lundi 19 mai 2025

Mourir, un nouveau droit !


Lors d’un échange sur « les réseaux sociaux », à mon post dénonçant le projet de loi légalisant l’euthanasie, j’ai reçu de nombreuses réponses, toutes révélatrices de l’ambiance « morale » de notre temps.

Ainsi, voici un échantillon des réponses que j’ai reçues.

« C’est une atteinte à la liberté individuelle de dire qu on ne peut décider soi même de sa mort. »

« Votre Intolérance est proche de celle des anti avortement : ce ne serait pas une obligation mais un choix. »

« Cette nouvelle loi ne vous retire aucun droit mais vous en donne un en plus. »

« C’est une atteinte à la liberté individuelle de dire qu’on ne peut décider soi-même de sa mort. »

« Personne ne doit décider à la place du malade. Cela s appelle la liberté. Notre corps n’appartient qu'à nous, notre vie également. »

Bref, la défense de la nouvelle loi (pas encore votée) repose sur l’idée de droit (j’ai un droit à mourir quand je le décide) et ce droit serait une liberté (au même titre que la liberté d’aller et de venir), mais aussi un « droit-créance », comme le droit à la santé, une créance que la puissance publique se doit d’honorer en dernière instance.

Disons les choses un peu brutalement : le droit à mourir est une absurdité. D’abord, ce droit à mourir nous l’exercerons tous un jour ou l’autre. La chose est certaine, même si l’heure est incertaine. Mais nous n’avons aucun droit à mourir quand nous le décidons. L’immense majorité des mourants n’auraient pas voulu mourir tout de suite. Encore un moment, Monsieur le bourreau !

On ne peut même pas dire que nous avons un droit au suicide. Le suicide n’est pas réprimé par la loi. Certes, l’Église se refusait à inhumer religieusement les suicidés et pour nombre d’assurances, le suicide est une cause  dérogatoire : celui qui se suicide moins d’un an après la signature du contrat ne verra pas ses dettes éteintes ou son assurance décès versée aux ayant droit. Mais on a toujours la possibilité de se suicider. Ce n’est pourtant pas un droit : si quelqu’un fait devant moi une tentative de suicide, je dois tout faire pour l’en empêcher, sous peine d’être tenu pour coupable de n’avoir pas porté assistance à une personne en danger. Les tentatives de suicide ne sont pas considérées comme l’exercice d’un droit, mais comme une sorte d’accident qui doit être soigné – on emmène d’urgence à l’hôpital celui qui s’est ouvert les veines, a avalé une boîte de cachets ou s’est asphyxié avec le gaz, on fera tout pour le sauver, contre sa « volonté » et on lui assurera un suivi psychologique. Heureusement, dans l’immense majorité des cas, les candidats au suicide reprennent le cours de leur vie et ne récidivent pas.

Donc il n’y a pas de droit au suicide ! Mais l’obligation pour les autres d’empêcher les suicides. Ceux qui invoquent le droit au suicide veulent donc renverser un des piliers de la vie sociale : à savoir que la vie des autres nous importe ! Même celle des inconnus.

Notons en second lieu que « l’aide active à la mort » n’est pas un suicide. Le « sui-cide » suppose qu’on se « cide » « soi-même ».  Un suicide exécuté par un autre n’est pas un suicide ! C’est un homicide. Même si quelqu’un vous dit « tue-moi ! » ou « donne-moi ce poison », on est encore face à quelque chose qui ne peut qu’être un homicide. « Tu ne tueras point » : cela veut dire « tu ne feras rien qui puisse tuer ».

De quelque manière qu’on envisage la question, le « suicide assisté » ne peut être qu’un monstre juridique, tant il contredit les autres principes qui gouvernent la possibilité d’une vie humaine digne, d’une vie humaine qui soit autre chose que la vie « solitaire, indigente, dégoûtante, animale et brève » qui caractériserait l’état de nature selon Hobbes.

« Mais que fais-tu de la souffrance ? » Si la souffrance dicte  notre conduite, on commencera par remarquer qu’il n’est plus question de liberté ou de droit. C’est le corps déchiré qui commande. La compassion nous commande d’aider l’autre à souffrir moins. La souffrance dicte les cris, les convulsions, les contractions, et impose sa loi. Ici, parler de droit et de liberté est tout  à fait indécent. On peut soulager les souffrances et même les souffrances du malade incurable, on peut même l’aider à supporter ainsi sa mort prochaine : c’est précisément l’objectif de la loi Leonetti et des soins palliatifs. Ne pas s’obstiner au-delà de toute raison, c’est l’évidence – encore qu’il ne soit pas toujours aisé de savoir quand commence l’obstination thérapeutique déraisonnable – mais cela n'a rien à voir avec un prétendu « droit à mourir ». Il serait bon d’ailleurs d’exiger des pouvoirs publics que les services de soins palliatifs soient plus nombreux et mieux dotés, plutôt qu’exiger que les médecins puissent donner la mort sur demande.

Le sens commun semble submergé par la rhétorique des « droits » et c’est à
 la fois la marque de la volonté de toute-puissance qui a saisi notre monde  et de la volonté de mourir de toute une société. Toute-puissance, parce que dire « j’ai le droit de décider de ma mort » n’est rien d’autre que la version minimale de l’aspiration à l’immortalité portée par les charlatans du transhumanisme comme Laurent Alexandre. Volonté de mourir, parce que notre société recherche la mort. Le mode de production capitaliste est mortifère, il remplace le vivant par l’inerte et la vie nous est devenue trop coûteuse. Un magazine évaluait à 1,4 milliard d’euros les économies que permettrait la loi sur l’aide à mourir. Tout est là : le système économie n’a pas pour finalité d’entretenir la vie, c’est la vie qui doit se soumettre aux impératifs de l’économie. Inversion de la téléologie vitale, disait Michel Henry. Inversion de la téléologie vitale quand la médecine est mobilisée pour donner la mort. Inversion de la téléologie vitale quand le droit n’est plus que le moyen de se débarrasser du sujet de droit.

Le droit à mourir est donc la négation du droit, la liberté de mourir la négation de la liberté. Donc le devoir est bien de lutter de toutes ses forces contre cette loi voulue par la gauche, le centre et une partie de la droite. On nous dira : « mais ailleurs, en Belgique, en Suisse, au Canada, une telle loi existe bien ». D’abord ce qui se fait ailleurs n’est pas une raison pour qu’on fasse la même chose chez nous. Et ailleurs, ce qu’on observe, c’est l’extension progressive de l’aide à mourir, qui pourrait s’étendre aux adolescents, aux malades mentaux, etc. Pour les malades mentaux, on hésite encore un peu, ça rappelle des souvenirs, mais les hésitations ne dureront pas. Alors non, mille fois non, ne mettons pas le doigt dans l’engrenage du permis de tuer.

Le 19 mai 2025  

 

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