vendredi 5 mai 2017

Court traité de la servitude religieuse

Recension par André Baril, professeur de philosophie et éditeur. Québec

Pour le philosophe français Denis Collin, notre compréhension de la religion serait bien incomplète et même erronée ou réductrice si nous nous contentions de la considérer comme un épiphénomène, comme une réalité sociale secondaire. Le marxiste conséquent doit aujourd’hui dépasser « le stade du matérialisme vulgaire » qui reposait sur une dichotomie entre la superstructure (les idées) et l’infrastructure (le monde réel). La vie sociale est plus complexe et il faut s’instruire auprès de toutes les sciences humaines si on veut saisir pourquoi et comment la religion est apparue en même temps que les premières civilisations. Collin s’inscrit à l’intérieur d’une théorie critique qui peut s’inspirer autant de Marx que de Freud. Dans cette perspective, je suis en parfait accord avec Collin lorsqu’il écrit que « la religion doit alors être comprise, non pas comme un ensemble de lubies, plus ou moins arbitraires dues à l’ignorance, et que l’on pourrait réfuter par la raison, mais comme la première forme psychique de la vie sociale » (p. 19). Car, en considérant la religion comme la pensée la plus archaïque de l’humanité, Collin nous donne ainsi le fil conducteur pour « comprendre la puissance active et la force d’entraînement des idées religieuses » (p. 21). Il importe en effet de saisir la vie religieuse dans la vie sociale.

Alors allons à l’essentiel : la religion n’est pas un somnifère, mais les deux pièces d’une seule monnaie, les deux extrémités de l’interaction humaine : la loi et le désir. La religion s’imposerait dans la vie sociale précisément parce qu’elle tiendrait un double discours. D’une part, elle se range du côté de la survivance et des interdits en donnant un sens au renoncement, au nécessaire report de la satisfaction des pulsions (p. 22). Ce renoncement est pour un meilleur bien. D’une part, la religion anticipe le désir en prétendant rendre favorables les forces naturelles qui semblent si souvent hostiles aux êtres humains (p. 23). En bref, la religion propose une réconciliation en prenant sur elle aussi bien le renoncement que la fête. Bien évidemment, elle n’y arrive pas vraiment, si bien qu’elle cèdera tantôt à la démesure sacrificielle, tantôt au pouvoir en place. Cependant, la religion a inspiré le premier lien social (religio = lien), c’est déjà beaucoup et sans doute suffisant pour assurer sa présence dans le monde contemporain.


Devant la complexité des sentiments humains et l’immensité de la nature, l’humain peut-il vraiment devenir autonome ? Il faut attendre des siècles et beaucoup de transformations sociales pour que des philosophes et des savants osent contester les prétentions religieuses. Collin rappelle à juste titre les principaux repères d’une pensée émancipatrice : les philosophes atomistes et l’avènement de la démocratie athénienne; le siècle des Lumières.
Au xxe siècle, Max Weber résumera cependant les effets de la marche moderne par une expression encore troublante aujourd’hui, le fameux « désenchantement du monde ». En ce sens, la sortie de la religion s’avère un longue route semée d’inquiétude. Qui peut vivre dans un monde sans référence à une divinité ou à une transcendance ? « Si la religion n’est pas seulement une collection d’idées fausses mais la structure profonde de la vie sociale, alors évidemment il est extrêmement difficile de ne pas penser à l’intérieur de la pensée religieuse. » (p. 48-49) Pour tout dire, dans un monde hostile et mystérieux, la détresse et le besoin de consolation sont omniprésents.

Assistons-nous aujourd’hui à un retour du religieux ? En s’appuyant sur quelques analyses récentes, Denis Collin ne le pense pas. Nul retour à l’ancienne séparation du sacré et du profane. Nous assistons plutôt à « un mouvement inédit » incarné notamment par l’islamisme intégriste. Quelle est la dynamique de ce mouvement ? C’est un mouvement autodestructeur, nihiliste, car l’islamisme nie la vie en s’en prenant aux femmes et en imposant, par la terreur, une religion de la mort. Ce mouvement en est un de désinhibition, de « désublimation répressive », dira Collin en reprenant un concept clé du philosophe Herbert Marcuse. Or, la société capitaliste s’avère elle-même destructrice, mais dans le sens involontaire d’une fuite en avant, d’une course effrénée à la croissance, conduisant à la surexploitation de l’environnement naturel. C’est la superposition de ces forces négatives qui caractériserait notre époque.


Fatalité ? Au contraire, Collin termine cette réflexion sur une note critique et combative en rappelant la vitalité de la tradition émancipatrice et en évoquant une « société des nations » toujours à construire. Un ouvrage éclairant et fortifiant.

André Baril. Mai 2017


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