Par Alberto Giovanni Biuso.
(traduit de l'italien par D.Collin)
Le temps que nous sommes en train de vivre, c’est le temps de l’accomplissement de nombreux miracles. Le Léviathan de Hobbes, le Panopticon de Benthan, le Big Brother d’Orwell sont en train de se réaliser sous des formes que les métaphores de Weber et de Foucault n’auraient même pas su imaginer. Outre la « cage d’acier » de la bureaucratisation universelle, au-delà de la « société de discipline », de nouveaux paradigmes et des faits nouveaux requièrent des instruments de contrôle beaucoup plus avancés et envahissants. La Pensée Unique de la contemporanéité unit toujours plus étroitement le politiquement correct, l’agressivité publicitaire et l’obsession de la sécurité « post-9/11 ». Le résultat en est une surveillance toujours plus totale exercée sur la vie quotidienne des habitants de la planète.
Le réseau d’écoute satellitaire Echelon est en mesure de recevoir, contrôler, archiver l’ensemble immense des données provenant des sources les plus diverses. Echelon est une structure du gouvernement états-unien, née avec la collaboration d’autres pays. Issu du vieux réseau UKUSA, conçu pendant la guerre froide, il est maintenant utilisé aux fins les plus diverses: commerciales, guerrières, politiques. Étant donné que Echelon fonctionne par mots-clés, il n’y a pas de doute qu’il est en train d’enregistrer cet article et en général tout Girodivite).
Sur la base constituée par Echelon, le gouvernement des USA après le 11 septembre a conçu le projet TIA (Total Information Awareness), avec l’objectif de contrôler toutes les bases de données du monde contenant des informations sur la vie privée des personnes : e-mail, communications téléphoniques (savez-vous vraiment que, au moyen de votre téléphone cellulaire, même éteint, votre position est toujours identifiable?), fax, comptes courants, achat de billets d’avions (les USA ont obtenu que toutes les compagnies aériennes européennes transmettent toutes les données en leur possession au gouvernement américain sans que les passagers en soient informés et ceci sur la base d’un accord du 5 mars 2003 entre la Commission européenne et les douanes américaines), consultation des sites WEB, abonnements à des journaux et à des revues, soins médicaux et jusqu’aux photocopies, étant donné que les machines de la nouvelle génération sont en mesure de mémoriser les pages sur disque dur avant de les copier. Soumis aux critiques, les TIA s’est simplement transformé en ... Terrorism Information Awareness et sa réalisation avance rapidement.
Partant, il est toujours plus clair que l’insécurité est fonctionnelle pour le pouvoir politique et financier qui gouverne les États, « on ne développe pas la société de surveillance pour lutter contre l’insécurité, on utilise au contraire l’insécurité comme prétexte pour justifier la société de surveillance. Parce que c’est un bon prétexte. (É. Werner, in Éléments pour la civilisation européenne, n° 118, automne 2005). Tout nouvel acte de terrorisme ne fait que renforcer et légitimer l’extension du contrôle social dans un cercle sans fin. « Et donc les caméras de télésurveillance et les nouvelles technologies informatiques rendent possible l’oeil omniscient de Hobbes, le contrôle et la transparence du contenu de la liberté individuelle. » (M. Lhomme, op. cit.) mais si le pouvoir absolu était défendu par Hobbes parce qu’il compensait une moins grande liberté par une plus grande sécurité, le pouvoir Echelon réduit la liberté et en même temps la sécurité.
La biométrie, les puces sous la peau, la connexion interrompue aux réseaux mondiaux de communication peuvent constituer une forme d’extension et d’enrichissement de l’humain et de ses facultés mais sont aussi un instrument potentiel de contrôle total. Il est donc important de savoir que ces processus sont en cours et nous devons les mieux connaître en nous donnant de cette manière la possibilité ou au moins la volonté d’en vérifier l’usage. Dans le cas contraire, « l’intériorisation de la soumission et de la répression favorise cette espèce de souveraineté illimitée, diffuse dans tout le corps social, authentique hydre de mer, où le pouvoir circule et fonctionne en lien avec ses délateurs et les dossiers y afférant. » (ibid.)
Le projet élaboré par Rousseau d’une transparence totale de l’individu par rapport à la société est donc en train de se réaliser, véritablement dans les formes imaginées par le penseur genevois, même si, naturellement, ce n’est pas avec ses instruments : « qu'il croie toujours être le maître, et que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n'y a point d'assujettissement si parfait que celui qui garde l'apparence de la liberté ; on captive ainsi la volonté même. » (Émile, livre second)
Les hommes libres de l’époque contemporaine sont soumis à une autorité qu’aucune tyrannie antique, aucun absolutisme moderne, aucun despotisme oriental n’a jamais détenue : le contrôle pérenne et bureaucratique de toute communication sociale, l’ipse dixit des icônes, la force envahissante des instruments qui, conjuguant les mots et les images, transmettent à la pensée des ordres, laissant les esprits dans l’illusion qu’ils ont eux-mêmes produit ces simulacres de vérité. La transparence est en train de devenir totale, ou plutôt totalitaire.
Le réseau d’écoute satellitaire Echelon est en mesure de recevoir, contrôler, archiver l’ensemble immense des données provenant des sources les plus diverses. Echelon est une structure du gouvernement états-unien, née avec la collaboration d’autres pays. Issu du vieux réseau UKUSA, conçu pendant la guerre froide, il est maintenant utilisé aux fins les plus diverses: commerciales, guerrières, politiques. Étant donné que Echelon fonctionne par mots-clés, il n’y a pas de doute qu’il est en train d’enregistrer cet article et en général tout Girodivite).
Sur la base constituée par Echelon, le gouvernement des USA après le 11 septembre a conçu le projet TIA (Total Information Awareness), avec l’objectif de contrôler toutes les bases de données du monde contenant des informations sur la vie privée des personnes : e-mail, communications téléphoniques (savez-vous vraiment que, au moyen de votre téléphone cellulaire, même éteint, votre position est toujours identifiable?), fax, comptes courants, achat de billets d’avions (les USA ont obtenu que toutes les compagnies aériennes européennes transmettent toutes les données en leur possession au gouvernement américain sans que les passagers en soient informés et ceci sur la base d’un accord du 5 mars 2003 entre la Commission européenne et les douanes américaines), consultation des sites WEB, abonnements à des journaux et à des revues, soins médicaux et jusqu’aux photocopies, étant donné que les machines de la nouvelle génération sont en mesure de mémoriser les pages sur disque dur avant de les copier. Soumis aux critiques, les TIA s’est simplement transformé en ... Terrorism Information Awareness et sa réalisation avance rapidement.
Partant, il est toujours plus clair que l’insécurité est fonctionnelle pour le pouvoir politique et financier qui gouverne les États, « on ne développe pas la société de surveillance pour lutter contre l’insécurité, on utilise au contraire l’insécurité comme prétexte pour justifier la société de surveillance. Parce que c’est un bon prétexte. (É. Werner, in Éléments pour la civilisation européenne, n° 118, automne 2005). Tout nouvel acte de terrorisme ne fait que renforcer et légitimer l’extension du contrôle social dans un cercle sans fin. « Et donc les caméras de télésurveillance et les nouvelles technologies informatiques rendent possible l’oeil omniscient de Hobbes, le contrôle et la transparence du contenu de la liberté individuelle. » (M. Lhomme, op. cit.) mais si le pouvoir absolu était défendu par Hobbes parce qu’il compensait une moins grande liberté par une plus grande sécurité, le pouvoir Echelon réduit la liberté et en même temps la sécurité.
La biométrie, les puces sous la peau, la connexion interrompue aux réseaux mondiaux de communication peuvent constituer une forme d’extension et d’enrichissement de l’humain et de ses facultés mais sont aussi un instrument potentiel de contrôle total. Il est donc important de savoir que ces processus sont en cours et nous devons les mieux connaître en nous donnant de cette manière la possibilité ou au moins la volonté d’en vérifier l’usage. Dans le cas contraire, « l’intériorisation de la soumission et de la répression favorise cette espèce de souveraineté illimitée, diffuse dans tout le corps social, authentique hydre de mer, où le pouvoir circule et fonctionne en lien avec ses délateurs et les dossiers y afférant. » (ibid.)
Le projet élaboré par Rousseau d’une transparence totale de l’individu par rapport à la société est donc en train de se réaliser, véritablement dans les formes imaginées par le penseur genevois, même si, naturellement, ce n’est pas avec ses instruments : « qu'il croie toujours être le maître, et que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n'y a point d'assujettissement si parfait que celui qui garde l'apparence de la liberté ; on captive ainsi la volonté même. » (Émile, livre second)
Les hommes libres de l’époque contemporaine sont soumis à une autorité qu’aucune tyrannie antique, aucun absolutisme moderne, aucun despotisme oriental n’a jamais détenue : le contrôle pérenne et bureaucratique de toute communication sociale, l’ipse dixit des icônes, la force envahissante des instruments qui, conjuguant les mots et les images, transmettent à la pensée des ordres, laissant les esprits dans l’illusion qu’ils ont eux-mêmes produit ces simulacres de vérité. La transparence est en train de devenir totale, ou plutôt totalitaire.
par Alberto Giovanni Biuso le Samedi 17 Décembre 2005
Commentaires
Lettre de Jean-Marie Nicolle
Je viens de terminer la lecture de ton livre et je veux te dire combien je l'ai apprécié. Clarté, incision, justesse, beaucoup de qualités d'écriture. Mais je ne vais pas te distribuer les points. Je suis fondamentalement d'accord sur tes analyses et sur ta proposition d'un retour à la République, c'est-à-dire à la "polis" au sens le plus simple du terme, et une République sociale qui repose sans cesse la question de la propriété.
La tâche n'était pas facile de démêler le philosophique de l'idéologique et tes exposés sur la terminologie sont très utiles (ex: sur le libéralisme, pp.66-67).
Je souscris à ton analyse sur la crise de la démocratie et tu as raison de souligner la conscience politique des citoyens malgré la dépolitisation apparente. La société de consommation avec le crédit (p.50) est une cause importante. Mais j'aurais insisté d'avantage sur la politique politicienne comme mise en scène permanente de l'image des individus-vedettes afin d'occulter les débats de fond. Les responsables politiques sont devenus des marionnettes volontaires ; l'attaché de presse ou le conseiller en image ont pris une bonne part du pouvoir. Les médias sont devenus un véritable quatrième pouvoir. La vie politique est réduite à un feuilleton dont les citoyens sont devenus les spectateurs forcés. Les coulisses sont, bien entendu, fermées à double tour. Même les manifestations, les grèves de la faim, les occupations d'usines sont récupérées dans le décor. Comment faire entendre autre chose?
Tu dis avec raison que la mondialisation n'est pas un phénomène nouveau, à un détail près cependant: la télévision puis internet (on trouve des cybercafés dans les villages de la brousse) exhibent la richesse occidentale partout dans le monde. Au XIXe siècle le château de la reine Victoria était invisible aux Massaï du Kenya! D'où des rapports nouveaux, me semble-t-il, à l'autre, à ce qui est considéré comme une valeur (va observer les Papous en leur offrant de la verroterie; ils te réclameront une Toyota ou un PC portable), à l'idée que les hommes se font de la liberté. On explique l'immigration par la misère, alors que ce sont les élites (relatives) qui cherchent à venir en Europe: les immigrés ne viennent pas tant chercher un travail que ce qu'ils ont vu à la télé; d'ailleurs, à la télé, voit-on les gens travailler? Voit-on les héros payer leur consommation en sortant du café? L'argent est caché; on fait circuler les images.
La panne de l'ascenseur social: c'est vrai. Mais il n'y a pas que les bourses, le labyrinthe des filières, le coût des études supérieures qui soit en cause. L'image de l'enseignant et, plus généralement, des professions intellectuelles, a été systématiquement ridiculisée, par ceux-là même qui auraient pu la promouvoir (les journalistes, les directeurs de programmes audio-visuels). Pour sortir de son milieu par les études (c'est mon cas) il faut pouvoir s'identifier à une image positive, ce qui réclame un prestige social du maître et une considération de la famille. Allègre est, à mon sens, un des principaux responsables dans cette affaire.
Ta description de la ruse politique consistant à user de l'Europe pour se défausser de ses responsabilités par les politiques (p.57) me paraît très juste; un petit détail sur la formule de B.Pascal (p.88); en réalité, elle vient de Nicolas de Cues; tu comprendras ma sensibilité sur ce point!
Je suis d'accord avec ta critique de nos institutions qui respectent pas la séparation des pouvoirs. C'est une difficulté que je rencontre auprès des étudiants que je prépare à Sciences Po. Quand on expose les principes, tout va bien. Mais quand j'explique comment se passe l'adoption d'une loi en France (depuis le dépôt du projet jusqu'à la publication des décrets d'application), je vois des têtes de plus en plus consternées.
P.133: tu montres la collusion de classe du personnel politique; notre démocratie n'est qu'une oligarchie; je me souviens des propos pessimistes de R. Aron là-dessus. Bien que je ne partage aucunement son gaullisme, sa thèse de la nécessaire hypocrisie de l'exercice du pouvoir en démocratie ne manque pas de force. Mais elle est très dangereuse, bien entendu.
Ton analyse du marxisme qui dissocie la théorie de ses applications historiques me convient tout à fait. Marx n'est pas mort. Je te signale des fautes de frappe dans ces pages (139-144). La passion t'aurait-elle emporté? Je suis très intéressé par ton hypothèse: "le marxisme est la dernière des grandes hérésies chrétiennes" (p.145). Mais que dire du libéralisme anglo-saxon? Comment peut-on être Texan et chrétien?
P.151: l'histoire de la monarchie est l'histoire de la liquidation impitoyable de la noblesse. Bien sûr, tout groupe au pouvoir se maintient par la liquidation de ses rivaux proches (cf. les purges staliniennes). Mais comment entends-tu cette liquidation des nobles par le tiers-état: les dettes? les chartes parlementaires? les expulsions des grandes familles?
Enfin je te rejoins tout à fait pour dire qu'une refondation de la République ne peut passer que par une remise en cause de la propriété. Mais tu ne parles pas de l'héritage. Si les parents ne doivent avoir aucun droit de propriété sur leurs enfants (ma femme, ma fille, mon fils, ma voiture, mon chien...), les enfants ne doivent avoir aucun droit sur les biens de leurs parents. Que les propriétés accumulées par un individu ou par un couple reviennent à la propriété sociale à sa mort. Par là, on diminuerait une bonne partie des investissements dans des rentes. Mais surtout on détruirait le sacrifice des générations, les conflits de succession, les injustices scandaleuses au bénéfice de ceux qui ne se sont donnés que le mal de naître, etc. La notion de bonheur en serait transformée, chacun devant "travailler", littéralement, à son propre bonheur.
Tes propositions finales sont risquées et c'est courageux de les écrire: pp.209-210 sur les institutions, p.216 sur la presse, p. 217 sur le rachat des entreprises. Je ne suis pas sûr que les faits te donneraient raison sur la productivité dans le socialisme (p.222). Je suis plus pessimiste que toi sur la viabilité des coopératives. Je trouve très juste ta définition de la loi juste (p.224): elle permet d'échapper à l'angélisme chrétien. Je m'en servirai.
Ce qui transparaît au long de tes pages, c'est le sentiment d'avoir été trahi par les responsables de la gauche. Et c'est vrai. Et cela va demander du temps pour s'en remettre. Comment les militants du PC vont-ils digérer la chute de l'URSS? Comment les militants socialistes peuvent-ils encore supporter le spectacle de leur parti? Et s'il faut choisir entre Sarkozy et Fabius? C'est désespérant! ...Même Chevènement qui pouvait sembler assez proche de ton projet s'est rendu insupportable. "Le gouvernement des hommes doit être remplacé par l'administration des choses". Oui ce serait tellement plus facile. Ce serait une belle libération. Malheureusement, si on dépasse le gouvernement sur les hommes, il reste que le gouvernement s'exerce par des hommes. Et là on n'est pas sorti de l'affaire! Personnellement, j'en suis arrivé à une position plutôt sceptique: la recherche du bonheur n'est pas ce qui intéresse les hommes. Quand ils ont tout pour être heureux (argent, amour, beauté, santé, culture), ils s'arrangent pour gâcher la fête. Observe nos chers collègues du supérieur: ils ont l'autonomie, le prestige, le temps, aucun inspecteur sur le dos, et ils passent leur temps à se tendre des traquenards où ils dépensent une énergie folle.
Alors dénoncer le discours économique: oui; reposer le sens de la loi républicaine: oui; redonner vie au politique au sens démocratique du terme: oui. Par là on rétablira un peu plus d'égalité et de justice; je ne pense pas qu'on redonnera beaucoup de liberté (la consommation est devenue notre prison). Je ne crois pas qu'on rendra les hommes heureux.
Jean-Marie Nicolle