Hilary Putnam[1],
un autre des premiers défenseur de la théorie computationnelle, en est venu à
la rejeter en montrant qu’elle suppose une conception fonctionnaliste de
l’esprit : elle considère une machine qui est construire en vue
d’accomplir des tâches bien définies[2].
Putnam montre d’abord que tous les organismes physiques possibles sont
susceptibles d’une infinité de « descriptions fonctionnelles » et
que, donc, le fonctionnalisme n’explique rien – le fonctionnalisme nous ramène
en fait aux causes finales de l’aristotélisme classique. Plus fondamentalement,
il s’attaque au fond de la théorie computationnelle, mais aussi aux thèses de
Searle. Ce dernier, bien que
rejetant le modèle de l’ordinateur, ne renonce pas à « naturaliser »
la conscience ; il rejette le réductionnisme qui réduit la conscience à
des états physiques mais proposent de considérer la conscience comme un
ensemble de propriétés émergentes à partir de l’évolution biologique, ce qui
l’amène à rejoindre les thèses sur le modèle connexionniste de l’esprit. Pour
Putnam, c’est le problème qui est, à la racine, mal posé. Quand nous parlons ou
pensons, nos paroles ou pensées ont une référence – quand je dis « le chat
est sur le tapis », cette phrase a pour référence le fait que le chat est
(ou non) sur le tapis. Tous les partisans de la naturalisation de l’esprit
doivent parvenir à expliquer que cette référence est une relation physique
comme une autre. Mais s’il en est ainsi, dit Putnam, alors nous devons renoncer
à la notion même de vérité … à laquelle on ne peut guère renoncer si on veut
proposer une compréhension correcte de l’esprit humain. On peut, certes, redéfinir
la vérité comme la propriété d’un état neurologique dans lequel nous disposons
d’indications fiables quant à notre environnement. On est alors conduit à un
relativisme du genre de celui développé par Richard Rorty, mais une telle
position philosophique s’oppose radicalement à l’attitude de réalisme
scientifique caractéristique des théories computationnelles et fonctionnalistes
de l’esprit.
Putnam rappelle que ces questions ont déjà été posées
philosophiquement, notamment par Kant quand il aborde le problème du schématisme,
c’est-à-dire au mécanisme par lequel l’entendement peut se rapporter aux
phénomènes. « Le schématisme de notre entendement, relativement aux
phénomènes et à leur simple forme, est un art caché dans les profondeurs de
l’âme humaine et dont il sera toujours difficile d’arracher le vrai mécanisme à
la nature »[3], dit
Kant. Le paradigme de l’esprit-machine est sans doute une idée utile du point
de la technologie (Fodor rappelle que l’IA à ses débuts se voulait
ingénierie et non science). C’est encore une idée utile dans la mesure où les
simulations que peut effectuer les machines nous obligent à développer la
logique et la réflexion sur la connaissance.
[Pour des développements plus amples, voir La matière et l'esprit, Armand Colin, 2004
[1] voir H.Putnam, Représentation et réalité.
[2] Ce fonctionnalisme est
indissociable de la TCE, ainsi que l’explique Fodor (op. cit.).
[3] Kant : Critique de la Raison Pure, III, 136
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