vendredi 15 mars 2002

Réaction à l'article du Monde du 13 mars 2002, à propos de la réforme de l'enseignement de la philosophie au lycée




De:  Denis Collin
À: 
mediateur lemonde.fr
Objet:  la réforme du programme de philosophie



       J'ai 50 ans cette année et je lis "le Monde" tous les jours que Dieu (ou la nature) fait depuis l'âge de 15 ans. Malheureusement, "Le Monde" se transforme de plus en plus souvent en journal militant, qui plus est en journal militant du gouvernement -- comme "quatrième pouvoir" on fait mieux. L'article de Marie-Laure Phélippeau sur la réforme des programmes de philosophie est presque "idealtypique" de cette manière militante. Il défend intégralement le point de vue d'une petite association soutenue par l'administration du ministère ... et par les éditeurs de manuels scolaires, l'ACIREPH, association qui se fait l'avocat du programme de M.Renaut, commandité par l'ex-ministre Allègre et jouissant de la bénédiction du directeur des programmes, M.Ferry, lui-même auteur de nombreux ouvrages écrits en collaboration avec M.Renaut: que le monde est petit!

    Le point de vue de 80% des professeurs de philosophie, exprimé lors de la consultation de 2001 et réitéré lors des réunions inter-académiques n'est pas exposé et simplement assimilé à un retour en arrière de 30 ans. Culte du moderne, quand tu nous tiens! Peut-on faire remarquer que Platon, ça a nettement plus de trente ans, et ça vaut largement M. Renaut. Ni les propositions de Michel Fichant, ni les positions des représentants de la principale association de professeurs, l'APPEP ne seront connus des lecteurs. Quant à la revendication de la liberté philosophique, elle est soigneusement encadrée de guillemets dont les connotations péjoratives n'échappent à personne. Imaginez que parlant de la liberté de la presse, on écrive "liberté" entre guillemets vous y verriez immédiatement et à juste titre un certain mépris à l'égard de ce droit essentiel. Pourquoi la liberté de l'enseignement de la philosophie ne serait-elle pas aussi essentielle que la liberté de la presse et la liberté de conscience?

    Car c'est là le fonds de la question que votre collaboratrice feint d'ignorer. Le programme de 1973 est le produit direct des revendications de 1968 exigeant justement que les professeurs ne soient plus tenus, à travers un programme trop étroitement déterminé, de se faire les porte-parole (à leur corps défendant) de ce que François Châtelet pourfendait sous le nom de PSU ("Philosophie scolaire et universitaire"). M. Renaut nous proposait de mettre notre enseignement sous le signe de la nouvelle doxa qui vante les progrès continus de la démocratie, la nécessité de s'adapter aux "nouveaux publics scolaires" et des "questions d'approfondissements" qui sortaient tout droit du cours de MM. Renaut et Tavoillot à Paris IV. La "détermination" proposée par M. Renaut et l'ACIREPH n'est rien d'autre que la mise en place d'une philosophie officielle, en lieu et place de l'enseignement philosophique de terminale défini comme un enseignement d'initiation devant former l'esprit critique du citoyen. Ainsi les rétrogrades ne sont pas ceux que l'on croit. La majorité des professeurs de philosophie défend une liberté gagnée de haute lutte au fil des décennies alors que nos "modernes" critiques veulent revenir à une philosophie ancillaire, non plus servante de la théologie mais de la doctrine commune de la gauche et de la droite dites "libérales", par antiphrase puisqu'elles ne rêvent que d'en finir avec la conception véritablement libérale de l'enseignement.

    Votre collaboratrice cite un responsable de l'ACIREPH «Est-il sain pour une discipline enseignée à l'école que personne ne soit en mesure de dire ni ce qu'un professeur est tenu d'enseigner ni ce qu'un élève doit savoir, s'insurge l'Acireph (Association pour la création d'instituts de recherche sur l'enseignement de la philosophie), qui regroupe 200 professeurs de philosophie et prône la nécessité d'une réforme de cette discipline. Les graves problèmes d'équité que nous rencontrons chaque année dans la correction des copies du baccalauréat seront rendus définitivement insolubles.» On nous ressort sans le moindre élément d'information sérieux, sans la moindre mention du travail des commissions d'entente et d'harmonisation des correcteurs du baccalauréat, l'inusable article du mois de juin où des ignorants pérorent à longueur de colonnes sur "l'arbitraire" des notes de philosophie. Personne ne semble se soucier du fait que l'iniquité ne réside pas dans les notes du baccalauréat mais dans l'extraordinaire hétérogénéité des niveaux, ne serait-ce que de maîtrise de la langue, des candidats, une hétérogénéité qui ne fait que s'accroître au fur et à mesure qu'on remplace l'instruction par des pseudo-disciplines comme l'ECJS, par des TPE, des "'parcours croisés", itinéraires de découvertes et inventions abracadabrantesques des spécialistes des "sciences de l'éducation" qui prennent les élèves pour des cobayes destinés à servir leurs "expérimentations". Je suis tout prêt à inviter votre collaboratrice dans ma classe pour qu'elle puisse juger sur pièce si on y enseigne n'importe quoi... Mais peut-être est-ce trop demander que le minimum "d'enquête de terrain" et d'objectivité.

       Denis Collin
Professeur Agrégé de Philosophie - Docteur de l'Université - enseignant au lycée Aristide Briand à Évreux.

Derniers ouvrages parus:

- Morale et Justice sociale (Le Seuil 2001, collection "La couleur des idées")

- L'illusion plurielle: pourquoi la gauche n'est plus la gauche?( en collaboration avec Jacques Cotta) (JC Lattès, 2001)

Mail :
denis.collin@wanadoo.fr
Pages personnelles :
perso.wanadoo.fr/denis.collin

Article du journal Le MONDE du 13.03.02


       A la rentrée 2002, les élèves de terminale générale (L, S et ES) travailleront vraisemblablement sur un programme ressemblant, peu ou prou, au précédent, qui date de 1973. Et les professeurs de philosophie qui se sont mobilisés depuis un an contre la réforme initiée par Claude Allègre sont satisfaits : leur "liberté", à laquelle intentait, selon eux, la réforme, sera sauve.

       Dans le projet qu'il vient de remettre à Jack Lang, le nouveau groupe d'experts, nommé en juin 2001 pour pacifier la situation, abandonne tout esprit de réforme et revient à une stricte liste de notions (la conscience, le désir, l'art, la connaissance scientifique, le travail, etc.) et d'auteurs. Une structure identique à celle du programme de 1973, qui laisse le champ libre aux enseignants dans la façon d'aborder les notions. C'est précisément cette hétérogénéité des cours que la réforme s'attachait à circonscrire. Elle proposait notamment des couplages de notions (par exemple nature et culture) pour restreindre les problématiques et introduisait des "questions à ancrage contemporain" articulés autour de problèmes de société. Cette tentative avortée - la quatrième en douze ans - avait pour but de déterminer un contenu national au programme de philosophie, afin de mieux armer les élèves pour le baccalauréat et de gommer l'aléa que représente souvent cette discipline. Avec, en toile de fond, la désaffection pour les filières littéraires.

       Ce pas de trente ans en arrière n'est que l'ultime épisode d'une série de reculades, imposées par la vigueur de la contestation depuis la publication du nouveau programme au Bulletin officiel, à l'été 2000. Dans un premier temps, il avait été demandé au groupe d'experts rédacteurs du programme, dirigé par Alain Renaut, de retoucher sa copie, à la lumière des nombreuses critiques qui émergeaient de la consultation des enseignants (Le Monde du 9 février 2001). Mais l'hostilité restant vive, le ministère avait préféré, dans un deuxième temps, rendre facultative une partie du programme et nommer un nouveau groupe d'experts, dont la présidence avait été confiée à Michel Fichant, professeur à Paris-IV, hostile à la réforme (Le Monde du 12 juillet 2001). Jack Lang avait décidé en outre de créer une "commission de suivi"de la réforme, présidée par le directeur de l'enseignement scolaire, Jean-Paul de Gaudemar. Cette instance "pluraliste" avait pour mission de rencontrer des professeurs de philosophie et de proposer des aménagements au groupe Fichant.

       Six journées interacadémiques ont eu lieu, fin 2001, rassemblant au total 450 professeurs de philosophie. Parallèlement, des pétitions réclamant le retrait pur et simple de la réforme ont continué de circuler. Un rapport a finalement été rédigé, recommandant l'abandon des deux principales innovations de la réforme Renaut : le couplage de notions afin "de donner effectivement aux professeurs la liberté d'articuler les notions en fonction de leurs choix philosophiques et pédagogiques" et les "questions d'approfondissement"(nouveau nom des "questions à ancrage contemporain", déjà facultatives). La commission précisait que "pour donner aux professeurs un signal fort", ces recommandations "devraient, en tout état de cause, être mises en ouvre dès la rentrée 2002".

       Le rapport a été transmis au groupe Fichant en janvier. L'un des membres de la commission de suivi, Gérard Malkassian, a alors démissionné après avoir découvert que sa contribution critique n'avait pas été annexée au rapport. Dans sa lettre de démission, le 14 février, il estime qu'au lieu "d'améliorer le contenu" de la réforme, la commission en a "accompli la liquidation pour rétablir l'esprit de l'ancien programme". Le groupe d'experts a finalement tourné le dos à la réforme Renaut. "Nous sommes allés loin dans la révision", admet Michel Fichant, pour qui le programme de 1973 "n'est pas pestiféré."

       "Est-il sain pour une discipline enseignée à l'école que personne ne soit en mesure de dire ni ce qu'un professeur est tenu d'enseigner ni ce qu'un élève doit savoir, s'insurge l'Acireph (Association pour la création d'instituts de recherche sur l'enseignement de la philosophie), qui regroupe 200 professeurs de philosophie et prône la nécessité d'une réforme de cette discipline. Les graves problèmes d'équité que nous rencontrons chaque année dans la correction des copies du baccalauréat seront rendus définitivement insolubles."

       Le ministère indique que ce nouveau projet sera soumis aux enseignants "dans les jours prochains". Les résultats de la consultation seront, assure la Rue de Grenelle, connus fin avril, malgré la longue période de congés de printemps. Le texte devrait être voté par le Conseil supérieur de l'éducation début mai pour une application en septembre.

       Marie-Laure Phélippeau




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