Diego Fusaro revient ici sur la signification profonde de la "société permissive" comme société d'époque "sans pères", c'est-à-dire une société sans limites.
mercredi 14 décembre 2022
dimanche 4 décembre 2022
L’idéalisme allemand: remarques sur Kant, Hegel et la question de la liberté
Il est évident que l’éthique protestante luthérienne influence grandement Kant, mais il semble pourtant qu’en faisant de la liberté de la personne et de l’autonomie des principes fondateurs Kant s’oriente dans une direction opposée à celle de Luther. Dans Qu’est-ce que les Lumières ? Kant fait de l’obéissance à l’autorité le caractère même de la « minorité ». Les figures de l’autorité – le père, le prêtre, le médecin, l’officier – sont toutes présentées comme opposées à la véritable liberté humaine. Il reste que la « société civile » exige de ses membres « majeurs » l’obéissance mécanique qui seule permet à cette société d’exister.
Kant aperçoit la contradiction qui existe entre une société de contrainte universelle et l’idée d’une individu « libre par nature ». La synthèse de la liberté et de la contrainte ne doit pas intervenir de telle sorte que la liberté originelle de l’individu se trouve sacrifiée à l’hétéronomie sociale. La contrainte ne doit pas être appliquée à l’individu de l’extérieur, la limitation de la liberté doit être une auto-limitation, l’absence de liberté doit être volontaire.[1]
Et
effectivement, chez Kant, la rébellion contre l’ordre établi ne peut avoir
aucune justification morale. D’où les contorsions auxquelle il se livre quand
il est confronté à cette question : on doit obéir au pouvoir politique
existant, mais s’il est renversé on doit obéir au nouveau pouvoir… Et par
ailleurs Kant approuve le nouveau pouvoir mis en place par la révolution en
France. En tout cas, l’homme « majeur » doit se contenter de faire un
usage public de sa raison afin défendre éventuellement des réformes nécessaires
qui convaincront le souverain. Mais rien d’autre n’est envisageable. En
théorie, Kant affirme la liberté de l’homme face à toutes les autorités mais en
pratique il semble bien qu’il n’en reste rien et qu’il faille continuer d’obéir
« comme si » l’ordre politique avait été voulu par Dieu. Comme le
note Marcuse, cependant :
Le « comme si » transcendantal représente à coup sûr un important déplacement du poids de l’autorité dans le sens de la reconnaissance de l’individu autonome, une rationalisation de la structure de l’autorité ; – les garanties érigées au sein même de l’ordre juridique contre la destruction du rapport d’autorité sont d’autant plus puissantes. [2]
Paradoxe
donc : l’affirmation la plus absolue de la liberté s’accompagne de
justifications juridiques plus puissantes du rapport d’autorité. On pourrait
donc dire que la soumission qui, dans les sociétés traditionnelles, n’était
guère garantie à long terme que par l’usage de la violence physique, laisse la
place à une soumission à l’autorité fondée sur l’auto-limitation de sa propre
liberté par le sujet. Marcuse montre que le centre de la solution kantienne à
cette contradiction entre liberté de la personne et contrainte sociale est la
question du droit de propriété.
L’avantage
de Hegel sur Kant, même s’il partage nombre de ses présuppositions, est qu’il
met en lumière « la négativité de cette société ». Les contradictions
de la société civile nécessitent son dépassement dans l’État. Hegel reproche
aux théoriciens du contrat de fonder l’autorité politique sur les intérêts
privés. Mais d’un autre côté, la position hégélienne conduit à une divinisation
de l’État. Au total, la philosophie allemande a montré la voie de la liberté
tout en l’obstruant. Ainsi Hegel saisit que le rapport maître/esclave – le
rapport de domination prototypique – est lié à un mode de travail déterminé, il
en expose la dialectique, celle qui conduit à reconnaître l’esclavage comme la
vérité de la domination :
Il se révèle que l’autorité de la domination dépend en dernier ressort de l’esclavage qui croit en elle et l’entretient.[3]
Si la
dialectique de Hegel se referme à un moment et se lit comme téléologie – la
dialectique fermée que critique Adorno – c’est en même temps à partir d’elle
que peut être pensée une critique radicale de la domination.
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