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vendredi 19 janvier 2024

Le devenir machine de l’homme

 C'est le titre provisoire d'un travail que je mène en ce moment et dont je présente ici les grandes lignes.

Mon point de départ

Les avancées de l’intelligence artificielle (IA) et des neurosciences remettent sur le devant de la scène une très vieille histoire, celle de l’homme-machine, pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre de La Mettrie.  Au fond tout se passe comme si l’on voulait se débarrasser de l’humanité de l’homme, en le réduisant à une machine cybernétique ou à un amas de neurones. Les « IA génératives » et autres « robots conversationnels » d’un côté, les neurosciences cognitivistes, les neurosciences pour devenir un bon leader, les neurosciences pour tout ce que nous désirons, de l’autre, voilà des « modes » qui sont lourdes de menaces, mais ne tombent pas du ciel. Nous avons affaire à deux phénomènes parmi les plus saillants qui expriment une histoire pluriséculaire, qui fut d’abord celle de l’Europe occidentale pour se généraliser aujourd’hui au monde entier. Plutôt que détailler une critique de l’IA ou déterminer les limites de la raison neuroscientifique, il m’a semblé plus judicieux de chercher à donner un tableau historique et culturel, permettant d’expliquer pourquoi nous tenons tant, sinon à devenir des machines, du moins à nous comporter comme des machines.

dimanche 14 janvier 2024

Machinerie et asservissement

Le machinisme porta longtemps les espoirs de libération de l’humanité. La machine devait libérer l’homme du travail. Elle est devenue très largement l’instrument de son asservissement. La technique moderne est issue de la science et n’a plus rien à voir avec ce « savoir immanent à l’action » dont parlait Platon. 

samedi 11 novembre 2023

Le corps du capital

 Le machinisme et le capital sont consubstantiels. Sous ses premières formes, capital usuraire, rente foncière et même manufacture, le capital est indifférent au moyen de travail. Mais le capital n’est pas encore véritablement lui-même. Le capital, en chair et en os, apparaît avec la grande industrie et donc comme machines, qui fonctionne si possible jour et nuit pendant toute l’année. Dans Das Kapital, Marx emploie le terme de Maschinerie, qui se traduit aisément en français par « machinerie ». La machinerie n’est pas une collection de machines, mais un système en fonctionnement. La vraie chose vivante du capital, est cette machinerie : une usine à l’arrêt, c’est du capital immobilisé, du capital qui ne produit rien et donc du capital mort. D’un autre côté le capital est de l’argent, l’argent dépensé pour acheter des moyens de travail et de la force de travail, et qui ressort du cycle de la production grossi et embelli de la plus-value. Pour l’investisseur capitaliste, l’argent semble un pur fantôme et son existence matérielle n’a rien à voir avec son contenu réel et sa puissance. 

jeudi 3 septembre 2020

Günther Anders et nos catastrophes

Par Florent Bussy (éditions « Le passager clandestin », collection « Précurseurs de la décroissance », 132 pages, 10 €)

Günther Anders, né en 1902 à Breslau et mort en 1992 à Vienne, est un philosophe allemand encore trop peu connu. Trop peu connu parce qu’on a beaucoup de mal à le faire rentrer dans les cases des « grands courants de la philosophie », quoique, à bien des égards, on pourrait le rapprocher des philosophes de l’école de Francfort ou d’Ernst Bloch, avec lesquels il a en commun de concevoir la philosophie comme « théorie critique ». Sa manière de philosopher est très atypique : il part d’anecdotes, de récits pour en tirer progressivement des leçons philosophiques de la plus haute importance. Le livre de Florent Bussy a le grand mérite de restituer les grandes lignes de la pensée de Günther Anders en montrant comment ses analyses sont aujourd’hui plus pertinentes que jamais.

Le livre est divisé en deux parties : une introduction par Florent Bussy et un choix de textes (notamment extrait d’Obsolescence de l’homme) qui permettent de se faire une idée de l’œuvre d’Anders. Après avoir retracé le parcours d’Anders, l’auteur analyse son œuvre sous trois angles : penser nos catastrophes, obsolescence, décroissance. Que ceux que le mot décroissance pourrait chiffonner ne n’arrêtent pas là ! Le point de départ, pour comprendre Anders c’est l’apocalypse, car l’apocalypse a déjà eu lieu : entre l’extermination industrielle des Juifs d’Europe et Hiroshima, le XXsiècle a montré dramatiquement ce qu’était la logique du système économique capitaliste dès lors que plus rien ne vient lui faire obstacle. C’est la logique de la déshumanisation et de la mécanisation de la vie humaine. « Qu’on détruise la vie ou qu’on détruise l’humanité, il s’agit bien de catastrophes totales. L’histoire ne peut plus être la même après de tels événements et la hantise collective devrait être qu’ils se prolongent (…) » (29) La lecture d’Anders doit nous conduire à détruire l’optimisme naïf des Lumières et Bussy ajoute : « L’apocalypse ne se réduit donc pas aux génocides et à l’invention de la bombe, de nouvelles formes en sont possibles. Les crises écologiques et l’accaparement des richesses par un petit nombre se produisent également du fait du culte de la performance et de la production pour la production (croissance). » (32) Ce qui rend possible ce développement monstrueux, c’est le « décalage prométhéen », c’est-à-dire l’écart entre ce que nous mettons en branle et le manque de savoir réel des conséquences.

L’obsolescence de l’homme est la situation réelle de l’homme moderne et c’est la conséquence du développement du mode de production capitaliste, un mode de production qui dévalorise les métiers et dévalorise les objets. La « société de consommation » n’est pas une société où les produits de l’ingéniosité humaine sont admirés et chéris, mais une société où, à peine acquis, ils ont perdu toute valeur et doivent être remplacés par d’autres. La consommation n’est plus une satisfaction, mais un devoir ! Mais l’obsolescence des choses prépare celle de l’homme : face aux machines, l’homme semble si maladroit, si imparfait, si improductif qu’il finit par avoir honte de cette marque indélébile : il est né et n’a pas été fabriqué. Là encore, à l’époque de la PMA et de la fabrication des bébés, à l’époque de la prétendue « intelligence artificielle » quand toute une propagande nous invite à mettre chapeau bas devant l’intelligence des machines, les analyses d’Anders trouvent une singulière résonnance.

Sommes-nous condamnés à assister impuissants aux nouveaux pas vers la déshumanisation, à la destruction de l’humanité ? Anders insiste sur l’impératif moral de résistance, sur la nécessité de comprendre et de faire comprendre ce qui est en jeu. Ce faisant, on parie sur l’intelligence humaine, sur la capacité que nous avons encore à sortir de l’enchantement des images et à recouvrer le sens de la liberté. Le pari est peut-être risqué, mais avons-nous vraiment d’autres possibilités ?

Le 3 septembre 2020 — Denis Collin

mercredi 14 juin 2017

Ordre du discours et parole fasciste: Foucault et Barthes

... ou de quelques guignolades post-soixantehuitardes

Dans son discours inaugural au collège de France, publié sous le titre L’ordre du discours (1971), Michel Foucault soutient qu’il y a une double inquiétude de l’institution face au discours :
inquiétude à l’égard de ce qu’est le discours dans sa réalité matérielle de chose prononcée ou écrite ; inquiétude à l’égard de cette existence transitoire vouée à s’effacer sans doute, mais selon une durée qui ne nous appartient pas ; inquiétude à sentir sous cette activité, pourtant quotidienne et grise, des pouvoirs et des dangers qu’on imagine mal ; inquiétude à soupçonner des luttes, des victoires, des blessures, des dominations, des servitudes, à travers tant de mots dont l’usage depuis si longtemps a réduit les aspérités.
Mais qu’y a-t-il donc de si périlleux dans le fait que les gens parlent, et que leurs discours indéfiniment prolifèrent ? Où donc est le danger ?
Pour répondre à cette interrogation, il avance une hypothèse :
je suppose que dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité.
Qu’est-ce qui contrôle la production du discours ? Tout d’abord des procédures d’exclusion. La première est l’interdit qui lui-même prend des formes multiples qui concerne le discours du désir ou du pouvoir. Dans les deux cas d’ailleurs c’est précisément parce que l’enjeu du désir, c’est le discours (Freud) et l’enjeu du pouvoir, c’est le discours du pouvoir.
comme si le discours, loin d’être cet élément transparent ou neutre dans lequel la sexualité se désarme et la politique se pacifie, était un des lieux où elles exercent, de manière privilégiée, quelques-unes de leurs plus redoutables puissances. Le discours, en apparence, a beau être bien peu de chose, les interdits qui le frappent révèlent très tôt, très vite, son lien avec le désir et avec le pouvoir. Et à cela quoi d’étonnant : puisque le discours - la psychanalyse nous l’a montré -, ce n’est pas simplement ce qui manifeste (ou cache) le désir ; c’est aussi ce qui est l’objet du désir ; et puisque - cela, l’histoire ne cesse de nous l’enseigner - le discours n’est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer. (Foucault, op. cit.)
Le deuxième principe d’exclusion est celui du partage et du rejet. Le discours de la folie peut se tenir mais il ne circule, on ne le partage pas.
Foucault va un peu plus loin en donnant le 3e principe d’exclusion :
Il est peut-être hasardeux de considérer l’opposition du vrai et du faux comme un troisième système d’exclusion, à côté de ceux dont je viens de parler. Comment pourrait-on raisonnablement comparer la contrainte de la vérité avec des partages comme ceux-là, des partages qui sont arbitraires au départ ou qui du moins s’organisent autour de contingences historiques ; qui sont non seulement modifiables mais en perpétuel déplacement ; qui sont supportés par tout un système d’institutions qui les imposent et les reconduisent ; qui ne s’exercent pas enfin sans contrainte, ni une part au moins de violence.
Pour être bien compris, il précise :
Certes, si on se place au niveau d’une proposition, à l’intérieur d’un discours, le partage entre le vrai et le faux n’est ni arbitraire, ni modifiable, ni institutionnel, ni violent. Mais si on se place à une autre échelle, si on pose la question de savoir quelle a été, quelle est constamment, à travers nos discours, cette volonté de vérité qui a traversé tant de siècles de notre histoire, ou quel est, dans sa forme très générale, le type de partage qui régit notre volonté de savoir, alors c’est peut-être quelque chose comme un système d’exclusion (système historique, modifiable, institutionnellement contraignant) qu’on voit se dessiner.
Je laisse ici la longue période que Foucault consacre à la « volonté de vérité » - dite dans un style « nietzschéen », ou du moins qui se voudrait tel.
Que retenir de tout cela ? Il y a bien des systèmes qui balisent la production des discours selon des normes imposées socialement aux individus. Où le propos de Foucault est ambigu, c’est au moment où se sépare l’exposé de ce qui est la pensée normative. Foucault semble considérer cet ordre du discours comme un ordre oppressif, dont il faudra peut-être se débarrasser. On peut certes contester un certain ordre du discours, contester les lieux où se place l’interdit. Mais peut-on contester la nécessité d’un interdit en général. Il y a là quelque chose d’étrange qui nous obligerait à une critique générale de la pensée de Foucault (ce que l’on a appelé son nietzschéisme, lui-même fort douteux).
Poussant le paradoxe un peu plus loin, Roland Barthes soutient que « la langue est fasciste » ! Ainsi, on peut lire :
Le langage est une législation, la langue en est le code. Nous ne voyons pas le pouvoir qui est dans la langue, parce que nous oublions que toute langue est un classement, et que tout classement est oppressif : ordo veut dire à la fois répartition et commination. Jakobson l’a montré, un idiome se définit moins par ce qu’il permet de dire, que par ce qu’il oblige à dire. Dans notre langue française (ce sont là des exemples grossiers), je suis astreint à me poser d’abord en sujet, avant d’énoncer l’action qui ne sera plus dès lors que mon attribut : ce que je fais n’est que la conséquence et la consécution de ce que je suis ; de la même manière, je suis obligé de toujours choisir entre le masculin et le féminin, le neutre ou le complexe me sont interdits ; de même encore, je suis obligé de marquer mon rapport à l’autre en recourant soit au tu, soit au vous : le suspend affectif ou social m’est refusé. Ainsi, par sa structure même, la langue implique une relation fatale d’aliénation. Parler, et à plus forte raison discourir, ce n’est pas communiquer, comme on le répète trop souvent, c’est assujettir : toute la langue est une rection généralisée.
(...)
La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire.
Dès qu’elle est proférée, fût-ce dans l’intimité la plus profonde du sujet, la langue entre au service d’un pouvoir. En elle, immanquablement, deux rubriques se dessinent : l’autorité de l’assertion, la grégarité de la répétition. D’une part la langue est immédiatement assertive : la négation, le doute, la possibilité, la suspension de jugement requièrent des opérateurs particuliers qui sont eux-mêmes repris dans un jeu de masques langagiers ; ce que les linguistes appellent la modalité n’est jamais que le supplément de la langue, ou ce par quoi, telle une supplique, j’essaye de fléchir son pouvoir implacable de constatation. D’autre part, les signes dont la langue est faite, les signes n’existent que pour autant qu’ils sont reconnus, c’est à dire pour autant qu’ils se répètent ; le signe est suiviste, grégaire ; en chaque signe dort ce monstre : un stéréotype : je ne puis jamais parler qu’en ramassant ce qui traîne dans la langue. Dès lors que j’énonce, ces deux rubriques se rejoignent en moi, je suis à la fois maître et esclave : je ne me contente pas de répéter ce qui a été dit, de me loger confortablement dans la servitude des signes : je dis, j’affirme, j’assène ce que je répète.
Dans la langue, donc, servilité et pouvoir se confondent inéluctablement. Si l’on appelle liberté, non seulement la puissance de se soustraire au pouvoir, mais aussi et surtout celle de ne soumettre personne, il ne peut donc y avoir de liberté que hors du langage. Malheureusement, le langage humain est sans extérieur : c’est un huis clos. On ne peut en sortir qu’au prix de l’impossible : par la singularité mystique, telle que la décrit Kierkegaard, lorqu’il définit le sacrifice d’Abraham, comme un acte inouï, vide de toute parole, même intérieure, dressé contre la généralité, la grégarité, la moralité du langage ; ou encore par l’amen nieztschéen, ce qui est comme une secousse jubilatoire donnée à la servilité de la langue, à ce que Deleuze appelle son manteau réactif. Mais à nous, qui ne sommes ni des chevaliers de la foi ni des surhommes, il ne reste, si je puis dire, qu’à tricher avec la langue, qu’à tricher la langue. Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d’entendre la langue hors-pouvoir, dans la splendeur d’une révolution permanente du langage, je l’appelle pour ma part : littérature.
Et encore ceci :
Les signes dont la langue est faite, les signes n’existent que pour autant qu’ils sont reconnus, c’est à dire pour autant qu’ils se répètent ; le signe est suiviste, grégaire ; en chaque signe dort ce monstre : un stéréotype : je ne puis jamais parler qu’en ramassant ce qui traîne dans la langue. Dès lors que j’énonce, ces deux rubriques se rejoignent en moi, je suis à la fois maître et esclave : je ne me contente pas de répéter ce qui a été dit, de me loger confortablement dans la servitude des signes : je dis, j’affirme, j’assène ce que je répète. Dans la langue, donc, servilité et pouvoir se confondent inéluctablement. Roland Barthes : Leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France prononcée le 7 janvier 1977.
La répétition fait de nous des esclaves …
Il est à peine besoin de commenter ces textes proprement aberrants. Un verbiage pseudo-philosophique sert à justifier une désorganisation totale de la parole. Et ce sont des grands spécialistes de la parole et des textes, des universitaires professant au collège de France qui appellent à cette destruction de la parole.
D’un certain point de vue, ces discours peuvent être lus ou relus aujourd’hui avec un autre œil : ils expriment l’opération d’abolition des montages de l’Interdit dont parle Pierre Legendre et qui est si typique de la phase néolibérale que nous avons traversée avant de subir un coup de barre en retour.

mercredi 13 mars 1991

Notes sur *La loi et le hasard* d'Emanuele Severino

Emanuele SEVERINO (La loi et le hasard) renouvelle la réflexion sur les sciences en rapportant la science contemporaine à sa source la plus radicale, la conception grecque du devenir qui dit que toute chose sort du rien et retourne au rien.

Dans l’histoire de l’Occident, les formes de domination qui précèdent la domination scientifique ont un caractère essentiellement antinomique. L’antinomie réside en ce que les immuables et les éternels évoqués par la prévision épistémique pour dominer le devenir rendent impossible et impensable le devenir ou plutôt rendent impossible ce qui pour être dominé doit être possible et pensable, et qui fut en fait dès le début considéré par l’Occident comme l’évidence fondamentale même. (p.27/28)

La métaphysique veut dominer le devenir en l’enfermant dans les éternels ; la prévision sert à dire que ce qui va devenir est déjà là. Severino parle ici d’épistémè né dans la pensée grecque.

La pensée grecque établit une fois pour toutes le sens du devenir du monde. (p.29)

Toutes les critiques que la civilisation et la culture contemporaines adressent à la civilisation et à la culture occidentales ne sont qu’une tentative de destruction des immuables, parce qu’elles ne représentent que le phénomène de la destruction essentielle qui s’accomplit dans le sous-sol envahi par le sens grec du devenir. (p.38/39)

A l’inverse de la métaphysique qui ne domine qu’en rendant impossible l’objet qu’elle veut dominer, la science moderne parvient à dominer réellement.

La science devient la forme la plus puissante de domination parce qu’elle renonce au rêve épistémique d’une prévision incontestable et devient une prévision hypothétique et donc toujours ouverte au risque de l’insuccès. (p.40/41)[1]

Le savoir scientifique intègre la possibilité de l’irruption de l’imprévu.

En son essence, l’induction scientifique est déjà cet indéterminisme qui deviendra ensuite explicite dans la physique contemporaine par le principe d’incertitude de Heisenberg. (p.47)

C’est précisément parce que la science reconnaît ne pas être épistémé, c’est-à-dire vérité incontestable et évocation des immuables, qu’il peut lui arriver d’être la forme la plus puissante de la domination. (p.49)

Et donc

Le déclin de l’épistémé élimine toute solution de continuité entre science et réflexion critique sur la science. (p.51)

Emanuele Severino en vient à concevoir la science comme langage dans un climat néo-positiviste :

La réflexion sur la science rend totalement explicite la caractère intersubjectif et linguistique du donné. (p.53)

Les propositions qui expriment le donné sont établies par un verdict, autrement dit par le consentement social.(p.54)

La solidarité essentielle entre le caractère intersubjectif de la science moderne et le principe démocratique de la volonté de la majorité.

Il y a une renonciation au caractère absolu des propositions qui se réfèrent au donné empirique et cette renonciation découle de la méthodologie même de la science moderne. C’est encore cette critique de la valeur absolue du donné

qui détermine la transformation radicale de la géométrie, des mathématiques et de la logique modernes en systèmes axiomatiques formalisés dont les règles de formation et de transformation ne sont plus l’expression d’une évidence intuitive, mais se posent comme conventions, c’est-à-dire comme décisions prises à l’intérieur d’un consentement intersubjectif. (p.58)

L’imprévisibilité est introduite jusque dans les systèmes logico-formels. A souligner :

L’entreprise théorique de Gödel, qui s’oppose à la prétention d’auto-garantie des systèmes formels face à l’émergence de la contradiction, est analogue non seulement à l’opération par laquelle la science empirique est ouverte à la nouveauté de l’événement, mais aussi à l’opération par laquelle le marxisme ainsi que le néo-capitalisme de Weber, de Schumpeter et Keynes conçoivent l’assise du capitalisme comme un système non pas absolu mais ouvert à l’irruption de l’événement social imprévisible qui fait éclater la contradiction du système. (p.59)

Le sens du rien est au cœur de la science moderne.

Le sens du rien est présent même là où l’on prétend n’avoir aucun rapport avec les catégories décisives de l’ontologie grecque. (p.76)

La volonté de puissance peut donc être pensée comme interprétation.

L’épistémè est la loi qui rend impossible l’avènement du hasard et qui donc reste une domination impuissante de l’avenir. (p77)

La science moderne résout cette contradiction en se définissant comme intersubjectivité. Mais elle ne va pas jusqu’au bout de son auto-conscience critique. Il lui faudrait admettre le donné comme interprétation et cette interprétation comme résultat d’une volonté.

Le succès, la domination de la science est voulue. (p.81)

La volonté de puissance s’incarne dans la science :

Non seulement la volonté de puissance ne dissout pas l’avenir, mais ne s’impose même pas comme une force antithétique à l’avènement du devenir ; la volonté de puissance est l’événement qui domine tout événement, l’événement qui domine tout avènement, le hasard qui domine tout hasard. (p82)

La forme originelle de la volonté de puissance n’est-elle pas la volonté que le devenir du monde existe - la volonté qu’existe ce qui se laisse dominer ? C’est le problème de la loi :

C’est dans cette loi que se cache l’aliénation la plus abyssale qui puisse exister dans le tout. (p.84)

La volonté que les choses soient rien est l’aliénation essentielle, c’est-à-dire l’inconscient essentiel de l’Occident qui s’exprime comme volonté que le devenir du monde existe et qui fonde la volonté de dominer le monde en évoquant soi Dieu, soit la praxis révolutionnaire, soit la technique scientifique, autrement dit en évoquant les immuables et leur négation. (p.85/96)

La deuxième partie du livre de Severino est un commentaire de l’intersubjectivité dans la « construction logique du monde » de Carnap. C’est le néopositivisme qui formule complètement la conception du savoir comme savoir intersubjectif et donc le savoir comme langage.

Dans la philosophie antique (Platon, Aristote), il y a une identification implicite entre l’universel et l’intersubjectif. Ce qui est incommunicable, c’est le contenu immédiat de l’expérience. Dans le néopositivisme, l’accord intersubjectif ne peut être atteint que si on se limite à parler des rapports formels entre les choses sans dire ce que sont ces choses (cf.p115).



[1]              Le marxisme comme l'économie politique se trouve de ce point de vue du côté de l'épistémè et non  du côté de la science. Il y a un caractère radical de l'indéterminisme de la science contemporaine; or ceci n'est pas perçu dans la philosophie des sciences et encore moins dans l'idéologie scientiste.

Communisme et communautarisme.

Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...