lundi 18 septembre 2017

Fiche de lecture: Alcibiade de Platon

Ce dialogue (dont l’authenticité a été parfois contestée) passe pour être une véritable introduction à la philosophie de Platon. Il est sous-titré « Sur la nature de l’homme, genre maïeutique ». Les sous-titres ne sont pas de Platon mais d’une époque bien ultérieure.

Il s’agit – et c’est le thème central – de « prendre soin de soi-même », de « prendre soin de son âme » en choisissant la philosophie ou la « vie philosophique ». Je reprends ici le plan proposé par les éditeurs GF (p.14).

I.                   Entrée en matière : la rencontre de Socrate et Alcibiade (103a-106c)

Socrate est un amoureux d’Alcibiade. Il ne l’a jamais abordé. Mais lui est resté fidèle alors que tous les autres amoureux l’ont abandonné à cause de son arrogance. Pourquoi Socrate n’a pas fait comme les autres ?  À cause de son démon ! L’apologie de Socrate, Platon lui fait dire :
Le démon, c’est-à-dire ce qui en l’âme est proprement divin. Socrate en parle à de nombreuses reprises. Dans
[…] comme vous me l'avez maintes fois et en maints endroits entendu dire, se manifeste à moi quelque chose de divin, de démonique […]. Les débuts en remontent à mon enfance. C'est une voix qui, lorsqu'elle se fait entendre, me détourne toujours de ce que je vais faire, mais qui jamais ne me pousse à l'action. Voilà ce qui s'oppose à ce que je me mêle des affaires de la cité […] [31c-d].
Ce démon, il en parle encore abondamment dans d’autres dialogues, notamment Le banquet. Ici Socrate promet pour plus tard un développement sur ce démon.
Ce qui les rapproche, c’est d’abord qu’Alcibiade veut savoir ce que Socrate a en tête : « tu me troubles à être toujours là où je suis » (104d). Et Socrate lui répond (105e) : « je vais de révéler à toi-même tes pensées. » Alcibiade veut être puissant mais personne ne peut lui donner ce que Socrate se prépare à lui donner. On remarque que le problème du souci de soi va se poser à partir du moment où Alcibiade veut exercer le pouvoir politique. Chez Platon, tout finit par converger vers la politique, c’est-à-dire l’ordonnancement juste de la cité. Alcibiade a été mal éduqué et il doit maintenant surmonter les conséquences de cette mauvaise éducation au moment où il veut diriger les Athéniens.

II.                Examen des compétences d’Alcibiade (106-109b)

Pour prétendre diriger les Athéniens, il faut en posséder la compétence. Socrate commence par là. La politique est le fait de ceux qui en possèdent le savoir. Quand on confie la cité à ceux qui ne savent rien ou qui font semblant de s’y connaître, la cité est condamnée à la guerre civile, à l’anarchie ou à la tyrannie, bref au règne de la violence. La République, le Politique et Les Lois, les trois grandes œuvres directement politiques de Platon développeront ce point.
Socrate développe ici un de ses raisonnements favoris par dichotomie qui prend en quelque sorte en tenaille son interlocuteur si bien qu’à la fin celui-ci ne sait plus que penser. Voyons comment il procède.
·         Ce qu’on sait vient des autres ou de soi-même.
·         Or Alcibiade ne peut pas conseiller les Athéniens sur ce qu’il a appris des autres (l’alphabet, la flûte …)
·         Pour les autres sujets (architecture, etc.), les Athéniens s’adresseront à un spécialiste – ce que n’est pas Alcibiade. Il en va de même pour le combat …
·         Conclusion : Alcibiade ne possède aucune tékhnê !
On retrouvera toute cette discussion sur les tékhnê dans le Gorgias. Gorgias, le rhéteur, prétend être capable de tenir des discours sur tous les sujets, même s’il n’a aucune compétence pourvu qu’il maîtrise l’art de faire des beaux discours. Alcibiade procède différemment : le rhéteur reconnaît que la rhétorique peut servir la justice autant que l’injustice. Alcibiade reconnaît qu’il ignore toutes ces téckhnê au sujet desquelles Socrate l’a questionné mais affirme posséder la compétence de savoir quand il est juste d’employer celle-ci ou celle-là. Mais c’est précisément cette compétence en matière de justice qui est maintenant interrogée.

III.              Qu’est-ce que le juste ?  (109b-116e)

A.               Ignorance d’Alcibiade en la matière (109b-113c)

Socrate reprend le fil de son raisonnement. Soit Alcibiade a appris la justice de quelqu’un d’autre soit il l’a découverte par lui-même.
·         Or Alcibiade n’a pas fréquenté de maître en matière de justice.
·         Il affirme avoir appris la justice du grand nombre, mais ce n’est pas un bon maître !
Si le grand nombre n’est pas compétent en matière de justice, il n’est donc pas compétent en matière de politique. Bien que non développée, on retrouve ici la position classique de Platon qui tient la démocratie pour un mauvais régime, pas tout à fait le pire – le pire étant la tyrannie – mais celui qui conduit directement au pire des régimes.
Conclusion : Alcibiade est ignorant en matière de justice. Il s’engage dans une « entreprise déraisonnable » : « enseigner ce que tu ne connais pas, ayant négligé de l’apprendre »

B.                Le juste est l’avantageux (113c-116e)

Ce passage tente de construire un concept du juste. En effet Alcibiade essaie de se tirer d’affaire en disant
·         Que la distinction du juste et de l’injuste va de soi et que ce n’est pas là-dessus qu’on délibère ;
·         Que le véritable sujet de délibération est l’avantageux ou le nuisible.
Socrate met en cause la distinction entre juste et avantageux. À Alcibiade qui soutient que l’avantageux peut être injuste, Socrate rétorque ceci :
·         Certaines choses justes sont avantageuses
·         Ce qui est juste est beau
·         Ce qui est bon est bon
·         Or ce qui est bon est avantageux
·         Donc ce qui est juste est avantageux.
Conclusion d’Alcibiade désorienté : « je ne sais plus ce que je dis ».

IV.             Les espèces de l’ignorance (116e-119a)

A.               Connaissance et espèces d’ignorance (116e-118b)

L’ignorance d’Alcibiade pose maintenant la question d’une classification des genres d’ignorance.
·         On ne s’égare pas sur ce que l’on sait
·         On ne s’égare pas sur ce que l’on ne sait et dont on sait qu’on ne le sait pas
·         On s’égare sur ce que l’on ne sait pas et que l’on croit savoir.
C’est à la dernière catégorie qu’appartiennent les erreurs propres à l’action.
Alcibiade est dans la pire des ignorances : il se lance dans l’action comme s’il savait alors qu’il ne sait pas (il erre sur les choses les plus importantes, le juste, le bien …)

B.                L’ignorance en politique, de Périclès à Alcibiade (118b-119a)

Suit tout un passage dirigé contre Périclès qui faisait le savant mais ne l’était pas. Savoir quelque chose en effet, c’est être capable de le transmettre. Or Périclès n’a rien transmis à ses fils, donc Périclès entre dans la catégorie de ceux qui croient savoir ce qu’ils ne savent pas… Et Alcibiade se propose de continuer dans cette lignée !

V.               Les véritables rivaux d’Alcibiade (119a-124b)

À partir de là, il y a un changement de méthode dans la discussion. Socrate essaie de définir ce que doit comporter l’éducation de celui veut diriger ses concitoyens. Les Perses et les Lacédémoniens sont les grands rivaux d’Athènes et leur richesse et leur puissance ils les doivent à leur éducation.
Le futur roi des Perses est éduqué par quatre « gardiens royaux », le premier enseigne la religion, le second enseigne l’art de gouverner, le troisième lui apprend à dire la vérité et le dernier est son professeur de tempérance. Rien de tel dans l’éducation d’Alcibiade.
En ce qui concerne les Lacédémoniens, là encore leur éducation fait référence qui enseigne « la tempérance, le sens de l’ordre, l’aménité, l’humeur facile, la fierté, la discipline, le courage, la force d’âme, l’amour du travail, de la victoire et de l’honneur » (122c).
Les vrais rivaux d’Alcibiade ne sont pas les autres Athéniens, mais ces chefs étrangers. Et pour les vaincre, on ne peut l’emporter sur eux que « par le soin et la technique ». Le « connais-toi toi-même » rappelé ici par Socrate doit être pris au sens le plus simple : « regarde-toi, regarde toi comme tu es en comparaison de tes véritables rivaux.

VI.             Comment pouvons-nous devenir meilleurs (124b-127d)

Il faut savoir maintenant à quoi appliquer ce soin. À devenir meilleur, répond Socrate. Mais meilleur en quoi ? Suit un dialogue socratique classique qui vise à déterminer quel est l’objet de la compétence qu’il faut acquérir. Une longue suite d’interrogations aboutit à définir la cité bien gouvernée comme celle où règne la concorde et où chacun occupe la place qui est la sienne. Or Alcibiade qui convient de cela ne peut même pas le définir et doit constater à nouveau : « je ne sais même pas ce que je dis ». (127d)

VII.          Qu’est-ce que prendre soin de soi-même ? (127e-135e)

A.               Soi-même et ce qui nous est propre (127e-128d)

Si dans une cité juste, chacun s’occupe des choses qui lui sont propres, il faut définir ce que c’est.
·         Il y a les choses qui se rapportent à nous (les membres, etc.)
·         À chacune de ces choses correspond une tekhnê pour en prendre soin.
·         Mais le soi-même est autre chose que l’ensemble des choses qui se rapportent à soi.
·         La technique qui permet de prendre soin de soi repose sur la connaissance de soi

B.                Qu’est-ce que soi-même ? (128d-132b)

Reste à déterminer le soi. Nouvelle suite de questions qui aboutit à la conclusion que le soi-même est différent du corps. On est arrivé alors au nœud qui donne son sous-titre au dialogue : « de la nature de l’homme » (129c : « qu’est-ce donc que l’homme ?).
Conclusion : ce qu’est l’homme, c’est son âme.
Mais ici on n’a encore défini que les « soi » particuliers.  L’homme, c’est son âme. Mais le « soi-même lui-même », c’est encore autre chose. Il y a là une question classique qui est celle de la réflexivité propre à la pensée humaine et qui sera au cœur de la « philosophie du sujet » qu’on peut faire naître avec Descartes et qui conduit à la phénoménologie. Mais Platon n’emprunte pas cette voie.
·          Les diverses occupations de chacun, les métiers, ce n’est pas s’occuper de soi (et donc les choses qui nous sont propres, ce n’est pas cela !).
·         Dans le dialogue, c’est une âme qui parle à une âme.
·         Dans l’amour véritable, l’amant aime l’âme de l’aimé et donc est indifférent aux ravages du temps sur le corps (c’est pourquoi Socrate aime encore Alcibiade alors qu’il a passé l’âme d’être aimé pour son corps). C’est la définition de ce qu’on appelle « amour platonique ».

C.                Comment prendre soin de soi-même ? (132b-135e)

Il faut donc prendre soin de l’âme et diriger sur elle ses regards. Suit une comparaison entre le « connais-toi toi-même » et « regarde-toi toi-même ». On peut se voir dans un miroir ou dans le regard d’un autre, à condition de fixer la pupille. De la même façon, il faut fixer la « pupille de l’âme »,  la pensée réflexive.
La connaissance de soi est au fond de fixer le divin et par là la connaissance de soi a une valeur éthique – se connaître, c’est être tempérant et juste : se connaître soi, c’est connaître ce qui est propre à soi et par conséquent aussi ce qui est propre aux autres et donc c’est être juste. Conséquence : celui qui ne se connaît pas lui-même ne peut pas être politique – ou alors il sera un mauvais politique qui prendra de mauvaises décisions.
Conclusion générale : il ne reste plus à Alcibiade qu’à suivre l’enseignement socratique, c’est-à-dire à prendre soin de soi, c’est-à-dire à devenir juste et tempérant, c’est à cette condition seulement qu’il pourra prétendre diriger les Athéniens.

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