vendredi 18 mars 2022

D… comme démocratie

Tout le monde est pour la démocratie, même Poutine et Xi.

Mais ce qu’est la démocratie est bien difficile à expliquer. Savoir si la démocratie a existé, existe encore aujourd’hui ou pourra exister demain, voilà qui est encore plus difficile.

Au sens premier, étymologique, la démocratie est le pouvoir du « démos » ce que l’on traduit par « peuple ». Mais cette traduction est elle-même source de confusion. Le dème est la circonscription de base instituée par la réforme de Clisthène (à la fin du VIsiècle av. J.-C.) et les habitants du dème sont les démotes. C’est une nouvelle dénomination du peuple qui s’instaure : le démos remplace le laos — que l’on pourrait traduire plus exactement par population. L’instauration de la démocratie à Athènes est évidemment un événement fondamental, car il s’agit de la marginalisation de l’organisation gentilice traditionnelle (celle des grandes familles et des liens du sang) au profit d’un regroupement purement territorial des individus. On peut dire que c’est le véritable acte de naissance de l’État au sens précis du terme.

Mais si, à partir de la réforme de Clisthène, le peuple, c’est-à-dire le petit peuple, a son mot à dire, il est toujours représenté, en fait, par les familles nobles. Il en ira de même à Rome après la révolte de la plèbe et l’institution du tribun de la plèbe. Celui-ci est un personnage important, disposant de larges pouvoirs et considéré comme sacré. La plèbe joue aussi un rôle important dans les comices, mais les chefs, de quelque parti qu’ils soient, restent les chefs des gentes influentes. Les patriciens deviennent tribuns de la plèbe, mais pas l’inverse !

Il en va de même dans les communes italiennes du nord. Ce sont toujours les grandes familles, riches et influentes qui mènent la danse, mobilisant éventuellement le peuple, mais toujours pour garder le pouvoir. Le peuple joue un rôle politique, mais jamais directement, car il ne se représente pas lui-même.

L’instauration des démocraties libérales modernes n’a guère amélioré la situation. Ce sont toujours les élites qui représentent le peuple. La seule vraie différence avec les démocraties anciennes est que la circulation des élites y organisée, méticuleusement, d’une part pour apporter du sang neuf d’origine plébéienne à la classe dirigeante qui sans cela dépérirait, et d’autre part pour permettre aux dirigeants de se donner l’apparence des « représentants du peuple ». La démocratie libérale apparaît ainsi comme le summum de l’aliénation : le peuple se défait de toute sa puissance au profit d’une image de lui-même, mais d’une image qui ne représente pas la réalité, mais une inversion de la réalité. Le représentant du peuple n’est pas le porteur de la volonté du peuple, mais la figure de l’aliénation radicale du peuple dans la démocratie, ou du moins ce qu’on persiste à nommer ainsi.

Même les « partis ouvriers » qui s’étaient donné comme objectif de faire valoir les intérêts des ouvriers au niveau du pouvoir d’État sont devenus très vite des moyens auxiliaires de la circulation des élites. Les élites politiques ouvrières peuvent être éventuellement, mais assez rarement somme toute, d’origine ouvrière, mais, quoi qu’il en soit, elles font partie de l’élite dominante. Costanzo Preve avait résumé le problème assez simplement : les classes dominées ne peuvent pas dominer !

Il se pourrait bien que la démocratie soit essentiellement une illusion. Ou qu’elle ne puisse exister que sur une toute petite échelle et dans des conditions exceptionnelles. Rousseau l’a déjà dit : si les dieux existent, ils se gouvernent démocratiquement, mais un tel gouvernement n’est pas fait pour les hommes.

Il y a une deuxième interprétation possible du mot démocratie, celle que l’on retrouve dans l’expression « libertés démocratiques ». La démocratie est la garantie d’un certain nombre de droits de base dont les citoyens sont censés jouir. Ce sont les fameux « droits -titres » de la déclaration de 1789 qui incluent la sûreté, la liberté de faire tout ce que la loi n’interdit pas, etc. Mais nous savons combien ces droits peuvent être restreints « démocratiquement ». Un vote ou un décret gouvernemental suffisent pour instituer l’état d’urgence et restreindre drastiquement tous ces droits. La liberté d’expression trouble si vite l’ordre établi ! En outre, ces droits titres ne valent vraiment que ceux qui ont, par ailleurs, en raison de leur fortune par exemple, les moyens de les faire valoir. La liberté d’expression pour celui qui n’a ni journaux, ni télévision, ni aucun autre moyen de se faire entendre est une liberté à peu près vide. La critique marxienne des droits de l’homme comme droits de l’individu bourgeois égoïste n’est pas insensée, loin de là !

La dernière interprétation de la démocratie est celle du gouvernement de la majorité. Comment se forme la majorité ? Par le vote. Mais qui convaincre une majorité de citoyens de voter pour son programme ? Un groupe assez puissant pour se faire entendre. Et nous sommes ainsi ramenés aux points précédents. Par ailleurs, le gouvernement de la majorité méprise et maltraite aisément les droits des minorités. « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire », avait lancé un politicien de la majorité à ses collègues de l’opposition. Tout est dit. Les minoritaires ont toujours tort. Et même s’il leur arrive d’être majoritaires, si d’aventure cette nouvelle majorité déplait aux puissants, sa victoire lui sera volée. On l’a vu en France par le « tournant de la rigueur » qui suivit la victoire de Mitterrand ou le véritable hold-up consécutif au vote « non » au traité constitutionnel européen, en 2005.

Il se pourrait bien que la démocratie ne soit finalement qu’un mot assez creux, qui chante plus qu’il ne parle comme le disait Paul Valéry à propos de la liberté.

dimanche 13 mars 2022

La déraison occidentale

Nourri du christianisme, même quand il le vomit, l’Occident applique à la lettre la sentence de Paul : « il n’y a plus ni hommes ni femmes » (Galates, 3, 28). Ainsi, oubliant que la lettre tue mais l’esprit vivifie (Corinthiens, 3,6), une part croissante des élites instruites prétend abolir la différence des sexes et on peut voir des hommes (X,Y selon la génétique) revendiquer d’être considéré comme des femmes et même de participer aux compétitions sportives féminines. De nombreux États ont aboli la mention du sexe sur les papiers d’identité ou ont créé de très nombreuses catégories pour que chacun puisse se choisir. L’homosexualité est du dernier « chic » et on est sommé de permettre aux couples homosexuels d’avoir des enfants. Leur refuser ce droit serait une horrible discrimination. Pour qui n’a pas encore perdu le sens commun, ces revendications sont visiblement aberrantes. Comment peut-on refuser à ce point la réalité ? Il n’est pas besoin de suivre la Genèse (« Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 27) ; la sexuation est une caractéristique fondamentale de l’évolution du vivant et si on trouve des hermaphrodites ou des espèces où la sexuation varie en fonction de l’âge, chez les oiseaux et les mammifères, la différence des sexes est figée. Pour faire des enfants, il faut un homme et une femme ! En psychiatrie, la rupture avec le réel se dénomme psychose. Cette psychose occidentale fait des ravages et atteint l’histoire et la culture : les prétendus « éveillés » (woke) veulent effacer les traces du passé qui leur déplaît, passer la culture à la guillotine, jusques aux Grecs qui sont rejetés dans l’enfer des « woke » pour avoir été des racistes impérialistes !

Humain, trop peu humain: actualité de l’humanisme

  Dans les années 1960 et 1970, on avait entrepris de se débarrasser de l’homme. Michel Foucault, dans Les mots et choses , annonçait sa dis...