Une tribune de Jean-Marie Nicolle
Dans une émission TV consacrée à l’Intelligence Artificielle, le dimanche 23 Avril 2023 sur LCI, Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation Nationale et Laurent Alexandre, fondateur du site Doctossimo, ont lancé un appel au gouvernement pour prendre la mesure des nouveautés de l’I.A. et des changements nécessaires dans l’éducation des jeunes. Pour avertir des risques d’asservissement intellectuel que comporte l’I.A., ils ont eu cette formule des plus étranges : « il faut que nos enfants soient complémentaires de l’I.A. » Ai-je bien entendu ? Non pas que L’I.A. soit complémentaire de l’intelligence des élèves, mais que ceux-ci soient complémentaires de l’I.A. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Il
n’a pas fallu attendre longtemps pour comprendre le véritable sens de ce qui
pouvait passer pour une maladresse de langage. Selon eux, l’I.A. résout déjà la
plupart des problèmes que les hommes peuvent se poser. En France, seuls 20000
personnes sont encore à un niveau intellectuel supérieur à ChatGPT.4. D’où
sortent-ils ce chiffre ? Mystère… Les conséquences sociales seront énormes
puisque quantité de métiers consistant à résoudre des problèmes (chercheurs,
ingénieurs, gestionnaires, etc.) vont disparaître. Il faut donc former les
élèves pour qu’ils ne soient pas victimes de cette diffusion de l’I.A.
Soit,
mais comment ? Nos deux compères expliquent alors que ce que les
concepteurs de ChatGPT recherchent le plus, ce sont des gens capables de poser
de bonnes questions à résoudre. Il faut former les élèves à poser les bonnes
questions. Présenté comme cela, tous les pédagogues, directeurs de recherche,
philosophes, etc. ne peuvent qu’applaudir. On va enfin centrer l’enseignement
sur le développement de l’intelligence des élèves !
Mais
à y regarder de plus près, on peut se demander si c’est bien l’intelligence des
élèves qu’on chercherait à développer. Ne serait-ce pas plutôt les programmes
de l’I.A. ? En effet, ces programmes ont besoin d’être « stimulés »
par des utilisateurs. Il leur faut des questions, car les questions posées sont
les données à exploiter pour améliorer « l’apprentissage » des
systèmes-experts. L’I.A. ne sera jamais assez intelligente pour se poser à
elle-même des questions nouvelles et pertinentes, donc intelligentes. Seul un
être humain peut les lui fournir. On va donc pousser les étudiants à utiliser
ChatGPT, non pour chercher par eux-mêmes des informations, mais pour alimenter gratuitement
et à leur insu le développement des programmes.
La
prétendue révolution éducative qu’appellent Ferry et Alexandre n’est donc ni
plus ni moins la répétition de la même faute commise lorsque l’on a transformé
l’enseignement de l’informatique dans le secondaire, en en retirant la
programmation pour n’y laisser que l’initiation aux logiciels que distribuaient
Microsoft et consorts. Au lieu de former les élèves à la compréhension de la
technique, on en a fait des clients utilisateurs. Au lieu d’expliquer aux
élèves ce que sont et comment fonctionnent les algorithmes de l’I.A., on veut
en faire des fournisseurs de questions, donc de simples utilisateurs, à
l’admiration béate, sans esprit critique.
Bien
sûr, l’algorithmique, la logique, la linguistique, la sémantique… tout cela est
très compliqué. Il est tellement plus facile de « former » des
utilisateurs. Quelques heures suffisent. Il suffit de leur apprendre où
cliquer. Alors que la formation profonde à la programmation demande
beaucoup de temps, d’efforts, … et d’argent. Nos gestionnaires de l’éducation
le savent bien et c’est pourquoi ils déguisent leurs visées commerciales en
idéal humaniste.
J’accuse
nos deux idéologues d’intelligence …, d’intelligence avec les entreprises de
l’I.A.
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