Pourriez-vous présenter vos travaux et vos inspirations philosophiques ?
Disons qu’il y a trois dimensions dans mon travail. Une première, liée à mon histoire politique personnelle qui se rapporte à la « marxologie ». Ma thèse de doctorat (publiée chez L’Harmattan) portait sur la théorie de la connaissance chez Marx. Je fais partie de ceux qui considèrent, comme Michel Henry, que « le marxisme est l’ensemble des contresens faits sur Marx ». Je suis revenu à Marx encore récemment dans un livre (Comprendre Marx, A. Colin) où j’insiste sur les contradictions contenues dans cet œuvre et son inachèvement radical sur des questions aussi importantes que la question des classes sociales ou la théorie de l’État. Enfin, je crois qu’il faut aller jusqu’au bout du bilan du marxisme et tourner la page des illusions et mystifications qu’il contient – le rôle de la classe ouvrière comme « sujet révolutionnaire » et le communisme conçu comme la parousie, le royaume des bienheureux débarrassés de la contrainte au travail, de la rarement des ressources et de la nécessité de gouverner les hommes !
Une deuxième dimension de mes recherches porte sur l’ontologie et la théorie de la connaissance. À l’encontre de ma formation antérieure, j’en suis venu à renoncer à l’idée d’un rapport consubstantiel entre matérialisme philosophique et science. La science postule une sorte d’anti-idéalisme méthodologique, mais rien de plus. Et en tout cas il ne prouve en aucun cas que le matérialisme soit la philosophie adéquate à la science moderne. Disons que je défends un « matérialisme faible », c’est-à-dire refus d’un dieu transcendant, refus d’un « dessein intelligent », refus de penser l’âme séparée du corps, donc une philosophie définie uniquement par ce qu’elle n’est pas.
La troisième dimension, la plus importante sans doute, de mon travail est centrée sur la philosophie morale et politique. Il me semble indispensable de sortir de l’économisme et du scientisme technocratique et de réhabiliter la dimension normative de la politique, ce qui pose, à nouveaux frais la question de la morale, dans le sens le plus large. Il n’y a pas de vie sociale possible sans le partage d’un certain nombre de valeurs morales communes, sans un ethos ou encore ce que Hegel appelait d’un terme difficile à traduire en français, « Sittlichkeit ». J’ai consacré pas mal de temps aux théories de la justice et en particulier à l’analyse critique de celle de Rawls, précisément parce que ce genre de théorie articule la morale et la théorie politique. Ensuite, si la question clé de la philosophie politique est celle de la liberté (ou encore du pouvoir légitime), celle-ci est inséparable d’une théorie du social, c’est-à-dire de l’analyse des inégalités sociales et de toutes les formes de domination « infra-politiques » et principalement de celles qui naissent des rapports de production et des rapports de propriétés. C’est pourquoi je tente de dégager une synthèse entre l’héritage du républicanisme classique et ce qui nous reste de la pensée de Marx.
Comment abordez-vous le phénomène national ?
Tout d’abord, il faut partir d’une idée ancienne, formulée par Aristote, celle que l’homme est un « animal politique », c’est-à-dire qu’il est par nature celui qui est fait pour vivre dans une cité, sous le gouvernement des lois. Une cité, c’est quelque chose qui est délimité, qui a des murs (la « polis » grecque renvoie à un verbe qui veut dire « bâtir des murs ») ; elle est composée de communautés humaines diverses et tous ses membres, doués de parole et de raison, respectent des règles communes, des rapports qui permettent la justice et la concorde entre tous. Une cité se crée, nous dit Aristote, entre des individus qui partagent des valeurs et qui constituent une communauté d’une taille suffisante pour atteindre l’autarcie – ce qui ne signifie pas l’absence de commerce avec d’autres peuples.
Voilà à mon avis la première source philosophique dans laquelle on peut puiser pour construire un concept de nation. La deuxième est plus ancrée dans l’histoire. L’idée moderne de la nation se crée à la fin du Moyen âge et à la Renaissance. Entre l’Empire (le « saint empereur romain germanique »), la Papauté (qui se veut l’héritière de Rome, en vertu de la pseudo-donation de Constantin) et des principautés éclatées et incapables de se stabiliser, la nation est apparue comme la reconstruction d’un espace politique durable, dans lequel la sûreté des sujets peut être assurée et où le gouvernement (en général un Prince) ne gouverne pas arbitrairement mais en vertu des lois. La liberté au sens moderne du terme et la nation s’affirment corrélativement, contre l’impuissance des petites principautés ou des cités-États comme on en rencontre en Italie au Moyen âge et jusqu’à la Renaissance et contre la soumission au système de l’empire. De ce point de vue l’Union Européenne est loin d’être une nouveauté. C’est le retour au système d’empire sous une forme un peu plus sophistiquée. La démocratie chrétienne y tient le rôle des émissaires pontificaux et le saint empire n’est pas vraiment germanique, étant donné que l’empereur réel bien que non avoué, réside à Washington.
On peut poser le problème encore autrement. Si on suit le courant principal de la philosophie, il existe quelque chose de commun à tous les hommes, quelque chose qui fait qu’ils forment une espèce humaine ou même comme le dit Cicéron une « société du genre humain ». Bref la morale doit être universaliste et l’universel est l’horizon de toute pensée. On est alors dans une opposition frontale de l’universel comme tel et de la particularité, c’est-à-dire toutes les formes d’existences des communautés humaines singulières (familles, tribus, ethnies, etc.) Mais les communautés particulières, surtout à notre époque, sont toutes des expressions singulières, déterminées d’un même destin humain et inversement l’universel reste une abstraction vide si on ne reconnaît l’universel dans les Nambikwara chers à Lévi-Strauss aussi bien que dans l’Européen branché sur le monde. Le rapport entre universel et particulier doit être conçu comme un rapport dialectique, comme l’unité de l’identité et de la différence, pour parler le langage de la logique de Hegel. Or l’unité des opposés suppose une médiation et la médiation optimale est précisément la nation : elle est particulière puisqu’elle s’enracine dans une « communauté de vie et de destin » pour reprendre la formule d’Otto Bauer et en même temps elle est universelle parce qu’elle repose sur l’action historique consciente des individus et non plus sur les liens du sang et la pure naturalité.
Comment distingueriez-vous les notions connexes à celle de Nation ?
En pratique, il n’est pas toujours facile de dire ce qu’est une nation. Marx et Engels opposaient volontiers les nations qui méritaient le soutien des révolutionnaires du monde entier, les Irlandais en lutte contre la domination britannique et les Polonais contre l’ennemi par excellence qu’était l’autocratie tsariste, et, d’autre part, les peuples « sans histoire », voués à disparaître dans la tourmente de l’histoire – ils classaient dans cette rubrique les peuples des Balkans. Beaucoup de partis ou de politiciens préfèrent le peuple à la nation qui a mauvaise réputation. Mais le peuple est une notion bien plus ambiguë. Le peuple désigne les classes populaires par opposition aux « grands » en même temps qu’il désigne tous ceux qui se rattachent à une même histoire. La confusion des deux termes a permis toutes les grandes escroqueries politiques du siècle dernier, les représentants des classes dominantes s’instituant « leaders populaires » - voir le fascisme italien ou le nazisme. Il peut admettre des nations composées de plusieurs peuples : en dépit de sa fin catastrophique, dont il faudrait rechercher les causes complexes, la Yougoslavie a été la tentative de construire une telle nation. Je crois qu’on difficilement nier qu’il y ait une nation algérienne et, en même temps, l’existence d’un peuple berbère est tout aussi peu contestable. On pourrait penser que je chipote. Mais par exemple, aujourd’hui, sur la question européenne, ces distinguos permettent de montrer les ambiguïtés des uns et des autres : souveraineté nationale et souveraineté populaire sont deux expressions qui ne recouvrent pas du tout le même contenu. Le primat accordé à la souveraineté nationale suppose qu’on refuse que les nations européennes soient fondues dans la logique d’empire de l’UE. Au contraire la seule référence à la souveraineté populaire ouvre la voie à toutes sortes d’interprétations comme celles qui réclament la souveraineté du « peuple européen » … et même la transformation du soi-disant « parlement européen » en Assemblée constituante. Il faut également se garder de confondre la nation avec les formes politiques qu’elle peut prendre. Il y a une nation allemande avant la création de l’État national allemand sous l’égide de la Prusse de Bismarck. En dépit de leur caractère fédéral, les USA forment bien une nation … comme les Suisses. On peut dire qu’il y a nation seulement quand une majorité d’individus commencent à vouloir se vivre comme une nation et réclament une existence indépendante. C’est pourquoi les nations sont des faits historiques et non des faits de nature, en dépit de l’étymologie du mot « nation » qui renvoie à naissance et pourrait ainsi s’apparenter à l’ethnie ou à la race dans le sens où on employait ce mot avant que la science biologique du XIXe et du XXe ne vienne lui donner le sens détestable qu’on lui connaît maintenant.
Pour vous la nation est elle encore pensable à notre époque ?
Nous sommes en train de vérifier que le fait national est profondément ancré dans les consciences autant que le tissu institutionnel. En Europe même, les revendications nationales ne cessent de miner l’édifice de l’UE. Il faut bien comprendre que chaque nation, même la plus européiste, détermine sa politique européenne comme un élément de sa politique étrangère et en dernière analyse n’œuvre que par rapport à ses intérêts nationaux. Les Polonais sont pro-américains et ne veulent pas suivre l’Allemagne et la France pour raisons strictement polonaises et essentiellement leur hostilité – historiquement compréhensible – à la Russie. On a vu aussi l’Allemagne et la France se faire la guerre par Croates et Serbes interposés pendant le conflit de l’ex-Yougoslavie (les alliances et amitiés traditionnelles ont la vie longue. Pour les dévots de la mondialisation, cette persistance des traditions et des sentiments nationaux est incompréhensible et ils ne peuvent percevoir ce phénomène que comme une survivance du passé¸ vouée à disparaître à l’horizon de la généralisation des individus mobiles et sans appartenance. Mais il n’en est rien. Face aux ravages de la marchandisation du monde, la nation reste le môle de résistance. On ne comprend rien aux crises du Proche et du Moyen Orient si on s’en tient à une lecture purement religieuse. Comme l’a bien montré Georges Corm, cette lecture religieuse est purement idéologique et masque la question nationale. Si on part de la nation, on comprend beaucoup mieux pourquoi des chrétiens comme Michal Aoun se sont alliés au Hezbollah en qui ils ont vu la seule force capable de défendre l’indépendance du Liban. Évidemment, vu d’ici le Hezbollah n’est pas un parti très sympathique et surtout si éloigné de nos critères « politiquement corrects ». Mais s’il ne reste que ce genre d’organisation, c’est aussi parce qu’a été organisée méthodique l’endiguement puis la destruction du nationalisme arabe laïque. L’islamisme radical est le prix à payer pour les crimes des grandes puissances contre les nations pauvres et humiliées du monde arabe d’ailleurs. Cependant, personne ne peut souhaiter un monde de nations hostiles les unes aux autres et ne connaissant d’autre règle que le droit de nature dans sa version hobbesienne. Le droit des nations (le vieux droit des gens) présuppose la renonciation à la guerre de conquête. Revendiquer les droits de la souveraineté nationale, c’est revendiquer le même droit pour toutes les autres nations. Le nationalisme ou le chauvinisme ne sont donc pas des expressions naturelles de la nation, mais des perversions, la perversion narcissique qui consiste à affirmer la supériorité de sa propre nation sur toutes les autres. Hantés par le modèle de la croissance des entreprises capitalistes, beaucoup de bons esprits croient que l’avenir réside dans des « trusts » de nations ou des « fusions-acquisitions ». Au nom du « penser global » ils sont tentés par le gouvernement global. Mais Kant, théoricien du droit cosmopolitique en était déjà venu à la conclusion qu’un gouvernement mondial serait soit tyrannique soit anarchique. On pourrait ajouter que la combinaison de ces deux tares est parfaitement possible, ainsi que l’UE en administre la preuve tous les jours. La seule perspective réaliste est celle d’une association de nations libres – ce que Kant nommait une société des nations qui s’engagent à ne plus jamais de faire la guerre et à respecter leurs frontières. Une telle association n’exclut évidemment pas la coopération économique, des accords de libre-échange et des structures communes pour gérer les affaires communes. Aller au-delà de ces contrats d’associations qui peuvent être à géométrie variable, c’est se condamner à construire des usines à gaz impuissantes.
Vos paroles sont pleines de bon sens mais beaucoup vous répondrez que le modèle national est facteur de guerre par nature et qu'il suffirait pour s'en convaincre de regarder le XX siècle. Croyez-vous comme Regis Debray que face a cette argumentation il soit possible d'interpréter le XX siècle et ses horreurs non comme le siècle des nations meurtrières mais comme le retour de l'idée d'Empire ?
Je suis assez d’accord avec cette idée de Régis Debray. On pourrait aussi invoquer Hannah Arendt. On a pas mal parlé de son livre sur le système totalitaire et notamment de la symétrie contestable qu’elle cherche à établir entre les systèmes staliniens et nazis. Mais on a beaucoup moins parlé de la première partie de sa recherche, intitulée « L’impérialisme ». Or pour Arendt, ce qui a rendu possible les systèmes totalitaires du XXe siècle, c’est le développement de l’impérialisme. Mais, pour elle, loin d’être un développement naturel de l’État-nation, l’impérialisme suppose au contraire sa liquidation par la soumission totale de l’État aux intérêts privés. Les guerres du XXe siècle (et celles du XXIe !) sont des guerres pour la domination impériale du monde. On sait bien que la Première guerre mondiale trouve son origine dans les conflits liés au partage du monde entre les grands empires (français, anglais et allemands principalement). La Seconde Guerre mondiale est également une guerre de conquête non pour élargir un État-nation mais pour construire un « Reich » ayant vocation à la domination totale. Arendt fait d’ailleurs remarquer que, fondamentalement, le nazisme n’est une nationalisme allemand exacerbé mais quelque chose de complètement nouveau – les nazis n’affirment pas la supériorité des Allemands puisqu’ils épurent massivement le peuple allemand, mais celle des Aryens… Si on regarde le détail de cette seconde guerre mondiale on voit aussi clairement comment la stratégie des USA n’est pas seulement de vaincre Hitler mais aussi de profiter de la situation pour éliminer ce qui reste de l’Empire de Sa Majesté britannique – la guerre dans le Pacifique illustre assez bien cet aspect des choses. La construction européenne actuelle obéit elle aussi à cette stratégie de l’empire.
L’idée de l’Europe-forteresse indépendante des USA (c’est-à-dire rivale) et se protégeant contre la Chine et la Russie est une idée très inquiétante. Mais non moins inquiétante est la formation d’un bloc transatlantique qui annexe l’Europe aux USA sur le déclin économique mais encore forts de leur arsenal militaire. Autre point comment interpréter le fait que la gauche soit en grande partie incapable de penser la nation ? Il faudrait ici faire de longs développements. Dans mon dernier livre, « Le cauchemar de Marx », j’ai essayé de rendre compte de la faillite totale du mouvement ouvrier sous ses formes sociales-démocrates et communistes staliniennes. Disons, pour aller vite, que ces partis se sont très tôt adaptés aux formes dominantes du capitalisme : si on maintient pour les dimanches et les jours de fête les sermons sur la société socialiste ou communiste à venir, dans la pratique ces partis reposent sur leur capacité à élargir la place des ouvriers dans la société existante, c’est-à-dire dans une société capitaliste et cela marche d’autant mieux que le capitalisme avec lequel négocie (en le combattant aussi) est puissant. Les « acquis » du socialisme à l’intérieur d’un pays capitaliste s’identifient finalement avec la bonne santé de ce capitalisme-là. C’est pourquoi les partis de la IIe Internationale font bloc chacun avec « son » impérialisme pendant la Première guerre mondiale. Et c’est aussi pour la même raison qu’ils finissent par se rallier à l’impérialisme dominant. Ils deviennent pro-américains et le restent. Ils sont partisans de la construction européenne dans le cadre de l’alliance atlantique. À ce tropisme, il faut ajouter le remords sincère ou non des dirigeants et militants de ces partis qui doivent assumer le passé de leur parti lié aux guerres coloniales. Ils avaient justifié ces guerres (« l’Algérie, c’est la France ! ») au nom de la patrie civilisatrice… Mais cette argument est plutôt une argutie : Guy Mollet justifiait bien le refus de l’indépendance algérienne au nom de l’internationalisme prolétarien et de l’unité des ouvriers des deux côtés de la Méditerranée contre les nationalistes algériens qui la voulaient la briser. En tout cas, la social-démocratie actuelle est pleinement intégrée à la classe capitaliste transnationale (pour reprendre l’expression de Leslie Sklair) et la nation en tant qu’elle est potentiellement porteuse de résistance à ce nouvel « ordre » ne doit donc plus être considérée que comme une survivance folklorique – dans le meilleur des cas.
Croyez-vous que cela puisse évoluer comme l'ont fait plusieurs intellectuels communistes du moins de formation communiste (Pierre Levy, Georges Labica, voire Henri Pena-Ruiz) ?
Le parti communiste, sur la question nationale, a longtemps suivi les intérêts diplomatiques et stratégiques de l’URSS. Quand Staline signe un pacte avec Laval (1935), le PCF devient un parti patriotique dans le cadre du Front Populaire. Mais après le pacte Hitler-Staline, on sait que la direction du PCF a fidèlement appliqué une ligne qui faisait des impérialistes anglo-saxons l’ennemi principal. Depuis l’effondrement de l’URSS, le PCF est assez désemparé. Une fraction de ce parti est très pro-UE (Francis Wurtz par exemple) alors qu’inversement d’autres fractions essaient de retrouver un minimum de cohérence programmatique en revenant à la ligne d’union du peuple de France ou même du Conseil National de la Résistance. J’ai suivi avec intérêt le travail de Pierre Levy avec son journal « Bastille-République-Nation ». J’ai bien connu Georges Labica avec qui j’ai eu des échanges très amicaux. Il y a chez ces intellectuels une approche de la question nationale qui me semble, dans l’ensemble, intéressante. Mais je crains que parfois ce retour à la nation se fasse trop souvent comme un retour à la vieille ligne des « deux camps ». En gros, on prend le discours dominant et on en inverse les valeurs. Être contre l’impérialisme américain est une bonne chose, mais faut-il pour autant en déduire que les Tibétains ou les Ouighours sont des écervelés manipulés par les services secrets de Washington ? Je n’ai aucune sympathie pour le gouvernement géorgien actuel, mais il me semble que les aspirations nationales de la Géorgie sont aussi légitimes que celles des pays d’Amérique latine. Que des nations qui ont eu à subir le joug tsariste puis celui du stalinisme cherchent appui auprès de Washington pour protéger leur indépendance, ce n’est pas totalement incompréhensible. La nation, dans son acception démocratique, c’est pour reprendre une formule de Rousseau quand « le peuple se fait peuple » et personne ne peut empêcher un peuple de réclamer son « droit à la nation ». Or je constate que dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, les indignations restent très sélectives. Pour vous la nation restera-t-elle un élément structurant du débat politique ? et si oui comment devrait on poser cette question en évitant ces indignations sélectives ? Il me semble en effet que la question de la nation continuera de structurer pour un moment encore le débat politique. Pour deux raisons : la première en est que les peuples anciennement colonisés – y compris les classes dominantes locales – veulent intervenir pour leur propre compte sur l’arène internationale. Le processus de « mondialisation » contribue à sa manière à cet éveil national. Pour rien dire des anciennes puissances qui veulent retrouver la fierté de leur gloire passée (je pense à la Chine ou à l’Iran).
La deuxième raison en est que le seul moyen dont disposent les peuples pour lutter contre les effets désastreux de la « mondialisation » reste l’action sur le terrain national. À cela on pourrait ajouter que tout discours pour « sauver la planète » tournera à la pure et simple idéologie s’il ne se bat pas pour « relocaliser » l’économie. Les transports internationaux constituent un des plus gros postes de production de CO2 ! On peut pas être pour la libéralisation du commerce mondial et prétendre qu’on est écologiste… Je ne sous-estime pas les dangers d’un retour en force de nations hostiles les unes aux autres. Si la construction européenne avait un sens, ce serait celui-là : montrer l’exemple d’une coopération entre nations fondées sur un « traité de paix perpétuelle » pour reprendre la vieille formule kantienne, ce qui n’est possible qu’on rompant avec l’OTAN – alors que les traités européens récusent l’idée d’une défense européenne autonome en faisant de l’OTAN le parapluie de l’Europe. Si on se place dans la logique des blocs – et ceux qui cherchent un axe (imaginaire !) Pékin-MoscouTéhéran pour faire face à l’axe atlantique sont dans cette logique de blocs impérialistes – on est dans les indignations sélectives. Exemple tragi-comique, les mêmes qui accusent les islamistes ouïghours, ou les islamistes tchétchènes d’être des agents de l’impérialisme US (ce qu’ils sont peut-être partiellement !) font de l’islamisme le nouveau mouvement révolutionnaire international, substitut d’un prolétariat défaillant… La logique des blocs, c’est le renoncement à la logique et à la raison.
Denis COLLIN – 29 août 2009
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire