Un ouvrage d'Yvon Quiniou
Il y a quelques années,
Yvon Quiniou publiait une stimulante lecture matérialiste de Nietzsche, Nietzsche
ou l'impossible immoralisme (Kimé, 1993). Ses Études matérialistes sur
la morale (Kimé, 2002) synthétisent une recherche poursuivie patiemment, à
l'écart de la doxa, pour construire une conception matérialiste de la
morale. Il y a un fil directeur dans sa réflexion : l'affirmation de la
valeur scientifique du matérialisme, un matérialisme modeste et non
métaphysique, celui qui considère toute réalité connaissable humainement comme
une seule réalité matérielle, dont le travail scientifique peut expliquer les
lois de transformation, de l'apparition des organismes vivants jusqu’à l'homo
sapiens. Cette conception strictement moniste exclut tout recours à la
transcendance divine. A partir de là, se pose la question cruciale :
comment la morale est-elle possible d'un point de vue matérialiste? Se situant
sur le plan de la nature, considérée sans adjonction extérieure, le
matérialisme semble exclure comme simple mystification tout devoir-être.
N'est-ce pas le matérialisme nietzschéen qui se proposait de “ fracasser
la morale ” comme illusion de la vie? YQ montre qu'en réalité
l'immoralisme nietzschéen se tourne en un moralisme nouveau qui fait l'apologie
de ce qu'il appelle les valeurs de la vie.
Distinguant soigneusement
morale et éthique, YQ montre qu'une morale universaliste reste possible et
nécessaire d'un point de vue matérialiste. Ses études sur Darwin,
spécialement sur La descendance de l'homme, montrent que la théorie de
l'évolution rend très bien compte de l'apparition de la morale comme un
instinct social qui s'est révélé un avantage adaptatif décisif pour la survie
de l'espèce. Mais expliquer la genèse de la morale, ce n'est pas encore la
fonder rationnellement comme système normatif. Défendant une version non
métaphysique de la morale kantienne, YQ dans ses études sur Marx et Habermas
expose clairement tout l'intérêt que peuvent tirer d'une telle approche tous
ceux qui continuent de lutter pour l'émancipation humaine.
Clair, pédagogique, le
livre de Quiniou est à lire, à faire lire et à discuter.
Denis Collin (11 avril
2002)
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