Denis Collin revitalise les objectifs d’égalité et de liberté proclamés par la révolution de 1789, à la lumière d’un héritage marxien réactualisé.Voici un livre particulièrement stimulant. Prolongeant sa réflexion plus générale de Morale et Justice sociale (Seuil, 2001), Denis Collin affronte la crise politique actuelle pour en souligner la gravité et suggérer les moyens de la dépasser. Son constat de départ est sans concession : la démocratie se délite au fur et à mesure que s’aggravent les difficultés de vie des masses populaires, trahissant les proclamations officielles de ses élites. Le libéralisme d’aujourd’hui, assez différent des promesses de libération politique de ses fondateurs, n’est autre qu’un « libérisme », c’est-à-dire une organisation économiquede la production dans laquelle la recherche du profit se retourne contre la liberté des producteurs, voire peut s’accommoder d’une absence criante de démocratie comme les différents fascismes du XXe siècle l’ont montré.
Mais la situation idéologique est obscurcie par le fait que bien des intellectuels ou militants libertaires - Cohn-Bendit, Negri, Lipietz - sont passés sans remords dans le camp libéral, oublient l’exploitation du travail dont il est complice, et nourrissent ainsi
la pire confusion sur sa signification politique réelle.
L’auteur propose de réagir en se ressourçant à l’idée républicaine. Certes, celle-ci n’est qu’un cadre normatif et juridique, souvent bafoué dans la réalité, mais elle indique où la société doit aller : vers l’égalité et la liberté de tous, comme la Déclaration de 1789 l’a proclamé. Sa réalisation suppose que l’on ne fasse pas l’impasse sur la théorie de Marx : les inégalités de classes existent, liées à la propriété privée de l’économie, qui empêchent la liberté d’être un bien réellement universel, et il faut intégrer cette donne si l’on veut rendre effective la République. Mais l’héritage marxien doit lui-même être actualisé : dans un chapitre qu’on pourra trouver un peu rapide, l’auteur indique par exemple que l’idée d’une croissance devant apporter l’abondance doit être revue, en particulier du fait de la crise écologique, ou encore que le thème du dépérissement de l’État n’a guère de sens si l’on veut maintenir une régulation juridique assurant l’égalité et la liberté, y compris dans la sphère économique.
Les propositions formulées en fin d’ouvrage sont un mixte de républicanisme et de fidélité critique à l’auteur du Capital. S’appuyant sur le travail prospectif de Tony Andréani, l’auteur envisage de revenir à un programme fort de nationalisations, de l’accompagner d’un renouvellement démocratique aux multiples visages, y compris institutionnels, avec une VIe République, de revaloriser l’espace national comme base d’un pouvoir des peuples, de faire toute sa place, enfin, au souci de l’individu en s’inspirant de ce qu’il y a de meilleur dans la tradition libérale issue des
Lumières (Rawls est souvent cité). Tout cela dessine ce que pourrait être un communisme à la fois intransigeant et lucide, sans messianisme ni renoncement. On regrettera seulement que ne soit pas indiquée la force politique susceptible de lancer cette alternative, alors que ce n’est pas du côté de la social-démocratie, telle qu’elle se veut aujourd’hui, qu’on peut la trouver.
Yvon Quiniou, philosophe