mardi 2 juillet 2013

Retour à la philosophie spéculative

Recension de "À dire vrai. Incursions philosophiques" par Yvon Quiniou

C’est un livre riche que nous donne ici Denis Collin. Sous l’apparence de propos divers, il constitue une synthèse de sa pensée  actuelle. Son intérêt principal tient à la multiplicité des questions qu’il aborde, même si on ne le suit pas dans toutes ses réponses : statut de la philosophie, y compris dans son rapport à la métaphysique, nature du réel, opposition de l’idéalisme et du matérialisme, problème de l’objectivité de la connaissance, importance de la subjectivité, épistémologie critique des sciences humaines – autant de sujets qu’il aborde à chaque fois à partir d’une information pointue.
Pourtant, ce qui caractérise l’ensemble c’est un étonnant retour à la philosophie spéculative (avec une prédilection pour Spinoza), à rebours des évolutions habituelles de notre époque ; et ce pour parer à ce qu’il croit être la menace d’un positivisme scientiste indifférent à la réflexion et aux problèmes humains. D’où sa revendication insistante d’un fondement absolu pour toute pensée digne de ce nom (à l’instar des grands systèmes métaphysiques), qu’il trouve pour son propre compte dans l’idée d’une « subjectivité vivante » sans laquelle non seulement rien de sensé sur le monde ne pourrait être dit, mais rien ne pourrait être.
Il est difficile de le suivre sur ce terrain. L’opposition de l’idéalisme et du matérialisme lui paraît dépassée et, dans un chapitre nourri pourtant de références à la philosophie de l’esprit contemporaine, il refuse l’idée que la pensée soit une forme de la matière. On lui rappellera donc que la théorie darwinienne de l’évolution et la biologie moderne vont dans ce sens et que la philosophie, désormais, doit se mettre à l’écoute de la connaissance scientifique et non résister en vain à ses conséquences intellectuelles.
La fin de l’ouvrage suscitera davantage l’adhésion de ceux qui entendent penser à neuf dans le sillage de Marx. Sa critique de Rawls, par exemple, est remarquable : elle montre que sa Théorie de la justice, aussi séduisante soit-elle, s’enferme dans une vision de la société qui occulte les rapports capitalistes de propriété et l’exploitation qui s’ensuit. Et pour finir, il insiste justement sur l’urgence absolue de réhabiliter l’exigence  (ou éthique) afin de résister à la barbarie capitaliste actuelle. Sans point d’appui du côté de normes proposant une vie bonne pour tous, et même éclairée par la science sociale, la politique est aveugle sur ses fins. Le retour à une philosophie pratique, non spéculative et authentiquement critique, est ici indispensable, qui prenne à bras le corps tous les problèmes de notre modernité, de la recherche destructrice du seul profit à la valorisation absolue de la croissance, en passant par les redoutables dangers inhérents aux technosciences.
                                                                                  Yvon Quiniou (Article paru dans L'Humanité du 2 juillet 2013)
 
 Denis Collin, A dire vrai. Incursions philosophiques, Armand Colin, 24 euros

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