En quel sens la science physique représente-t-elle le monde ? Si connaître c’est représenter, la science doit représenter le “ monde réel ” comme “ monde pensé ”. Du réalisme naïf de la physique péripatéticienne à la physique classique, cette réponse semble aller de soi. Mais la révolution du tournant du xxe siècle détruit définitivement cette certitude. Certains physiciens et philosophes ne vont-ils pas jusqu’à affirmer qu’il faut renoncer à l’idée que les entités de la physique ne correspondraient pas à des entités du monde réel ?
I. Perception, représentation, imagination
A. La géométrisation du monde
Pour la physique qui domine jusqu’au xvie siècle, la science est recherche des principes et des causes et elle doit élucider l’essence et les qualités des entités qui composent la nature. La physique classique, au contraire, délaisse progressivement cette recherche des qualités et des essences et se construit comme une représentation géométrique du monde, réduisant les différences qualitatives à des figures, des lignes ou des mouvements. Idéaliser l’orbite d’une planète par une ellipse et la donner à voir ainsi, c’est se placer d’emblée au cœur même de la science des Copernic, Kepler et Galilée. Représenter les corps comme des “ points matériels ”, les forces comme des vecteurs, etc., c’est donner directement accès à la conception scientifique du monde. Mais cette représentation géométrique dans un espace tridimensionnel correspond à l’espace de notre perception ordinaire. Nous savons, sans grande difficulté, représenter l’espace tridimensionnel sur un tableau noir – c'est-à-dire dans un espace à deux dimensions. Nous pouvons facilement imaginer un corps aussi petit que l’on peut pour obtenir un point matériel.
Autrement dit, si la connaissance scientifique se construit contre la connaissance commune, si les représentations scientifiques du monde physique sont en rupture avec nos représentations sensibles, elles peuvent être cependant être accordées avec les pouvoirs de notre imagination. Les phénomènes perçus par les sens peuvent donc avoir une représentation géométrique adéquate et être imaginés à partir de cette représentation. Mais dès qu’on entre dans la physique contemporaine, cet accord entre perception des phénomènes, représentation géométrique et imagination se défait.
B. Un exemple : la question de la nature de la lumière
Pendant trois siècles ont alterné les représentations corpusculaires et les représentations ondulatoires de la lumière. Certaines expériences conduisaient à des interprétations “ atomistes ” de la lumière qui serait composée de petits “ grains ”. D’autres, au contraire, conduisaient à concevoir la lumière comme une onde. Newton avait soutenu une théorie corpusculaire, alors que Huygens défendait une conception ondulatoire. Les expériences de Young au début du xixe siècle, puis les travaux d’Augustin Fresnel firent pencher la balance en faveur des conceptions ondulatoires.
À la fin du xixe siècle, l’affaire semblait tranchée en faveur de la théorie ondulatoire grâce à Maxwell. Un système simple d’équations différentielles pouvait rendre compte avec élégance de tous les phénomènes ondulatoires, la lumière étant définie comme une forme particulière d’ondes électromagnétique. Le raisonnement de Maxwell est un raisonnement mathématique qui laisse de côté toutes les interprétations physiques antérieures. Mais il est difficile de se représenter une onde sans un milieu de propagation. L’onde sonore se propage dans les couches d’air. L’onde produite par la chute d’une pierre dans un étang calme est la propagation du mouvement de l’eau. Comment une onde pourrait-elle se propager dans le vide ? C’est pourquoi on inventa un milieu ad hoc, l’éther censé baigner tout l’univers et permettant la propagation des ondes. Les qualités de cet éther étaient contradictoires – il devait être à la fois si subtil qu’il était indétectable et si massif qu’il n’était ébranlé par aucun autre corps – en faisait un milieu matériel fantomatique. Et pour cause : on l’inventait pour rendre cohérente notre représentation du monde matériel alors que rien dans les équations de la physique de Maxwell n’en exigeait la réalité.
C’est précisément en recherchant cet éther – plus exactement le “ vent d’éther ” – à partir des mesures de la vitesse de la lumière que Michelson et Morley contribuent à ouvrir la voie à la physique nouvelle. Si l’univers tout entier est baigné dans l’éther et si l’éther est le milieu de propagation de la lumière, alors la vitesse de la lumière devrait varier suivant le repère à partir duquel on la mesure – en application du principe de relativité de Galilée. Or, l’expérience de Michelson et Morley ne détecte aucune différence : la vitesse de la lumière est constante quel que soit le repère. On est conduit ainsi à admettre deux paradoxes : l’éther existe, mais la circulation de la Terre ne produit aucun vent d’éther ; la vitesse de la lumière mesurée d’une terre en mouvement est toujours constante. Ces paradoxes ne peuvent être résolus qu’au prix d’une nouvelle bizarrerie : on doit admettre que les distances se contractent dans le sens du mouvement, contraction qui ne peut être mise en évidence puisqu’il faudrait la mesurer avec une règle qui subirait, elle aussi cette contraction.
Les équations de transformation de Lorentz, permettaient de rendre compte mathématiquement de ces résultats étonnants. Mais pour en rendre compte rationnellement, il fallut bouleverser toute la représentation du monde sur laquelle reposait la physique classique et c’est au génie d’Einstein qu’on le doit. À la place d’un espace tridimensionnel, on devait penser un continuum espace-temps à quatre dimensions. Or, un espace à quatre dimensions, s’il peut être pensé ne peut pas être représenté sinon par analogie. La perspective permet de donner à voir un espace tridimensionnel sur un plan, mais il est impossible de donner à voir un espace-temps dans un espace à trois dimensions et, a fortiori, sur un plan.
Ce bouleversement allait se combiner avec d’autres. Avec la théorie de l’effet photoélectrique, Einstein redonnait en 1905 une nouvelle vigueur à la conception corpusculaire de la lumière. On était débarrassé de l’éther, mais il fallait maintenant admettre comme simultanément “ vraie ” deux représentations des phénomènes qui, pourtant s’excluent mutuellement dès qu’on passe des équations mathématiques à la représentation. Plus : les difficultés devaient atteindre toutes nos représentations du monde physique : voilà que les particules élémentaires constituant la matière se révélaient avoir un comportement ondulatoire. Entre la science ancienne et la science galiléenne demeure une continuité : la physique décrit le monde et en donne une image. La physique contemporaine semble devoir y renoncer : elle ne pourrait que prédire les effets mais non décrire les réalités.
II. La physique quantique et l’image de la matière
A. Paradoxes de la microphysique
Les transformations de la conception de la matière permettent de bien cerner ce qui est en cause. L’hypothèse des atomes déjà formulée par les atomistes grecs (Leucippe, Démocrite, Épicure) fut reprise d’abord par la chimie avant de redevenir le fondement de la conception générale du monde physique à la fin du xixe siècle. Mais loin d’être l’élément simple et insécable des Anciens, l’atome se présentait d’emblée comme une réalité complexe que des modèles successifs devaient permettre d’approcher. Le modèle le plus connu, encore largement utilisé aujourd’hui est celui de Niels Bohr qui représente l’atome comme un système dont le centre serait le noyau constitué des composants “ lourds ”, protons et neutrons et autour duquel tourneraient, sur des orbites différentes, les électrons conçus à la manière des planètes tournant autour du soleil.
Mais entre ce modèle pédagogique et les conceptions que les physiciens se sont faites de l’atome, il existe un abîme. La physique quantique renverse non seulement nos idées intuitives les mieux établies, mais encore rend inadéquates nos manières ordinaires de parler du monde.
La théorie de la relativité a éliminé des notions intuitives aussi évidentes que la simultanéité de deux évènements – à quoi, avec Einstein il faut substituer la notion de coordonnées spatio-temporelles. Tant que le temps est considéré comme un absolu sans rapport avec l’espace, il y a du sens à dire qu’un événement (1) sur terre est simultané à un événement (2) dans une galaxie très lointaine. Mais si nous raisonnons dans un continuum spatio-temporel, il devient impossible de séparer les mesures temporelles et les mesures spatiales, puisque le temps lui-même est relatif au repère à partir duquel il est mesuré. Dans un repère qui se déplace à une vitesse proche de la vitesse de la lumière, le temps se “ dilate ” par rapport au temps mesuré par un observateur terrestre. Cette conception inclut de nombreux paradoxes qui ont alimenté la littérature de science-fiction, mais elle a reçu de nombreuses confirmations expérimentales.
En physique quantique, les notions de séparabilité, de causalité et localité sont remaniées au point de perdre leur signification courante. Bernard d’Espagnat résume ainsi l’état de la théorie physique :
L’idée que le monde est constitué d’objets localisés et dont l’existence ne dépend pas de la conscience humaine s’avère être incompatible avec certaines prédictions de la mécanique quantique et avec des faits aujourd’hui établis par l’expérience. (Bernard d'Espagnat : Théorie quantique et réalité in Pour la Science ; Janvier 1980)
Évidemment, lorsque Heisenberg s’assied, il a parfaitement localisé sa chaise et il ne sort jamais de chez lui simultanément par la porte et par fenêtre. Dans le monde de l’expérience sensible, qui celui de tous les hommes, la localisation des objets et la matérialité de la matière sont des évidences premières, qu’on ne peut mettre cause sauf en cas de psychose grave. Mais les observations scientifiques des phénomènes microphysiques interdisent que nous nous représentions le monde subatomique comme analogue au nôtre. Les atomes, tels que le premier modèle de Bohr les représente, restent des entités physiques qui se comportent comme les réalités de notre monde commun. Mais la physique quantique quand elle parle de particules n’entend plus ce que notre langage courant entend par ce mot. C’est ainsi que deux physiciens peuvent écrire :
Le fait que les morceaux de matière se soient révélés n’être en réalité que des abstractions mathématiques, non locales c’est-à-dire pouvant s’étendre sur tout l’espace et de plus n’obéissant pas au déterminisme, a porté un coup fatal à ce matérialisme classique. Certes, le matérialisme est encore possible, mais un matérialisme “quantique” qu’il faudrait appeler “matérialisme fantastique” ou “matérialisme de science-fiction”.(ibid.)
B. La disparition de la matière
Ainsi la physique moderne abandonne toute représentation concrète de la réalité à très petite échelle. Elle utilise des modèles ayant une valeur heuristique, mais ces modèles n’ont aucune prétention à “ représenter ” la réalité physique telle qu’elle existerait indépendamment de nos théories. Ce renoncement est d’emblée assimilé à une disparition de la matière. Ainsi Bernard d’Espagnat affirme que, quel que soit le point de vue adopté, la matière se dissout dans un être mathématique. La définition de la matière comme ce qui subsiste sous le changement conduit dans la physique moderne à définir la matière comme énergie et cette énergie elle-même est une composante d’un quadrivecteur (voir Bernard d'Espagnat : Matière et réalité in La matière aujourd'hui, Seuil, 1981). Si on se réfère à la matière comme ce qui tombe sous les sens, on est conduit à la définir comme la synthèse de ce qui est communicable dans l’expérience humaine. C’est pourquoi il conviendrait de remplacer la matière par la catégorie beaucoup plus large de réalité.
On peut dire que l’énergie est décrite comme une composante d’un quadrivecteur mais peut-on dire qu’elle est la composante du quadrivecteur comme Aristote dit que “ l’homme est un animal raisonnable ” ? Pourtant, la majorité des physiciens est prête à partager l’affirmation radicale de Bernard d’Espagnat. Ainsi, la description mathématique serait l’essence des choses.
Si Diogène le Cynique m’assène un coup de gourdin sur la tête, je n’aurai reçu qu’un coup de gourdin, et non de l’énergie cinétique et 1/2mv2 n’a jamais fait de mal à personne ! Par contre, l’effet du coup de gourdin peut être décrit en termes d’énergie cinétique et la formule me permettra de mesurer l’énergie absorbée par mon crâne et d’en déduire la taille de la bosse. Les objets de la science décrivent le réel, mais ils ne sont pas le réel. En tout cas, c’est là ce qu’affirmerait un réaliste, c'est-à-dire quelqu’un qui continue de croire que la science représente une réalité existant per se.
Cassirer explique ce qui est en cause. Les théories physiques donnent des mesures des phénomènes, mesures qui deviennent objectives lorsqu’elles peuvent être ramenées à un ensemble de lois mathématiques, cohérentes entre elles. Mais, note-t-il, “ Chaque époque créative de la physique (…) court le risque de considérer ces mesures relatives, qui ne sont jamais que provisoires, ces instruments intellectuels de mesure qui sont à la pointe de leur époque, comme l'expression définitive de la réalité ontologique ”. Et ceci, ajoute Cassirer, vaut non seulement pour les matérialistes prompts à substantialiser les entités théoriques de la physique, mais aussi pour les idéalistes, tels Descartes, où l’on peut souvent noter “ un passage semblable du concept logicomathématique au concept ontologique ”. On pourrait croire, à lire certains passages d’auteurs comme d’Espagnat que la tentation de cette physique est pythagoricienne : la réalité ultime du monde serait nombre.
Mais ce serait aller trop loin. Même si la formulation de d’Espagnat peut prêter à confusion, il s’agit seulement de dire nous pouvons appréhender les réalités physiques uniquement par l’intermédiaire d’entités mathématiques qui permettent de formuler des prédictions vérifiables empiriquement. Une particule n’est donc pas quelque chose que je puisse me représenter ; elle n’est “ décrite ”, si on peut encore parler de description, que par un certain nombre d’opérateurs qui permettent de définir un effet attendu (par exemple une trace sur un cliché dans une chambre à bulles) dans des conditions déterminées. Comme le dit encore Cassirer, l’atome (il vaudrait mieux dire la particule) “ se présente justement non pas comme un minimum absolu de l'être, mais comme un minimum relatif de la mesure ”. Bernard d’Espagnat, du reste, défend une certaine forme de réalisme, ce qu’il appelle le “ réel voilé ” : la physique ne donne pas une description directe de la réalité, mais elle ne peut se comprendre qu’on présupposant qu’elle renvoie un certain genre de réalité auquel notre entendement ne peut avoir accès. Une position qu’il n’est pas sans rappeler celle défendue par Kant : nous ne pouvons connaître que les phénomènes saisis dans l’expérience, mais nous devons penser – sans la connaître – la chose en soi (le noumène).
C. Le retour de la matière
Est-ce à dire que la matière disparaît avec la disparation de nos représentations communes en physique ? Ce serait là encore passer indûment du point de vue de la théorie de la connaissance au point de vue ontologique. Le caractère “ matériel ” des objets étudiés par la physique est attesté par l’énormité même des moyens techniques mis en oeuvre à travers les accélérateurs de particules par exemple et par la consommation d’énergie considérable nécessaire aux expérimentations dans le domaine de la physique subatomique. L’expérimentation est par elle-même une reconnaissance de l’extériorité et de la matérialité de l’objet de la physique. Pour Bachelard, la philosophie idéaliste se fourvoie parce qu’elle oublie le fait fondamental de la résistance de la matière, alors qu’inversement le matérialisme rationnel soutient que cette résistance témoigne de “ l’essentielle solidarité objet-matière ” (Gaston Bachelard : Le matérialisme rationnel, Quadrige PUF, 1990 p.10). La matière n’est ni l’atome, ni l’électron, ni le quark, ni l’énergie, ni la fonction d’onde, mais la matérialité de l’atome, de l’électron, du quark, etc., est indubitable en ce qu’ils ne peuvent être conçus sans expérimentation, c’est-à-dire sans un déploiement de la subjectivité humaine vers ce qui n’est pas elle, vers le monde transcendant. Ainsi la matière doit tout à la fois être conçue comme un objet de pensée et comme ce qui s’impose à l’esprit et l’oblige à penser.
III. Modèles et représentations
A. Connaissance et modèles
Pour expliquer leurs théories ou pour élaborer certaines hypothèses, les scientifiques font souvent appel aux modèles. Un modèle peut être compris de deux manières, à la manière platonicienne – le modèle est la réalité idéale dont les phénomènes ne sont qu’une copie plus ou moins approximative (être un modèle à suivre) – ou à la manière positiviste : un modèle n’est qu’une simplification du réel de manière à faciliter l’analyse. Un modèle est comme une carte qui permet de s’orienter dans le réel sans pour autant être l’essence du réel.
Si on adopte la deuxième définition, pour une réalité donnée, il n’y a aura pas un seul modèle mais plusieurs, suivant le niveau de détail souhaité. On peut reprendre la définition de Marvin Minsky : “ Pour un observateur O, un objet M est un modèle d’un objet A dans la mesure où O peut utiliser M pour répondre aux questions qui l’intéressent au sujet de A. ” On peut comparer le rapport du modèle à la réalité modélisée au rapport entre la carte et le territoire. La modélisation constitue une systématisation du raisonnement par analogie.
En physique, on peut distinguer deux utilisations du terme modèle. D’une part, sont des représentations visuelles qui permettent de raisonner par analogie – par exemple le modèle atomique de Bohr. D’autre part, une théorie physique elle-même peut être considérée comme un modèle. Les signes utilisés dans une théorie physique sont susceptibles d’une interprétation mathématique et d’une interprétation physique. Ainsi m est à la fois un nombre (un scalaire) et un signe qui peut être interprété comme la masse d’un corps donné (voir Mario Bunge : Philosophie de la physique, Seuil, 1975, traduction de l’anglais par Françoise Balibar).
B. Modèles et représentations concrètes
Certains auteurs, s’ils admettent qu’une théorie physique soit un modèle au deuxième sens, condamnent cependant les représentations concrètes. Ainsi Pierre Duhem définit la théorie physique “ système de propositions mathématiques déduites d’un petit nombre de principes ” (La théorie physique ; Jean Vrin 1989 p.24) et, pour lui, chercher à interpréter les descriptions de la physique dans le langage naturel, c’est non seulement renoncer à la raison au profit de l’imagination mais aussi subordonner la physique à une métaphysique qui prétend la dominer. De fait, l’évolution de la physique semble donner raison à l’idéalisme de Duhem puisque la physique contemporaine n’a pris son essor que lorsqu’on a résolu de se débarrasser de la représentation concrète de l’éther qui semblait indispensable pour comprendre les équations de Maxwell.
Cependant, cette position tranchée semble ignorer superbement la science telle qu’elle se fait. Louis de Broglie, tout en partageant les conceptions théoriques nouvelles, invoque des nécessités pratiques : “ les représentations concrètes ont joué un rôle des plus utiles dans le développement des théories physiques ; sans elles, le progrès de ces théories aurait été dans beaucoup de cas considérablement ralenti, si ce n’est définitivement entravé. ”(Théories abstraites et représentations concrètes dans la physique moderne in Continu et discontinu en physique moderne, Albin Michel, 1941, p.98) Constatation qui conduit à cette question paradoxale : “ comment se peut-il que des représentations concrètes dont le caractère fallacieux est certain puissent rendre de tels services ? ” (ibid.) Louis de Broglie conclut que “ en somme, nous ne pouvons penser qu’à l’aide d’images extraites de notre intuition sensible. ”(op. cit. p.107) En effet, en principe la science condamne ces représentations concrètes mais, en pratique, elle les doit les utiliser. Seule une physique qui ne serait pas oeuvre humaine pourrait intégralement remplir le programme de Duhem, pourrait trancher définitivement entre l’abstraction mathématique et l’imagination.
Ainsi, la science moderne, c'est-à-dire au premier chef la physique qui a été l’éclaireur et le modèle de toutes les sciences, s’est construite par une double émancipation : à l’égard des représentations sensibles communes et à l’égard des images métaphysiques du monde. Elle se veut non pas explicative, ni représentative, mais uniquement orientée vers la prédiction et donc vers l’action ou l’activité technologique. Pourtant, il semble bien que nous continuions d’attendre de la science qu’elle nous fournisse une représentation du monde dont la valeur va bien au-delà de la valeur strictement instrumentale à laquelle un certain positivisme la réduit. C’est pourquoi certains scientifiques continuent de considérer que la physique quantique n’est qu’un “ bricolage ” temporaire, voire un “ scandale intellectuel ” (voir René Thom : Prédire n'est pas expliquer, Flammarion, Champs, 1993)