On est en train de voter une loi pour le droit à mourir, ou plus exactement pour le droit d’être tué par une âme compatissante. On a mis en place depuis le longtemps le droit à changer de sexe (pardon, j’emploie encore des gros mots). À l’école, les élèves ont le droit à la réussite (égale pour tous). Les homosexuels ont le droit d’être homosexuels et les lesbiennes le droit d’être lesbiennes. À toute occasion, chacun exhibe ses droits et en toutes circonstances on fait appel au droit pour régler ses comptes avec ses ennemis du moment. Les lois se multiplient à n’en plus finir.
Le grand philosophe napolitain des Lumières, Giambattista Vico,
faisait remarquer que Rome fut républicaine alors qu’elle n’avait qu’un petit
nombre de lois et que les multiplication des lois est l’indice le plus assuré
que l’institution politique est gravement malade. Vico écrivait : « il n’y
a pas de moyen plus rapide pour arriver à la monarchie que de multiplier les
lois, et c’est pourquoi Auguste pour l’établir en fit un grand nombre » (in La
Science nouvelle).
Dans une communauté politique solidaire, les individus
peuvent être libres parce que « les bonnes mœurs » (la Sittlichkeit
au sens de Hegel) suffisent pour assurer une coexistence pacifique et
civilisée entre les membres de la communauté. Il n’est pas besoin de contrôleur
pour contraindre les jeunes gens à céder leur place dans les transports en
commun et pour passer un marché, il suffit de se serrer la main. Une communauté
d’hommes libres (pour reprendre une expression de Spinoza) s’administre seule
pour l’essentiel de la vie courante.
Mais dès que chacun n’est plus préoccupé que de « ses droits »,
il faut des lois pour tous les détails de la vie et des magistrats pour
trancher et des policiers pour exécuter ce que le magistrat aura décidé. Quand chacun
veut n’avoir de comptes à rendre qu’à lui-même, la communauté se désagrège et
devient un simple ensemble d’individus isolés les uns des autres. Le philosophe
libertarien Robert Nozick l’avait affirmé sans ambages : les individus
mènent des existences séparées. Hobbes l’avait dit avant lui : les hommes
n’aiment pas la compagnie ! Notre société a évolué dans ce sens depuis
quelques décennies. Si d’aventure la loi est défaillante dans cet en ensemble
amorphe et inorganique d’individus, alors on se trouve plongé dans « la
guerre de chacun contre chacun », c’est-à-dire l’état de nature selon
Hobbes. L’insécurité monte à la fois parce que le souci des autres a disparu et
parce que chacun se sent susceptible d’être la victime de ou de l’animosité du
voisin. La méfiance générale qui mine toutes les relations sociales est une conséquence
de la société des individus-rois.
La « marche des fiertés » (ex-Gay Pride) qui chaque année déploie ses extravagances dans
nos grandes villes est une expression typique de cette situation
catastrophique. Tous les « fiers » de la « marche des fiertés »
se sentent des victimes potentielles de la méchanceté des « autres »,
de ceux qui ne songent pas à exhiber quelque particularité pour se présenter
comme de pauvres victimes des « phobes ». Son côté festif ne peut
empêcher cette prétendue « marche des fiertés » d’être en réalité une
déclaration de guerre de chacun contre chacun. On sait d’ailleurs que la guerre
est pratiquement ouverte entre les trans et certains groupes féministes (les TERF
ou Trans-Exclusionary Radical Feminist).
J’ai parlé de « bonnes mœurs ». Il ne s’agit pas
de pruderie, de pudibonderie ou de retour à la « morale victorienne ».
Nous admettons – mais c’est acté depuis la Révolution française – que la vie
intime n’appartient qu’aux adultes consentants. C’est aux États-Unis et non en France qu’on
trouve des Sodomy Laws qui répriment toute une série de pratiques sexuelles…
Mais si chacun s’arrange comme bon lui semble avec son désir et ses fantasmes,
dans le respect de la même liberté pour les autres, cela implique qu’on ne doit
pas faire de ses propres pratiques sexuelles un objet de fierté et de propagande.
Il n’y a pas de honte à être homosexuel, mais aucune fierté non plus ! Une
certaine indifférence devrait être de mise. Ce devrait être le cas dans une
société décente. Quand les prétendues « minorités sexuelles »
viennent faire de la propagande à l’école, toutes les bornes de la décence ont
été enfoncées. Être homosexuel ou avoir des pratiques homosexuelles n’est pas
une question de droit. Être homophobe n’est pas un délit – après tout chacun se
débrouille comme il peut avec son homosexualité latente. Les homosexuels, comme
tous les individus ne peuvent que demander le respect de leur vie privée et de
leur intimité. On ne devrait pas oublier que la liberté sexuelle s’accompagne
très bien de la pudeur.
J’ai déjà eu l’occasion de dire pourquoi les « trans »
n’ont pas de droits spéciaux non plus et qu’on n’a pas plus à croire un homme
qui dit être une femme qu’on a de raison de croire les fous qui se prennent
pour Napoléon (sur le site de La Sociale, Droit des trans ?).
J’ai également eu l’occasion à plusieurs de reprises de dénoncer ce prétendu « droit
à mourir » (voir
mon dernier papier sur ce sujet). Tous ces prétendus droits ne sont pas des
droits, mais des revendications que certains adressent à la société : « ne
vous contentez pas de nous respecter en tant qu’humains, aimez-nous, aimez nos
lubies, nous voulons être reconnus ». Car le drame est là : quand
tous les liens qui forment une communauté sont défaits, l’individu est désespérément
seul. Cette désolation est insupportable
et on demande à l’État et à la loi d’y remédier. Spinoza fait remarquer que
chacun aimerait que les autres jugent de toutes choses comme lui-même... Mais c’est
précisément une des causes des désordres et des inimitiés. Autrement dit, ceux
qui ne cessent de réclamer toujours plus de droits, dans l’objectif (parfois
inconscient) d’être reconnus ne font que nourrir toutes les causes de l’isolement
et du manque de reconnaissance.
Hegel faisait du droit le moment abstrait de la vie de la
communauté. Il s’impose quand les individus sont sortis des relations
communautaires naturelles, comme la famille, et se trouvent les uns à côté des
autres. Mais la communauté accomplie ne peut se contenter du droit. Elle doit dépasser
le droit pour retrouver sur une base supérieure les liens éthiques
communautaires. C’est d’autant plus important que le droit est non seulement
formel, mais aussi limité par le droit égal de tout autre et par les devoirs
qui en découlent, car tout droit a pour contrepartie le devoir de quelqu’un d’autre
(au moins).
Si le droit est une bonne chose, il est encore meilleur d’éviter
d’en abuser.
Le 7 juin 2025
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