samedi 25 octobre 2025

A propos de "Mélenchon, le bruit et la fureur"

Cher Rodolphe Cart,

J’ai lu avec un intérêt soutenu votre livre consacré à Mélenchon, le bruit et la fureur. Portraits d’un révolutionnaire (éditions La nouvelle librairie). C’est un livre  dont je recommande chaudement la lecture parce que, prenant Mélenchon au sérieux, il s’efforce d’en retracer la cohérence par-delà les changements d’orientation à telle ou telle période d’une longue vie politique. L’examen des différentes facettes du personnage, dont vous faites une sorte de tomographie vous permet de donner une vision assez complète de sa pensée politique, sans vous engager dans des polémiques sur les pratiques réelles de Mélenchon aux différents moments de sa vie politique, sans vous engager non plus dans le récit de ses rapports avec ses amis, si souvent rejetés d’un simple twitt ou coup de téléphone définitif.

J’ai tout particulièrement apprécié les chapitres consacrés à l’écolo-urbain, au remplaciste, au décolonial, à l’européiste et au tiers-mondiste. Dans un bref passage, vous notez à juste titre une certaine proximité théorique entre Mélenchon et Hayek. Rien de plus pertinent. Mélenchon considère que n’existent ou ne doivent exister que des individus dégagés de toute appartenance, des individus qui ne sont liés ni à leur famille ni à leur patrie, des individus dégagés de leur sol et de toute histoire personnelle. Ces individus peuvent se « réinventer chaque matin », se choisir, se faire eux-mêmes comme ils le décident. L’individu mélenchonien a un nom bien connu, il s’appelle homo oeconomicus. Il n’est même pas l’individu des libéraux traditionnels, il est l’individu des libertariens ! C’est ce qui explique que Mélenchon se doit prononcé pour le droit de changer de sexe, pardon de genre, sur simple déclaration à l’état civil. Autrement dit, Mélenchon est le porteur (inconscient, je suppose) de l’idéologie du capitalisme parvenu au stade où il s’est émancipé de tout ce qui le rattachait encore à la société ancienne. Cet individu « créolisé » est le type d’individu, indifférencié, échangeable à merci que promeut de capitalisme « liquide », c’est-à-dire le règne absolu de l’équivalent général. Sa glorification de l’urbain, sa haine viscérale des paysans et de leur travail est soit le fondement, soit la conséquence de cet anthropologie ultramoderne, et parfaitement adaptée au caractère révolutionnaire du mode de production capitaliste, ce caractère que soulignaient Marx & Engels dès le Manifeste du parti communiste de 1848.

De cela découle son européisme invétéré que vous documentez abondamment. Mélenchon tente aujourd’hui d’effacer les traces. « J’ai voté oui à Maastricht, parce que Mitterrand me l’a demandé ». C’est un mensonge, il a voté « oui » parce qu’il était convaincu et que « voter non, c’était faire le jeu de Le Pen ». Il a voté « non » en 2005 parce que ce « non » n’était pas hostile à l’UE, et avait la bénédiction d’un bon nombre de hiérarques socialistes. Mais, comme vous le remarquez, s’il a fait des concessions au souverainisme pendant la période allant à l’élection de 2017, avec le fameux « plan B », « on sort si les autres ne veulent pas renégocier les traités », le plan B a vite été remisé aux oubliettes – Liem Hoang-Ngoc, qui venait des partisans d’Henri Emmanuelli, a fait de cet abandon du plan B un des motifs de sa rupture avec LFI. La photo qui montre Manon Aubry embrassant Ursula von der Layen pour la féliciter de sa reconduite à la présidence de la Commission exprime exactement la position de LFI et donc de Mélenchon à l’égard de l’UE, sachant que l’UE a l’avantage de n’être point liée aux racines de l’Europe, mais n’est qu’une construction politique et juridique sans frontières prédéfinies. Vous dites que Mélenchon est un internationaliste. Permettez-moi de vous contredire sur ce point : un internationaliste reconnaît les nations, comme Marx qui fait adopter au congrès de l’Association internationale des travailleurs de 1864 des résolutions soutenant les Polonais et les Irlandais en lutte pour leur indépendance nationale. Mélenchon est un mondialiste ou un  de ces cosmopolites qui « aime les Tartares, pour être dispensé d'aimer ses voisins », comme l’aurait dit mon bon Jean-Jacques Rousseau.

Vous insistez sur la haine qu’il voue à la France rurale et paysanne et, au fond, sa haine de la France réduite à la Révolution de 1789. La France avec drapeau tricolore et Marseillaise n’a été réhabilitée que tactiquement pendant la campagne de 2017. Le drapeau de LFI est aujourd’hui le drapeau palestinien… La haine du paysan est normale chez un adorateur de la vie urbaine, seule digne d’être vécue, selon lui. Il prouve par là qu’il se moque de Marx comme de sa première chemise, Marx qui avait révisé son jugement sur la commune rurale, cette forme archaïque dans laquelle il finit par voir l’avenir de l’humanité. Il montre aussi qu’il est un écolo du Xe arrondissement, un écolo-bobo archétypal et donc un bon petit-bourgeois CSP++ de centre-ville. Ce n’est pas un hasard si le travail et donc les travailleurs, n’occupent qu’une place très réduite dans ses préoccupations. Le peuple indifférencié qu’il prétend défendre, c’est un mélange de lumpenprolétariat, de chômeurs, de désoeuvrés, de petits commerçants des cités, mais le peuple qui fait tourner les usines, la classe ouvrière, comme vous le notez, il l’a abandonnée. De ce point de vue, LFI et Mélenchon participent de cette destitution et de cette invisibilisation des ouvriers si caractéristique de la petite-bourgeoisie « Deschiens », du cinéma et de la télévision d’aujourd’hui. En cela, Mélenchon a rompu radicalement avec le marxisme dont il ne ressort que quelques guenilles quand il trouve cela opportun.

Vous privilégiez la thèse d’une continuité de la pensée de Mélenchon et semblez souvent minimiser les oscillations (notamment de la laïcité vers l’islamisme). Il me semble qu’il y a une contradiction psychanalytiquement intéressante : le Mélenchon qui déteste les racines des autres ne cesse de valoriser ses propres racines prétendues qu’il localise au sud de la Méditerranée. Il se veut maghrébin. Il est donc attaché à la terre de son enfance, mais une terre réinventée puisque ses parents étaient des petits colons et qu’il doit, pour devenir maghrébin scotomiser ce souvenir désagréable. J’en déduirai que sa haine de la France et son goût pour l’islam relèvent de la haine de soi, poussée à un niveau névrotique.

Je pourrai continuer longuement à dire du bien de votre livre tant je pense sa lecture utile. Cependant, je ne suis pas aussi sûr que vous qu’il y ait chez Mélenchon une si grande continuité idéologique et politique. La continuité, vous le dites excellemment, est celle de l’ambition de pouvoir. Pour le reste les idées sont des oripeaux qu’il enfile suivant le moment.  Il a été trotskiste, mais a rompu de longue date avec le trotskisme de sa jeunesse pour devenir un laudateur des caudillos de gauche sud-américains, lesquels lui ont permis de faire le lien avec différents courants islamistes – Chavez entretenait les meilleures relations avec Ahmadinejad, l’ancien président iranien. Il était un laïque intransigeant, mais crache aujourd’hui sur la laïcité. La presse lui attribue souvent une grande culture, mais, pour savoir un peu ce qu’il en est, je peux affirmer  que c’est une grande habileté rhétorique, une capacité remarquable à parler savamment de choses qu’il ignore. Son rapport avec l’histoire est stupéfiant ! Comment peut-on dire que les Arabes nous ont appris les maths et la construction des cathédrales ? La légende de la « translatio studiorum » propagée par Alain de Libera, a été démolie depuis longtemps déjà. Ce qu’il dit à ce sujet, c’est de la propagande d’imam ignorant. Mélenchon lit des notes de lecture et en fait ses choux gras, mais il ne travaille rien sérieusement, il est bien plus préoccupé à mitonner le prochain « coup » politique ! Vous êtes une des rares personnes à accorder de l’importance à « son » livre À la conquête du chaos. Ce livre est une compilation de textes écrits par d’autres, dont moi-même , et Mélenchon s’est contenté de faire le liant. Il n’a évidemment jamais lu René Thom ni Gleick. Les équations non intégrables, la sensibilité aux conditions initiales, la récurrence, il n’a certainement aucune idée de ce que cela peut être. Mais ce que j’avais écrit sur le sujet, à partir de mes lectures, me permettait de commencer à mettre en question le déterminisme prédictible qui servait de base au marxisme. C’est cela qui l’a intéressé et qu’il a repris. Depuis il a changé de « paradigme » et considère dorénavant que c’est le nombre qui fait l’histoire… et plus la lutte des classes. Mais, c’est comme pour le climat, la théorie du chaos et « l’effet papillon » sont remisés au placard.

Mélenchon est un  rhéteur, c’est-à-dire un hâbleur, mais un homme qui a une « libido dominandi » écrasante. Pour lui, les amis sont comme les idées : il faut qu’ils servent sinon il en change sans états d’âme. La liste est longue de ceux qu’il a envoyés au diable dès qu’ils ont manifesté des désaccords. Lors de notre dernière conversation téléphonique (en 2018), il m’a envoyé « dans les égouts du Front national »…  Où sont passés les Coq, Kuzmanovic, Charlotte Girard, Manon Le Bretton, Corbières, etc ? Sans oublier Pena-Ruiz, ni  Jacques Généreux. J’allais écrire que le seul maître de Mélenchon est Mitterrand, dont il partage la duplicité, l’habilité démagogique, l’aptitude à revêtir le manteau idéologique utile au moment donné… et l’européisme. Mais il en diffère sur un point : il n’a aucun égard pour l’amitié. Il ne sera pas Mitterrand, mais le Jean-Marie Le Pen de la gauche, occupant les estrades et les médias, mais restant écarté du pouvoir à jamais.

Denis Collin, le 24 octobre 2025

 

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