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vendredi 27 novembre 2020

lundi 17 août 2009

Sur l'origine de l'inégalité

À propos de "L'homme et l'inégalité"

Dans L'homme et l'inégalité : L'invention de la hiérarchie à la préhistoire (éditions du CNRS, 2008) Brian Hayden nous livre  une brève synthèse à la question de l'inégalité en s'appuyant non sur des raisons théoriques mais sur des "documents" archéologiques ou ethnologiques. Alors qu'on associe généralement l'inégalité avec la sédentarisation et la révolution néolithique, Hayden montre qu'il faut remonter beaucoup plus loin en arrière et que l'existence d'une importante stratification est perceptible dès le palolithique moyen, chez des groupes de chasseurs-cueilleurs. La seule condition d'apparition d'inégalités sociales est l'existence de surplus alimentaire suffisamment importants pour qu'un groupe restreint puisse convaincre ou contraindre le reste du groupe à travailler pour des productions de prestige à destination des chefs.

Par la même occasion, Hayden réfute les interprétations de l'origine de l'inégalité en termes de pression démographique, par exemple, ou les interprétations fonctionnalistes (l'inégalité profite au groupe et permet de maximiser les ressources). Il défend une interprétation politique de l'origine de l'inégalité: certains individus auraient la capacité d'imposer politiquement (par la capacité de convaincre et de tromper) un système social "transégalitaire". Ces individus, Hayden les définit comme "triple A": avides, agressifs, accumulateurs. Tant que le groupe est confiné dans les conditions de la survie immédiate, sans aucun surplus, les "triple A" ne peuvent s'imposer – à vouloir exploiter les autres, ils risquent tout simplement d'être tués. Mais dès lors que la nourriture est abondante, ils peuvent réussir à faire valoir leur point de vue et leurs intérêts et enclencher un mécanisme d'accumulation ...  dans lequel nous sommes encore! Hayden émet l'hypothèse que 90% des problèmes graves de l'humanité seraient ainsi causés par 10% des individus.

Hayden, s'il donne des faits, ne s'étend pas beaucoup sur les raisons qui expliqueraient que la majorité d'un groupe puisse se laisser tromper et manipuler par des chefs. La superstition est fondée sur la crainte, et ce genre de crainte est, selon Spinoza, "le grand secret du régime monarchique" (cf; "Traité théologico-politique") et sans doute ces phénomènes "idéologiques" expliquent-ils en partie la capacité des "triple A" à manipuler leurs congénères. L'observation, non pas de sociétés disparues, mais de la nôtre permettrait de corroborer cette hypothèse...

La thèse de Hayden, notamment par la place déterminante qu'elle donne à des phénomènes proprement politiques, semble mettre en cause les explications "marxistes" traditionnelles, notamment, pour ce qui concerne la révolution néolithique, le travail de Gordon Childe. Mais peut-être permet-il d'y apporter surtout des correctifs. D'une part, en faisant une place plus importante à l'activité politique, on devrait définitivement tourner la page d'une conception schématique des relations "infrastructure/superstructure". D'autre part, on pourrait se faire à l'idée que les rapports sociaux de domination déterminent le type de développement de la production de la richesse matérielle des sociétés - à l'encontre des explications qui font du développement des "forces productives" le moteur de l'histoire.

lundi 13 août 2007

De la longue durée

Dans un petit livre consacré à Gramsci (Su Gramsci, Datanews editrice, Roma, 2007), Luciano Canfora revient sur le destin du socialisme en Europe Occidentale.

Fort opportunément, il rappelle un passage de Braudel dans Grammaire des civilisations. Après avoir fait le bilan des progrès des organisations ouvrières au tournant du XIXe et du XXe siècle, Braudel écrit:

Dans ces conditions, sans s’exagérer la puissance de la Seconde Internationale à partir de 1901, on a le droit d’affirmer que l’Occident, en 1914, autant qu’au bord de la guerre, se trouve au bord du socialisme. Celui-ci est sur le point de se saisir du pouvoir, de fabriquer une Europe aussi moderne, et plus peut-être qu’elle ne l’est actuellement. En quelques jours, en quelques heures, la guerre aura ruiné ces espoirs.
C’est une faute immense pour le socialisme européen de cette époque que de n’avoir pas su bloquer le conflit. C’est ce que sentent bien les historiens les plus favorables au socialisme et qui voudraient savoir qui porte au juste la responsabilité de ce « retournement » de la politique ouvrière. Le 27 juillet 1914, à Bruxelles, se rencontrent Jouhaux et Dumoulin d’une part, secrétaires de la C.G.T. française, et K. Legien, de l’autre, secrétaire de la Centrale syndicale d’Allemagne. Se sont-ils rencontrés par hasard, dans un café, ou sans autre but que d’échanger leur désespoir? Nous ne le savons pas et nous ne savons pas non plus le sens qu’il faut attribuer aux dernières démarches de Jean Jaurès, le jour même où il va être assassiné (31 juillet 1914). (Grammaire des civilisations, Arthaud-Flammarion, 1987, p. 428)

C'est donc bien un tournant de civilisation qui s'opère en 1914. Le destin du socialisme s'est sans joué à ce moment-là. Il reste à en comprendre toute la portée. Mais l'explication qu'en donne ici Braudel par la seule "faute" de l'Internationale est certainement insuffisante. Canfora rapproche ce passage d'un autre passage du livre de Braudel, consacré précisément à expliciter ce qu'il entend par "grammaire des civilisations".
Tous les jours, une civilisation emprunte à ses voisines, quitte à « réinterpréter », à assimiler ce qu’elle vient de leur prendre. A première vue, chaque civilisation ressemble à une gare de marchandises, qui ne cesserait de recevoir, d’expédier des bagages hétéroclites.
Cependant, sollicitée, une civilisation peut rejeter avec entêtement tel ou tel apport extérieur. Marcel Mauss l’aura signalé: pas de civilisation digne de ce nom qui n’ait ses répugnances, ses refus. Chaque fois, le refus arrive en conclusion d’une longue suite d’hésitations et d’expériences. Médité, décidé avec lenteur, il revêt toujours une importance extrême.
Le cas classique, n’est-ce pas la prise de Constantinople par les Turcs, en 1453? Un historien turc d’aujourd’hui a soutenu que la ville s’était donnée, qu’elle avait été conquise du dedans,
avant l’assaut turc. Excessive, la thèse n’est pas inexacte. En fait, l’Eglise orthodoxe (mais nous pourrions dire la civilisation byzantine) a préféré à l’union avec les Latins, qui seule pouvait la sauver, la soumission aux Turcs. Ne parlons pas d’une décision », prise Vite sur le terrain, face à l’événement. Il s’est agi de l’aboutissement naturel d’un long processus, aussi long que la décadence même de Byzance et qui, de jour en jour, a accentué la répugnance des Grecs à se rapprocher des Latins dont les séparaient des divergences théologiques. (op. cit p. 61/62)
Il y aurait donc eu un refus substantiel du marxisme en Europe occidentale et en Amérique anglo-saxonne. (ibid.), du moins du marxisme sous la forme "russe". Si je poursuis sur cette voie, il faut amettre que les chances du socialisme en Europe ont été perdues en 1914 et que la tentative bolchévik était vouée à l'échec indépendamment même de la dégénérescence stalinienne. Canfora affirme qu'on évalue peut-être pas complètement l'importance de cette période qui va de 1914 à l'échec de la révolution allemande (1923). C'est incontestable. L'échec des courants de "l'opposition de gauche" au Komintern (trotskystes et autres) tient sans doute à leur incapacité à évaluer la portée, la longue portée de ce moment historique.

dimanche 19 juin 1994

L'histoire, science et récit

Le double sens du mot histoire se dédouble à son tour. L’histoire-science et l’histoire-récit entretiennent des rapports ambigus depuis les origines de l’histoire. La distinction peut paraître simple au premier coup d’œil. L’histoire se présente d’abord comme un récit : Thucydide «raconte» la guerre du Péloponnèse. Suétone nous fait le récit de la vie des douze Césars. Louis XI est bien connu grâce aux chroniques. Ces récits incluent une plus ou moins haute dose de fantaisies, de racontars (dans le cas de Suétone, par exemple). Le récit se sépare d’emblée clairement de l’histoire, telle que nous la concevons aujourd’hui (et telle qu’elle s’est constituée comme discipline à la l’époque moderne).

Dans le récit est tout d’abord absente ou presque la critique des sources. Or l’historien ne peut considérer un fait que s’il a les moyens de l’établir, d’en mesurer la véracité ou s’il le garde bien que douteux, il doit donner une justification de l’hypothèse. Ainsi de nombreux historiens ne prennent plus au sérieux Suétone pour ce qui concerne les faits reprochés à Néron, dont quelques-uns semblent être des calomnies colportées par les Sénateurs romains et reprises par les chrétiens.
Deuxième trait caractéristique de l’histoire : le récit rapporte l’enchaînement des faits, donne parfois des explications mais laisse l’histoire en tout état de cause sur un seul plan. L’historien au contraire découpe l’histoire en plans distincts ayant leur propre enchaînement explicatif et leur propre portée. Les causes efficientes directes et visibles se superpose à des causes plus profondes (par exemple faisant entrer en ligne de compte les rapports économiques, l’évolution des mentalités, etc.) qui elles-mêmes expriment des tendances longues (des «trends» séculaires dirait Braudel).
Troisième trait : l’auteur de récit ou de chronique est un individu, qui assume son œuvre à la première personne du singulier. L’historien s’intègre volontiers dans une école. Il se rattache à un type d’interprétation, ou au moins à un style interprétatif. L’école des Annales, l’histoire des mentalités, l’histoire économique, l’histoire marxiste, autant de manières de faire de l’histoire qui s’opposent souvent, mais comme les théories physiques, prétendent donner un système plus ou moins complet qui approche une vérité scientifique objective au contraire du récit qui ne contient au plus qu’une vérité littéraire et des vérités factuelles.
Cette vision, qui est celle qu’on a nous a proposée dès le lycée – même si ce n’est pas toujours dans ces termes – présente cependant des lacunes et des défauts qui menacent de ruine cette dichotomie un peu simpliste. Les sources, même bien établies ne disent cependant rien par elles-mêmes ; elles sont toujours susceptibles d’interprétations diverses. Or leur validité n’est pas seulement le fondement de l’interprétation, elle est aussi largement fondée elle-même sur l’interprétation. L’ouverture des archives soviétiques en donne une illustration saisissante notamment au travers des accusations lancées contre Jean Moulin ou l’interprétation des interrogatoires de Léopold Trepper par le KGB. Ceux qui veulent à tout prix accréditer leur thèse considère que ce qui est dit dans les archives du KGB correspond à la vérité. La source est là et elle est indiscutable, mais ce qu’elle dit ne s’énonce pas simplement et n’est manifesté que par le travail de l’interprétation qui suppose qu’on sache comment ont été faits les procès-verbaux des hommes de la Loubianka, quels étaient leur but et en fin de compte quelle était la véritable signification du stalinisme. L’histoire demeure, quoi qu’on fasse, une science «herméneutique».
En outre l’histoire ne peut pas se passer du récit. L’analyse des sources, la recherche des systèmes explicatifs, l’explicitation des articulations entre les divers niveaux de causalité, tout cela doit in fine être mis en œuvre dans la reconstitution du récit de l’histoire. On peut faire la statistique économique et sociale de la Russie d’avant 1917, étudier les mentalités qui aboutissent à la domination de Raspoutine à la cour du Tsar, analyser les causes de la guerre de 1914 et l’échec de l’armée russe, rien de de tout cela ne produira logiquement la révolution de février 1917. L’événement historique reste irréductible. Ce n’est pas dans la statistique économique qu’on trouvera le discours de Lénine à l’arrivée à la gare de Pétrograd, ni l’éloquence de Trotsky, ni la couardise des chefs libéraux, mencheviks et SR... Quand le cuirassé Aurora sous la direction du bolchevik Antonov-Ovssenko tire (à blanc) sur le palais d’hiver et provoque la fuite de ses occupants, c’est l’événement singulier, l’événement du récit qui devient véritable historique, laissant toutes les raisons profondes à leur impuissance.
Car ce qui fait la spécificité de l’histoire, ce qui fait qu’on appelle histoire cette succession des générations de l’humanité – et qu’on ne se contente pas comme la Bible du «qui genuit» – c’est justement cette irruption de la nouveauté. Dans les sciences «dures» il n’y a de nouveauté que la découverte par le savant, mais l’objet de l’étude est toujours considéré comme déjà là, au moins en puissance. En histoire, le nouveau surgit à chaque pas et ne se laisse pas enfermer dans ce qui est déjà là et ce qui est déjà connu. Or ce nouveau dans le passé est précisément la matière même du récit. Et la relation initiale que nous avions mise en évidence – le récit a besoin d’explications – s’inverse : c’est le récit qui devient l’explication des explications.
On en est avec l’histoire comme avec toutes les «sciences morales», les «Geisteswissenschaften», le sujet chassé par la porte rentre immédiatement par la fenêtre. La recherche, de strates en strates, de l’objectivité conduit à retrouver la subjectivité la plus irréductible. La matérialité ultime de l’histoire c’est la subjectivité humaine et c’est pourquoi l’opposition de l’histoire et du récit ne doit pas être considérée comme une dichotomie rigide mais comme une tension entre deux pôles opposés mais tout aussi liés que le sont le pôle nord et le pôle sud de l’aimant.
(juin 1994)

Communisme et communautarisme.

Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...