mercredi 15 juillet 2015

Robert Michels, les partis politiques

Né en 1876 à Köln (Allemagne), Robert Michels est sociologue et un homme engagé dans l’action politique. Il a suivi, entre autres, l’enseignement de Max Weber et milité dans les rangs de la SPD, le parti socialiste allemand, où s’est lié plutôt avec les milieux syndicalistes méfiants à l’égard du parlementarisme. Son livre le plus connu, Les partis politiques, publié en 1911 prend pour archétype ce parti que Michels connaît bien. Michels émigrera ensuite en Italie et en prendre la nationalité. Il est contact avec les Français Georges Sorel et Hubert Lagardelle (théoriciens de l’anarcho-syndicalisme). Il se rapprochera ensuite de Mussolini et adhérera au fascisme. Il meurt en 1936.
Le contexte de l’œuvre
Alors que se constitue le mouvement ouvrier dans les années 1889 à 1914 et que les partis socialistes et sociaux-démocrates deviennent des partis de masse, très influents, ayant parfois des millions d’adhérents soit directement soit par l’intermédiaire d’organisations contrôlées par le parti, on voit apparaître une nouvelle couche dirigeante de permanents politiques et d’élus qui amalgame des intellectuels « bourgeois » ralliés au socialisme et d’anciens ouvriers devenus chefs du parti, élus ou propagandistes. En France, c’est surtout à Georges Sorel qu’on doit les premières polémiques contre cette nouvelle élite ouvrière. Mais la première analyse systématique de la constitution de cette couche sociale et de ses attitudes politiques foncièrement conservatrices est celle de Roberto Michels.
Michels part de l’étude de la social-démocratie allemande qui est le parti socialiste le plus puissant de l’époque, au point de constituer une véritable contre-société au sein de la société bourgeoise-impériale allemande. Or loin d’être une organisation égalitaire promouvant l’autonomie des travailleurs, la social-démocratie se révèle une organisation bureaucratique qui cherche à obtenir l’obéissance de la part des membres du parti et plus généralement de la classe ouvrière. Le philosophe italien Gaetano Mosca faisait déjà remarquer que ce ne sont pas les peuples qui choisissent les élus mais la classe dirigeante qui fait élire ses députés.
La dialectique régressive de l’organisation
La première thèse de Michels pourrait être celle de la dialectique régressive de l’organisation :
1)      Pas de lutte de masses sans organisation.
2)      L’organisation est la source de toutes les tendances conservatrices.
Parlant d’organisations révolutionnaires, il écrit : « L’organisation constitue précisément la source d’où les courants conservateurs se déversent sur la plaine la démocratie et occasionnent les inondations destructrices qui rendent cette plaine méconnaissable. » Mais, l’encontre de l’optimisme de Sorel, Michels voit dans le processus de bureaucratisation un phénomène inévitable. Il découle tout d’abord de la logique même des organisations de masse. « Dans les partis politiques modernes, on réclame pour les chefs une sorte de consécration officielle et on insiste sur la nécessité de former une classe de politiciens professionnels, de techniciens de la politique, éprouvés et patentés. »
L’organisation a besoin de cadres et elle doit les former. C’est une nécessité : « Il est cependant indéniable que tous ces instituts d’éducation destinés à fournir des fonctionnaires au parti et aux organisations ouvrières, contribuent, avant tout, à créer artificiellement une élite ouvrière, une véritable caste de cadets. »
Organisation = oligarchie
« Qui dit organisation dit tendance à l’oligarchie. » Michels note par exemple le rôle du suffrage indirect dans le système d’élection des responsables qui explique la très grande longévité des appareils politiques et syndicaux et le mépris systématique des plus élémentaires règles démocratiques dont ils font preuve. Les observation de Michels ont une valeur universelle indiscutable.
Mais le pouvoir de cette nouvelle élite bureaucratique s’appuie aussi sur la propension des masses à l’obéissance et à la vénération des chefs, ce qui explique que les dirigeants puissent changer radicalement de position, trahir toutes les résolutions les plus sacrées sans qu’ils aient véritablement à en payer le prix. « L’histoire des partis ouvriers nous offre tous les jours des cas où les chefs s’étant mis en contradiction flagrante avec les principes fondamentaux du mouvement, les militants ne se décident pas à tirer toutes les conséquences qui en découlent logiquement. »
Explications de ce processus
Contre ceux qui, comme Sorel, voient dans la pénétration d’éléments « bourgeois » et « petits bourgeois » une des explications des tendances réformistes du mouvement ouvrier, Michels remarque : « ce sont d’ailleurs les mouvements ouvriers les plus exclusivistes qui partout et toujours ont le plus pénétrés d’esprit réformiste. »
Michels note que le mouvement ouvrier organisé (la social-démocratie, mais ce sera vrai du communiste de masse en France ou en Italie) « a pour la classe ouvrière allemande une importance analogue à celle de l’Église catholique pour certaines fractions de la petite bourgeoisie et de la population rurale. L’un et l’autre servent aux éléments les plus intelligents de ces classes respectives pour leur ascension sociale. »
On retrouve ici le principe de Pareto de la circulation des élites. Loin d’être une contre-société, « l’élite ouvrière » s’intègre finalement dans les mécanismes de reproduction de l’élite gouvernante en général. Des phénomènes que Michels ne pouvait qu’entrevoir se sont développés à très grande échelle surtout après la seconde guerre mondiale, tant dans les partis et syndicats « réformistes » que dans les partis communistes.
Enfin Michels souligne combien la bureaucratisation des organisations ouvrières mène au bonapartisme et au culte du chef. Encore une vision pénétrante qui, cette fois, n’aura été à son auteur d’aucune utilité puisqu’il a lui-même succombé au délice de l’amour du maître en subissant le charisme mussolinien ...
La loi d’airain de l’oligarchie
L’avant-dernier chapitre du livre est intitulé « la démocratie et la loi d’airain de l’oligarchie ». Il est consacré à une discussion avec Gaetano Mosca (« un homme de grande valeur ») et Vilfredo Pareto et plus généralement avec tous auteurs qui « défendent la théorie d’après laquelle les luttes éternelles entre aristocraties et démocraties, dont nous parle l’histoire, n’auraient jamais été que des luttes entre une vieille minorité défendant sa prédominance et une nouvelle minorité ambitieuse qui cherchait à conquérir le pouvoir à son tour, soit en se mélangeant à la première soit en prenant sa place. »
La démocratie trouve son point d’orgue dans la création d’une nouvelle aristocratie. Et le socialisme n’échappe pas à cette loi. Michels rappelle : « Vilfredo Pareto a même recommandé le socialisme comme un moyen favorable à la création, au sein de la classe ouvrière, d’une nouvelle élite, et il voit dans le courage victorieux avec lequel les chefs du socialisme affrontent persécutions et colères un indice de leur vigueur et la première condition à laquelle doit satisfaire une nouvelle « classe politique ».
Mais si Mosca, Parato, etc., ont eu le mérite de porter l’attention de la recherche politique sur la question de l’élite, pour Michels leur véritable ancêtre est à chercher du côté du socialisme qui, dès sa naissance, aurait été fondé sur des idées élitistes et autoritaires. Michels part de la pensée de Saint-Simon : « Le système des saint-simoniens est d’un bout à l’autre autoritaire et hiérarchique. Les disciples de Saint-Simon ont été si peu choqués par le césarisme de Napoléon III que la plupart d’entre eux y adhérèrent avec joie, croyant y voir la réalisation des principes de socialisation économique. »
Mais il n’en va pas mieux avec Fourier en dépit de sa réputation « libertaire ». « Sorel a relevé avec raison le lien étroit qui rattache le socialisme antérieur à Louis-Philippe à l’ère du grand Napoléon et montré que les utopies saint-simoniennes et fouriéristes ne purent naître et prospérer que sur le terrain de l’idée d’autorité à laquelle le grand Corse avait réussi à donner une nouvelle splendeur. »
Avec les socialistes de la période suivant les choses sont un peu différente mais pas tant qu’on pourrait le croire sur le fond. L’anarchisme, note encore Michels, nie la possibilité même d’un gouvernement de la majorité – Bakounine et Proudhon présentent souvent la république démocratique comme le pire des régimes bourgeois. La seule alternative sérieuse à ces conceptions qui font de la « classe politique » une nécessité immanente, réside, selon Michels, dans la théorie marxiste qui définit l’État comme le conseil d’administration des affaires communes de la bourgeoisie. Cependant, même en admettant que l’État bourgeois puisse être balayé par l’assaut révolutionnaire, on voit mal comment on pourrait empêcher la formation d’une nouvelle minorité dominante, car « la richesse sociale ne pourra être administrée d’une façon satisfaisante que par l’intermédiaire d’une bureaucratie étendue. (…) L’administration d’une fortune énorme, surtout lorsqu’il s’agit d’une fortune appartenant à la collectivité confère à celui qui l’administre une dose de pouvoir au moins égale à celle que possède le possesseur d’une fortune, d’une propriété privée. Aussi les critiques anticipés du régime social marxiste se demandent-ils s’il n’est pas possible que l’instinct qui pousse les propriétaires, de nos jours, à laisser en héritage à leurs enfants les richesses amassées, incite également les administrateurs de la fortune et des biens publics dans l’État socialiste à profiter de leur immense pouvoir pour assurer à leurs fils la succession des charges qu’ils occupent. »
Les intuitions de Michels ne seront que trop confirmées. « Il est, en effet, à craindre que la révolution sociale ne substitue à la classe dominante visible et tangible, qui existe de nos jours et qui agit ouvertement, une oligarchie démagogique clandestine opérant sous le faux masque de l’égalité. »
Il ne semble pas y avoir beaucoup de solutions qui permettraient d’échapper à la loi d’airain de l’oligarchie. Surtout si on admet que la constitution d’oligarchies au sein des démocraties est un phénomène organique. C’est le niveau de conscience de la partie prépondérante des classes opprimées qui seul permet d’envisager des freins aux tendances oligarchiques.
À retenir
L’analyse que fait Pareto de la bureaucratisation de ces organisations qui revendiquent une démocratie plus réelle est très pessimiste. La « loi d’airain » de l’oligarchie balaye les meilleures intentions du monde. L’organisation est nécessaire pour l’action, mais elle secrète naturellement une oligarchie qui devient le premier obstacle à l’action. Le conservateur Mosca et le révolutionnaire Michels trouvent ici une paradoxale convergence.

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