La haine de la haine est devenue quasi universelle. Il faut traquer les discours de haine et même les punir. Un certain parti s’appellerait le RHaine, successeur du FHaine, deux surnoms qui devraient suffire à le discréditer. Comme on confond tout et que les mots n’ont plus beaucoup de sens, les haineux sont des « phobes ». Celui qu’on qualifie d’islamophobe est censé haïr les musulmans et même les persécuter par la parole – au moins – alors que les phobies sont des peurs névrotiques : les claustrophobes ne haïssent pas les portes… On confond trop souvent craindre et haïr.
Il faut pourtant rappeler que la crainte, qui est l’inverse de l’espoir, est un sentiment (ou affect) naturel est ainsi défini par Spinoza : « une tristesse inconstante née de l’idée d’une chose future ou passée de l’issue de laquelle nous doutons en quelque mesure ». Il caractérise la peur (timor) comme « un désir d’éviter un mal plus grand, que nous craignons, par un moindre ». Il s’agit d’une tristesse, c’est-à-dire d’un affect qui correspond à une diminution de notre puissance d’exister et d’agir (conatus). Mais c’est une tristesse inconstante, contrebalancée par une joie tout aussi inconstante, l’espoir. Je crains X, mais j’ai aussi l’espoir d’éviter X.
La haine est aussi une tristesse, mais cette fois une
tristesse constante liée à l’idée d’un objet extérieur. En tant qu’elle est une
tristesse, la haine est une diminution de notre puissance d’agir. La haine est
mauvaise pour la santé ! elle donne des aigreurs d’estomac et ronge de
l’intérieur celui qui est devenu haineux. Mais si néfaste qu’elle soit pour le
psychisme individuel, la haine n’est pas susceptible de tomber sous le coup de
la loi ! Ainsi le racisme est une passion triste et rien d’autre. On répète
bêtement parce qu’on croit ce que des lois idiotes ont institué, que le racisme
n’est pas une opinion, mais un délit. Je comprends très bien que le raciste qui
passe à l’acte soit condamné pour ses actes, mais comment condamner son
sentiment ? Les lois condamnent l’incitation à la haine raciale, nationale
ou même religieuse. Mais ces lois sont, pour l’essentiel une accumulation
d’absurdités. On doit naturellement condamner ceux qui tuent, maltraitent ou
simplement discriminent à l’embauche, par exemple, mais on ne peut les
condamner pour leur haine.
Si on condamne la haine, il faudra condamner toute
manifestation publique un peu vive.
Quand on voit des manifestants crier : « à bas l’État, les
flics et les fachos », on doit avoir un arsenal législatif imposant pour
envoyer au trou les organisateurs de telles manifestations. Heureusement on ne
le fait et pratiquement personne n’a demandé des sanctions contre la statophobie,
la flicophobie et la fachophobie des manifestants. On remarque d’ailleurs que
la condamnation des propos haineux est à géométrie variable : un
« Blanc » soutient que « les Noirs sont une race
inférieure », est un raciste haineux. Mais un « Noir » qui
proclame sa haine des « Blancs » est un pauvre opprimé manifestant
une juste colère… S’il faut condamner les paroles de haine, le Coran devrait
être interdit et l’Ancien testament a quelques passages bien saignants.
Cependant, on pourrait distinguer les propos haineux selon
leur objet. La haine des tyrans, des massacreurs, des exploiteurs ou des
racistes n’est pas à mettre sur le même plan que la haine des pauvres, des
Juifs ou du peuple. Dûment canalisée, la première forme de haine pourrait être
utilisée pour obtenir plus de justice et de respect de l’humanité alors que la
seconde forme est absolument mauvaise. Il apparaît ainsi que, si la haine est
mauvaise en elle-même, elle peut dans certains cas être bonne indirectement…
On pourra toujours objecter qu’il ne s’agit que de condamner
les propos et non la haine en elle-même et ainsi à obliger le haineux à ravaler
sa salive. Il est curieux de remarquer combien dans certains cas la libération
de la parole est célébrée alors qu’en d’autres situations on appelle à clouer
les clapets. Le méchant haineux, même s’il est condamné au silence trouvera
toujours mille moyens d’exhaler sa haine, des moyens qui pourraient être plus pernicieux
que l’usage de la parole. Celui qui use de la parole pour manifester ses
mauvais sentiments peut encore être contredit et éventuellement convaincu. Celui
qui garde tout pour lui va ruminer sa haine. On ne peut pas empêcher les gens
de penser, chacun selon son propre naturel, et il est donc absurde de les
empêcher de parler. Que les deux prix Nobel Watson et Crick, découvreur de la
structure en double hélice de l’ADN, aient clairement exprimé leurs sentiments
racistes et eugénistes n’est pas grave ; cela montre clairement qu’on peut
être un grand savant et un sinistre crétin en même temps et cela oblige leurs
adversaires à développer des arguments faisant appel à la raison.
Enfin si certains propos méritent d’être interdits et condamnés,
il va être très difficile de faire le départ entre ce qui est licite et ce qui
ne l’est pas. Alors on se trouvera engagé dans la mécanique totalitaire et l’imposition
d’une vérité officielle. Les propos ne peuvent être condamnés que lorsqu’ils
engagent une action immédiate criminelle. Ce n’est pas la même chose de dire « je
n’aime pas les X » et d’hurler « Tuez tous les X »…
Comment extirper la haine ? Spinoza le dit :
toutes choses étant égales par ailleurs, l’amour est plus fort que la haine. Plus
facile à dire qu’à mettre en pratique, certes. Mais comprendre les raisons de l’autre
vaut mieux que le haïr et alors il est plus aisé de trouver les bons remèdes.
Le 7 juin 2025.
Post-scriptum par Charles Baudelaire:
Le tonneau de la haine
La Vengeance éperdue aux bras rouges et forts
A beau précipiter dans ses ténèbres vides
De grands seaux pleins du sang et des larmes des morts,
Le Démon fait des trous secrets à ces abîmes,
Par où fuiraient mille ans de sueurs et d'efforts,
Quand même elle saurait ranimer ses victimes,
Et pour les pressurer ressusciter leurs corps.
La Haine est un ivrogne au fond d'une taverne,
Qui sent toujours la soif naître de la liqueur
Et se multiplier comme l'hydre de Lerne.
- Mais les buveurs heureux connaissent leur vainqueur,
Et la Haine est vouée à ce sort lamentable
De ne pouvoir jamais s'endormir sous la table.
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