainsi totalement formelles. Le défaut est qu’il commence ainsi par les définitions. En mathématique, cela peut être admis, puisque les définitions sont des présuppositions16 ; le point, la ligne sont présupposés. En philosophie le contenu doit être connu comme le vrai en soi et pour soi. Une fois, on peut aboutir à la justesse de la définition nominale de sorte que le mot « substance » corresponde à cette présentation, laquelle indique la définition. Autre chose est que ce contenu soit vrai en soi et pour soi. Pour la méditation philosophique, c’est la chose capitale. Cela, Spinoza ne l’a pas fait. Il a établi des définitions, lesquelles expliquent ces pensées simples, en tant qu’elles représentent le concret. Mais le nécessaire serait à rechercher si ce contenu était vrai. En apparence, c’est seulement l’explication des mots qui est indiquée, mais le contenu, ce qui est dedans, compte. Tout autre contenu est ramené la-dessus, de sorte que celui-ci est démontré. Mais de ce premier contenu tout autre est dépendant (exhrthtai chez Aristote). « L’attribut est ce que l’entendement de [173] Dieu pense. » D’où vient l’entendement (hormis Dieu) qui produit une telle méditation ? Ainsi tout rentre et ne sort pas. Les déterminations ne sont pas développées à partir de la substance, elle ne se résout pas à ces attributs.
2. L’étape suivante après ces définitions consiste dans les théorèmes, les propositions. Il développe toutes sortes de démonstrations. La chose capitale est maintenant que Spinoza prouve à partir de ces concepts qu’il n’est qu’une seule substance, Dieu. C’est un chemin simple, une démonstration très formelle.
a) « Cinquième proposition : il ne peut pas être donné deux ou plusieurs substances de même nature ou des mêmes attributs. » Ceci réside déjà dans les définitions. La démonstration est malaisée, d’un tracas inutile. « S’il y a en avait plus » (de substances d’un même attribut) « on devrait pouvoir les distinguer l’une de l’autre soit par la différence de leurs attributs soit par celle de leurs affections. » (modi). Car a) précisément les attributs sont ce que l’entendement saisit comme l’essence ; le concept de cet attribut est précisément une essence. « Si on les différencie par leurs attributs, serait alors immédiatement accordée la proposition selon laquelle il y a seulement unesubstance du même attribut. » Car précisément la substance est l’essence, le concept de cet attribut, déterminé en soi et non par un autre. b) si elles étaient distinguées d’après leurs modes, alors la substance étant de par sa nature antérieure à ses affections (prior est natura), elle ne pourra pas, si on fait abstraction de leurs affections (depositis ergo affectionibus) et si elle est considèrée en elle-même, c.a.d. vraiment, (in se, h.e. vere considerata), pas être conçue comme différente (non poterit concipi ab alia distingui).
b) « Huitième proposition : chaque (omnis) substance est nécessairement infinie. — Car autrement elle devrait être limitée par une autre substance du même genre qu’elle ; ainsi il y aurait deux substances du même attribut, ce qui est contraire à la cinquième proposition. »
« Chaque attribut doit être conçu par soi », — la déterminité en soi se réfléchit. « Car l’attribut est ce que l’entendement perçoit d’une substance comme constituant son essence ; [174]et par suite il doit être conçu par soi. » Car la substance est ce qui est conçu par soi-même (voir troisième définition). « C’est pourquoi nous ne pouvons pas conclure de la pluralité des attributs à la pluralité des substances ; car chacun est conçu pour soi, sans transition à un autre » – sans être limité par un autre.
c) « La substance est indivisible. – a) si les parties retenaient la nature de la substance, alors il y aurait plusieurs substances de la même nature ; ce qui est contre la cinquième proposition. b) sinon, une substance pourrait cesser d’être, ce qui est absurde »17
d) Quatorzième proposition. En dehors de Dieu aucune substance ne peut être donnée ni pensée. - En effet Dieu est l’être absolument infini duquel nul attribut, lequel exprime l’essence de la substance, ne peut être retiré, il ne peut pas être nié et par conséquent existe nécessairement., - si une autre substance pouvait être donnée en dehors de Dieu, elle devrait être expliquée (saisie) par un attribut de Dieu ». Par conséquent, la substance n’aurait pas son essence propre, mais celle de Dieu, par conséquent ce ne serait pas une substance. Ou si ce devait cependant être une substance, « on devrait pouvoir donner deux substances du même attribut. Ce qui est absurde d’après la proposition V. De là suit donc que la chose étendue (res extensa) et la chose pensante (res cogitans) ne sont pas substances mais au contraire soit des attributs de Dieu, soit des affections de ses attributs. » Avec ces démonstrations et des semblables, il n’est pas beaucoup à entreprendre.
« Quinzième proposition : ce qui est est en Dieu et ne peut pas être ni être conçu sans Dieu. »
« Seizième proposition : de la nécessité de la nature divine doit suivre une infinité en un mode infini, c’est-à-dire tout ce qui peut tomber sous un entendement infini. - Dieu est aussi la cause de toutes choses. » Tout cela est déjà contenu dans les définitions. Si ceci est pris pour base, [175] alors chacune des autres choses doit suivre nécessairement. - Le plus difficile chez Spinoza est, dans les différenciations auxquelles il arrive, dans le déterminé, de saisir la relation de ce déterminé à Dieu, de sorte qu’il y ait encore quelque chose à en tirer.
L’essentiel tient en ceci qu’il dit que Dieu, la susbtance, consiste en une infinité d’attributs. Ce que cette méthode atteint alors, c’est qu’on pourrait saisir tout d’abord les attributs infinis de Dieu comme l’infiniment multiple. Mais ce n’est pas cela ; Spinoza discerne et parle beaucoup plus de deux attributs seulement. « Absolument infini », c’est-à-dire positif d’après Spinoza - comme un cercle est en soi une infinité achevée en acte. Pensée et étendue sont maintenant ces deux attributs qu’il situe en Dieu : « Dieu est une chose pensante (res cogitans) parce que tous les modes singuliers du penser sont une expression assurée et déterminée de la nature de Dieu. Appartient à Dieu aussi un Attribut dont toutes les pensées singulières enveloppent en soi le concept par lequel elles sont saisies. - Dieu est une chose étendue (res extensa) pour les mêmes raisons. »
Comment ces deux attributs sont tirés de la substance unique, c’est ce que Spinoza ne montre pas. Il ne démontre pas non plus pourquoi on n’en peut saisir que deux. Ceux-ci sont maintenant comme chez Descartes la pensée et l’étendue. Et il les représente de telle façon que chacun est pour lui la totalité entière, de sorte que les deux contiennent la même chose, seulement une fois dans la forme du penser, et une autre fois dans la forme de l’étendue. L’entendement alors comprend ces attributs et il les comprend comme totalité ; ils sont les formes sous lesquels l’entendement saisit Dieu. Mais étendue et pensée ne sont pas maintenant dans la vérité, mais seulement différenciées de manière extérieure, car elles sont le tout. L’attribut en effet est ce que l’entendement saisit de l’essence de la substance ; mais Spinoza ne compte l’entendement que parmi les affections18. Les deux expressions touchent donc à l’essence tout entière ; leur différence tombe seulement [176] dans l’entendement qui en tant que mode n’a pas de vérité. Mais qu’il y ait une substance, cela réside déjà dans les définitions de la substance et les démonstrations ne sont que des chicaneries formelles qui ne servent qu’à alourdir la compréhension de Spinoza.
Sur le rapport de la pensée et de l’être, il dit : c’est la même chose quant au contenu qui est une fois sous la forme de la pensée et ensuite sous celle de l’être. Chacun exprime la même essence, seulement dans la forme que l’entendement parvient à faire entrer, qui lui parvient. L’essence est Dieu et chacun des deux est la même totalité. En effet cette même substance, sous l’attribut de la pensée est le monde intelligible, mais elle est Nature sous l’attribut de l’étendue ; nature et pensée expriment tous les deux la même essence de Dieu. Ou, comme il dit, « l’ordre, le système des choses naturelles est le même que l’ordre des idées. »19 – ils ne se déterminent pas, ils sont infinis : le corporel ne détermine pas le penser, ni l’inverse. La substance pensante et la substance étendue sont seulement la même substance, laquelle peut être saisie tantôt sous celui-ci, tantôt sous celui-là des prédicats ; c’est un seul et même système.20 « Ainsi par exemple le cercle qui existe dans la nature et l’idée du cercle existant, qui est aussi en Dieu, est une seule et même chose » (c’est un seul et même contenu), qui est expliquée à travers des attributs différents. Si nous considérons donc la nature soit sous l’attribut de la pensée, soit sous celui de l’etendue soit sous quelque autre que ce soit, nous trouverons une seule et même connexion des raisons, c’est-à-dire la même suite des choses. L’être formel de l’idée de cercle peut seulement être saisi sous le mode du penser qu’en tant que cause prochaine, et celui-ci à travers un autre et ainsi de suite à l’infini, de telle sorte que nous devons expliquer entièrement par l’attribut de la pensée de la l’ordre de la nature toute entière ou la connexion des raisons – et s’ils devaient être pensés sous l’attribut de l’étendue, alors c’est seulement [177] sous l’attribut de l’étendue qu’ils devraient être pensés et ceci vaut pour les autres raisons. » C’est un seul développement absolu de la substance, qui apparaît une fois en tant que nature et ensuite sous la forme du penser.
Ceci pourrait être réchauffé21 en quelque chose de ce style : en soi le monde pensant et le monde corporel sont une seule et même chose ; ils ne différent que dans la forme. Mais ici se pose la question suivante : comment l’entendement en vient-il à ce point qu’il applique ces formes à la substance absolue ? et d’où viennent ces deux formes ? On pose aussi ici l’unité de l’être et du penser et aussi celle de l’être et de l’étendue, de sorte que l’universel pensé en soi est entièrement absolu, cette même totalité est aussi bien la totalité divine et que l’universel corporel. Nous avons ainsi deux totalités ; en soi elles sont la même et les différences sont seulement les attributs ou les déterminations de l’entendement. C’est la représentation générale. Les attributs ne sont même rien en soi, ils ne sont pas des différences en soi. Plus haut, nous disons que la nature et l’esprit sont rationnels ; la raison n’est pas un mot vide, mais soi-même en soi la totalité en développement.
De cette substance une, penser et étendue sont seulement des attributs. Comme penser et être sont en soi identiques, on a voulu ainsi en dériver l’ dans lequel spirituel ne se distingue pas du corporel et où aussi Dieu est rabattu sur la nature. Mais Spinoza ne pose pas du tout Dieu identique à la nature mais au contraire au penser. Mais Dieu est même l’unité du penser et de l’être ; Dieu est l’unité elle-même, pas l’un des deux. Et dans cette unité, la séparation entre la subjectivité du penser et la naturalité est abolie. Seul Dieu est ; toute « mondanéité »22 n’a aucune vérité. Ainsi on aurait pu beaucoup mieux nommer ce système un acosmisme.23
Sans Dieu, rien ne peut être. A Dieu, Spinoza attribue liberté et nécessité. « Dieu est la cause absolument libre24 [178] qui n’est déterminée par rien d’autre ; donc il existe seulement par la nécessité de sa propre nature. Il n’y a aucune cause qui, intérieurement ou extérieurement le pousse à l’action, en dehors de la perfection de sa nature. Son effectivité est nécessaire et éternelle d’après les lois de sa nature ; ce qui découle de sa nature absolue, de ses attributs est éternel, comme de la nature du triangle de toute éternité et pour l’éternité il suit que ses trois angles sont égaux à deux droits. » Son essence est sa puissance absolue ; actu et potentia, penser et être est un. Dieu n’aurait pas d’autre pensée qu’il aurait pu épuiser. « Son essence et son existence sont la même chose, – la vérité. » Mais il reste dans cette généralité, que Dieu n’est pas déterminé par ses fins ; les fins particulières, les pensées avant l’être, et tout ce qui est de même, cela doit être dépassé.
« La volonté n’est pas une cause libre, mais au contraire seulement une cause nécessaire, seulement un mode. Aussi il est déterminé par un autre. » « Dieu n’agit d’après aucune cause finale (sub ratione boni). Ceux qui soutiennent cela semblent poser en dehors de Dieu quelque chose qui ne dépend pas de Dieu et à quoi Dieu se rapporte dans ses opérations comme à un but. Si on conçoit les choses de cette manière, alors Dieu n’est pas une cause libre, mais il est soumis à un destin. Il est de même inadmissible de tout soumettre au libre arbitre d’une volonté indifférente de Dieu. » Il est seulement déterminé par sa nature. L’effectivité de Dieu est aussi sa puissance (potentia) et c’est la nécessité. C’est ensuite la puissance absolue par opposition à la sagesse qui détermine les buts et pose en même temps les limites. Il est en effet particulièrement typique que Spinoza dit que toute détermination est négation. Ainsi c’est quelque chose aussi de fini quand Dieu est la cause du monde, car le monde est posé comme un autre à cîté de Dieu
[179] « Dieu est la cause immanente et non transcendante », c’est-à-dire xtérieure. « Une chose qui est déterminée à produire un effet, est, Dieu étant cause, nécessairement déterminée à le faire par Dieu ; – et celle qui est ainsi déterminée ne peut pas se rendre indéterminée. « Dans la nature il n’est rien donné de contingent. »25
e) Transition de Spinoza vers les choses singulières, particulièrement la conscience de soi, la liberté du Je. Il n’y a aucune démonstration à partir du concept de la substance absolue. Spinoza s’exprime sur le singulier de telle sorte qu’il est le retour de toutes les choses, les limitations de la substance, plus que l’établissement ferme du singulier – donc aussi négativité. Les attributs ne sont rien pour soi mais seulement tels que l’entendement saisit la substance dans leurs différences. Le troisième terme26 est constitué par les modes ou les affections. Toute différence des choses tombe seulement sous les modes. De ceux-ci, Spinoza dit : dans chaque attribut, il y a deux modes, le repos et le mouvement dans l’étendue, dans le penser, l’entendement et la volonté (intellectus et voluntas). Le singulier en tant que tel tombe sous ces modes ; ils sont ce par quoi ce différencie ce qu’on appelle singulier. Ce sont simplement des modifications ; ce qui se tire de cette différence et ce qui est établi à travers elle n’est rien en soi. Chaque modification est seulement pour nous, en dehors de Dieu, mais elle n’est rien en soi et pour soi.
Ce dernier aspect, les modes, les affections, Spinoza le saisit globalement sous le terme de natura naturata. « La natura naturans Dieu considéré comme cause libre, aussi longtemps qu’il est saisi en soi et par soi-même – ou ces attributs de la substance qui expriment une essence éternelle et infinie. Par natura naturata, j’entends tout ce qui suit de la nécessité de la nature divine ou de chacun des attributs de Dieu, tous les modes des attributs divins aussi longtemps qu’ils sont considérés comme des choses qui sont en Dieu et qui sans Dieu ne pourraient ni être [180] ni être saisies. »27 Il n’émane rien de Dieu, au contraire toutes les choses y retournent si c’est leur origine.
Ce sont là les formes générales de Spinoza, l’idée maîtresse. Quelques formes déterminées sont encore à éclaircir. Il donne des définitions nominales des modes, de l’entendement, des affects, joie et tristesse. Plus loin nous trouvons l’observation de la conscience. Sa démarche là est simple au plus haut point, ou bien plutôt il n’y en aucune, il commence directement à partir du mens.
« L’essence de l’Homme consiste (essentia hominis constituitur) en modifications des attributs de Dieu. » Ces modifications sont quelque chose seulement en considération de notre entendement. « Si nous disons aussi que l’esprit humain28 perçoit ceci ou cela, il ne s’agit de rien d’autre que de dire que Dieu a cette idée-ci ou celle-là, non en tant qu’il est infini, mais au contraire en tant qu’il est explicité par l’idée de l’esprit humain. Et si nous disons que Dieu a cette idée ci ou celle-là non pas seulement en tant qu’il constitue l’idée de l’esprit humain, mais en tant qu’il a en même temps que cet esprit humain une idée d’une autre chose, alors nous disons que l’esprit humain perçoit la chose en partie ou de façon inadéquate. »29 Le vrai est l’adéquat. Si le contenu est posé dans la forme de l’esprit humain, telle est cette perception de l’homme, laquelle est une modification de Dieu ; tout ce que nous différencions comme étant est seulement un mode. Tout particulier est un remplissement par un entendement extérieur. – Bayle fait cette remarque plaisante qu’il s’en suit que Dieu modifié en Turc combat Dieu modifié en roi d’Autriche.
[181] « Ce qui se trouve dans l’objet de l’idée dont l’esprit de l’homme est constitué, cela doit être perçu par l’esprit humain ; ou encore de cette chose il doit nécessairement être donné une idée dans l’esprit. C’est-à-dire que si l’objet de l’idée, qui constitue l’esprit humain, est le corps, alors il n’y a rien dans le corps qui ne soit perçu dans l’esprit. »30
Le lien entre pensée et étendue, il [Spinoza] le perçoit ainsi dans la conscience humaine : « L’objet (mieux l’objectif) de l’idée, laquelle constitue l’esprit humain, est le corps ou une manière particulière d’exister de l’étendue (certus modus). Ce qui veut dire que si les idées des affections du corps n’étaient pas en Dieu, aussi longtemps qu’il constitue notre esprit, alors les idées des affections de notre corps ne seraient pas, par celà même, dans notre esprit. » La difficulté à comprendre le système de Spinoza est : a) l’identité absolue du penser et de l’être. b) leur absolue similitude, l’un par rappoer à l’autre, parce que chacun explicite l’essence de Dieu toute entière. L’unité du corps et de la conscience est ceci qu’ils sont une substance ; en tant que singulier, un mode particulier de l’existence. La substance est la substance absolue, le particulier est un mode, qui en tant que conscience est le représenter des déterminations du corps, ou du comment le corps est affecté par les choses extérieures. « L’esprit se connaît lui-même pour autant qu’il perçoit les idées des affections du corps », — il a seulement l’idée des affections de son corps ; cette idée est la synthèse, comme nous allons le voir tout de suite. « Les idées, qu’elles soient celles des attributs de Dieu ou celles des choses singulières ne connaissent pas comme leur cause efficiente non ce qui est représenté ou les choses, mais au contraire Dieu lui-même en tant qu’il est une chose pensante. »31« Avec [182] l’étendue est indissociablement liée au penser ; aussi tout ce qui advient dans l’étendue doit aussi advenir dans la conscience. » Ici nous voyons une séparation ; la simple identité, que dans l’absolu rien ne différencie, n’est pas satisfaisante.
L’individuum, la particularité elle-même, Spinoza la détermine de sorte que l’individu subsiste : « Si des corps » (Les déterminations sont des négations) « de même grandeur ou de grandeur différente sont limités » (ou dominés) « de sorte qu’ils sont maintenus l’un sur l’autre, ou s’ils se meuventavec le même degré ou avec des degrés de vitesse différents, de sorte qu’ils partagent leurs mouvements l’un contre l’autre suivant une manière particulière, alors nous disons que ces corps sont unis l’un avec l’autre et constituent ensemble un corps ou un individu qui se distingue des autres par cette union de corps. »32
Ici nous sommes à la limite du système de Spinoza et ici nous apparaît son défaut. L’individuation, l’un est une simple composition, le contraire du Je (ipséité) de Böhme : seulement la généralité, le penser, pas la conscience de soi. — Prenons ceci, avant que nous le considérions par rapport au tout, de l’autre côté, à savoir l’entendement, la différence y tomb, elle n’est pas déduite, se trouve même ainsi. Ainsi, comme nous l’avons déjà vu, l’entendement effectif (intellectus actu), c’est-à-dire la volonté, le désir, l’amour, appartient à la natura naturata, et non à la natura naturante. Car sous l’entendement, comme il est connu pour lui, nous n’entendons pas le penser absolu, mais une manière déterminée du penser : un mode qui est différent des autres modes, tels que désir, l’amour, etc. et aussi qui doit être conçu à travers le penser absolu, à savoir à travers un attribut de Dieu, qui [183] exprime l’essence éternelle et infinie du penser ; et tel donc qu’il ne peut ni être saisi ni être pensé par lui-même, comme aussi les autres modes du penser, volonté, désir, etc.33Spinoza ne connaît pas une infinité de la forme qui serait autre que celle de la substance rigide. C’est la nécessité, Dieu en tant qu’être de l’être, en tant que substance universelle, identité à reconnaître et cependant différences à maintenir.
Aussi l’entendement est un mode. Plus loin, il dit : « Ce qui constitue l’être effectif (actuale) de l’esprit humain (mentis humanaé), n’est rien d’autre que l’idée d’une chose singulière (individuelle) qui existe actu » et non pas d’un infini. « L’essence de l’être humain ne renferme aucune existence nécessaire, c’est-à-dire que d’après l’ordre de la nature un être humain peut aussi bien être ou ne pas être. » La conscience humaine est un mode — non un attribut, n’appartient pas à l’essence — et, en vérité, un mode de l’attribut du penser. Ce mode, considéré du côté de l’étendue, est un corps singulier, en tant qu’individuel, en tant que réuni de beaucoup. Les deux sont une identité. Mais ni le corps n’est la cause de la conscience, ni cette dernière n’est la cause du corps, au contraire la cause finie ici est le rapport du même au même ; le corps est déterminé par le corps, la représentation par la représentation. Tout ce qui est dans la conscience est aussi dans l’étendue (le corps) — ce qui est dans l’étendue est aussi dans la conscience. « Ni un corps ne peut déterminer l’esprit à un penser, ni un penser ne peut déterminer un corps au mouvement, au repos ou à quelque chose d’autre encore. Car tous les modes du penser ont Dieu pour cause, pour autant qu’il est une res cogitans et non pour autant qu’il est explicité par un autre attribut. Ce qui, aussi, détermine l’esprit au penser [184] est un mode du penser et non de l’étendue. Mouvement et repos d’un corps doivent venir d’un autre corps.
Buhle suppose à Spinoza des représentations bornées. « L’âme ressent dans le corps34 tout autre ce qu’elle aperçoit en tant qu’en dehors de son corps ; et elle ne l’aperçoit comme au moyen du concept des propriétés que le corps admet. D’où le corps ne peut pas admettre ce que l’âme ne peut pas aussi apercevoir. Au contraire l’âme ne peut pas non plus apercevoir son corps, elle ne sait pas qu’il est là et ne reconnaît elle-même par autrement que comme au moyen des propriétés que le corps reçoit des choses qui se trouvent en dehors de lui, et au moyen de leur concept. Car le corps est une chose singulière déterminée d’une certaine manière, qui peut parvenir peu à peu et avec et parmi d’autres choses à l’’être-là et se maintenir dans l’être-là seulement avec et pami elles » — dans l’infinité : elle ne peut pas être conçue de soi-même.
« La conscience de l’âme exprime une certaine forme déterminée (modus) d’un concept, comme le concept lui-même exprime une forme déterminée d’une chose singulière. Mais la chose singulière, son concept et le concept de son concept sont ensemble et simplement un seul et même ens, lequel est considéré sous l’angle de ses différents attributs. »
« Puisque l’âme n’est rien d’autre que le concept immédiat du corps et ne fait avec lui qu’une seule et même chose, alors l’excellence de l’âme n’est rien d’autre que l’excellence du corps. Les aptitudes de l’âme ne sont rien d’autre que les aptitudes du corps d’après la représentation du corps et les résolutions de la volonté de même sont des déterminations du corps. »
« Les choses singulières jaillissent de Dieu d’une éternelle et infinie » manière — ensemble et une fois —, non sur [185] un mode passager fini et temporaire. Elles jaillissent simplement séparément, en même temps qu’elles s’engendrent et se détruisent mutuellement mais persévèrent immuablement dans leur être-là éternel. »
« Toutes les choses singulières se présupposent mutuellement, l’une ne peut pas être pensée sans l’autre, c’est-à-dire qu’elles forment ensemble un tout inséparable. Elles sont en une chose, tout bonnement indivisible et infinie et en aucune manière là et réunies. »
Spinoza descend de l’universel de la substance à travers le particulier, le penser et l’étendue, jusqu’au singulier (modificatio). Il a ces trois moments, ou ils lui sont essentiels. Mais le mode, où la singularité tombe, il ne le reconnaît pas comme l’essentiel, ou pas comme le moment de l’essence elle-même dans l’essence ; mais au contraire, il s’évanouit dans l’essence ou encore il n’est pas élevé jusqu’au concept. Le penser a seulement la signification de l’universel, pas de la conscience de soi. Ce manque, la destruction du moment de la conscience de soi dans l’essence, est ce qui d’un côté révolte tant contre le système spinoziste, parce que cela abroge l’être pour soi de la conscience humaine, la liberté ainsi nommée, c’est-à-dire même l’abstraction vide de l’être pour soi et par là a séparé Dieu de la nature et de la conscience humaine, savoir en soi, dans l’absolu — mais d’autre part l’inquiétude philosophique est que même le négatif ne peut pas être reconnu en soi. Le penser est l’abstrait absolu, par là-même, il est le négatif  absolu ; il est ainsi en vérité, mais il ne peut pas être posé comme le négatif absolu.
Le se-différencier tombe en dehors de l’essence absolue, même dans les temps nouveaux. « L’absolu », dit-on, « ainsi considéré de ce côté », les côtés tombent aussi hors de lui. Aussi il est à considérer du point de le réflexion, seulement des côtés, mais aucunement en soi.Ce manque apparaît maintenant de telle sorte que le négatif [186] est la nécessité, en considération du différencié ; le concept, négatif en soi, est le négatif de son unité, sa division. Ainsi on reconnaît, de la simple universalité, le réel, la division, l’opposition même ; cependant cette nécessité ne se trouve pas chez Spinoza. La substance absolue, l’attribut, le mode, Spinoza les fait se suivre l’un l’autre en tant que définitions, il les prend comme donnés, sans que les attributs soient tirés de la substance et les modes des attributs. Et particulièrement dans la considération des attributs, il n’est donnée aucune nécessité qu’ils soient précisément le penser et l’étendue. Spinoza les prend comme trouvés à l’arrivée, comme apportés ; la substance a des attributs infinis ; combien infinis ? « L’idée du corps contient en elle-même seulement ces deux [attributs], encore en exprime-t-elle d’autres. Votre corps représenté est considéré sous l’attribut de l’étendue ; l’idée même est modus cogitandi. » Nous voyons que les deux attributs sont trouvés à l’arrivée.
Spinoza, dans l’infini, a indiqué plus près qu’ailleurs l’idée de l’idée. L’infini, pour lui, n’est pas ce poser et ce qui tend au poser, l’infinité sensée, mais au contraire l’infinité absolue, qu’une pluralité absolue a achevée actuellement en elle. Par exemple, la droite consiste en points infiniment nombreux ; elle est infinie, elle, une droite bornée, est, positivement, ici, sans au-delà actuel. L’au-delà des points infiniment nombreux, qui ne sont pas achevés, est achevé en eux ; il est rappelé à l’unité. De même ses définitions ont l’infini en elles, par exemple « la cause de soi » en tant que « ce dont l’idée contient en elle-même l’existence ». Concept et existence sont l’un l’au-delà de l’autre ; mais la cause de soi, ce « enfermer en soi », est même la reprise de cet au-delà dans l’unité. Or encore, « la substance est ce qui est en soi et est conçu hors de soi ; » c’est la même chose. Idée et existence sont dans l’unité ; [187] c’est en soi et a aussi son idée en soi-même ; son idée est son être et son être est son idée. C’est la véritable infinité ; elle est ainsi présente. Mais Spinoza n’en a pas conscience, il n’a pas reconnu cette idée comme l’idée absolue et ne l’a pas exprimée en tant que moment de l’essence elle-même ; au contraire, il tombe hors dans l’essence, dans le penser de l’essence.
Ainsi est présente cette idée en tant que reconnaissance de l’essence ; elle tombe dans le sujet philosophique et ceci se présente comme la méthode propre de la philosophie spinoziste. Elle est en effet la méthode démonstrative. Déjà Descartes était sorti de cette idée que les propositions philosophiques doivent être traitées et comprises comme les propositions mathématiques — elles doivent avoir le même genre d’évidence que celle des Mathématiques. Il est naturel que le savoir qui s’éveille de manière autonome soit d’abord tombé dans cette forme, en laquelle il voit un exemple si brillant. Seulement ici est complètement méconnue la nature de ce savoir et de son objet. La connaissance et la méthode mathématiques sont simplement formelles et ne peuvent pas du tout être transmises à la philosophie. La connaissance mathématique représente la démonstration de l’objet étant en tant que tel, mais pas du tout en tant que conçu. Lui donc défaut l’idée (le concept), mais le contenu de la philosophie est l’idée et ce qui est conçu. De cette manière démonstrative, nous avons déjà vu des exemples. : a)il commence par une série de définitions, cause de soi, fini, substance, attribut, mode, etc. – comme en mathématiques, par exemple en géométrie avec la ligne, le triangle, etc. – sans expliquer la nécessité de ces déterminations singulières. b) ensuite avec les axiomes, « ce qui est, est en soi ou en autre chose. » aa) Les déterminations « en soi » ou « en autre chose » ne sont pas exposées dans leur nécessité. bb) de même cette disjonction ne l’est pas, elle est simplement admise, etc. g)Les propositions ont [188] en tant que phrases un sujet et un prédicat qui sont dissemblables. Si le prédicat est démontré du sujet, s’il lui est joint nécessairement, alors la dissemblance reste telle que l’un se comporte en tant qu’universel vis à vis des autres en tant que particuliers. Aussi quand la relation, le lien sont démontrés, les relations voisines sont également présentes. La mathématique, dans les propositions vraies dans l’ensemble, s’appuie sur ceci qu’elle démontre aussi inversement les propositions et leur prend ainsi la déterminité dans laquelle elle donne ensemble chaque partie :aa) les propositions vraies peuvent être considérées comme définitions ; bb) l’inversion est la démonstration de l’usage du mot.
Cependant, la philosophie ne peut utiliser proprement ce moyen ; comme le sujet, dont elle démontre quelque chose, est seulement le concept ou la généralité, la forme de la proposition est pour cela complètement inutile et faussée. Ce qui a la forme du sujet, est dans la forme d’un étant contre la généralité (le contenu de la proposition). L’étant a la signification de la représentation, le mot, ce que nous utilisons dans la vie courante, ce dont nous avons une représentation non conceptuelle. Une proposition inversée ne serait rien d’autre que : le concept est ce représenté, c’est-à-dire le nom qui soit juste, – preuve tirée de l’usage, que nous sous-entendons aussi ceci dans la vie courante ; ceci n’a aucune signification philosophique. Mais si la proposition n’est pas telle, mais au contraire une proposition habituelle, le prédicat, non le concept, mais au contraire essentiellement le général, un prédicat du sujet, alors de telles propositions ne sont pas proprement philosophiques, par exemple que la substance est une et non plusieurs, mais au contraire seulement ceci où la substance et l’unité sont identiques. Or alors il s’agit de l’unité qui tombe dans la démonstration qui a montré l’unité des deux moments ; elle est le concept, l’essence. Parce que celui-là est contenu dans une proposition, il doit être considéré à partir d’un précédant ; ainsi, nous voyons le raisonnement habituel prendre quelque part l’idée intermédiaire, la relation comme [189] pour la différenciation le fondement de la différenciation. Cela apparaît alors comme si la proposition était l’essentiel, la vérité. Nous devons nous demander si cette proposition est vraie ; dans la démonstration seulement, le fondement sera cherché ailleurs.
Mais dans les propositions ainsi nommées proprement, le sujet et le prédicat sont différents en vérité, parce que l’un singulier, l’autre général, ainsi leur relation est l’essentiel du fondement dans lequel ils sont un. a) La démonstration a la position obvie comme si chaque sujet était en soi. Ils se sont eux-mêmes perdus dans le fondement, comme un moment. Dans le jugement ‘Dieu est un’, le sujet est lui-même universel et chaque sujet se dissout dans l’unité. b) Cette position obvie a pour fondement que la démonstration est tenue d’ailleurs, comme en mathématiques une proposition découle d’une proposition précédente, et ne peut pas être saisie par elle-même ; elle est en quelque sorte un détail. Le résultat, en tant que la proposition doit être la vérité, est pourtant le connaître. g) le mouvement du connaître en tant que démonstration tombe en dehors de la proposition qui doit être la vérité.
Ce moment conscient de soi négatif – le mouvement du connaître qui s’égare en ce qui a été dit – qui manque de ce contenu et qui lui est extérieur, est ce qui tombe dans la conscience de soi. Ou le contenu sont des pensées, mais non pas des pensées conscientes d’elles-mêmes, non pas des concepts ; le contenu a la signification du penser, en tant que pure conscience de soi abstraite, mais en tant que savoir privé de raison, extérieur à ce qu’est le singulier, et non pas signification du Je. – Par là, c’est comme en mathématiques ; démontrer est bien, on doit être être convaincu, mais on ne saisit pas le chose elle-même. C’est une nécessité inflexible de la démonstration que le moment de la conscience de soi manque ; le Je disparaît, renonce complètement à lui-même, se consume lui-même comme Spinoza s’est lui-même consumé et est mort de consomption.
3. Nous avons encore à parler de la  Spinoza ; une chose essentielle est la compréhension de l’éthique. Son œuvre majeure s’appelle l’Ethique ; une partie traite des bonnes mœurs, de la moralité. (Il commence par les propositions sur Dieu, ensuite il ne s’occupe pas [190] de la nature comme Descartes, mais va directement à l’homme lui-même et à l’éthique. Le principe de cette dernière n’est rien d’autre que ceci : puisque l’esprit fini a sa vérité, il doit aussi être moral, pour autant qu’il gouverne son connaître et son vouloir sur Dieu, pour autant qu’il a une idée vraie et que celle-ci est seulement la connaissance de Dieu. On peut ainsi dire qu’il n’y a pas de  plus sublime en ce qu’elle exige seulement une idée claire de Dieu.
Il parle des affects. L’entendement et la volonté sont des modes finis. – « Le sens de la liberté tient en ceci que les hommes ne connaissent pas les causes des actes, par lesquelles ils sont déterminés. » « le décret de la volonté et l’idée sont une seule et même chose. » « Chaque chose tend à persévérer dans son être ; cette tendance est l’existence elle-même ; elle s’exprime dans un temps indéfini. » « Cette tendance, à la fois comme corps et comme esprit, est l’appétit. » – « L’affect est une idée confuse ; l’affect est d’autant plus en notre pouvoir que nous le connaissons. » – L’influence des affects, en tant qu’idées confuses et limitées (inadéquates), sur l’agir humain produit la servitude humaine ; les affects passionnels sont essentiellement la Joie et la Tristesse. Nous sommes dans la passion et dans la non liberté aussi longtemps que nous nous considérons comme partie.
« Notre béatitude et notre liberté consistent dans un amour de Dieu constant et éternel ; » « elles suivent de la nature de l’esprit, aussi longtemps qu’elles sont considérées comme vérité éternelle à travers la nature de Dieu. » « Plus l’homme connaît l’essence de Dieu et aime Dieu, moins il pâtit des mauvais affects et moindre est sa peur de la [191] mort. – Spinoza exige par là que le véritable mode de la connaissance soit toute entier pensée sub specie aeterni, dans des concepts absolument adéquats, c’est-à-dire en Dieu. L’homme doit ramener à Dieu ; Dieu est Un en Tout ; ainsi le spinozisme est un acosmisme. Il n’y a pas de  plus pure et plus élevée que celle de Spinoza ; l’homme a seulement la vérité éternelle comme but de son activité. « L’esprit peut faire qu’il ramène toutes les affections du corps et les représentations des choses à Dieu », car « ce qui est, est en Dieu et rien ne peut être ou ne peut être saisi sans Dieu. » « Aussi longtemps que l’esprit considère toute chose comme nécessaire, il a une puissance d’autant plus grande sur ses affects », lesquels sont arbitraires et accidentels. C’est le retour de l’esprit à Dieu. Et c’est la liberté humaine. « Toutes les idées, aussi longtemps qu’elles sont rapportées à Dieu, sont vraies. »
Il y a trois genres de la connaissance : « 1) à partir du singulier à travers les sens, de manière mutilée et sans ordre, ensuite par les signes, la représentation, le souvenir, l’opinion et l’imagination ; 2) les concepts universels et les idées adéquates des propriétés des choses ; 3) la scientia intuitiva vient de l’idée adéquate de l’essence formelle d’un attribut de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses. » « La nature de la raison est de considérer les choses non comme contingentes mais, au contraire, comme nécessaires, sub specie aeterni. Car la nécessité des choses est la nécessité de la nature éternelle de Dieu lui-même. » « Chaque idée d’une chose singulière renferme nécessairement en elle-même l’essence éternelle et infinie de Dieu. Car les choses singulières sont des modes d’un attribut de Dieu ; aussi elles doivent contenir en elles-mêmes son essence éternelle. » Seule l’essence éternelle de Dieu est ; l’esprit n’a aucune liberté, parce qu’il est un mode, déterminé par les autres.
[192] « Du troisième genre de connaissance naît la quiétude de l’esprit ; le plus haut bien de l’esprit est de connaître Dieu et ceci est sa plus haute , » son but. « Notre esprit, aussi longtemps qu’il se connaît lui-même et qu’il connaît le corps sous la forme de l’éternité, a aussi longtemps nécessairement la connaissance de Dieu et sait qu’il est en Dieu et se saisit à travers Dieu. » Mais ceci n’est pas une connaissance philosophique, c’est seulement le savoir d’une vérité. « Et de cette connaissance résulte nécessairement l’amour intellectuel de Dieu ; car il en résulte une joie accompagnée de l’idée de la chose, c’est-à-dire Dieu. » « Dieu s’aime lui-même d’un amour intellectuel infini. » Car Dieu peut seulement se tenir lui-même comme but et comme cause ; et la détermination de l’esprit subjectif est de se régler sur lui. — C’est ainsi la plus haute mais aussi la plus générale des morales.
Dans la lettre 36, il parle du mal. On soutient que Dieu, en tant que créateur de l’Un et du Tout doit être aussi le créateur du mal, et donc lui-même méchant. Dans cette identité, l’un et le tout, le bien et le mal, seraient la même chose, cette différence ayant disparu dans le substance divine. Spinoza dit : « Je soutiens que Dieu est absolument et véritablement » (en tant que cause de soi) « la cause de tout ce qu’une essence » (c’est-à-dire une réalité positive) « renferme en elle-même. Si tu peux me démonter que le mal, l’erreur, le vice, etc. est quelque chose qui exprime une essence, alors je t’accorderai complètement que Dieu est la cause du vice, du mal, de l’erreur, etc. Mais j’ai déjà montré suffisamment que la forme du mal ne peut consister en quelque chose qui exprime une essence et donc on ne peut pas dire que Dieu en est la cause. » Le mal est seulement négation, privation, limitation, finitude, mode – et rien de vraiment réel en soi. « Le meurtre de la mère de Néron, pour autant qu’il renferme quelque chose de positif, n’était pas un crime. Car [193] Oreste a extérieurement commis le même acte et a eu la même intention de tuer sa mère et cependant n’a pas été dénoncé, etc. » L’affirmatif est la volonté, la représentation, l’acte de Néron. « Où se situe donc l’infamie de Néron ? Dans rien d’autre qu’il se montre ingrat, sans pitié et désobéissant. Mais il est certain que tout ceci n’exprime aucune essence et aussi que Dieu n’en est pas la cause, bien qu’il ait été la cause de l’acte et de l’intention de Néron. » C’est le positif et cela ne fait pas le crime en tant que tel ; le négatif (la désobéissance, etc.) fait de l’acte un crime.
Le mal et tout ce qui lui ressemble est seulement privatif. « Nous savons que ce qui est, considéré seulement en soi-même, sans considération d’autre chose, renferme une perfection qui s’étend aussi loin que l’essence de la chose s’étend, car l’essence n’est rien d’autre. » « Parce que Dieu ne considère pas les choses abstraitement ni ne forme des définitions générales » (ce que la chose doit être) « et qu’il ne vient pas plus de réalité aux objets que celle qui leur a été donnée dans l’entendement et la puissance de Dieu et leur a été effectivement accordée, de là suit manifestement qu’une telle privation existe seulement en considération de notre entendement, mais non en considération de Dieu. » Car Dieu est simplement réel. Cela est très bien dit, mais ce n’est pas satisfaisant. Aussi Dieu et la considération de notre entendement sont séparés. Où est leur unité ? Comment la saisir ?
Contre la substance universelle spinoziste se dresse la représentation de la liberté du sujet ; car, que je sois sujet, esprit, etc., le déterminé est seulement d’après Spinoza modification. C’est le côté révoltant que le système spinoziste a en lui-même et ce qui fait naître contre lui l’irritation ; car l’homme a la conscience de la liberté, du spirituel, qui est le négatif du [194] corporel, et qu’il est d’abord dans l’opposé au corps ce qu’il est véritablement. A cela, la théologie et l’esprit humain sain tiennent fermement ; et cette forme de la contradiction est d’abord que l’on dit que le libre est effectif, que le mal existe. Mais en tant que modification il n’est pas explicité ; car le moment de la négativité est celui qui fait défaut et manque dans cette rigide substantialité. Le caractère de l’opposition est aussi que l’on dit que l’esprit en soi, séparé du corporel, est substantiel, est effectif, n’est pas simple négation ; même la liberté elle-même n’est purement privative. Cette effectivité, on l’oppose donc au spinozisme ; c’est, à penser formellement, juste. Cette effectivité repose donc sur la sensibilité ; mais la suite est que l’idée, dans son mouvement essentiel, contient l’ardeur (la vivacité)35, a en elle-même le principe de la liberté et aussi le principe de la spiritualité. D’un côté le défaut du spinozisme est saisi comme étant de ne pas correspondre à l’effectivité, mais d’un autre côté, il doit être tenu pour la plus haute sagesse, de telle sorte que la substance spinoziste est l’idée entièrement abstraite et non dans sa « vivacité. ». – Je pourrais encore citer de nombreuses propositions de Spinoza. Mais elles sont très formelles et toujours dans la répétition les unes des autres. Il manque la forme infinie, la spiritualité, la liberté. Précédemment, j’ai déjà expliqué que Lulle et Bruno avaient tenté de construire un système de la forme, d’une substance s’organisant elle-même comme univers. A cela Spinoza a renoncé.
On dit que le spinozisme est un . Sous une certaine considération, c’est juste en ce que le Dieu de Spinoza n’est pas séparé du monde, de la nature, en ce qu’il dit que Dieu est la nature, que l’esprit humain, l’individu, est Dieu explicité sous un certain mode. On peut dire que c’est de l’ et on le dit aussi longtemps que Dieu n’est pas séparé du fini. Il a déjà été remarqué, que, sans doute, la substance spinoziste [195] ne remplit pas le concept de Dieu, en ce qu’il doit être saisi comme esprit. Mais si on veut le nommer  seulement en ce qu’il ne sépare pas Dieu du monde, alors c’est maladroit. On pourrait plus justement le nommer acosmisme. Spinoza soutient que ce que l’on appelle un monde n’existe absolument pas. C’est seulement une forme de Dieu, mais rien en soi et pour soi. Le monde n’a aucune effectivité véritable, mais au contraire tout est jeté dans l’abîme de l’identité unique. Il n’y a aussi rien dans l’effectivité finie, celle-ci n’a aucune vérité ; d’après Spinoza, tout ce qui est, est en Dieu. Ainsi le spinozisme est aussi éloigné qu’on peut l’être de l’ au sens habituel du terme. Mais au sens que Dieu n’est pas saisi comme esprit, il est un . Mais ainsi sont aussi athées de nombreux théologiens qui ne nomment Dieu que l’être tout puissant, le plus élevé, etc., qui ne veulent pas connaître Dieu et font valoir le fini comme vrai ; et ceux-là sont encore plus malins.
« Si donc toutes les choses, les œuvres des gens droits (c’est-à-dire ceux qui ont une idée claire de Dieu sur laquelle ils règlent leurs actions et leurs pensées) aussi bien que celles des méchants (c’est-à-dire ceux qui n’ont pas d’idée de Dieu, mais seulement des idées des choses terrestres » – des intérêts et des significations personnelles et singulières – « d’après lesquelles ils règlent leurs actions et leurs pensées) et tout ce qui est, procèdent nécessairement de lois éternelles et de décrets de Dieu et dépendent toujours de Dieu, il ne s’en suit pas qu’elles aient qu’une différence de degré mais au contraire une différence de nature les unes à l’égard des autres. Comme une souris et un ange, la tristesse et la joie dépendent de Dieu, cependant on ne peut pas dire qu’une souris est une sorte d’ange ou de tristesse. » Elles sont donc distinguées d’après leur essence.
Négligeable est l’accusation selon laquelle la philosophie de Spinoza met à mort la  ; d’elle on gagne déjà le haut résultat que tout ce qui est porteur de sens est seulement la limitation et la vraie substance et que, par là, la liberté de l’homme consiste [196] à se diriger selon cette substance une et à se diriger d’après l’unité éternelle dans son sentiment et dans sa volonté. Mais il convient de blâmer cette philosophie de saisir Dieu seulement comme substance et non comme esprit, non concrètement. Ainsi donc, l’autonomie de l’âme humaine est-elle déniée, alors que dans la religion chrétienne, chaque individu apparaît déterminé au salut. Ici par contre, l’individualité spirituelle est seulement un mode, un accident et non quelque chose de substantiel. Un autre défaut qui a déjà été montré précédemment.
La négation et la privation sont séparées de la substance, car Spinoza montre seulement les déterminations singulières et ne les déduit pas de la substance. Le négatif est a) en tant que néant présent (dans l’absolu il n’est aucun mode) ; la philosophie le considère sub specie aeternitatis, c’est-à-dire vrai, in se, dans la substance ; c’est-à-dire que là il n’est absolument pas, il est seulement sa décomposition et son retour, et non pas son mouvement, devenir et être. b) Le négatif est même en tant que moment disparaissant, non en soi, mais seulement saisi en tant que conscience de soi singulière, non comme le Separator de Böhme. La conscience de soi est seulement née de cet océan, seulement ruisselant de cette eau ; elle ne vient jamais à la mêmeté absolue ; le cœur, le « Poursoi » est transpercé, il y manque le feu. (Le pur penser de Spinoza n’est pas l’universel objectif de Platon, mais au contraire, ce qui est connu à la fois comme l’opposition du concept et de l’être.)
Ce défaut doit être compensé ; il est le moment de la conscience de soi : a) comme conscience, pour laquelle. Il est quelque chose d’autre, l’effectivité. b) être pour soi. Il a deux côtés : a) l’objectif, que l’essence absolue conserve en lui le mode d’un objet pour la conscience ou l’étant en tant que tel, ce que Spinoza saisit comme mode de la réalité objective, en tant qu’elle soit être dépassée comme moment absolu de l’absolu lui-même. b) la conscience de soi, la singularité, l’être pour soi. Comme auparavant celui-là revient à l’anglais [197] et celui-ci à l’allemand, à Leibniz – à celui-là non pas en tant que moment, à Leibniz non en tant que concept absolu ; cet anglais-là est John Locke. Nous voyons ce particulier mis en évidence et valorisé chez Locke et Leibniz. Comme, cependant, Spinoza contemple seulement ces représentations et que leur plus haut point est qu’elles rentrent sous la substance, Locke examine la naissance de ces représentations. Leibniz par contre oppose à Spinoza la pluralité infinie des individus, quand bien même toutes ces monades ont une monade comme essence fondamentale. Les deux, cependant, sont sortis dans l’opposition à l’unilatéralité de Spinoza.
1 Ce n’est pas vrai : le premier écrit est le Court traité et l’Éthique a été entreprise avant l’ouvrage sur Descartes.
2A propos de la philosophie orientale, Hegel écrit : « Dans les religions orientales, le rapport capital est ceci que la substance une comme telle est seule la vérité et que l'individu n'a aucune valeur en lui-même et ne peut rien  gagner tant qu'il se maintient contre l'étant-en-soi-et-pour-soi  ; il pourrait seulement avoir une véritable valeur par son insertion dans cette Substance d'où il cesse d'être en tant que sujet et s'évanouit dans l'inconscient. » (VüGP - I S. 140 - Swt - Werke 18) L'interprétation du spinozisme comme orientalisme se trouve déjà chez Kant. Parlant du "système monstrueux de Lao-Tseu, selon lequel le souverain bien est le néant", Kant en fait découler : "le panthéisme (des Thibétains et d'autres peuples orientaux) ainsi que le spinozisme, issu de la sublimation métaphysique du panthéisme, les deux doctrines étant apparentées au système ancestral de l'émanation, qui fait sortir toutes les âmes humaines de la divinité (pour être finalement résorbées en elles). Tout cela pour que les hommes puissent enfin jouir de ce repos éternel qui constitue la fin prétendument heureuse de toutes choses et qui n'est au fond qu'un concept indiquant à la fois la défaillance de l'entendement et la fin de toute pensée." (KANT - Oeuvres III Pléiade page 320 - "De la fin de toutes choses" - Traduction Heinrich) On voit clairement que Kant se départit ici de son habituelle rigueur pour se livrer à un amalgame ahurissant et d'une mauvaise foi sans borne —à Spinoza une doctrine du "repos éternel", c'est à tout le moins se moquer du monde  !
3Ce qui est visé, c'est la méthode d'exposition "more geometrico" adoptée dans l'Ethique.
4C'est l'exposé du "dualisme" cartésien.
5Friedrich Heinrich JACOBI (1743-1819), philosophe allemand. Fasciné par Spinoza en qui il voit le plus pur rationalisme, il en refuse les conséquences qui conduisent, selon lui à l'. Il définit, contre Spinoza, sa philosophie comme un "non-savoir".
6voir la lettre L (Oeuvres tome 4 — GF). Spinoza écrit "determinatio negatio est". Le "toute", "omnis", est rajouté par Hegel qui oublie d'expliquer dans quel contexte cette phrase écrite. Il s'agit d'une lettre (à Jarig Jelles) où Spinoza défend l'idée qu'une figure (de géométrie) est une négation. Voici la traduction par Ch. Appuhn de l'argumentation de Spinoza : "il est manifeste que la pure matière considérée comme indéfinie ne peut avoir de figure et qu'il n'y a de figure que dans des corps finis et limités. Qui dit donc qu'il perçoit une figure, montre par là seulement qu'il conçoit une chose limitée et en quelle manière elle l'est. Cette détermination donc n'appartient pas à la chose en tant qu'elle est, mais au contraire elle indique à partir d'où la chose n'est pas. La figure donc n'est autre chose qu'une limitation et, toutelimitation étant une négation, la figure ne peut être comme je l'ai dit qu'une négation." (page 284)
7Dans le chapitre consacré à Parménide, Hegel fait le rapprochement entre la philosophie des Eléates et celle de Spinoza. De la phrase de Parménide "l'être est, le néant n'est pas", Hegel a déjà tiré qu'on voyait dans ce "Nichts" la «  négation en général, dans la forme plus concrète de la limite, du fini, du borné  ; omnis determinatio est négatio est la grande phrase de Spinoza. Parménide dit : quelle forme le négatif peut-il prendre, il n'est pas du tout.  » (VüGP - W.18 S.288)
8Sur Spinoza et l'Orient, voir note page 1.
9Jakob BÖHME, "théosophe" plus que philosophe. Sa théorie mystique de la substance est longuement analysée par Hegel.
10Schwindsucht  : Hegel joue sur les mots. En français on dirait que Spinoza est mort de phtisie. Mais l'allemand "schwind" renvoie à l'idée de disparition, d'évanouissement. C'est la deuxième fois se livre à une mauvaise plaisanterie sur la mort de Spinoza. (voir page 2)
11voraussetzen  : présupposer. Ce terme a un sens particulier dans le vocabulaire hégélien.
12Vorausgeschickten
13C'est bien pourquoi pour Spinoza il n'y a aucun rapport entre l'âme et le corps.
14Voir lettre XII - Edition GF IV Page 160. Ce que pose ici Spinoza, c'est le problème du calcul infinitésimal (comment faire la somme finie d'une série infinie. C'est à partir des mêmes considérations métaphysiques que Leibniz donnera sa propre solution au problème de l'infini en acte.
15Il y a donc une théorie de l'infini en acte chez Spinoza qui reproche (lettre citée) au Péripatéticiens modernes de ne rien comprendre à cette question.
16Voraussetzung
17proposition XIII
18 Voir proposition I-XXXI : "L'entendement en acte, qu'il soit fini ou infini, comme aussi la volonté, le désir, l'amour, etc., doivent être rapportés à la Nature naturée et non à la naturante." Dans la démonstration, Spinoza définit l'entendement non comme la pensée absolue mais comme "un certain mode du penser."
19proposition VII (partie II)  : "L'ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l'ordre et la connexion des choses."
20Hegel traduit par système ce que Spinza appelle "connexion".
21"aufgewärmt"
22Weltlichkeit
23Voilà un e idée très intéressante. Qui montre aussi combien Spinoza est éloigné de Descartes.
24c'est évident à partir de la définition comme causa sui
25Propositions XVIII, XXVI, XXVII,XXIX Partie I
26après la substance, et les attributs.
27Scolie de la proposition XXIX partie I
28Je traduis Geist par esprit, là ou Appuhn parle d'âme, mais Spinoza de mens.
29Proposition XI partie II - Corollaire
30Proposition XII partie II
31Proposition V partie II
32Définition Partie II
33Proposition XXXI, Partie I
34Il s'agit du corps en tant que corps humain, que chair (Leib) et non du corps en général (Körper) en tant qu'étendue.
35 lebendigkeit

Communisme et communautarisme.

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