lundi 13 mars 2017
vendredi 10 mars 2017
Renouveau républicain et lutte sociale
On accuse souvent les défenseurs de la République d’être obnubilés par les principes politiques et d’être, du même coup, aveugles aux questions sociales. La République ne serait qu’une abstraction camouflant toutes sortes de vilenies concoctées par les classes dominantes, affirment les plus critiques les plus virulentes. La République ne suffit pas, il faut aller plus loin, disent les mieux disposés à son endroit. Il est vrai que le mot « république » est employé à toutes les sauces et que les « valeurs de la république » sont si vagues qu’elles servent souvent d’étiquettes à des marchandises avariées. Mais il en va de même, hélas, d’une bonne partie du vocabulaire politique. Faut-il renoncer au socialisme au motif que bien des entreprises parmi les pires du siècle passé se sont couvertes de cet honorable drapeau ? Et que dire du communisme ? Alors pourquoi renoncer à ce beau mot de république ? Certes les républiques réellement existantes, dans notre pays et ailleurs, sont loin d’avoir tenu toutes leurs promesses, et c’est peu dire ! Que la France soit une république laïque, démocratique et sociale comme le dit l’article I de la Constitution, on aimerait que cela ne restât pas une simple proclamation pour les jours de fête. Certes, comme le pensait Jaurès, la république jusqu’au bout, c’est la république sociale et non la république bourgeoise. Faut-il pour autant abandonner le combat pour la république, tout court, sans adjectif ?
En premier lieu, la république n’est pas un simple mot ; elle est porteuse d’une tradition historique et philosophique : la république, c’est la liberté comme non-domination. La loi doit viser à protéger les individus contre toute domination. Il ne suffit de pas de réclamer la liberté d’expression. Encore faut-il que la loi et, le cas échéant, les forces d’ordre protègent cette liberté. À l’équipe de Charlie, ce qui a manqué en janvier 2015, ce n’est pas un grande proclamation mais une protection policière un peu plus fournie. La république doit encore protéger la liberté de tous les enfants de recevoir une instruction portant sur des savoirs objectifs, sans omettre telle ou telle question au motif que cela froisserait quelque secte obscurantiste. Il s’agit de garantir pour tous des perspectives de vie sûres. Tous ces principes figurent dans la déclaration de 1946 annexée à la constitution et dont la simple réalisation sérieuse serait à elle seule, dans les circonstances présentes, une véritable révolution.
En second lieu, si on pense l’émancipation sociale comme la possibilité pour la grande masse de prendre en main ses propres affaires, cela nécessite évidemment l’existence d’un espace public de débat et de luttes politiques dans lequel justement cette grande masse peut s’auto-éduquer et prendre effectivement son sort en main. Dans les dernières années de sa vie, Marx estimait que la république parlementaire après avoir été la forme de constitution de la domination bourgeoise serait la forme de sa dissolution : il avait toujours en vue ce communisme qui donnerait à chacun selon ses besoins, demanderait de chacun selon ses capacités et ouvrirait la voie à la liberté réelle, celle qui permet l’épanouissement de toutes les potentialités résidant en chaque individu. Mais précisément la république parlementaire, une « république à la Clemenceau », lui semblait, à juste titre, le pont entre aujourd’hui et demain. Ceux qui opposent une république sociale rêvée à la lutte pour la défense élémentaire des principes républicains n’ont pas besoin de pont pour gagner l’autre rive ; avec des paroles radicales, ils se satisfont de rester où ils sont.
La lutte sociale a besoin d’un espace commun où se confrontent les programmes politiques, où peut s’exprimer le libre jeu de la lutte des classes, de l’antagonisme permanent entre les « grands » et le « peuple », comme l’aurait dit Machiavel. C’est pour cette raison que la laïcité, « à la française » est la prunelle de nos yeux, à nous qui luttons pour l’émancipation humaine. La laïcité reconnaît la liberté de conscience, la liberté pour chacun de croire en ce qu’il veut ou de ne pas croire du tout, c’est-à-dire de s’émanciper de toutes les superstitions qui font que trop souvent les hommes luttent pour leur servitude comme s’il agissait de leur salut (Spinoza). Mais si les croyances sont libres, la république laïque « ne reconnaît ni ne salarie aucun culture », c’est-à-dire qu’elle refuse aux religions le droit d’organiser la vie sociale et politique. On nous dit, ici et là : « ne vous occupez pas du voile ou des prescriptions religieuses, occupez vous des luttes sociales ». Soit. Mais comment la lutte sociale peut-elle se développer quand les sectes religieuses divisent les hommes et les femmes, séparent les ouvriers selon qu’ils sont blancs ou « indigènes » ? Les dominants ne s’y sont pas trompés. Ils exploitent méthodiquement les sectes religieuses et les communautarismes comme autant d’armes dirigées contre l’unité du mouvement ouvrier. L’exemple américain devrait nous faire réfléchir : Mme Clinton symbolise cette alliance entre le communautarisme « black » et Wall Street alors que derrière Sanders se cherche l’unité de tous ceux d’en bas, les « 99 % », contre Wall Street.
Toute république a besoin, régulièrement, d’un « retour au principe » (Machiavel), de se renouveler en retrouvant ses origines. Nous avons besoin, aujourd’hui, d’un tel retour au premier temps, au printemps républicain, non par nostalgie d’un passé plus ou moins idéalisé, mais pour rouvrir l’avenir. La liberté qui est la liberté de combattre pour un monde meilleur, pour une société plus juste ; l’égalité qui est l’égalité des droits, l’égalité non pas en paroles mais en fait des hommes et des femmes, l’égalité contre toutes les formes de domination, y compris la domination dans la sphère privée ; la fraternité enfin, celle d’une communauté politique ouverte, unie par les principes de l’émancipation humaine.
Avril 2016
Le bonheur de vivre ensemble
Si la définition du bonheur reste ouverte, peut-être
trouvera-t-on au moins son lieu. Pour Aristote, cela ne fait aucun
doute : l’homme étant par nature un « animal
politique », la vie dans une cité (polis) régie par
des lois est le véritable bonheur. Ainsi mon bonheur personnel ne
peut pas être séparé de celui de mes compatriotes. Le bonheur de
la solitude qu’éprouve Jean-Jacques Rousseau, il n’y a rien de
plus éloigné dans la pensée d’Aristote et des Anciens en
général.
La vie dans une cité est une vie guidée par un choix réfléchi en un deuxième sens. Ce n’est plus la vie soumise à la tyrannie des désirs de celui qui n’a pas d’éducation. Par le langage les hommes se signifient mutuellement l’utile et l’inutile, le juste et l’injuste, le bien et le mal. C’est pourquoi dans la cité les hommes sont soumis à la loi et non à l’instinct. La loi est un acte de la raison, c'est-à-dire de la meilleure partie de nous-mêmes. Certes, les hommes ne sont ni tous ni toujours raisonnables, mais en obéissant à la loi de la cité, ils sont contraints d’agir selon des principes auxquels leur raison ne pourrait que consentir s’ils en suivaient les conseils.
On pourra objecter que cela ne rend pas heureux. Celui qui est obligé de suivre la loi de la cité ne fait donc pas ce qui lui plaît. Il doit renoncer à s’emparer du bien d’autrui qu’il convoite. Il doit accepter de donner une partie de son temps et de ses biens à la cité. Il peut même lui donner sa vie. Au contraire celui qui se moque de la loi et vit dans l’injustice peut jouir sans entrave de tous les plaisirs et même le risque encouru peut devenir excitant.
Il est possible de répondre à cette objection en montrant le caractère absolu du commandement moral, par opposition au caractère relatif du plaisir et d’opposer ainsi le devoir et le bonheur
Cependant, sans abandonner l’idée que la recherche du bonheur est la chose la plus importante dans l’existence humaine, on peut montrer que ce genre bonheur qui consiste à faire ce qui nous plait en méprisant la loi est un bonheur illusoire. Dans le dialogue de Platon intitulé Gorgias, Socrate montre que le tyran Archélaos n’est pas heureux, qui fait ce qui lui plaît, tue ses ennemis quand il le veut et s’empare de tout ce qu’il convoite. L’injustice est à la fois laide et nuisible. Comment donc pourrait-on trouver le bonheur au milieu de la laideur et des choses nuisibles ? L’homme recherche la vie heureuse, mais quand il est obligé de choisir entre commettre l’injustice et subir l’injustice, le mieux pour lui, donc la vie la meilleure, dans ce choix dramatique est encore de subir l’injustice. Pour la même raison d’ailleurs, si d’aventure on a commis une injustice, il sera meilleur de subir le châtiment que d’y échapper.
Socrate développe une deuxième série d’arguments : la recherche du plaisir ressemble au châtiment des danaïdes, condamnées à remplir un récipient percé. Nous revenons plus loin sur cet argument. Mais il y a encore une troisième série de raisons qui doivent faire préférer la vie soumise aux lois de la cité à une vie déréglée soumise à la loi du plaisir. Une vie heureuse ne se conçoit pas sans amitié, c'est-à-dire sans attachements aux autres. Or l’homme injuste ne peut avoir d’amis. Ceux qu’il aura lésés deviendront ses ennemis et même quand il s’attache des amis par sa prodigalité, ce seront des faux amis, des amis humiliés d’être ses amis uniquement parce qu’il leur fait des cadeaux ou leur donne de l’argent, des amis qui nourriront du ressentiment contre le bienfaiteur à la fortune si mal acquise. La tyrannie est le paroxysme de l’injustice et le tyran est l’homme qui n’a que des ennemis.
Dès lors, l’institution politique a pour fonction de garantir la possibilité pour chacun de rechercher le bonheur. Quel est le changement majeur par rapport à l’éthique aristotélicienne ? Chez Aristote, l’individu ne peut être heureux que dans la cité car la cité est la réalisation de l’essence humaine. Un homme isolé serait soit un dieu, soit un monstre, car il serait un homme qui n’a pas besoin des autres. Mais dans la cité l’homme est un membre de la communauté, comme la main est un membre du corps. L’idée d’une séparation entre le bonheur privé et le bonheur commun trouve difficilement place dans cette conception. Au contraire, quand on aborde la philosophie politique moderne, la cité – c'est-à-dire la vie dans un « état civil » – n’est plus la réalisation de l’essence humaine mais un moyen, rationnel autant qu’artificiel, dont les individus usent pour accomplir leurs propres fins.
Pour comprendre ce qui est en cause, il suffit de faire retour à Hobbes, à certains égards l’auteur moderne le plus pessimiste. L’état de nature, c'est-à-dire l’état dans lequel les hommes se trouvent quand ils ne sont pas soumis à un pouvoir souverain qui les tient en respect, est l’état de la guerre de chacun contre chacun. La liberté naturelle dont jouissent les hommes qui ne sont tenus par aucune loi se résume finalement à la liberté de mener une vie quasi animale, misérable et hantée par la crainte de la mort violente. Si la « loi de nature » nous commande de rechercher la paix et la sécurité et par conséquent de sacrifier notre liberté naturelle, c’est parce que le « dieu mortel » qu’est le pouvoir étatique souverain est seul à même de nous garantir les conditions d’une vie heureuse, laquelle suppose qu’on puisse jouir des bienfaits et du confort que procure le travail et l’activité. La justification de l’État réside donc dans les fins privées de l’individu. Alors que, chez Aristote, la participation à la vie publique est le bien que doit rechercher chaque homme – cela définit ce que plusieurs auteurs contemporains nomment « humanisme civique » – elle n’est nullement requise dans la conception libérale moderne dont Hobbes est l’un des fondateurs. Tant que l’État accomplit sa mission de protection, les individus peuvent mener une vie heureuse, même s’ils sont écartés de la possibilité d’influer sur les décisions politiques. Hobbes préfère pour un pouvoir monarchique fort, car un tel pouvoir tombe moins facilement dans les disputes et les guerres de factions qui menacent de faire retomber la république dans l’état de nature. Au contraire, les penseurs démocratiques estiment que le contrôle des citoyens sur le pouvoir est le meilleur d’empêcher que la protection ne tourne à la tyrannie. Mais cette différence très importante se situe à l’intérieur d’une problématique commune.
Lorsque le jeune conventionnel Saint-Just affirme que « le bonheur est une idée neuve en Europe », comment doit-on le comprendre ? Il ne s’agit pas, comme des commentateurs mal avisés l’ont cru, de définir une espèce de bonheur pour tous dont l’État fixerait la norme. Bien au contraire, Saint-Just écrit : « La liberté du peuple est dans sa vie privée ; ne la troublez point. Ne troublez que les ingrats et que les méchants. Que le gouvernement ne soit pas une puissance pour le citoyen, qu'il soit pour lui un ressort d'harmonie ; qu'il ne soit une force que pour protéger cet état de simplicité contre la force même... Il s'agit moins de rendre un peuple heureux que de l'empêcher d'être malheureux. N'opprimez pas, voilà tout. Chacun saura bien trouver sa félicité. Un peuple, chez lequel serait établi le préjugé qu'il doit son bonheur à ceux qui gouvernent, ne le conserverait pas longtemps... » Dans les temps anciens, le bonheur des individus dépendait du bonheur du Prince, de l’étendue de ses conquêtes, de sa richesse. Dans les temps modernes, le bonheur de l’État n’est rien en dehors du bonheur des individus.
Quelques textes constitutionnels importants font, de manière significative, sa place au bonheur. Le premier est la déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776, adoptée par le Congrès fondateur des États-Unis. Cette déclaration proclame parmi les droits inaliénables de l’homme, les droits à la liberté et à « la recherche du bonheur ». Précision du texte : le bonheur n’est pas un droit qu’on puisse exiger de qui que ce soit, et en particulier de l’État. Il est seulement requis que l’organisation politique soit conçue de telle sorte que chacun ait la possibilité de rechercher le bonheur, sans que soit précisé, de quelque manière que soit, en quoi celui-ci réside.
La constitution des États-Unis, adoptée en 1787, affirme dès le préambule poursuivre « le bien-être général ». A cette fin, d’ailleurs, la section 8 de l’article I établit de manière très large le domaine d’intervention du gouvernement. Le bien-être n’est pas le bonheur. Mais le bonheur ne semble pas facile à concevoir dès lors qu’on en est privé. Le bien-être peut donc être interprété comme le moyen ou la condition sine qua non de la recherche du bonheur. Une deuxième interprétation de ce préambule est possible, une interprétation utilitariste : il ne s’agirait pas d’assurer à chacun un lot de biens primaires, mais bien plutôt d’une définition du bien commun, comme la maximisation du bien-être, c'est-à-dire l’élévation moyenne de la richesse sociale, indépendamment des droits et libertés de chacun : le bien-être général peut fort bien se satisfaire du mal-être de quelques-uns dès que ce mal-être d’une minorité est reconnu comme la condition d’une élévation du bien-être moyen. Entre une éthique des droits inaliénables, dont le droit à la poursuite du bonheur fait partie, et une éthique sacrificielle de l’utilité moyenne, il y a toutes les ambiguïtés de la révolution américaine.
Le troisième texte sur lequel il nous faut arrêter est la déclaration des droits qui fonde la constitution de l’an I, adoptée par les conventionnels français. L’article premier donne le ton : « Le but de la société est le bonheur commun. » Alors que la première déclaration, en 1789, se contente de proclame des droits et des immunités et ne se préoccupe ni du bonheur ni vraiment de l’égalité, en 1793, l’égalité fait partie des droits fondamentaux, et la société doit des secours aux particuliers. Le bonheur commun suppose donc que les citoyens se trouvent placés sur un relatif pied d’égalité non seulement formellement – ce qu’indique l’égalité juridique – mais aussi effectivement, dans la vie matérielle. Il suppose aussi que les citoyens partagent des valeurs et des biens et qu’ils le partagent selon les lois de l’amitié ou de la fraternité. Si le bonheur est commun, les hommes sont frères. Il y a ainsi dans cette déclaration de 1793 quelque chose qui va bien au-delà du libéralisme politique et du républicanisme classique. D’un côté, on revient à l’humanisme civique d’Aristote : le bonheur commun, c’est la participation commune à la vie de la patrie, c’est la « philia » grecque qui se nomme maintenant fraternité. Mais, comme le dit Marx, les hommes quand ils font l’histoire « évoquent craintivement les esprits du passé » car « a tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants ».
Il y a, dans cette reconnaissance du droit à chacun de poursuivre les fins qu’il juge bonne, un deuxième aspect tout aussi épineux. Tous les biens que nous recherchons, nous les considérons comme autant d’éléments d’une « conception englobante » du bien, dirions-nous pour reprendre une expression de John Rawls. Par exemple, le fidèle qui économise de l’argent pour faire le voyage sur tel ou tel lieu de pèlerinage, ne recherche ni l’argent, ni les voyages, ni même les pèlerinages pour eux-mêmes. Il recherche chacun de ces biens particuliers comme des moyens de gagner la félicité éternelle. Dans une société pluraliste, reposant sur la liberté de conscience, il est évident cependant qu’aucune perspective particulière ne peut s’imposer par rapport aux autres. L’homme pieux ne peut vouloir imposer son point de vue à l’hédoniste qui pense que le bonheur suprême réside dans la jouissance ici et maintenant des plaisirs que nous offre la vie. Et réciproquement.
Le problème réside dans la définition d’une « conception raisonnable du bien ». Tous ceux qui adhèrent à une conception englobante du bien doivent certainement la tenir pour raisonnable. Un croyant doit tenir un athée pour quelqu’un de tout à fait déraisonnable puisqu’il est incapable de se rendre aux raisons de la foi. On peut néanmoins supposer qu’un croyant et un athée se retrouveront en accord pour leurs conceptions respectives du bien ne peuvent se réaliser dans une société où règne l’injustice, la misère et la tyrannie. Mais arrivés à ce point de généralités vagues, il n’est pas sûr que nous puissions aller beaucoup plus loin. Un athée va plutôt considérer qu’on ne peut pas parler de vie heureuse si on ne peut jouir de son propre corps sans crainte des conséquences non voulues. Il sera donc favorable au contrôle des naissances et à l’interruption volontaire de grossesse. Au contraire, un croyant pensera, le plus souvent, que la vie est un don de Dieu et que le contrôle des naissances en général et l’IVG en particulier sont tout à fait condamnables. Et le croyant se contentera difficilement de la réponse libérale : « chacun agit comme bon lui semble ». En effet, du point de vue religieux, il est difficile d’accepter de bon cœur de vivre dans une société où la loi positive ne fait aucune référence à la loi divine et se contente de l’approbation de la majorité des citoyens ou de la majorité des représentants.
La coexistence des perspectives de vie différentes se révèlent donc difficile dès lors qu’on met en cause les conceptions globales que les individus peuvent se faire du bien suprême, c'est-à-dire de ce qu’ils considèrent comme leur véritable bonheur. Comme la faisait remarquer Isaiah Berlin1, il n’existe pas de monde social sans perte, c'est-à-dire de monde social qui n’exclut pas des modes de vie réalisant par des voies spécifiques certaines valeurs fondamentales.
Dans cette sphère de l’immédiateté de la vie, l’homme entre dans le cycle besoin/satisfaction, un cycle qui se répète indéfiniment, sans jamais sortir de son horizon limité. La satisfaction n’est jamais absolue, dit Hegel. Or l’homme en tant qu’être spirituel veut l’absolu, d’où l’absolue insatisfaction qu’éprouve l’homme dans le « système des besoins sensibles ». C’est pourquoi la satiété des besoins naturels ne peut éteindre le désir humain qui déborde toujours les besoins naturels – le désir humain est « infini » alors que le besoin naturel est limité.
Ainsi le bien-être, le confort et tout ce qui procède de l’activité industrieuse, ne seraient pas les constituants d’un bonheur de seconde zone, un bonheur réservé au vulgaire, le bonheur illusoire de ce que nous appellerions aujourd’hui « société de consommation ». Ils ne forment pas non plus une simple condition du bonheur. Par le genre d’activité qu’il exige et par les satisfactions qu’il procure, le bien-être appartient pleinement à toute idée raisonnable d’un bonheur qui ne se conçoit que dans la participation aux bienfaits de la culture.
Une vie heureuse guidée par des choix raisonnés
La définition aristotélicienne du bonheur est complexe. Pour l’instant, tenons-nous en à ce qui concerne les rapports entre bonheur et politique. S’assembler dans une cité, c’est participer au bonheur et à une vie guidée par un choix réfléchi : voilà l’essentiel. Que la vie en cité soit guidée par un choix réfléchi cela va de soi, ou presque. Vivre en compagnie des autres hommes sous une loi commune, ce n’est pas renoncer à une liberté individuelle un peu illusoire, c’est trouver les moyens effectifs de l’accomplissement de soi. Car l’homme ne peut vivre seul. Dans le couple, dans la maisonnée, dans les relations de voisinage, dans la cité enfin, chacun peut trouver ce qui lui manque et lui permettra d’actualiser toutes ses potentialités.La vie dans une cité est une vie guidée par un choix réfléchi en un deuxième sens. Ce n’est plus la vie soumise à la tyrannie des désirs de celui qui n’a pas d’éducation. Par le langage les hommes se signifient mutuellement l’utile et l’inutile, le juste et l’injuste, le bien et le mal. C’est pourquoi dans la cité les hommes sont soumis à la loi et non à l’instinct. La loi est un acte de la raison, c'est-à-dire de la meilleure partie de nous-mêmes. Certes, les hommes ne sont ni tous ni toujours raisonnables, mais en obéissant à la loi de la cité, ils sont contraints d’agir selon des principes auxquels leur raison ne pourrait que consentir s’ils en suivaient les conseils.
On pourra objecter que cela ne rend pas heureux. Celui qui est obligé de suivre la loi de la cité ne fait donc pas ce qui lui plaît. Il doit renoncer à s’emparer du bien d’autrui qu’il convoite. Il doit accepter de donner une partie de son temps et de ses biens à la cité. Il peut même lui donner sa vie. Au contraire celui qui se moque de la loi et vit dans l’injustice peut jouir sans entrave de tous les plaisirs et même le risque encouru peut devenir excitant.
Il est possible de répondre à cette objection en montrant le caractère absolu du commandement moral, par opposition au caractère relatif du plaisir et d’opposer ainsi le devoir et le bonheur
Cependant, sans abandonner l’idée que la recherche du bonheur est la chose la plus importante dans l’existence humaine, on peut montrer que ce genre bonheur qui consiste à faire ce qui nous plait en méprisant la loi est un bonheur illusoire. Dans le dialogue de Platon intitulé Gorgias, Socrate montre que le tyran Archélaos n’est pas heureux, qui fait ce qui lui plaît, tue ses ennemis quand il le veut et s’empare de tout ce qu’il convoite. L’injustice est à la fois laide et nuisible. Comment donc pourrait-on trouver le bonheur au milieu de la laideur et des choses nuisibles ? L’homme recherche la vie heureuse, mais quand il est obligé de choisir entre commettre l’injustice et subir l’injustice, le mieux pour lui, donc la vie la meilleure, dans ce choix dramatique est encore de subir l’injustice. Pour la même raison d’ailleurs, si d’aventure on a commis une injustice, il sera meilleur de subir le châtiment que d’y échapper.
Socrate développe une deuxième série d’arguments : la recherche du plaisir ressemble au châtiment des danaïdes, condamnées à remplir un récipient percé. Nous revenons plus loin sur cet argument. Mais il y a encore une troisième série de raisons qui doivent faire préférer la vie soumise aux lois de la cité à une vie déréglée soumise à la loi du plaisir. Une vie heureuse ne se conçoit pas sans amitié, c'est-à-dire sans attachements aux autres. Or l’homme injuste ne peut avoir d’amis. Ceux qu’il aura lésés deviendront ses ennemis et même quand il s’attache des amis par sa prodigalité, ce seront des faux amis, des amis humiliés d’être ses amis uniquement parce qu’il leur fait des cadeaux ou leur donne de l’argent, des amis qui nourriront du ressentiment contre le bienfaiteur à la fortune si mal acquise. La tyrannie est le paroxysme de l’injustice et le tyran est l’homme qui n’a que des ennemis.
Le droit à la poursuite du bonheur
Si le bonheur ne peut être trouvé que dans la communauté des hommes, encore faut-il que celle-ci soit constituée de telle sorte que les individus puissent s’y consacrer. L’entrée dans la modernité, entre la Renaissance et le XVIIe siècle, repose cette question avec force. En schématisant, on peut dire que les philosophies hellénistiques – stoïcisme, épicurisme – font du bonheur une affaire individuelle. L’éthique chrétienne pose la question du salut de l’âme éternelle, mais n’attache aucune valeur à la recherche du bonheur dans ce monde, car la vie terrestre n’est, en vérité, qu’une vallée de larmes où l’homme doit expier ses péchés. Au contraire, les Modernes font du bonheur, ici et maintenant, l’objet d’une recherche sensée. D’abord parce que les hommes peuvent échapper à la soumission aux puissances naturelles grâce au progrès des sciences (Descartes, cf. supra). Ensuite parce que la raison ne peut arrêter son investigation aux choses naturelles. Elle doit aussi s’occuper des affaires humaines et, les comprenant par leurs causes, les réorganiser en vue d’une vie plus heureuse. Si on refuse les explications magiques et superstitieuses des phénomènes naturels, il n’y aucune raison de continuer à adorer les fétiches politiques, à croire aux pouvoirs extraordinaires des princes et des rois. La vie politique et sociale doit maintenant être regardée à hauteur d’homme.Dès lors, l’institution politique a pour fonction de garantir la possibilité pour chacun de rechercher le bonheur. Quel est le changement majeur par rapport à l’éthique aristotélicienne ? Chez Aristote, l’individu ne peut être heureux que dans la cité car la cité est la réalisation de l’essence humaine. Un homme isolé serait soit un dieu, soit un monstre, car il serait un homme qui n’a pas besoin des autres. Mais dans la cité l’homme est un membre de la communauté, comme la main est un membre du corps. L’idée d’une séparation entre le bonheur privé et le bonheur commun trouve difficilement place dans cette conception. Au contraire, quand on aborde la philosophie politique moderne, la cité – c'est-à-dire la vie dans un « état civil » – n’est plus la réalisation de l’essence humaine mais un moyen, rationnel autant qu’artificiel, dont les individus usent pour accomplir leurs propres fins.
Pour comprendre ce qui est en cause, il suffit de faire retour à Hobbes, à certains égards l’auteur moderne le plus pessimiste. L’état de nature, c'est-à-dire l’état dans lequel les hommes se trouvent quand ils ne sont pas soumis à un pouvoir souverain qui les tient en respect, est l’état de la guerre de chacun contre chacun. La liberté naturelle dont jouissent les hommes qui ne sont tenus par aucune loi se résume finalement à la liberté de mener une vie quasi animale, misérable et hantée par la crainte de la mort violente. Si la « loi de nature » nous commande de rechercher la paix et la sécurité et par conséquent de sacrifier notre liberté naturelle, c’est parce que le « dieu mortel » qu’est le pouvoir étatique souverain est seul à même de nous garantir les conditions d’une vie heureuse, laquelle suppose qu’on puisse jouir des bienfaits et du confort que procure le travail et l’activité. La justification de l’État réside donc dans les fins privées de l’individu. Alors que, chez Aristote, la participation à la vie publique est le bien que doit rechercher chaque homme – cela définit ce que plusieurs auteurs contemporains nomment « humanisme civique » – elle n’est nullement requise dans la conception libérale moderne dont Hobbes est l’un des fondateurs. Tant que l’État accomplit sa mission de protection, les individus peuvent mener une vie heureuse, même s’ils sont écartés de la possibilité d’influer sur les décisions politiques. Hobbes préfère pour un pouvoir monarchique fort, car un tel pouvoir tombe moins facilement dans les disputes et les guerres de factions qui menacent de faire retomber la république dans l’état de nature. Au contraire, les penseurs démocratiques estiment que le contrôle des citoyens sur le pouvoir est le meilleur d’empêcher que la protection ne tourne à la tyrannie. Mais cette différence très importante se situe à l’intérieur d’une problématique commune.
Lorsque le jeune conventionnel Saint-Just affirme que « le bonheur est une idée neuve en Europe », comment doit-on le comprendre ? Il ne s’agit pas, comme des commentateurs mal avisés l’ont cru, de définir une espèce de bonheur pour tous dont l’État fixerait la norme. Bien au contraire, Saint-Just écrit : « La liberté du peuple est dans sa vie privée ; ne la troublez point. Ne troublez que les ingrats et que les méchants. Que le gouvernement ne soit pas une puissance pour le citoyen, qu'il soit pour lui un ressort d'harmonie ; qu'il ne soit une force que pour protéger cet état de simplicité contre la force même... Il s'agit moins de rendre un peuple heureux que de l'empêcher d'être malheureux. N'opprimez pas, voilà tout. Chacun saura bien trouver sa félicité. Un peuple, chez lequel serait établi le préjugé qu'il doit son bonheur à ceux qui gouvernent, ne le conserverait pas longtemps... » Dans les temps anciens, le bonheur des individus dépendait du bonheur du Prince, de l’étendue de ses conquêtes, de sa richesse. Dans les temps modernes, le bonheur de l’État n’est rien en dehors du bonheur des individus.
Quelques textes constitutionnels importants font, de manière significative, sa place au bonheur. Le premier est la déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776, adoptée par le Congrès fondateur des États-Unis. Cette déclaration proclame parmi les droits inaliénables de l’homme, les droits à la liberté et à « la recherche du bonheur ». Précision du texte : le bonheur n’est pas un droit qu’on puisse exiger de qui que ce soit, et en particulier de l’État. Il est seulement requis que l’organisation politique soit conçue de telle sorte que chacun ait la possibilité de rechercher le bonheur, sans que soit précisé, de quelque manière que soit, en quoi celui-ci réside.
La constitution des États-Unis, adoptée en 1787, affirme dès le préambule poursuivre « le bien-être général ». A cette fin, d’ailleurs, la section 8 de l’article I établit de manière très large le domaine d’intervention du gouvernement. Le bien-être n’est pas le bonheur. Mais le bonheur ne semble pas facile à concevoir dès lors qu’on en est privé. Le bien-être peut donc être interprété comme le moyen ou la condition sine qua non de la recherche du bonheur. Une deuxième interprétation de ce préambule est possible, une interprétation utilitariste : il ne s’agirait pas d’assurer à chacun un lot de biens primaires, mais bien plutôt d’une définition du bien commun, comme la maximisation du bien-être, c'est-à-dire l’élévation moyenne de la richesse sociale, indépendamment des droits et libertés de chacun : le bien-être général peut fort bien se satisfaire du mal-être de quelques-uns dès que ce mal-être d’une minorité est reconnu comme la condition d’une élévation du bien-être moyen. Entre une éthique des droits inaliénables, dont le droit à la poursuite du bonheur fait partie, et une éthique sacrificielle de l’utilité moyenne, il y a toutes les ambiguïtés de la révolution américaine.
Le troisième texte sur lequel il nous faut arrêter est la déclaration des droits qui fonde la constitution de l’an I, adoptée par les conventionnels français. L’article premier donne le ton : « Le but de la société est le bonheur commun. » Alors que la première déclaration, en 1789, se contente de proclame des droits et des immunités et ne se préoccupe ni du bonheur ni vraiment de l’égalité, en 1793, l’égalité fait partie des droits fondamentaux, et la société doit des secours aux particuliers. Le bonheur commun suppose donc que les citoyens se trouvent placés sur un relatif pied d’égalité non seulement formellement – ce qu’indique l’égalité juridique – mais aussi effectivement, dans la vie matérielle. Il suppose aussi que les citoyens partagent des valeurs et des biens et qu’ils le partagent selon les lois de l’amitié ou de la fraternité. Si le bonheur est commun, les hommes sont frères. Il y a ainsi dans cette déclaration de 1793 quelque chose qui va bien au-delà du libéralisme politique et du républicanisme classique. D’un côté, on revient à l’humanisme civique d’Aristote : le bonheur commun, c’est la participation commune à la vie de la patrie, c’est la « philia » grecque qui se nomme maintenant fraternité. Mais, comme le dit Marx, les hommes quand ils font l’histoire « évoquent craintivement les esprits du passé » car « a tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants ».
D’un autre côté, cette
république radicale, toute imprégnée des souvenirs romains,
anticipe le communisme, et d’abord celui de Gracchus Babeuf qui se
place précisément sous l’enseigne du bonheur commun. Mais cette
anticipation n’était pas autre chose que la tentative désespérée
de sauter par-dessus sa propre tête, de faire fi de la réalité
sociale et politique de l’époque. Le « bonheur commun »
devait céder la place à une société noyée dans les eaux glacées
du calcul égoïste…
La recherche du bonheur au pluriel
Il y a différentes manières de définir la spécificité des règles d’organisation sociale qui s’inventent en Europe et aux États-Unis au XVIIIe siècle. La liberté politique et religieuse est au rang des innovations décisives. Mais, après tout, la liberté politique est bien plus ancienne que le libéralisme politique. Ce qui est peut-être le plus nouveau, c’est le possibilité pour chaque individu de choisir la perspective de vie qui lui semble bonne. Les sociétés traditionnelles affirment justement que ce qui est le meilleur pour tous, c’est la tradition, même si la tradition rend tel ou tel malheureux. Le théâtre de Molière exprime cette transformation : les jeunes gens finissent par épouser l’élu ou l’élue de leur cœur, contre les mariages arrangés. Le mariage, d’institution sociale, devient un des éléments du bonheur individuel.La diversité des perspectives de vie
A la place d’un bonheur indéfini, nos sociétés ont fait de la réussite un substitut du bonheur. Nous n’aspirons plus à la vie bonne mais à une vie réussie. La réussite en amour, la réussite sociale, la réussite dans ses aspirations individuelles quelles qu’elles soient. La réussite sociale suppose que les carrières, les postes et la richesse soient ouverts à tous. Pour la réussite en amour, on sait moins comment cela pourrait être ouvert à tous, en dépit des nombreux magazines qui prodiguent leurs conseils ! Il y a cependant, dans ces affirmations du droit au bonheur individuel, sur lesquelles reposent nos sociétés, quelque chose qui ressemble à un déni du réel. Le choix du partenaire conjugal est loin d’être libre de tout déterminisme social. Dans les contes de fées, les bergères épousent des princes charmants et des petits cordonniers deviennent rois, mais dans notre réalité, il en va rarement ainsi ! La réussite sociale n’est, certes, interdite à personne. Mais cela ne dit rien des possibilités effectives de chacun à y accéder. L’égalité des chances est un article de programme politique, au contenu indéterminé. C’est encore la chance, par définition non égale pour tous, qui détermine la réussite.Il y a, dans cette reconnaissance du droit à chacun de poursuivre les fins qu’il juge bonne, un deuxième aspect tout aussi épineux. Tous les biens que nous recherchons, nous les considérons comme autant d’éléments d’une « conception englobante » du bien, dirions-nous pour reprendre une expression de John Rawls. Par exemple, le fidèle qui économise de l’argent pour faire le voyage sur tel ou tel lieu de pèlerinage, ne recherche ni l’argent, ni les voyages, ni même les pèlerinages pour eux-mêmes. Il recherche chacun de ces biens particuliers comme des moyens de gagner la félicité éternelle. Dans une société pluraliste, reposant sur la liberté de conscience, il est évident cependant qu’aucune perspective particulière ne peut s’imposer par rapport aux autres. L’homme pieux ne peut vouloir imposer son point de vue à l’hédoniste qui pense que le bonheur suprême réside dans la jouissance ici et maintenant des plaisirs que nous offre la vie. Et réciproquement.
Coexistence des conceptions du bien
Si les individus menaient des existences séparées, la coexistence de ces perspectives différentes ne soulèverait aucune difficulté. Mais les individus ne mènent pas des existences séparées ; ils appartiennent à des communautés qui font qu’ils sont ce qu’ils sont. Il faut donc que les individus composant une société donnée partagent un certain nombre de principes de vie minimaux, quelles soient par ailleurs leurs autres perspectives. La « théorie de la justice » de John Rawls a cette ambition : définir une conception politique qui puisse être la base d’un consensus par recoupement entre les diverses conceptions raisonnables du bien. L’idéal laïque procède de là : une société dans laquelle chacun peut construire sa propre perspective de bonheur sans mettre en cause la possibilité pour tout autre de construire la sienne propre.Le problème réside dans la définition d’une « conception raisonnable du bien ». Tous ceux qui adhèrent à une conception englobante du bien doivent certainement la tenir pour raisonnable. Un croyant doit tenir un athée pour quelqu’un de tout à fait déraisonnable puisqu’il est incapable de se rendre aux raisons de la foi. On peut néanmoins supposer qu’un croyant et un athée se retrouveront en accord pour leurs conceptions respectives du bien ne peuvent se réaliser dans une société où règne l’injustice, la misère et la tyrannie. Mais arrivés à ce point de généralités vagues, il n’est pas sûr que nous puissions aller beaucoup plus loin. Un athée va plutôt considérer qu’on ne peut pas parler de vie heureuse si on ne peut jouir de son propre corps sans crainte des conséquences non voulues. Il sera donc favorable au contrôle des naissances et à l’interruption volontaire de grossesse. Au contraire, un croyant pensera, le plus souvent, que la vie est un don de Dieu et que le contrôle des naissances en général et l’IVG en particulier sont tout à fait condamnables. Et le croyant se contentera difficilement de la réponse libérale : « chacun agit comme bon lui semble ». En effet, du point de vue religieux, il est difficile d’accepter de bon cœur de vivre dans une société où la loi positive ne fait aucune référence à la loi divine et se contente de l’approbation de la majorité des citoyens ou de la majorité des représentants.
La coexistence des perspectives de vie différentes se révèlent donc difficile dès lors qu’on met en cause les conceptions globales que les individus peuvent se faire du bien suprême, c'est-à-dire de ce qu’ils considèrent comme leur véritable bonheur. Comme la faisait remarquer Isaiah Berlin1, il n’existe pas de monde social sans perte, c'est-à-dire de monde social qui n’exclut pas des modes de vie réalisant par des voies spécifiques certaines valeurs fondamentales.
Le bonheur et le bien-être
Le bonheur ne peut pas être une affaire purement intérieure. Faire du moi une forteresse inaccessible aux malheurs du temps, au revers de la fortune ou tout simplement au cours normal de la vie humaine dont la mort constitue inéluctablement le terme, voilà ce que proposent les stoïciens. Mais comme le dit Hegel,« l’homme ne peut se retenir dans l'intérieur comme tel, dans la pensée pure, dans le monde des lois et de leur universalité ; il a besoin aussi de l'existence sensible, du sentiment, du coeur, de l'âme, etc. »2Il ne s’agit pas seulement de la satisfaction des besoins naturels. En tant que telle, celle-ci ne rend pas heureux. Le cycle des besoins n’a pas de fin. Comme le dit encore Hegel,
« dans ce domaine naturel de l'existence humaine, le contenu de la satisfaction est de type fini et limité ; la satisfaction n'est pas absolue et produit donc sans arrêt de nouveaux besoins ; la nourriture, le sommeil, la satiété ne servent à rien, la faim et la fatigue recommencent à nouveau le matin. »Mais l’homme ne peut trouver le bonheur dans la simple satisfaction des besoins naturels. C’est l’esprit encore qui doit être satisfait.
Dans cette sphère de l’immédiateté de la vie, l’homme entre dans le cycle besoin/satisfaction, un cycle qui se répète indéfiniment, sans jamais sortir de son horizon limité. La satisfaction n’est jamais absolue, dit Hegel. Or l’homme en tant qu’être spirituel veut l’absolu, d’où l’absolue insatisfaction qu’éprouve l’homme dans le « système des besoins sensibles ». C’est pourquoi la satiété des besoins naturels ne peut éteindre le désir humain qui déborde toujours les besoins naturels – le désir humain est « infini » alors que le besoin naturel est limité.
C'est ainsi que l'homme, dans l'élément du spirituel, s'efforce de parvenir à la satisfaction et à la liberté dans la connaissance et la volonté, l'apprentissage et les actions.Sortir de ce dilemme, ce n’est donc ni se retirer dans la pensée pure, ni s’abandonner au système des besoins sensibles. C’est tout simplement trouver la satisfaction dans une action commandée par l’élément spirituel.
L'homme ignorant n'est pas libre, car il trouve en face de lui un monde étranger, un delà et un dehors dont il dépend, sans qu'il l'ait réalisé pour lui-même et sans qu'il séjourne en lui comme dans ce qui lui appartient.L’ignorant n’est pas libre : cela veut dire que la liberté effective réside dans le savoir. L’esprit est libre parce qu’il sait et qu’il se sait. L’homme ignorant n’est pas libre parce qu’il ne comprend pas le monde extérieur. L’esprit et la réalité naturelle semblent immédiatement en opposition. Alors que dans la science, la réalité naturelle devient réalité pensée, esprit. Face à une réalité qu’il ne connaît pas l’homme est conduit à constater son état de dépendance à l’égard de la nature et l’étrangeté à l’égard de lui-même. La liberté consiste à séjourner dans le monde comme ce qui appartient à l’homme : il faut que réalité extérieure soit non seulement connue mais aussi façonnée par l’homme. Abolir cette étrangeté du monde, c’est l’action rationnellement pensée qui le peut. L’activité pratique productrice est ainsi inséparable de la connaissance.
L'impulsion du savoir, l'aspiration à la connaissance, en partant des niveaux les plus bas jusqu'au niveau suprême de la compréhension philosophique, ne naît que de l'effort de dépasser cet état de non liberté et de s'approprier le monde par la représentation et la pensée. Inversement, la liberté dans l'action vise à réaliser la rationalité de la volonté.L’impulsion du savoir, c’est la pulsion de la liberté. Mais cette liberté, ce n’est évidemment pas la liberté creuse de pure indifférence, ni la possibilité de faire ce qui plaît. La liberté, c’est l’appropriation du monde et donc la réalisation de soi. Mais comme Hegel veut « penser le réel », cette impulsion du savoir, cette aspiration à la connaissance, elles commencent par le niveau le plus bas, par ce qui se passe dans la vie quotidienne, les savoir-faire empiriques, pour s’élever par degrés et transformations à la science. Le savoir conduit à la liberté, ou plutôt rend effective une liberté qui ne serait que la liberté contenue en soi dans l’esprit humain mais restée enfermée sans la construction de la culture humaine. Mais, en sens inverse, le savoir se réalise dans l’action volontaire. Volonté libre et savoir ne sont ainsi qu’une seule et même chose. Sans savoir, il n’y pas de volonté libre. Et c’est seulement dans l’exercice de cette volonté libre, transformant le monde extérieur en son propre monde que l’homme peut trouver le bonheur.
Ainsi le bien-être, le confort et tout ce qui procède de l’activité industrieuse, ne seraient pas les constituants d’un bonheur de seconde zone, un bonheur réservé au vulgaire, le bonheur illusoire de ce que nous appellerions aujourd’hui « société de consommation ». Ils ne forment pas non plus une simple condition du bonheur. Par le genre d’activité qu’il exige et par les satisfactions qu’il procure, le bien-être appartient pleinement à toute idée raisonnable d’un bonheur qui ne se conçoit que dans la participation aux bienfaits de la culture.
1
Voir « La recherche de l’idéal » in Le bois tordu
de l’humanité.
2
Hegel : Esthétique, première partie, « De l’idée
du beau artistique », trad. Bénard, « Le livre de
poche ».
Le socialisme et la question nationale
Intervention de Denis Collin - Congrès Marx
International 2007.
La question de la nation a
été la grande oubliée de la politique des organisations de gauche
au cours des dernières décennies. J’ai eu l’occasion de montrer
ailleurs quelles conséquences cela avait eu dans l’échec de la
gauche au cours des dernières années. Le monopole de la réflexion
sur la nation laissé aux « souverainistes » a interdit
aux militants des organisations du mouvement ouvrier de comprendre ce
qui s’est pas dans une classe ouvrière déboussolée, profondément
divisée par la dislocation de ses bastions (qu’on songe à
l’opération chirurgicale menée dans la sidérurgie à la fin des
années 70 et au « sale boulot » accompli par le
gouvernement de la gauche dans les années 83-86). Aujourd’hui,
parler « nation » à gauche, c’est encourir le soupçon
d’être un nationaliste, un raciste sournois ou d’être même une
sorte de « rouge-brun », ce fantôme que certaines têtes
pensantes de gauche ont entrepris de chasser sous tous ses
déguisements…
Il me semble au contraire,
que redéfinir la place de la nation dans une stratégie socialiste
réaliste, dans les conditions actuelles est un des chantiers urgents
à ouvrir ou à rouvrir, non pas seulement pour les peuples colonisés
comme on le pensait jadis, mais aussi pour les pays avancés et même
pour les anciennes puissances impérialistes.
En premier lieu je voudrais
donner un rapide coup d’œil rétrospectif sur la question. Puis
j’examinerai les raisons ou plutôt les mauvaises raisons de ceux
qui refoulent cette question nationale et en particulier de quelques
penseurs de « l’altermondialisme ». Enfin j’essaierai
de montrer en quoi la nation est à la fois un des éléments de
résistance à la destruction du mouvement ouvrier, et, en même
temps, qu’elle peut et doit être intégrée dans un programme
d’émancipation sociale, dans un programme de transformation
socialiste.
Rapide retour en arrière
Oubli de la nation par le
mouvement ouvrier ? Cela n’a pas toujours été le cas :
de Marx à Otto Bauer en passant par Lénine, le mouvement ouvrier
n’a pas manqué de réflexions théoriques sur la question
nationale. Le meeting de St Martin Hall, en 1864 qui fonda la
première Internationale avait deux objets sans rapport immédiat
avec la défense des intérêts internationaux de la classe
ouvrière : la défense de l’indépendance nationale de la
Pologne et celle de l’Irlande. On rappellera également
l’importance de la question nationale dans la révolution russe, la
polémique entre Lénine et Rosa sur le droit à l’autodétermination
des nations opprimées par l’empire russe, une polémique dans
laquelle, on doit bien le reconnaître, la raison était du côté de
Lénine.
Même internationaliste, le
socialisme traditionnel reste lui aussi fidèle au cadre des nations.
L’internationalisme suppose l’égalité des nations. « Une
nation qui en opprime une autre ne saurait être libre » disait
Marx à l’adresse des ouvriers anglais qu’il appelait à soutenir
la cause nationale irlandaise. La liberté des nations d’Europe
centrale et orientale, singulièrement de la Pologne, à l’égard
du joug du tsarisme russe fut une autre des grandes causes soutenues
par Marx.1
Et si la lutte des classes est internationale dans son contenu, elle
reste nationale dans sa forme, et la forme n’est pas une question
secondaire, puisque c’est ce qui permet l’existence déterminée
effective, de la matière. Certes, « les prolétaires n’ont
pas de patrie », mais c’est seulement dans le cadre national,
en posant la question de la conquête du pouvoir politique que
l’émancipation de la classe ouvrière peut être engagée.
Mais l’expérience
dramatique du « court XXe
siècle est passée par là. Ralliement de la social-démocratie à
l’impérialisme au nom de la défense de la nation, soutien de la
social-démocratie aux aventures coloniales – le rôle de la SFIO
de l’expédition de Suez à la guerre d’Algérie est encore dans
toutes les mémoires. Défendre la nation ? Poser la question,
c’est presque déjà glisser du côté du « social-chauvinisme ».
On veut bien encore admettre
que la lutte des nations colonisées contre l’impérialisme est une
dimension essentielle de la deuxième moitié du siècle passé. Mais
fondamentalement on considère que ce n’était qu’une étape vers
la disparition des nations. La nation, après l’expérience des
deux guerres mondiales ; est le plus souvent sommairement
renvoyée au nationalisme et après le « national-socialisme »,
il semble bien que le socialisme ne doit plus rien avoir à voir
avec la nation.
Les mauvaises raisons du « mondialisme » de gauche
La crise manifeste de
l’État-nation, dont les fonctions semblent souvent absorbées dans
la « gouvernance » mondiale ou régionale (UE) semble
confirmer ce diagnostic. La hantise d’un retour au chauvinisme et
au « social-impérialisme » a ainsi poussé une bonne
partie de la gauche à refuser toute politique qui pourrait, d’une
manière ou d’une autre, apparaître comme défendant les nations
ou l’État-nation. « Les frontières, on s’en fout »
n’était-il pas un des slogans de mai 68 ?
Je voudrais illustrer cet
aspect des choses en prenant les thèses de ceux qui sont allés le
plus loin dans cette voie, à savoir Negri et Hardt dans leur livre
Empire.
Negri s’est illustré et a illustré la logique de sa position
politique il y a deux ans et demi, en 2005, en participant à un
meeting de soutien au TCE aux côtés de Julien Dray et Daniel
Cohn-Bendit. Dans ce meeting Negri a affirmé qu’il fallait
soutenir la constitution Giscard pour en finir avec « cette
merde d’État-nation » (sic). Plusieurs des partisans en vue
de Toni Negri en France, comme Yann Moulier-Boutang, animateur de la
revue Multitudes,
s’étaient également engagés dans la campagne pour le « oui ».
Au-delà des thèses de
Negri sur lesquelles je reviens à l’instant, il y a là-dedans
quelque chose qui concerne tout le mouvement « alter-mondialiste ».
Il faut remarquer qu’un mouvement qui s’était défini au départ
comme « anti-mondialisation » ou encore, en dehors de
France, sous le slogan « No global », a, finalement,
décidé changer d’appellation précisément pour qu’on comprenne
bien qu’il ne voulait pas de repli sur la nation et qu’il était,
lui aussi, pour dépasser les frontières et les cadres nationaux,
même si c’était d’une manière bien différente du
« libéralisme ».
Si
on veut comprendre ce dont il s’agit, il faut s’arrêter à la
« bible » du mouvement altermondialiste radical, Empire,
de Negri et Hardt.2
L’éditeur français présente même ce livre comme le Manifeste
communiste de notre époque. Ancien
maître à penser de l’extrême-gauche italienne, poursuivi pour
son soutien et sa participation à des groupes ayant mené des
actions terroristes pendant les « années de plomb » en
Italie, Negri est devenu l’inspirateur de tout un courant
intellectuel, qui s’exprime, notamment, dans la revue
« Multitudes ».
Ce courant combine quelques références marxistes, une relecture
souvent hasardeuse de Spinoza, une attention toute particulière au
problème des « sans-papiers » et de l’immigration et
plus généralement de tout ce mouvement social hétéroclite dans
lequel s’est recyclé le gauchisme. Mais, à la différence des
groupes révolutionnaires, trotskystes par exemple, les « negristes »
ne croient pas ou plus à la révolution dans son sens classique,
c’est-à-dire comme conquête du pouvoir politique par les
représentants politiques de la classe ouvrière ou plus généralement
des classes opprimées. Ils militent pour un mouvement global de
contestation d’un ordre lui-même global et qu’ils nomment
« Empire ». Mais qu’on ne s’y trompe pas :
l’Empire, ce n’est pas l’impérialisme ! Et encore moins
l’impérialisme américain.3
L’Empire est décentralisé et déterritorialisé. Pour parodier
Pascal, on pourrait dire que son centre est partout et sa
circonférence nulle part, bref il est infini. Lénine avait défini
l’impérialisme comme « stade suprême du capitalisme »,
stade de capitalisme pourrissant ou devenu parasitaire, un stade où
le mode de production capitaliste a définitivement épuisé toute
puissance de progrès et où il est devenu « la réaction sur
toute la ligne ». Rien de tel pour les auteurs d’Empire.
Negri et Hardt se défendent de toute « dialectique » :
le mal (impérialiste) n’est censé accoucher d’un bien ;
ils prétendent s’en tenir à « l’immanence »4,
c’est-à-dire qu’ils refusent de penser le réel à partir d’un
au-delà imaginé. Cependant, « l’Empire » représente
pour eux un progrès historique : « la construction de
l’Empire est un pas en avant pour se débarrasser de toute
nostalgie envers les anciennes structures de pouvoir qui l’ont
précédé et refuser toute stratégie politique impliquant le retour
à ce vieux dispositif – comme de chercher à ressusciter
l’État-nation pour chercher à se protéger contre le capital
mondial. »5
C’est beau comme du Alain Minc, l’auteur de « la
mondialisation heureuse ». Mais on ne s’arrête pas là. Dans
un élan qui ira droit au cœur de George W. Bush bombardant l’Irak
ou de Clinton bombardant la Serbie, nos deux bons apôtres écrivent :
« on peut voir aujourd’hui que l’Empire liquide les régimes
cruels de pouvoir modernes et augmente ainsi les potentialités de
libération. »6
Et il n’y a pas à s’en faire puisque la construction de l’Empire
est sa propre destruction, ainsi que l’expliquent les deux auteurs
qui, tout refusant toute « dialectique » reprennent sans
broncher les schémas de la dialectique hégélienne. C’est le
« drame ontologique » qui « se lève sur une scène
où le développement de l’Empire devient son propre critique. »7
Negri et Hardt ne sont certes pas des thuriféraires des
gouvernements de Washington, mais leur raisonnement est celui même
qui a conduit quelques ex-marxistes (Romain Goupil, ex LCR
« guévariste », Yves Roucaute, ex-dirigeant de l’UEC,
etc.) à se transformer en « intellectuels embarqués »8
des armées US. Certains d’entre eux le regrettent un peu
aujourd’hui, mais l’honnêteté intellectuelle n’étant pas
leur fort, ils refusent de faire l’analyse de cette « erreur
d’appréciation » - on les retrouve d’ailleurs tous, ou
presque, dans la revue Le meilleur
des mondes, carrefour des
« néocons » à la française…
Si on doit donc se féliciter
de la construction de l’Empire, c’est que celui-ci sonne le glas
d’une modernité occidentale, accusée de tous les maux :
« les hécatombes des deux guerres mondiales, la boucherie de
Verdun », etc. « En bref, si cette modernité-là a pris
fin, et si l’État-nation moderne qui servait de condition
obligatoire pour la domination impérialiste et les guerres
innombrables est en voie de disparition de la scène du monde, alors
bon débarras ! »9
Ainsi, c’est l’Empire qui nous débarrasse de l’impérialisme
et des « guerres innombrables » ! Les 100 000
morts de la seconde guerre du Golfe10
auraient bien aimé le savoir plus tôt. Mais il est vrai que le
« régime cruel » de Saddam Hussein n’avait pas permis
à ses sujets de lire Empire.
Faire de l’impérialisme une conséquence de l’État-nation,
c’est, d’une part, faux et, d’autre part, cela apporte un
soutien inappréciable aux impérialismes.
C’est faux, parce que,
comme l’a montré avec beaucoup de subtilité Hannah Arendt,
l’impérialisme ne peut s’édifier que sur la base de la
subversion de l’État-nation.11
« C’est de l’extérieur que les conditions du pouvoir
moderne, qui font de la souveraineté nationale une dérision, sauf
pour les États géants, la montée de l’impérialisme et les
mouvements annexionnistes ont sapé le système européen de
l’État-nation. Car aucun de ces facteurs n’était directement
issu de la tradition ou des institutions des États-nations
eux-mêmes. »12
Pour Arendt, ce n’est pas
la construction d’un espace politique national qui est à l’origine
du colonialisme et de l’impérialisme. Ce sont des conditions
« extérieures », c’est-à-dire essentiellement liées
à la puissance des intérêts économiques privés qui vont
expliquer ce processus. Hardt et Negri critiquent « la
nostalgique utopie » de Hannah Arendt pour « l’espace
politique »13.
Mais précisément, l’impérialisme, en détruisant les
États-nations, détruit cet espace commun qui fait des hommes autre
chose que des représentants de l’espèce humaine conçue comme
espèce zoologique, qui fait des hommes des « animaux
politiques » et non simplement des animaux grégaires comme les
abeilles et les fourmis. Le danger, pour Arendt, est celui d’une
« civilisation globale, coordonnée à l’échelle
universelle »14.
Une telle civilisation sonnerait le glas des droits de l’homme :
« Le paradoxe impliqué par la perte des Droits de l’Homme,
c’est que celle-ci survient au moment où une personne devient un
être humain en général – sans profession, sans citoyenneté,
sans opinion, sans actes par lesquels elle s’identifie et se
particularise » : avant que le terme ne soit à la mode,
Arendt décrit ici la mondialisation ou la globalisation, pour parler
comme les anglo-saxons, c’est-à-dire la construction d’un monde
d’hommes sans qualités, déracinés de toute appartenance à une
communauté politique qui, seule, fait de l’homme un sujet. C’est
pourquoi la personne « apparaît comme différente en général,
ne représentant rien d’autre que sa propre et absolument unique
individualité qui, en l’absence d’un monde commun où elle
puisse s’exprimer et sur lequel elle puisse intervenir, perd toute
signification. »
Le triomphe de l’individu
intervient donc dans des conditions telles que l’individualité, la
subjectivité, perd tout sens. Dans ce processus de « globalisation »
que Hardt et Negri décrivent comme une rupture avec l’impérialisme
classique et comme porteur d’un potentiel d’émancipation, Arendt
voit, au contraire, l’achèvement des tendances totalitaires. Loin
de réaliser l’universalité humaine, la destruction de
l’État-nation ouvre la voie à une situation où « à force
d’avoir imposé à des millions de gens des conditions de vie qui,
en dépit des apparences sont les conditions de vie des sauvages »,
notre « civilisation globale » va se mettre à « produire
des barbares nés dans son propre sein. »15
Ces nouveaux barbares que Hardt et Negri appellent de leurs vœux
parce qu’ils sauront transgresser toutes les frontières (les
frontières sexuelles, les frontières entre l’homme et la machine,
y compris).16
Negri et Hardt apportent un
soutien inappréciable aux impérialismes réellement existants. En
effet, si l’État-nation est l’horreur qu’ils dépeignent, les
Algériens ou les Vietnamiens luttant contre les impérialismes
français ou américain ont commis une erreur historique. Ils
auraient mieux fait de laisser l’Empire se construire pour détruire
définitivement toute nostalgie envers l’État-nation. L’antienne
de Hardt-Negri est cependant assez ancienne. Déjà Guy Mollet
organisait la guerre en Algérie au nom de l’internationalisme
prolétarien : en se battant pour leur État-nation, les
nationalistes algériens n’opposaient-ils pas les prolétariats
algérien et français métropolitain ? Certes Negri et Hardt,
sans doute pris d’un vague soupçon, introduisent sans crier gare
la distinction entre l’État-nation (dictatorial par essence, selon
eux) et le « nationalisme subalterne » qui serait
progressiste, au moins partiellement. Il reste que, tout bien pesé,
la « libération nationale » reste un « cadeau
empoisonné »17,
et le véritable moteur de tout le processus historique est « le
désir déterritorialisant » (sic).
En réalité, la vision
« negriste » est proprement idéologique au sens strict
que Marx donne à l’idéologie comme représentation inversée de
la réalité. Le processus de « mondialisation » que
Negri nomme « empire » n’est pas une dilution
progressive des États-nations mais leur réorganisation et leur
subordination accrue à l’impérialisme dominant, celui des USA.
Mais sous le nom de « gouvernance mondiale », ce sont ces
rapports politiques réels qui sont masqués pour être soustrait aux
influences désagréables de la lutte politique. L’État n’est
nullement diminué (il suffit de jeter un œil sur l’évolution des
« démocraties » occidentales pour s’en rendre compte)
mais c’est un État qui s’affranchit de la « nation »,
c’est-à-dire des peuples.
Il est vrai par contre que
la restructuration du capitalisme mondial exige la destruction d’un
certain nombre d’États existants.
La fragmentation de nombreux
États nés de l’implosion du système soviétique est hautement
révélatrice. La fin de la Yougoslavie dans la tragédie que l’on
sait en est l’archétype, mais tout le Caucase semble pris dans la
même spirale.
L’ethnique prend le pas
sur le national – avec l’aide active et intéressée des
« grandes puissances », au premier chef les États-Unis.
De ce point de vue tout n’est pas faux dans les thèses des
partisans de la mondialisation. Mais là où ils voient une avancée
positive, on peut au contraire déceler une ligne fondamentalement
régressive, porteuse de nouveaux conflits et de nouveaux massacres.
Nous, habitants de pays riches aux États stables, nous croyons être
à l’abri de ce qui est arrivé au Rwanda, mettant ces tragédies
sur le compte de l’arriération ou de la sauvagerie de populations
non encore entrées dans la sphère de la modernité. C’est une
erreur tragique. Les massacres au Rwanda, la guerre civile algérienne
(qui a fait plus de 100.000 morts), les conflits endémiques au
Soudan ou dans la région des grands lacs ne sont pas des conflits
d’hier, mais des conflits d’aujourd’hui et peut-être même de
demain. Ils découlent certes, pour une part, de la misère
économique, mais aussi dans ce contexte économique de l’exaltation
des différences communautaires contre les États-nations.
En Europe, l’Union
européenne est le fer de lance de cette explosion des nations au
profit des communautarismes régionalistes. Ainsi la Charte
européenne des langues régionales constitue-t-elle un instrument
dirigé directement contre les nations, prévoyant que les assemblées
régionales puissent délibérer dans les langues régionales. Sont
également encouragées toutes les coopérations transversales entre
régions censées parler la même langue – par exemple entre la
Généralité de Catalogne et le pays catalan en France. Le mot
d’ordre préféré des Verts, « penser globalement, agir
localement », est devenu une stratégie des pouvoirs en place.
C’est la « glocalisation », c’est-à-dire l’insertion
des particularismes locaux dans la globalisation marchande et
financière et qui se trouve au cœur des réflexions sur la
« nouvelle gouvernance mondiale ». Toutes ces idées font
parties du bagage des Verts et autres variétés de « libertaires »,
mais elles ont eu surtout une application dans le développement de
l’appareil répressif et du quadrillage policier du territoire.
Loïc Wacquant18
et Jean-Pierre Garnier19
ont montré comme le démantèlement de l’État-providence au
profit de la mondialisation s’accompagne de l’excroissance de
l’État pénal au niveau local.
Perspectives de résistance et reconstruction du mouvement pour le socialisme/communisme
On comprend mieux pourquoi
les luttes autour de la question de la nation sont en fait un des
aspects essentiels des évolutions de fond du « système
national-mondial » (pour reprendre ici l’expression de Michel
Baud). Les deux référendums hostiles à l’UE (France, Pays-bas)
mais aussi la dernière campagne présidentielle en France ont montré
que le cadavre de la nation bouge encore. La nation apparaît, aux
yeux des millions de citoyens, comme un moyen de résistance à
l’empire, à l’inverse des spéculations de ceux qui voient dans
la mise en place d’un empire mondial « a-national » la
voie d’un nouvel avenir.
Si nous pensons que la
perspective de l’émancipation sociale a encore un sens, il faut
lui donner le cadre politique adéquat. Au motif que les forces
productives (un concept au sujet duquel il y aurait beaucoup à dire)
sont mondialisées et si les États s’interpénètrent, il ne s’en
déduit pas que la construction du socialisme ne soit possible que
dans un cadre supranational (européen par exemple) ou mondial, bien
au contraire. À cela, je vois plusieurs raisons, des raisons à
court et moyen terme et des raisons principielles.
I
Le cadre dans lequel les ouvriers et
plus généralement le prolétariat salariat peut résister au
rouleau compresseur de la mondialisation reste la nation, à la fois
parce que les seuls espaces publics existants sont nationaux et parce
que c’est seulement dans le cadre national que les revendications
peuvent être prises en compte. Si on demande, par exemple, que le
salaire minimum soit augmenté ou que soient défendus les régimes
de retraite français, on ne peut pas attendre que monde entier soit
convaincu que c’est une bonne idée pour le faire ! Les
revendications pour une « Europe sociale » ont un côté
parfaitement irréaliste. Bien plus, la satisfaction des
revendications urgentes demande dans nombre de cas qu’on remette en
cause les carcans multinationaux existants. La
question se pose très concrètement : peut-on re-nationaliser
ce qui doit l’être, restaurer les services publics, etc., sans
violer le dogme de la concurrence libre et non faussée, c’est-à-dire
sans regagner des marges de souveraineté nationale ? Même si la
coopération européenne est une bonne chose en elle-même et si on
ne peut pas souhaiter le retour au « concert des nations »
à l’ancienne (version fin XIXe siècle !), il est nécessaire
de regagner des marges de manœuvres pour les nations si on veut
procéder à des réformes de structures un tant soit peu sérieuses.
C’est à partir de là qu’on peut définir un programme de
réformes de structures qui redonne de larges marges de manoeuvres
aux nations sans détruire ce qu’il peut y avoir de positif dans la
construction européenne. Dans mon Revive
la République (Armand
Colin, 2005) j’ai essayé d’esquisser un tel programme. Contre
l’Europe fédérale, c’est-à-dire la création d’un super-État
européen, il faut défendre l’idée d’une Europe confédérale,
c’est-à-dire d’une union de nations libres. Cette union
reposerait sur trois principes :
1) La constitution
républicaine de chacun des États partie prenante de l’association,
constitution républicaine étant entendu ici comme souveraineté
populaire et séparation des pouvoirs et la reconnaissance des
libertés individuelles.
2) La reconnaissance de la
souveraineté de chaque nation qui reste libre de décider elle-même
de son propre sort – y compris, le cas échéant de sortir de
l’union et, en tout cas, de n’obéir qu’aux règles auxquelles
elle a librement consenti. Il faudrait faire marcher la subsidiarité
à l’envers: ne déléguer à l’union que ce qui est réellement
avantageux de déléguer au niveau supérieur.
3) La reconnaissance de
certains droits de citoyens européens à tous les ressortissants de
l’union, comme, par exemple, la liberté de circulation, la liberté
d’établissement, la liberté d’adopter une autre nationalité
que sa nationalité d’origine en cas d’installation prolongée
dans un autre pays et la possibilité de recours à une juridiction
européenne pour faire respecter ses droits fondamentaux.
II
Au-delà de ces questions qui peuvent
sembler un peu trop marquée par la conjoncture historique dans
laquelle nous sommes, il me semble impossible de fixer le cadre
mondial comme objectif de la construction socialiste.
-
Les nations ne sont pas des artifices dont on peut disposer au gré des décisions politiques. Elles ne sont pas non plus entités naturelles éternelles, je veux bien en convenir. Mais elles ont une durée, un enracinement dans la conscience des individus, elles sont les formes élémentaires d’existence d’une conscience collective, d’un sens du bien commun, en dehors desquels le socialisme est impensable. On rétorquera que le bien commun que poursuit le socialisme est un bien commun universel, ce qui est parfaitement exact. Mais c’est un universel abstrait. Entre l’intérêt particulier, celui de l’individu ou celui de ceux qui lui liés par les « liens du sang » et l’universel abstrait, la nation présente un « universel concret », une médiation qui donne à l’universalité sa réalité effective. Le mouvement ouvrier d’ailleurs avait fort bien compris cela, lui qui n’avait jamais pensé à la construction d’un État mondial, mais s’est toujours défini comme international, c’est-à-dire reposant sur l’amitié et la solidarité entre les nations.
-
Si on croit à la rapide extinction de l’État, ces questions sont évidemment sans intérêt. Mais comme l’extinction (ou le dépérissement) de l’État me semble une dangereuse utopie, la question de la taille de l’État n’est pas secondaire. Un « État mondial » s’il était possible serait tyrannique ou anarchique ainsi que le disait déjà Kant. Vouloir un État mondial c’est en effet avoir une confiance parfaitement irrationnelle, 1° en la sagesse des hommes qui n’useront pas d’un pouvoir démesuré et 2° en la capacité d’organisation de la bureaucratie. Sur ces deux points, l’expérience soviétique aurait pourtant dû nous vacciner (sauf si on pense que l’évolution dramatique de l’URSS était liée aux idées fausses de Lénine ou à la méchanceté de Staline). Mais si nous tirons les leçons de notre propre histoire, on doit admettre qu’une assez large dispersion des pouvoirs étatiques constitue une garantie minimale contre la reconstruction des tyrannies qui ont tant fait pour faire reculer et parfois détruire le mouvement ouvrier organisé.
-
Si nous ne perdons pas de vue le cap d’une révolution sociale, nous devons admettre que celle-ci doit être conçue comme une longue ère de transformations partielles, d’avancées et de reculs et non comme une guerre de mouvement dans laquelle d’un seul coup ou presque tout l’édifice du vieil monde s’écroulera comme dans la théorie de dominos. Gramsci avait opposé la guerre de position à la guerre de mouvement. La guerre de position est clairement conçue chez lui comme la conquête de l’hégémonie sur un plan national – avec tout ce que cela implique.
Denis
Collin – le 6 octobre 2007.
1
Son pamphlet contre Lord Palmerston, un « best seller »
de l’époque, réédité plusieurs fois, s’attaquait justement
aux sympathies du premier ministre britannique pour l’autocratie
russe.
2
Antonio Negri et Michael Hardt : Empire, Harvard
University Press, 2000, traduit de l’américain par Denis-Armand
Canal, réédition 10/18, 2004.
3
Le mot « États-Unis » ne figure même pas dans toute la
première partie pourtant intitulée « La constitution
politique du présent ». Seul « Washington » est
évoqué, au côté de Genève ( ?) et Tokyo, pour dire qu’il
ne s’agit pas de centres de l’Empire.
4
Les auteurs d’Empire font un usage intensif de mots
philosophiques dont on ne saisit pas toujours bien le sens dans le
contexte de leur ouvrage. Immanence, ontologique font partie de ces
mots qui permettent de substituer à la réalité son équivalent
idéal. Comme chez les jeunes hégéliens brocardés par Marx dans
La Sainte Famille et L’idéologie allemande, chez
Hardt et Negri on va du ciel vers la terre.
7
op. cit. p.77
8
La deuxième guerre du Golfe a vu l’invention du « journaliste
embarqué », intégré à une unité de l’armée et assurant
un contrôle de l’information nettement plus subtil que l’écran
noir de la première guerre du Golfe.
9
Op. cit. p.76
10
Évaluation de la revue scientifique britannique The Lancet
11
Voir L’impérialisme, premier volume des Origines du
totalitarisme. De cet ouvrage, on cite surtout le troisième
volume, Le système totalitaire, en oubliant que pour Arendt
le totalitarisme est une conséquence de l’impérialisme et du
colonialisme.
12
Hannah Arendt : L’impérialisme, traduit de l’anglais
par Martin Leiris, édition du Seuil, collection « Points »,
1997, p.244
13
Empire, p.466
14
H. Arendt, L’impérialisme, p.292
15
ibid.
16
cf. Empire, p.267 et sq.
17
p. 173 et sq.
18
Voir Les nouvelles prisons de la misère, Liber, 2000
19
Voir Le nouvel ordre local. Gouverner la violence.
L’Harmattan, 1999
dimanche 5 mars 2017
Le moi est-il haïssable ? (le moi comme question morale)
Au moment même où Descartes fait de l’ego cogito le
« sol natal de la vérité » (Hegel), les moralistes que Nietzsche
appréciait tant, les Pascal et les La Rochefoucauld, démontaient
méthodiquement les illusions du moi. Pas de Dieu trompeur ni de malin
génie : le grand trompeur, c’est le moi.
par Denis Collin
dans la ru
Se
défaire de ce que dicte l’amour-propre, telle est la première tâche pour
qui veut se connaître. Saint Augustin mettait déjà en opposition la
cité terrestre fondée sur l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu
et la cité céleste fondée sur l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi.
L’homme ne se connaît pas et ne peut se connaître qu’à travers Dieu et,
en se connaissant lui-même, il retrouve Dieu dans la demeure de son âme.
Ainsi le moi apparaît-il comme le premier obstacle à la connaissance de
Dieu et à la connaissance de soi.
L’illusion volontaire
Il revient à Pascal, ce grand continuateur de saint Augustin, d’instruire le procès du moi. « Le moi est haïssable »1
écrit-il dans une phrase célèbre … et peut-être pas toujours bien
comprise car, comme le dit Lucien Goldmann, Pascal ne répond jamais par
oui ou non mais toujours par oui et non.2
La nature de l’amour propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi.3
Ainsi le moi est identifié à l’amour-propre. Le moi n’est
pas une chose, une partie de l’homme, il n’est pas l’âme, il est
simplement l’amour-propre. Or cet amour-propre est proprement ce qui
corrompt l’âme. D’une part l’amour-propre incline à tous les péchés –
ainsi la comédie est « dangereuse pour la vie chrétienne » parce qu’elle
flatte l’amour-propre et prépare ainsi l’âme à accueillir tous les
plaisirs et toutes les douceurs et les plaisirs représentés dans la
comédie.4 D’un autre côté cet amour-propre est ce qui nous pousse à nous faire Dieu et donc à ignorer le vrai Dieu. C’est pourquoi :
Qui
ne hait en soi son amour-propre, et cet instinct qui porte à se faire
Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la
justice et à la vérité ? Car il est faux que nous méritions cela ; et il
est injuste et impossible d’y arriver puisque tous demandent la même
chose. C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous
ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire.5
Rien
de ce qui en nous est « aimable », nos qualités, nos richesses, nos
connaissances, etc., rien de cela nous le méritons, rien de cela ne doit
être rattaché aux qualités propres du moi. Nous ne méritons pas plus
qu’un autre. Pourquoi celui-ci est-il touché par la grâce et pas
celui-là ? « Mérite, ce mot ambigu »6 :
Pascal reprend ici la controverse augustinienne contre les pélagiens :
La grâce ne nous est pas donnée en échange de nos mérites affirme saint
Augustin7
et quand Dieu couronne nos mérites il couronne ses dons !
Réciproquement, être juste ne nous garantit de rien. Pascal rappelle
saint Augustin qui a dit que la force serait ôtée au juste.
Rien
donc ne vient justifier l’amour-propre. Au contraire la vérité, celle
que la foi ouvre au croyant donne toutes les raisons d’aller jusqu’au
mépris de soi :
Pour
moi, j’avoue qu’aussitôt que la religion chrétienne découvre ce
principe, que la nature des hommes est corrompue et déchue de Dieu, cela
ouvre les yeux à voir partout le caractère de cette vérité ; car la
nature est telle qu’elle marque partout un Dieu perdu, et dans l’homme
et hors de l’homme, et une nature corrompue.8
L’amour-propre
s’oppose donc à cette véritable connaissance de la nature humaine, et à
la foi sur laquelle elle repose. Et par conséquent l’amour-propre ne
peut reposer que sur une tromperie, qui masque cette nature corrompue et
prend les défauts à mérite.
Il
[l’amour-propre] ne saurait empêcher que cet objet qu’il aime ne soit
plein de défauts et de misères : il veut être grand, il se voit petit ;
il veut être heureux, il se voit misérable ; il veut être parfait, il se
voit plein d’imperfections ; il veut être l’objet de l’amour et de
l’estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur
aversion et leur mépris.9
« Misère
de l’homme sans Dieu » : tel est le titre de cette partie selon la
classification des liasses de Pascal par Brunschvicg. Misère non pas
accidentelle mais consubstantielle. Misère que rien de ce qui appartient
en propre à l’homme ne peut venir compenser :
Vanité des sciences. – La science des choses extérieures ne me consolera pas de l’ignorance de la morale, au temps d’affliction ; mais la science des mœurs me consolera toujours de l’ignorance des sciences extérieures.10
Et immédiatement après :
On
n’apprend pas aux hommes à être honnêtes hommes, et on leur apprend
tout le reste ; et ils ne se piquent jamais tant de savoir rien du
reste, comme d’être honnêtes hommes. Ils ne se piquent de savoir que la
seule chose qu’ils n’apprennent point.11
Inversion
de la réalité : nous nous faisons mérite de ce qui est le moins
important car le plus important, nous ne le méritons, nous le l’avons
pas appris mais le tenons de la grâce, du don de Dieu… Et parmi toutes
ces sciences qui ne nous apportent aucun science des choses
véritablement importante, la philosophie figure en bonne place, elle qui
se termine dans le pyrrhonisme, le scepticisme et la suspension du
jugement. « Nous voilà bien payés ! »12
L’embarras
dans lequel se trouve l’amour-propre produit la « haine mortelle »
contre cette vérité. L’amour-propre ne se peut regarder lui-même en
face. Il lui faut un miroir trompeur, un miroir courtisan qui lui répète
qu’il est le plus beau. Mais en même temps, il ne peut pas ne pas voir
cette vérité :
Il
désirerait de l’anéantir, et, ne pouvant la détruire en elle-même, il
la détruit, autant qu’il peut, dans sa connaissance et dans celle des
autres ; c’est-à-dire qu’il met tout son soin à couvrir ses défauts et
aux autres et à soi-même, et qu’il ne peut souffrir qu’on les lui fasse
voir ni qu’on les voie.13
Mentir
aux autres, se montrer sous un jour flatteur, jouer des apparences et
se mentir à soi-même, c’est tout un. En mentant aux autres, je me mens à
moi-même. Mais ce mensonge est fait de deux éléments contradictoires.
Si je mens aux autres, j’espère que les autres ne connaîtront jamais la
vérité, mais il m’est impossible de me mentir à moi-même en ne
connaissant pas la vérité. Je mens aux autres et je me mens à moi-même
parce que je connais la vérité.14
Comme toujours chez Pascal, on a l’un et l’autre, la contradiction sans
dépassement, c’est-à-dire la condition tragique de l’homme. Par
conséquent, le plus grand mal pour l’homme n’est pas d’avoir des défauts
– il ne peut en être autrement car pour la créature Dieu est d’abord
perdu et la nature est corrompue – mais de ne pas vouloir les
reconnaître. Comment peut-on ne pas reconnaître ce qu’on a devant les
yeux ? Comment peut-on ne pas vouloir voir ce qu’on voit ? Il faut,
nouvel oxymore, succomber à « l’illusion volontaire » qui est
l’injustice par excellence puisque nous voulons pour nous-mêmes quelque
chose que nous ne saurions tolérer des autres :
Nous
ne voulons pas que les autres nous trompent ; nous ne trouvons pas
juste qu’ils veuillent être estimés de nous plus qu’ils ne méritent : il
n’est donc pas juste aussi que nous les trompions et que nous voulions
qu’ils nous estiment plus que nous ne méritons.15
Ainsi,
que les autres nous montrent nos vices, cela devrait nous rendre
heureux puisqu’ils contribuent à ce que nous sortions de l’erreur et de
l’injustice. Au fond, être méprisé quand on est méprisable, c’est encore
le mieux que nous puissions souhaiter si nous anime encore le sens de
la justice. Mais l’amour-propre ne le permet pas :
Car
n’est-il pas vrai que nous haïssons la vérité et ceux qui nous la
disent, et que nous aimons qu’ils se trompent à notre avantage et que
nous voulons être estimés d’eux autres que nous ne sommes en effet ?16
Il y
a certes des degrés dans cette aversion pour la vérité. Mais elle est
en chaque homme et inséparable de l’amour-propre. Le moi est le foyer de
toutes les tromperies, de tous les mensonges. Parce que nous voulons
tromper et nous voulons nous tromper sur nous-mêmes nous finissons par
être trompés par les autres :
Si
on a quelque intérêt d’être aimé de nous, on s’éloigne de nous rendre
un office qu’on sait nous être désagréable ; on nous traite comme nous
voulons être traités : nous haïssons la vérité, on nous la cache ; nous
voulons être flattés, on nous flatte ; nous aimons à être trompés, on
nous trompe.17
Et
c’est pourquoi nos réussites, nos succès mondains nous éloignent
toujours d’avantage de la vérité. D’où cette conclusion sans appel de
Pascal :
Ainsi
la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que
s’entre-tromper et s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre
présence comme il en parle en notre absence. L’union qui est entre les
hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie et peu d’amitiés
subsisteraient si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y
est pas, quoiqu’il parle alors sincèrement et sans passion.
L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres.18
Ainsi,
l’amour-propre, c’est-à-dire le regard que le moi porte spontanément
sur lui-même, est la source de cette illusion volontaire qui contamine
toute la vie sociale et ne lui laisse pour fondements que ces illusions
qui prennent d’autant plus de force qu’elles peuvent compter sur la
force de l’imagination cette « maîtresse d’erreur ». Le pire, peut-être
est que cet amour propre n’a pas d’objet. Qu’est-ce que le moi ? Pour
savoir, dit Pascal, il faut se donner ce qu’on aime en moi quand on
m’aime. Si on aime quelqu’un à cause de sa beauté, on ne l’aime pas
lui-même puis la maladie peut détruire cette beauté. Il en va de même
pour les qualités morales qui peuvent se perdre.
Où est donc ce moi,
s’il n’est ni dans le corps ni dans l’âme ? et comment aimer le corps
ou l’âme sinon pour ces qualités, qui ne font point ce qui fait le moi
puisqu’elles sont périssables ?19
Ce
moi est à la fois impérissable et même temps inaccessible ; ses qualités
(périssables) ne le définissent pas, elles n’explicitent pas une
essence. Mais comme on peut l’aimer que ses qualités, il n’est donc pas
aimable. Alors le moi est-il haïssable ? Sans aucun doute : il est se
veut le centre de tout et veut asservir les autres. L’honnêteté, les
bonnes mœurs n’y peuvent rien. Elles peuvent masquer aux autres
l’incommodité de ce moi qui veut les asservir mais nullement en
supprimer l’injustice. Reste ce que le Rédempteur met en moi, ces
sentiments de sincérité et de fidélité aux hommes, la « tendresse de
cœur pour ceux à qui Dieu m’a unit »20.
Dans l’amour de Dieu et l’amour des autres hommes (la charité) réside
la vraie connaissance du moi, dépouillé des illusions et de l’injustice.
Peindre noir sur noir
À
traquer les illusions du moi, La Rochefoucauld emploie son art avec une
constance remarquable. Jacques Lacan introduit ainsi l’auteur des Maximes dans le Séminaire II21 :
La
Rochefoucauld (…) s’est mis tout d’un coup en tête de nous apprendre
quelque chose de singulier sur quoi on ne s’est pas assez arrêté et
qu’il appelle amour-propre.22
Mais
Lacan précise que l’apport de La Rochefoucauld ne se limite pas à la
découverte de l’amour-propre ou du rôle de l’intérêt, thèmes largement
explorés par la tradition.
Ce
qui est scandaleux chez La Rochefoucauld, ce n’est pas que
l’amour-propre soit pour lui au fondement de tous les comportements
humains, c’est qu’il est trompeur, inauthentique. Il y a un hédonisme
propre à l’ego et qui est précisément ce qui nous leurre, c’est-à-dire
nous frustre à la fois de notre plaisir immédiat et des satisfactions
que nous pourrions tirer de notre supériorité par rapport à ce plaisir.23
Le
propos de La Rochefoucauld est d’abord explicitement moral. Contre le
renouveau du stoïcisme, si caractéristique de l’âge classique, et contre
ceux qui, tel La Mothe le Vayer, défendaient la vertu des anciens païens24, il veut faire valoir la morale du christianisme authentique, celui que professent ses amis de Port-Royal. Les Réflexions ou sentences et maximes morales
qui connaissent cinq éditions remaniées parfois assez profondément,
entre 1665 et 1678, se veulent un « portrait du cœur de l’homme ».25
Mais un portait qui risque de déplaire et de subir la « censure » de
certaines personnes, car ces maximes sont « remplies de ces sortes de
vérités dont l’orgueil humain ne se peut accommoder. » Elles traitent en
effet de l’amour-propre comme « corrupteur de la raison » mais en
réalité La Rochefoucauld va bien au-delà de cette problématique qui
pourrait paraître un peu conventionnelle.
Souvent
traits d’esprit brillants, courtes pour la plupart, les maximes doivent
être faciles à se remémorer – comme le devaient être les préceptes mis à
l’honneur par Sénèque dans ses exercices spirituels. Elles sonnent
d’une petite musique très particulière, où semble se mêler un peu de
cynisme et un profond pessimisme à l’endroit de cet homme
essentiellement corrompu. Souvent un humour sombre :
Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui.26
Mise en exergue de l’édition de 1678, une première maxime donne le ton :
Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés.
Un constat qui conviendrait bien aux personnages principaux de Lorenzaccio…
Suit immédiatement une véritable déconstruction, une démolition de la
théorie traditionnelle (aristotélicienne ou stoïcienne) des vertus.
Ce
que nous prenons pour des vertus n’est souvent qu’un assemblage de
diverses actions et de divers intérêts, que la fortune ou notre
industrie savent arranger ; et ce n’est pas toujours par valeur et par
chasteté que les hommes sont vaillants, et que les femmes sont chastes.
« N’est
souvent », dit La Rochefoucauld : il se garde donc bien d’énoncer une
vérité générale, intangible. Cependant, il entreprend une analyse des
vertus qui s’opposent catégoriquement aux idées partagées par la plupart
des philosophes anciens (ces païens vertueux, chez à La Mothe Le
Vayer). Les vertus ne sont pas des dispositions caractéristiques du
caractère de l’individu. Il n’y a pas d’essence des vertus, du moins pas
« le plus souvent », car nous nommons vertus un assemblage d’éléments
qui, en eux-mêmes, n’ont rigoureusement rien de vertueux. Nietzsche,
lecteur critique de La Rochefoucauld, dira quelque chose d’assez proche à
propos de la volonté : la volonté n’est pas une faculté de l’esprit,
mais un résultat de mouvements vitaux variés qui se produisent dans
l’individu et dont la volition particulière n’est qu’une résultante. La
volonté n’est le plus souvent, dit Nietzsche, qu’un préjugé populaire.
« Vouloir » me semble être, avant tout, quelque chose de compliqué,
quelque chose qui ne possède d'unité qu'en tant que mot, — et c'est
précisément dans un mot unique que réside le préjugé populaire qui s'est
rendu maître de la circonspection toujours très faible des philosophes.27
Suit une analyse subtile qui conduit Nietzsche à conclure « notre corps n'est qu'une collectivité d'âmes nombreuses »28 et que des actions combinées de ces collectivités se tirent un effet :
L'effet, c'est moi. Il se passe ici ce qui se passe dans toute communauté bien établie et dont les destinées sont heureuses : la classe dominante s'identifie aux succès de la communauté.
Dans toute volonté il s'agit donc, en fin de compte, de commander et
d'obéir, et cela sur les bases d'un état social composé d'« âmes »
nombreuses. C'est pourquoi un philosophe devrait s'arroger le droit
d'envisager la volonté sous l'aspect de la morale : la morale, bien entendu, considérée comme doctrine des rapports de puissance sous lesquels se développe le phénomène « vie ».29
Moins
détaillée et moins générale à la fois, l’analyse de La Rochefoucauld
procède un peu selon les mêmes lignes. Il y a un assemblage d’actions,
combinées par notre industrie et dont le résultat est ce que nous
appelons vertu,
qui, « le plus souvent », n’est pas vertueuse puisque ses motivations
sont tout sauf pures et vertueuses. C’est pourquoi « les vices entrent
dans la composition des vertus. »30 Du reste cet arrangement semble découler de raisons naturelles :
La
force et la faiblesse de l’esprit sont mal nommées : elles ne sont, en
effet, que la bonne ou la mauvaise disposition des organes.31
Au demeurant :
Quoique
les hommes se flattent de leurs grandes actions, elles ne sont pas
souvent les effets d’un grand dessein, mais des effets du hasard.32
Il
semble que La Rochefoucauld parle ici seulement de ce que « nous
prenons pour des vertus » chez les autres : nous serions trompés en
quelque sorte par l’apparence que les autres donnent d’eux-mêmes, par la
« montre » comme dirait Balthasar Gracian33. La maxime II précise :
L’amour-propre est le plus grand des tous flatteurs.
Le
flatteur cherche à tromper dont il espère abuser (« Apprenez que tout
flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute… ») ; mais si
l’amour-propre est un flatteur, il ne peut que flatter le sujet le sujet
lui-même et donc l’abuser. Ce n’est donc pas l’apparence des autres qui
m’abuse au sujet de leur vertu,
mais bien l’apparence que je me donne à moi-même. Nous retrouvons ici
ce que nous avons vu chez Pascal : le menteur et la victime du mensonge
sont une seule et même personne. Ce sont les formes de cette tromperie
de soi-même, de cette « fausse conscience » pourrait-on dire, que traque
La Rochefoucauld.
Les vertus cachent les vices, l’envie, le ressentiment. Ainsi :
Le
mépris des richesses était dans les Philosophes un désir caché de
venger leur mérite de l’injustice de la fortune, par le mépris des mêmes
biens dont elle les privait ;34
Ou encore :
L’aversion
du mensonge est souvent une imperceptible ambition de rendre nos
témoignages considérables, et d’attirer à nos paroles un respect de
religion.35
Et
ainsi de suite. Nos qualités prétendues ne sont souvent que les
manifestations de l’amour-propre, tout comme Nietzsche découvrira
derrière l’humilité et l’amour du prochain la volonté de puissance.
L’amour-propre rend les « hommes idolâtres d’eux-mêmes ». La longue
maxime qui figurait en tête de la première édition et que La
Rochefoucauld a supprimée par la suite – détaille tous ces tours de
l’amour propre. Il « cache l’homme à lui-même » et par conséquent les
hommes sont souvent plus étrangers à eux-mêmes encore qu’ils ne le sont
aux autres.
Conclusion
Nous
avons donc ici, chez Pascal comme chez La Rochefoucauld, une théorie de
la méconnaissance de soi, mais une théorie singulière. Si on invoque
les passions (qui rendent aveugle) ou le rapport de l’âme et du corps
qui ne produit que des idées confuses, ou d’autres thèses encore, le moi
s’ignore lui-même pour des raisons qui lui sont quelque sorte exogène.
Mais ici, c’est autre chose : la puissance même d’affirmation du moi est
à la source du mécanisme de l’auto-illusion ou pour reprendre l’oxymore
pascalien de « l’illusion volontaire ». Méconnaissance radicale, donc.
1 Pascal, Pensées,
455 de l’édition Brunschvicg, 597 de l’édition Lafuma. Nous donnons
par la suite les références aux pensées en donnant dans l’ordre ces
deux numérotations.
2 Lucien Goldmann, Le dieu caché, Gallimard, 1959, p.46
3 Pascal, Pensées, 100-978
4 Cf. Pensées, 11-764
5 Pensées, 492-617
6 Pensées, 513-930
7 Voir saint Augustin, Controverses pélagiennes : De la grâce et du libre arbitre, chap. V.
8 Pensées, 441-471
9 Pensées, 100-978
10 Pensées, 67-23
11 Pensées, 68-778
12 Pensées, 73-76
13 Pensées, 100-978
14 Il y a peut-être ici une idée de ce « mentir-vrai » par lequel Aragon désignera le nouveau style réaliste en littérature.
15 Pensées, 100-978
16 Ibid.
17 Ibid.
18 Ibid.
19 Pensées, 323-688
20 Pensées, 550-931
21 Jacques Lacan, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Seuil, 1978, réédition dans la collection « Points ».
22 Op. cit. p.19
23 Op. cit. p.20
25 Avant-propos de l’édition de 1665.
26 Maximes, XIX, édition 1678
27 Nietzsche, Par delà Bien et Mal, I, §19, édition de Henri Albert.
28 Comme le dirait Spinoza, le Corps humain est un individu composé d’un grand nombre d’individus eux-mêmes très composés…
29 Nietzsche, op.cit.
30 La Rochefoucauld, Maximes…, CLXXXII
31 La Rochefoucauld, Maximes…, XLIV
32 Op. cit., LVII
33
Balthasar Gracian (1601-1658), jésuite et écrivain espagnol, a
consacré une partie de son œuvre à décrire les qualités de « l’homme
universel », l’homme de cour prudent. Gracian affirme le primat de
l’apparence.
34 Op. cit. maxime LIV
35 Op. cit. maxime LXIII
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Devenir des machines. Recension
Dans la revue Eléments, avri-mai 2025 n°213 : La technique, espoir ou danger ? On a déjà beaucoup écrit sur ce thème, et ce n'est pas fi...
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Ce dialogue (dont l’authenticité a été parfois contestée) passe pour être une véritable introduction à la philosophie de Platon. Il est sou...
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1 Présentation générale 1.1 Platon : éléments biographiques et œuvres. I Les événements Platon serait...
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Dans les situations difficiles, quand on doit affronter l’adversité et le malheur, on nous recommande d’être stoïques (tel Zénon!), ou ...