lundi 30 juin 2014

Hobbes lu par Benoit Spinosa

Benoît Spinosa : Hobbes, Les belles lettres, 2014, collection « Figures du savoir », 19€
Benoit Spinosa, professeur de philosophie en première supérieure à Aix-en-Provence consacre à Thomas Hobbes un ouvrage concis, mais au plus haut degré utile pour qui s’intéresse à cet auteur souvent cité et finalement méconnu. De ce puissant penseur né en 1588 et mort en 1679, contemporain des guerres qui ont ensanglanté l’Europe et de la première révolution anglaise, on ne retient souvent que les chapitres XIII à XVII du Léviathan : puisque l’homme naturellement est un loup pour l’homme, l’État est nécessaire pour assurer la paix et cet État exige des citoyens une obéissance absolue. Spinosa nous montre combien cette vision est réductrice et même fausse. Il y a chez Hobbes un projet philosophique global qui s’enracine dans la vision nouvelle du monde qui émerge au début du XVIIsiècle. Déclin de la culture humaniste au profit de la recherche scientifique d’une vérité qui trouve à se formuler mathématiquement, c’est ce qui se joue avec Galilée dont le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, publié en 1632 et traduit en latin en 1635 constitue l’expression marquante. Hobbes pense à partir des mathématiques à travers la construction des Éléments d’Euclide et à partir des concepts galiléens. Mais Spinosa ne se contente pas de généralités. Il analyse précisément la transformation que subit la perception visuelle et tout ce qui en découle.
Quel est l’objet de la philosophie de Hobbes ? Pour Spinosa, il n’y en a, en vérité, qu’un seul : le corps (47) et la pensée de Hobbes s’ordonne à partir de cette ontologie du corps. « Hobbes soutient que tout est corps, que le dualisme est une illusion, qu’“être incorporel” est une contradiction logique, une absurdité linguistique et une impossibilité ontologique » (52). Spinosa souligne l’intérêt et la pertinence des objections que Hobbes adresse aux Méditations métaphysiques de Descartes. Cette ontologie du corps est évidemment cruciale quand il s’agit de penser le rapport des corps naturels aux corps artificiels. Il y a bien sûr les corps machiniques que les hommes construisent à l’imitation des animaux et le corps politique.
Il y a aussi chez Hobbes une théorie du langage dont on ne saisit pas toujours l’importance et la subtilité. Cette théorise s’articule autour des concepts de signe et de marque. Là encore, il souligner la spécificité de la pensée hobbesienne : « Expression seconde de la pensée chez Descartes, le langage est chez Hobbes, l’acte inaugural de la raison par lequel la philosophie se présente comme science.
Il y a enfin une doctrine de la science. Spinosa souligne le paradigme galiléen de la philosophie hobbesienne de la science. C’est aussi le primat de la géométrie qui est ici explicité. Mais c’est seulement quand on saisit bien la conception d’ensemble de la pensée de Hobbes que l’on peut aborder sa pensée proprement politique. Faute de quoi, celle-ci reste obscure et l’on commet sans sourciller les pires contresens.
Je ne développe pas ici le propos de Spinosa sur l’état de nature, l’état civil et le problème de la souveraineté. Disons seulement que l’auteur fait justice des préjugés courants. Non, Hobbes n’est pas un défenseur de l’absolutisme et un ennemi de la liberté ! On retiendra la présentation que Spinosa fait de la loi de nature et des lois dérivées. Loin d’une apologie de la tyrannie voire du « totalitarisme », la philosophie politique de Hobbes essaie de penser rigoureusement la possibilité de la liberté dès lors que le pacte social est conclu et que l’on admet que l’existence d’un pouvoir souverain est le seul garant du respect des conventions et de la possibilité d’échapper à la crainte de la mort violente.
Il faudra encore signaler les utiles éclaircissements que l’ouvrage de Benoît Spinosa apporte sur la religion de Hobbes et l’articulation du pouvoir civil et religieux. Sans oublier l’utile glossaire qui clôt l’ouvrage. Au total donc, un travail fort utile aussi bien pour l’étudiant que pour l’honnête homme et une incitation à lire ou relire Hobbes pour sortir des oppositions figées que les manuels de philosophie pour classes terminales ou des traités de sciences politiques ont largement imposées.
Denis COLLIN. Le 30 juin 2014

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