Note de lecture : Tony Andréani, Le « modèle chinois » et nous. Éditions l’Harmattan, 2018, 21,50€. 219 pages.
ISBN : 978-2-341-15600-2
Bien qu’il se défende d’être un spécialiste de la Chine,
Tony Andréani la connaît pour y avoir voyagé, fait des conférences, noué de
nombreux contacts dans les milieux universitaires et consacré un certain nombre
d’articles et de conférences (comme celle qu’il a donnée à l’université
populaire d’Évreux). Son dernier ouvrage, Le
« modèle chinois » et nous est une synthèse précieuse de l’état
des réflexions de l’auteur qui a longtemps travaillé sur les modèles de
socialisme et a consigné le résultat de ses recherches dans plusieurs livres
dont l’ouvrage en deux volumes, Le
socialisme est (à)venir. Pourtant il ne s’agit pas de faire de la Chine le
modèle du socialisme (un modèle à suivre donc) mais de comprendre comment
fonctionne le système socio-économique de la Chine, au-delà de l’abondance des
données empiriques et des préjugés – fort nombreux en ce qui concerne l’Empire
du milieu.
La modélisation permet à Tony Andréani de modéliser le
fonctionnement des rapports sociaux et économiques en Chine et de les définir
comme ceux d’une économie mixte que l’auteur rapproche de la NEP impulsée par
Lénine dans les premières années de la révolution, quand il a fallu en rabattre
des prétentions à passer directement au communisme. La politique économique chinoise peut également être
caractérisée comme un keynésianisme conséquent.
Ce système mixte est conçu comme allant dans le sens du socialisme. Tony
Andréani commence par montrer les succès impressionnants du « modèle
chinois » : croissance forte et soutenue qui a permis une très
importante augmentation du niveau de vie de la population, élévation
considérable du niveau d’instruction, développement technologique qui,
sur certains segments, a non seulement permis à la Chine de rattraper les pays
capitalistes avancés mais parfois même de les dépasser – par exemple dans le
domaine de l’informatique, des TGV ou de la production d’énergies
renouvelables.
Ensuite, l’auteur montre le caractère
« socialiste » des principes sur la base desquels fonctionne la
Chine. C’est dit-il, « l’ébauche d’un socialisme de (avec) marché ».
Pourquoi « socialisme » ? Non pas en en raison des rapports de
propriété mais à partir d’une série de critères : prédominance des choix
collectifs, existence d’une planification (très différente de la planification
soviétique d’antan), existence de services publics, diversification des formes
de propriété en adéquation avec le développement des forces productives,
financement des entreprises par un système perfectionné de crédit et non par le
marché des actions, distribution resserrée des revenus du travail et du
capital, législation du travail encadrant fortement la concurrence. On peut
contester la manière dont la Chine satisfait ou non à ces critères, mais on
admettra qu’ils sont une bonne définition de ce qui pourrait caractériser une
transition vers le socialisme (sauf à rêver d’un grand soir qui fait table rase
du passé et bouleverse d’un coup toute la condition humaine).
Le livre de Tony Andréani n’est pas une apologie de la
Chine. Il ne cache pas les faiblesses du régime, à la fois avec le
développement incontrôlé des inégalités et les menaces qui pèsent sur la
proprétié publique, car les composantes de ce « mixte » ne font pas
toujours bon ménage. Laissé à sa propre dynamique, le marché tend à subvertir
les décisions collectives et la planification. Plus fondamentalement, c’est
l’objectif de la croissance illimitée qui est problématique, tout simplement
compte-tenu de ce que la planète peut fournir. Pour amener la Chine au niveau
des États-Unis, il faudrait en gros cinq planètes et la Chine en consomme
actuellement 2,1…
Sur la ligne dont Tony Andréani fixe le point de départ au Plenum du Comité central de la fin 2013
(« vers une nouvelle normalité), la Chine pourrait se transformer en une
société de type singapourien. Les campagnes de moralisation de la population ne
peuvent évidemment contrebalancer le triomphe des pratiques marchandes et du
règne de l’argent.
Le dernier chapitre aborde le « et nous » du
titre. En quoi le « modèle chinois » pourrait-il nous inspirer ?
Tony Andréani commence par montrer que nous devrions nous inspirer des Chinois
par un retour au keynésianisme, lequel est impossible dans le cadre actuel de
l’UE. Il faudrait donc « reprendre nos billes », et notamment notre
monnaie, notre banque centrale et l’autonomie budgétaire. Il discute la
possibilité d’une monnaie commune parallèle à la monnaie nationale et qui
pourrait sauver ce qui mérite de l’être de la construction européenne. Il
s’agit de déterminer quelles formes de protectionnisme sont efficaces mais
aussi de relever la compétitivité du travail par la recherche scientifique et
technique. Les nationalisations seraient également un instrument d’action dont
l’État souverain devrait se ressaisir.
En annexe, Tony Andréani publie quelques articles et études
publiés dans différentes revues. Il affirme en introduction qu’on peut en
omettre la lecture, mais il me semble que ce serait une erreur (sauf pour ceux
qui les avaient déjà lus !).
On peut penser que Tony Andréani fait une confiance assez
exagérée dans la volonté du Parti Communiste chinois de construire à terme une
société véritablement communiste. Il imagine ce qu’il dirait aux dirigeants
chinois pour corriger les faiblesses et les erreurs du cours pris la direction
du Parti et de l’État. Mais je crois que, même en tant qu’expérience de pensée,
cette tentative échoue. La direction prise par Xi Jinping tourne assez
radicalement le dos à une évolution vers un système socialiste. Xi Jinping veut se donner du temps en
prolongeant indéfiniment son mandat pour assurer que personne ne viendra
remettre en cause la marche de la Chine vers une nouvelle forme de capitalisme
d’État et son plan de contrôle social total n’est pas un malheureux à-côté mais
l’essence même de ce qui est en cause. Les campagnes anti-corruption ont comme
objectif réel non pas d’éradiquer la corruption mais d’éliminer les ennemis et
de protéger la corruption des amis. Je sais que Tony Andréani ne partage pas
mes vues qu’il juge trop pessimistes. Selon lui, notamment dans la jeunesse, il
existe une agitation et une effervescence intellectuelle qui interdisent l’évolution
de la Chine vers un modèle nord-coréen. Si la grande presse est étroitement
contrôlée par le pouvoir, il y a, dit encore Tony Andréani, une grande liberté
d’expression au niveau local et sur les réseaux sociaux. Puisse-t-il avoir
raison et moi tort ! Il reste que c’est la lutte entre les deux tendances
fondamentales qui déterminera l’avenir de la Chine.
Mes réserves n’ôtent rien à l’intérêt du livre de Tony
Andréani, précisément parce que, en dépit de nos divergences d’appréciation
quant à l’évolution actuelle du régime, il met très honnêtement le doigt sur
les contradictions fondamentales du régime et nous aident à mieux comprendre ce
pays si important pour l’avenir du monde.
Le 24/9/2018 – Denis Collin
De quoi nourrir un débat essentiel.
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