Revive la République
En librairie le 15 Septembre 2005
Fini l’art et le courage de gouverner, tout ne serait plus que «gouvernance» ! Néant de la pensée et de l’action : des élections transformées en concours de beauté entre candidats aux programmes interchangeables, des ambitions personnelles et claniques à foison, et de beaux débats sur les « valeurs » pour couvrir le tout !
Mais cette mauvaise comédie, à laquelle ont rallié leur panache rose nombre de ceux qui s’imaginent peut-être encore porter les chances du changement, ne fait déjà plus recette. De 21 avril en 29 mai, l’urgence est claire, il faut oser refaire de la politique, et donc d’abord faire revenir la politique, au sens noble, dans les têtes et les programmes.
À cet égard, l’idée républicaine, paradoxalement, reste une idée neuve. Après des décennies de détours utopiques ou à l’inverse d’asservissement aux supposées lois de l’économie, nous sommes
loin d’en avoir épuisé ou même deviné tout le potentiel. Elle seule, ce livre prétend le démontrer, permet de redéfinir un idéal libérateur pour notre époque.
Des citoyens libres dans une république émancipée : voici, confortées par des analyses de fond, des orientations et les linéaments d’un programme social-républicain.
ARMAND COLIN collection « Intervention »septembre 2005, 208 pages, 20 €, ISBN 2-200-26931-5
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Commentaires
Lettre de Jean-Marie Nicolle
Je viens de terminer la lecture de ton livre et je veux te dire combien je l'ai apprécié. Clarté, incision, justesse, beaucoup de qualités d'écriture. Mais je ne vais pas te distribuer les points. Je suis fondamentalement d'accord sur tes analyses et sur ta proposition d'un retour à la République, c'est-à-dire à la "polis" au sens le plus simple du terme, et une République sociale qui repose sans cesse la question de la propriété.
La tâche n'était pas facile de démêler le philosophique de l'idéologique et tes exposés sur la terminologie sont très utiles (ex: sur le libéralisme, pp.66-67).
Je souscris à ton analyse sur la crise de la démocratie et tu as raison de souligner la conscience politique des citoyens malgré la dépolitisation apparente. La société de consommation avec le crédit (p.50) est une cause importante. Mais j'aurais insisté d'avantage sur la politique politicienne comme mise en scène permanente de l'image des individus-vedettes afin d'occulter les débats de fond. Les responsables politiques sont devenus des marionnettes volontaires ; l'attaché de presse ou le conseiller en image ont pris une bonne part du pouvoir. Les médias sont devenus un véritable quatrième pouvoir. La vie politique est réduite à un feuilleton dont les citoyens sont devenus les spectateurs forcés. Les coulisses sont, bien entendu, fermées à double tour. Même les manifestations, les grèves de la faim, les occupations d'usines sont récupérées dans le décor. Comment faire entendre autre chose?
Tu dis avec raison que la mondialisation n'est pas un phénomène nouveau, à un détail près cependant: la télévision puis internet (on trouve des cybercafés dans les villages de la brousse) exhibent la richesse occidentale partout dans le monde. Au XIXe siècle le château de la reine Victoria était invisible aux Massaï du Kenya! D'où des rapports nouveaux, me semble-t-il, à l'autre, à ce qui est considéré comme une valeur (va observer les Papous en leur offrant de la verroterie; ils te réclameront une Toyota ou un PC portable), à l'idée que les hommes se font de la liberté. On explique l'immigration par la misère, alors que ce sont les élites (relatives) qui cherchent à venir en Europe: les immigrés ne viennent pas tant chercher un travail que ce qu'ils ont vu à la télé; d'ailleurs, à la télé, voit-on les gens travailler? Voit-on les héros payer leur consommation en sortant du café? L'argent est caché; on fait circuler les images.
La panne de l'ascenseur social: c'est vrai. Mais il n'y a pas que les bourses, le labyrinthe des filières, le coût des études supérieures qui soit en cause. L'image de l'enseignant et, plus généralement, des professions intellectuelles, a été systématiquement ridiculisée, par ceux-là même qui auraient pu la promouvoir (les journalistes, les directeurs de programmes audio-visuels). Pour sortir de son milieu par les études (c'est mon cas) il faut pouvoir s'identifier à une image positive, ce qui réclame un prestige social du maître et une considération de la famille. Allègre est, à mon sens, un des principaux responsables dans cette affaire.
Ta description de la ruse politique consistant à user de l'Europe pour se défausser de ses responsabilités par les politiques (p.57) me paraît très juste; un petit détail sur la formule de B.Pascal (p.88); en réalité, elle vient de Nicolas de Cues; tu comprendras ma sensibilité sur ce point!
Je suis d'accord avec ta critique de nos institutions qui respectent pas la séparation des pouvoirs. C'est une difficulté que je rencontre auprès des étudiants que je prépare à Sciences Po. Quand on expose les principes, tout va bien. Mais quand j'explique comment se passe l'adoption d'une loi en France (depuis le dépôt du projet jusqu'à la publication des décrets d'application), je vois des têtes de plus en plus consternées.
P.133: tu montres la collusion de classe du personnel politique; notre démocratie n'est qu'une oligarchie; je me souviens des propos pessimistes de R. Aron là-dessus. Bien que je ne partage aucunement son gaullisme, sa thèse de la nécessaire hypocrisie de l'exercice du pouvoir en démocratie ne manque pas de force. Mais elle est très dangereuse, bien entendu.
Ton analyse du marxisme qui dissocie la théorie de ses applications historiques me convient tout à fait. Marx n'est pas mort. Je te signale des fautes de frappe dans ces pages (139-144). La passion t'aurait-elle emporté? Je suis très intéressé par ton hypothèse: "le marxisme est la dernière des grandes hérésies chrétiennes" (p.145). Mais que dire du libéralisme anglo-saxon? Comment peut-on être Texan et chrétien?
P.151: l'histoire de la monarchie est l'histoire de la liquidation impitoyable de la noblesse. Bien sûr, tout groupe au pouvoir se maintient par la liquidation de ses rivaux proches (cf. les purges staliniennes). Mais comment entends-tu cette liquidation des nobles par le tiers-état: les dettes? les chartes parlementaires? les expulsions des grandes familles?
Enfin je te rejoins tout à fait pour dire qu'une refondation de la République ne peut passer que par une remise en cause de la propriété. Mais tu ne parles pas de l'héritage. Si les parents ne doivent avoir aucun droit de propriété sur leurs enfants (ma femme, ma fille, mon fils, ma voiture, mon chien...), les enfants ne doivent avoir aucun droit sur les biens de leurs parents. Que les propriétés accumulées par un individu ou par un couple reviennent à la propriété sociale à sa mort. Par là, on diminuerait une bonne partie des investissements dans des rentes. Mais surtout on détruirait le sacrifice des générations, les conflits de succession, les injustices scandaleuses au bénéfice de ceux qui ne se sont donnés que le mal de naître, etc. La notion de bonheur en serait transformée, chacun devant "travailler", littéralement, à son propre bonheur.
Tes propositions finales sont risquées et c'est courageux de les écrire: pp.209-210 sur les institutions, p.216 sur la presse, p. 217 sur le rachat des entreprises. Je ne suis pas sûr que les faits te donneraient raison sur la productivité dans le socialisme (p.222). Je suis plus pessimiste que toi sur la viabilité des coopératives. Je trouve très juste ta définition de la loi juste (p.224): elle permet d'échapper à l'angélisme chrétien. Je m'en servirai.
Ce qui transparaît au long de tes pages, c'est le sentiment d'avoir été trahi par les responsables de la gauche. Et c'est vrai. Et cela va demander du temps pour s'en remettre. Comment les militants du PC vont-ils digérer la chute de l'URSS? Comment les militants socialistes peuvent-ils encore supporter le spectacle de leur parti? Et s'il faut choisir entre Sarkozy et Fabius? C'est désespérant! ...Même Chevènement qui pouvait sembler assez proche de ton projet s'est rendu insupportable. "Le gouvernement des hommes doit être remplacé par l'administration des choses". Oui ce serait tellement plus facile. Ce serait une belle libération. Malheureusement, si on dépasse le gouvernement sur les hommes, il reste que le gouvernement s'exerce par des hommes. Et là on n'est pas sorti de l'affaire! Personnellement, j'en suis arrivé à une position plutôt sceptique: la recherche du bonheur n'est pas ce qui intéresse les hommes. Quand ils ont tout pour être heureux (argent, amour, beauté, santé, culture), ils s'arrangent pour gâcher la fête. Observe nos chers collègues du supérieur: ils ont l'autonomie, le prestige, le temps, aucun inspecteur sur le dos, et ils passent leur temps à se tendre des traquenards où ils dépensent une énergie folle.
Alors dénoncer le discours économique: oui; reposer le sens de la loi républicaine: oui; redonner vie au politique au sens démocratique du terme: oui. Par là on rétablira un peu plus d'égalité et de justice; je ne pense pas qu'on redonnera beaucoup de liberté (la consommation est devenue notre prison). Je ne crois pas qu'on rendra les hommes heureux.
Jean-Marie Nicolle