Justification d’une recherche
L’évidente et profonde crise du socialisme à l’échelle
internationale pose de sérieuses questions à tous ceux qui croient encore
nécessaire une transformation sociale radicale, seule à même de résoudre les
questions angoissantes que pose à l’humanité le développement presque sans
opposition de la domination du capital financier. Cette crise a une première
origine évidente : le “ socialisme réel ” a échoué
lamentablement, englouti sous les ruines des régimes tyranniques qui
prétendaient l’incarner. Mais il ne suffit pas de refuser ce
“ socialisme ” dénaturé, ni d’entreprendre la recherche de nouvelles
formules théoriques pour redonner vie à ce qui fut la grande espérance du
siècle passé. Construire des “ modèles ” pour le socialisme me semble
une activité des plus utiles. Mais nous sommes confrontés à un problème
peut-être plus grave. Si la liberté est notre bien le plus précieux, le
mouvement ouvrier du xixe
pouvait se présenter comme l’héritier du mouvement émancipateur qui commence au
cœur du Moyen Âge avec la lutte pour les franchises communales et bientôt le
gouvernement républicain des grandes villes libres italiennes. Cependant,
l’évolution vers le “ socialisme de caserne ” puis vers les régimes
totalitaires contredit cette inscription historique longue et délégitime ainsi
le projet socialiste et permet, a contrario de faire du libéralisme
économiste et utilitariste le seul représentant légitime de ce mouvement.[i]
Donc c’est le projet socialiste lui-même qui doit être
re-légitimé. Je voudrais montrer ici que le projet d’une transformation
radicale des rapports sociaux peut être reconstruit en prenant appui sur la
tradition humaniste, égalitariste et républicaine[ii].
Je rappellerai (I) quelle conception de la liberté défend
le républicanisme, par différence avec les théories concurrentes comme le
libéralisme politique d’un côté et les diverses formes de la liberté comme
affirmation de soi contenues principalement dans la tradition socialiste. En
(II) je montrerai comment le républicanisme fournit un cadre théorique
permettant de penser un socialisme qui tire le bilan d’une expérience
maintenant plus que séculaire … où les échecs sont cependant bien plus nombreux
que les succès. Enfin, (III) j’essaierai de dire pourquoi la question de la
propriété est restée énigmatique et j’indiquerai quelques pistes de travail.
La liberté républicaine
Le républicanisme, tel que le définit Philip Pettit, est
essentiellement une doctrine politique, et en première approche ne semble guère
éclairer notre propos. Cependant, en faisant de la question de la domination la
question capitale de la théorie politique, l’approche républicaniste permet de
renouveler tant la problématique du pouvoir que celle de la propriété dans le
champ de la pensée socialiste.
L’opposition traditionnelle dans laquelle s’ancre la
tradition socialiste concerne d’abord la liberté. À la liberté libérale – dont
je laisse ici de côté la critique bien connue – qui consiste à restreindre au
minimum l’intervention de l’État dans les affaires privées des individus,
s’oppose la conception de la liberté comme affirmation de soi (“ le
développement de toutes les potentialités ” comme le dit Marx dans le Capital).
C’est pourquoi l’exercice direct du pouvoir à tous les niveaux constitue une
des revendications de base du socialisme, une revendication qui voit la
réalisation de l’homme dans la maîtrise sur sa propre vie. Et c’est pourquoi la
“ démocratie directe ” par les conseils ouvriers a été présentée
comme la forme adéquate de l’émancipation.[iii]
Il y a cependant de bonnes raisons d’être méfiants à
l’égard de cet idéal. Rousseau se demandait déjà si cet autogouvernement
n’était pas un régime fait pour les dieux. Quand les hommes montent à l’assaut
du ciel, dans les périodes d’exaltation révolutionnaire, elle est sans doute la
forme spontanée qui ressurgit à chaque fois. Mais on ne peut pas faire la
révolution tous les jours et tous les individus sont loin de participer à ces
mouvements révolutionnaires. Et quand il s’agit de stabiliser de nouvelles
formes d’organisation sociale et politique, ces formes révolutionnaires se
vident de tout contenu et soit disparaissent soit se figent en appareil
bureaucratique.
En pratique, dans une nation plus vaste qu’une cité
grecque ou un canton suisse, la démocratie directe se transforme en une
pyramide de conseils (les soviets dans la Russie révolutionnaire) qui devient
incontrôlable par les citoyens de base et peut facilement être la proie de
toutes les manipulations (notamment celles des fractions minoritaires les mieux
organisées). Enfin, cette démocratie directe sans contrepoids peut souvent
assurer l’une des formes les plus terrifiantes de tyrannie, la tyrannie de la
majorité.
Réfléchissant sur les leçons des expériences socialistes,
Tony Andréani réfute les analyses de ceux qui pensent que c’est seulement
l’absence de démocratie qui est la cause de l’échec de la “ construction
socialiste ” en URSS et dans les pays du “ socialisme réel ”. Il
ajoute ceci : “ Une démocratie pleinement développée n’est même pas
souhaitable. Tout n’est pas faux dans la critique hayekienne de la
“ démocratie illimitée ”. Pour ce maître à penser du néolibéralisme
la démocratie doit être réduite au minimum, c'est-à-dire à la codification des
règles qui naissent du libre jeu du marché et qui doivent permettre à son
“ ordre spontané ” de fonctionner sans frictions. Elle pourrait même
en fait être remplacée par une despotisme éclairé. Mais quand Hayek dénonce le
“ constructivisme ”, il n’a pas tout à fait tort. Une démocratie
permanente et sans rivages, outre le coût qu’elle impliquerait, comporterait de
grands risques de paralysie, puisque tout serait susceptible à tout moment
d’être remis en cause. Enfin, il est certain que les individus s’en lasseraient
rapidement. ”[iv]
C’est cet exceptionnalisme de la
démocratie directe et donc l’idée de la liberté comme auto-affirmation qui
redonne toute sa place à la conception républicaine telle que la définit Philip
Pettit. S’il est impossible de rêver d’une démocratie à l’athénienne étendue à
toute la population et si on ne veut pas se contenter de la liberté négative
des libéraux, la conception républicaine pourrait bien être le moyen de
dépasser cette antinomie classique.
Alors que pour la conception libérale, c’est l’opposition jus/lex
qui est centrale, pour la conception républicaine, c’est l’opposition liber/servus,
l’opposition entre le citoyen libre et l’esclave. Contre les libéraux, tenant
de la liberté comme non-ingérence de l’État, les républicanistes affirment que
la loi libère si elle protège les individus contre la domination, même
“ librement ” consentie d’autres individus. Contre les tenants de la
liberté comme participation à l’exercice du pouvoir politique dans la cité, les
républicanistes, reprenant Machiavel soutiennent que les hommes ne veulent pas
tant gouverner que n’être pas gouvernés.
On retrouve cette problématique chez Philip
Pettit pour qui il peut y avoir ingérence sans perte de liberté, quand
l’ingérence n’est pas arbitraire et ne représente pas une forme de domination,
c'est-à-dire “ quand elle est contrôlée par les intérêts et les opinions
de celui qui en est affecté ”[v].
Une loi faite dans l’intérêt du peuple interfère avec la volonté des individus
mais elle n’est pas une forme de domination. Dans la tradition républicaine,
c’est la loi qui crée la liberté que les citoyens peuvent partager. Du même
coup le problème de la liberté des individus se reporte sur celui de l’origine
de la loi. Donc la question clé est celle de la souveraineté du peuple en tant
que législateur et non l’exercice direct et permanent du pouvoir
politique exécutif.
Entre la liberté négative (ou non-ingérence) et la liberté
comme maîtrise de son propre sort (fondée sur la participation au gouvernement
de la cité), la liberté républicaine peut être définie comme non-domination.
Mais la liberté comme non-domination ne concerne pas principalement, comme chez
les libéraux, le rapport entre le pouvoir politique et les personnes privées,
mais toutes les formes de domination, y compris celles qui s’établissent dans
la société civile. Ainsi les rapports entre les hommes et les femmes ou entre
patrons et salariés peuvent-ils être des rapports de domination contre lesquels
la force de la loi doit protéger les individus.
Pettit distingue domination et ingérence. L’ingérence est
toute limitation qu’une personne (physique ou morale) peut apporter à la
liberté de choix et de mouvement d’un individu. Ainsi dans le cas du policier
qui intervient pour faire appliquer la loi et protéger les personnes il s’agit
bien d’une ingérence mais sans domination. La question est seulement de savoir quels
intérêts sont poursuivis ? Un agent en domine un autre si, et seulement
si, il a un certain pouvoir sur le second, en particulier un pouvoir
d’ingérence sur une base arbitraire. L’agent peut être une personne ou un
acteur collectif. Et pour éviter toutes les objections éventuelles, Pettit
donne l’exemple de la tyrannie de la majorité. La majorité n’est pas plus
fondée que quiconque à dominer !
Conséquences politiques du républicanisme
L’ingérence supposée dans la domination a deux
caractéristiques : 1) elle rend les choses pires pour le dominé et non
meilleures ; 2) elle n’intervient pas par accident. L’intentionnalité de
l’ingérence est donc supposée pour qu’il y ait domination.
Comme le fait remarquer Pettit, il est évident que cette
définition de liberté incite au radicalisme social. Protéger les individus
contre la domination, leur assurer les possibilités d’une existence stable et
sans trop d’anxiété face à l’avenir, voilà ce que doit faire la liberté
républicaine. Mais, si le républicanisme est conséquent, cela suppose que le
pouvoir étatique ne s’arrête pas à porte des entreprises et ne s’incline pas
devant les sacro-saintes lois du marché.
Le républicanisme est donc un “ égalitarisme
structurel ” comme le dit Pettit. Chez Rawls, les plus grandes inégalités
de distribution des richesses peuvent être justes si elles sont conformes au
principe de différence – c'est-à-dire si elles profitent en priorité au plus
défavorisés.[vi]
Pour Pettit au contraire, la liberté comme non-domination étant fonction des
pouvoirs relatifs des individus, cela “ a un impact immédiat sur la
possibilité d’augmenter l’intensité d’ensemble de la non-domination par
l’introduction d’une plus grande inégalité dans sa distribution. ”[vii]
On voit donc immédiatement que la réduction de la domination dans les rapports
employeurs/salariés a, chez Pettit, un rapport immédiat avec la liberté
d’ensemble de la société, alors que Rawls a toujours cherché à protéger la Théorie
de la Justice contre des conséquences aussi subversives. Ainsi Pettit
souligne que l’idée de liberté comme non-domination doit être agréable aux
socialistes car elle est implicitement “ une réclamation contre
l’esclavage salarié ”.[viii]
Par exemple, la conception républicaine légitime l’arme de la grève comme moyen
de défense des ouvriers contre la domination patronale.
La liberté comme non-domination est conçue essentiellement
comme une liberté civique. Un individu peut se retirer de la vie sociale et
alors il ne subira plus les ingérences arbitraires des autres, mais il ne sera
pas libre pour autant. Reprenant la tradition romaine de la libertas comme
civitas, la conception républicaniste fait de la liberté d’abord
une question politique et donc affirme que la liberté du citoyen et la liberté
de la cité sont une seule et même chose. Elle s’oppose ainsi frontalement aux
conceptions libérales, dominantes aujourd’hui, qui dissocient totalement les
libertés individuelles de l’existence d’une république. Elle replace donc au
premier plan ce qu’on appelait le bien public. Elle réaffirme que les individus
ne peuvent être libres que dans une République libre.
Que tirer de tout cela ? Tout simplement que
l’émancipation n’a pas besoin d’aller cherche midi à quatorze heures et que les
formes du pouvoir politique adéquates résident dans la république
parlementaire, fondée sur la séparation des pouvoirs, le respect absolu du
pouvoir populaire législatif, la protection constitutionnelle des droits des
minorités et un très large autogouvernement local. Bref quelque chose que Marx
et Engels commençaient à envisager, ainsi que les études de Jacques Texier nous
l’ont montré.
La question de la propriété
Pettit fait remarquer que le républicanisme n’est pas
seulement agréable aux défenseurs du socialisme, mais aussi à ceux de la
propriété privée, ce qui lui permet d’affirmer qu’elle pourrait être une bonne
théorie politique permettant un consensus par recoupement en remplacement de la
théorie de Rawls. Allons un peu plus loin.
1) Le
conception républicaine ne dissocie pas les libertés individuelles de la
citoyenneté et ceci n’est possible que si on pose au fondement même de la
société l’existence d’un bien public. Donc est posée la question de
l’appropriation sociale. Il n’y a pas de vie commune sans que soient définis
les biens publics qui doivent être soumis directement au pouvoir commun.
2) Si
être libre c’est n’avoir pas de maître, si c’est obéir à la loi pour n’obéir à
personne, comme le dit Rousseau, dès lors que les rapports de propriété
permettent à un homme d’être le maître d’un autre, ces rapports sont frappés
d’illégitimité du point de vue même de ce qui constitue l’essence de ce bien
public qui définit l’état civil. C’est pourquoi si Rousseau défend la propriété
privée à condition qu’elle reste mesurée, Spinoza envisage dans le Traité
politique des limitations drastiques au droit de propriété.
3) Il
est nécessaire de retravailler le statut de la propriété privée dans une
perspective socialiste, c'est-à-dire précisément l’articulation entre propriété
sociale et propriété privée.
Avant d’aller plus loin, je
voudrais souligner ceci : le socialisme ne peut pas être justifié pour des
raisons “ scientifiques ” ou de rationalité. Le mode de production
capitaliste est rationnel, à sa façon tout comme l’était la planification
centralisée à la soviétique. Mais la rationalité devient facilement folle. Ce
sont seulement des choix axiologiques raisonnables qui peuvent guider une
théorie politique. Nous sommes pour une autre organisation de la société
fondamentalement pour des raisons morales ou éthiques : parce que nous
croyons comme Kant que nous ne devons jamais considérer la personne humaine
simplement comme un moyen mais toujours comme une fin en soi, mais aussi (et ce
n’est pas contradictoire) parce que le bien de l’homme réside dans une très
large mesure dans le fait de vivre ensemble (alors que les libéraux du genre
Nozick soutiennent que les individus mènent des existences séparées).
La première thèse (kantienne) soutient la liberté comme
non domination, y compris la domination qui se fonde sur la propriété
capitaliste, ce que Kant n’avait pas vu. La seconde définit le bien commun. Ces
deux thèses, prises de manière conséquente, conduisent directement à une
critique radicale de la société soumise au mode de production capitaliste.
Je laisse de côté la question de
l’appropriation sociale et de la critique du rapport capitaliste qui a été
largement abordée. Je voudrais insister pour terminer sur le problème de la
propriété privée.
Hannah Arendt considère la propriété collective comme une
contradiction dans les termes. La société de masse, dit Arendt, détruit non
seulement le domaine public mais aussi le domaine privé, c'est-à-dire de la
possibilité même d’une protection contre le monde. Arendt montre que le monde
antique distingue la propriété et la richesse alors que notre monde abolit
cette distinction absorbant la propriété dans la richesse. Elle fait cette
remarque qui mérite d’être méditée : “ À la longue, l’appropriation
individuelle des richesses n’aura pas plus de respect pour la propriété privée
que la socialisation des processus d’accumulation. Ce n’est pas Karl Marx qui
l’a inventé, c’est un fait qui tient à la nature même de cette société ”[ix].
C’est l’évidence : les possesseurs de capital fuient les ennuis de la
propriété : ils ne détiennent que des titres interchangeables et
négociables 24 heures sur 24. Les grandes entreprises se débarrassent de leur
parcs immobilier et automobile. La propriété privée n’est plus un lieu à
soi ; elle a disparu au profit de l’expression la plus abstraite, la plus
“ métaphysique ” dirait Marx de la richesse sociale, l’argent.
Si on reprend avec Arendt la dissociation antique de la
propriété et de la richesse, on pourrait donc distinguer propriété privée et
propriété capitaliste. Bien qu’elle commette une erreur concernant la pensée de
Marx qu’elle voit comme une revendication de “ l’abolition de toute
propriété ”, Hannah Arendt fait justement remarquer “ l’intérêt
dominant n’est plus la propriété ”, conçue comme un enclos dans l’espace
commun, mais “ l’accroissement de richesse et le processus d’accumulation
comme tel ”[x],
processus qu’elle analyse comme la destruction de toute possibilité de
constitution d’un “ monde commun ”. Un monde, notre monde où toute la
richesse sociale “ s’annonce comme une immense accumulation de
marchandises ” est-il encore un monde commun ?
Locke, le grand théoricien du capitalisme libéral,
articule son Traité du gouvernement civil sur le passage de la propriété
privée fondée sur le travail, une propriété qui ne permet pas d’accumulation et
la propriété libérée de ses entraves, celle de l’argent, qui est
potentiellement accumulation illimitée de richesse. Voilà une autre piste qu’on
pourrait suivre. Quoi qu’il en soit, une analyse plus fine de la propriété,
distinguant des formes de propriété privée habituellement subsumée sous la même
dénomination, permettrait de réintroduire la question de la structure
sociale dans la problématique des théories de la justice du type rawlsien ou
autre.
Enfin, il y un dernier point qui pourrait être
retravaillé. On sait que les révolutionnaires de 1789 tout comme Kant (et même
parfois Rousseau) distinguaient deux catégories de citoyens, les citoyens
actifs et les citoyens passifs. Les droits politiques sont réservés aux hommes
libres, c'est-à-dire à ceux dont les conditions de base de la vie ne dépendent
pas d’un autre homme. Généralement on ne sait pas très bien comment traiter
cette question ; on y voit une limitation de la pensée démocratique des
grands ancêtres – c’est comme dans l’affaire de l’esclavage chez
Aristote : le philosophe est gêné aux entournures. Je crois que ces grands
ancêtres n’étaient pas victimes des préjugés de leur époque mais au contraire
fort perspicaces : ils ne parvenaient pas appeler homme libre un homme
dont la vie est entre les mains d’un autre homme ; on peut éventuellement
leur reprocher d’en avoir pris leur parti, et d’avoir transformé le fait en
droit, mais certainement pas d’avoir perçu cette question sur laquelle nous
fermons obstinément les yeux. Je vais donner un exemple qui permettra de saisir
de quoi il s’agit. On a coutume de penser de que l’exode rural est le départ des
paysans de la campagne pour devenir ouvrier en ville. C’est très largement
faux : ce sont d’abord les ouvriers ruraux qui sont devenus des ouvriers
citadins. Mais le changement est fondamental. L’ouvrier rural a son jardin, ses
poules et dispose encore partiellement de lui-même. L’ouvrier citadin n’a plus
rien de tout cela et se trouve à la merci du capitaliste. Tout cela n’a pas
grand-chose à voir avec les schémas du marxisme standard mais éclaire
singulièrement ces questions de la propriété.
La propriété privée fondée sur le travail pourrait alors
apparaître comme une protection contre la propriété capitaliste, mais aussi
contre les dégénérescences possibles des diverses formes de propriété sociale.
Après tout, si nous sommes favorables à des formes de production basées sur la
libre association des producteurs, la possibilité de se retirer de
l’association est la garantie de la liberté. Autrement dit, est-ce qu’une bonne
théorie de la justice ne devrait pas déterminer aussi des principes de base de
répartition de la propriété privée – au lieu de se concentrer uniquement sur
les revenus et la richesse.
Je ne veux pas revenir à la petite production marchande,
encore que je m’interroge toujours sur la formule de Marx qui veut restaurer
“ la propriété individuelle ” du travailleur sur la base des
“ acquêts de l’ère capitaliste ”. Mais je crois que cette approche
permet de comprendre quelque chose de fondamental qui nous a souvent échappé.
Denis Collin – mars 2002
[i]
Je ne veux pas engager ici un débat sémantique, mais le terme libéralisme me
gêne car il couvre indistinction Hobbes et Benjamin Constant et il me semble
que ce n’est pas du tout le même genre de libéralisme que défendent ces
deux-là.
[ii]
J’entends par ce dernier qualificatif la tradition qu’on redéfinie certains
auteurs comme John Pocock, Quentin Skinner ou Philip Pettit.
[iii]
Il serait intéressant d’étudier les liens entre l’humanisme civique – cette
tradition qui va d’Aristote à Hannah Arendt et fait de l’action par la parole
dans l’espace public le plus haut degré de la vie active – et le socialisme
révolutionnaire des conseils. Arendt, dont la mère était proche de Rosa
Luxemburg, fait elle-même ce lien dans son analyse des conseils ouvriers
hongrois de 1956.
[iv]
ANDREANI (Tony) : Le socialisme est (a) venir, Syllepse, 2001, page
120
[v]
PETTIT (Philip), Republicanism, A Theory
of Freedom and Government, Oxford University Press, 1997-1999 page 36
[vi]
J’ai montré ailleurs (Morale et Justice Sociale, Seuil, 2001, coll. La couleur des idées)
le caractère indéterminé du principe de différence.
[vii]
PETTIT, op. cit. page 114
[viii]
PETTIT, op. cit. page 142. Pettit montre également que les revendications
féministes ou environnementalistes peuvent aisément être reformulées dans le
langage du républicanisme (cf. pp. 135-141). Enfin, il affirme que la
République est aussi un idéal communautaire et essaie de trouver une synthèse
entre l’universalisme classique et les revendications communautaires
raisonnables.
[ix]
ARENDT, Hannah : Condition de l’homme moderne, Presses Pocket, page
109
[x]
ARENDT, op. cit. page 164
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