vendredi 10 mars 2017

Renouveau républicain et lutte sociale


On accuse souvent les défenseurs de la République d’être obnubilés par les principes politiques et d’être, du même coup, aveugles aux questions sociales. La République ne serait qu’une abstraction camouflant toutes sortes de vilenies concoctées par les classes dominantes, affirment les plus critiques les plus virulentes. La République ne suffit pas, il faut aller plus loin, disent les mieux disposés à son endroit. Il est vrai que le mot « république » est employé à toutes les sauces et que les « valeurs de la république » sont si vagues qu’elles servent souvent d’étiquettes à des marchandises avariées. Mais il en va de même, hélas, d’une bonne partie du vocabulaire politique. Faut-il renoncer au socialisme au motif que bien des entreprises parmi les pires du siècle passé se sont couvertes de cet honorable drapeau ? Et que dire du communisme ? Alors pourquoi renoncer à ce beau mot de république ? Certes les républiques réellement existantes, dans notre pays et ailleurs, sont loin d’avoir tenu toutes leurs promesses, et c’est peu dire ! Que la France soit une république laïque, démocratique et sociale comme le dit l’article I de la Constitution, on aimerait que cela ne restât pas une simple proclamation pour les jours de fête. Certes, comme le pensait Jaurès, la république jusqu’au bout, c’est la république sociale et non la république bourgeoise. Faut-il pour autant abandonner le combat pour la république, tout court, sans adjectif ?
En premier lieu, la république n’est pas un simple mot ; elle est porteuse d’une tradition historique et philosophique : la république, c’est la liberté comme non-domination. La loi doit viser à protéger les individus contre toute domination. Il ne suffit de pas de réclamer la liberté d’expression. Encore faut-il que la loi et, le cas échéant, les forces d’ordre protègent cette liberté. À l’équipe de Charlie, ce qui a manqué en janvier 2015, ce n’est pas un grande proclamation mais une protection policière un peu plus fournie. La république doit encore protéger la liberté de tous les enfants de recevoir une instruction portant sur des savoirs objectifs, sans omettre telle ou telle question au motif que cela froisserait quelque secte obscurantiste. Il s’agit de garantir pour tous des perspectives de vie sûres. Tous ces principes figurent dans la déclaration de 1946 annexée à la constitution et dont la simple réalisation sérieuse serait à elle seule, dans les circonstances présentes, une véritable révolution.
En second lieu, si on pense l’émancipation sociale comme la possibilité pour la grande masse de prendre en main ses propres affaires, cela nécessite évidemment l’existence d’un espace public de débat et de luttes politiques dans lequel justement cette grande masse peut s’auto-éduquer et prendre effectivement son sort en main. Dans les dernières années de sa vie, Marx estimait que la république parlementaire après avoir été la forme de constitution de la domination bourgeoise serait la forme de sa dissolution : il avait toujours en vue ce communisme qui donnerait à chacun selon ses besoins, demanderait de chacun selon ses capacités et ouvrirait la voie à la liberté réelle, celle qui permet l’épanouissement de toutes les potentialités résidant en chaque individu. Mais précisément la république parlementaire, une « république à la Clemenceau », lui semblait, à juste titre, le pont entre aujourd’hui et demain. Ceux qui opposent une république sociale rêvée à la lutte pour la défense élémentaire des principes républicains n’ont pas besoin de pont pour gagner l’autre rive ; avec des paroles radicales, ils se satisfont de rester où ils sont.
La lutte sociale a besoin d’un espace commun où se confrontent les programmes politiques, où peut s’exprimer le libre jeu de la lutte des classes, de l’antagonisme permanent entre les « grands » et le « peuple », comme l’aurait dit Machiavel. C’est pour cette raison que la laïcité, « à la française » est la prunelle de nos yeux, à nous qui luttons pour l’émancipation humaine. La laïcité reconnaît la liberté de conscience, la liberté pour chacun de croire en ce qu’il veut ou de ne pas croire du tout, c’est-à-dire de s’émanciper de toutes les superstitions qui font que trop souvent les hommes luttent pour leur servitude comme s’il agissait de leur salut (Spinoza). Mais si les croyances sont libres, la république laïque « ne reconnaît ni ne salarie aucun culture », c’est-à-dire qu’elle refuse aux religions le droit d’organiser la vie sociale et politique. On nous dit, ici et là : « ne vous occupez pas du voile ou des prescriptions religieuses, occupez vous des luttes sociales ». Soit. Mais comment la lutte sociale peut-elle se développer quand les sectes religieuses divisent les hommes et les femmes, séparent les ouvriers selon qu’ils sont blancs ou « indigènes » ? Les dominants ne s’y sont pas trompés. Ils exploitent méthodiquement les sectes religieuses et les communautarismes comme autant d’armes dirigées contre l’unité du mouvement ouvrier. L’exemple américain devrait nous faire réfléchir : Mme Clinton symbolise cette alliance entre le communautarisme « black » et Wall Street alors que derrière Sanders se cherche l’unité de tous ceux d’en bas, les « 99 % », contre Wall Street.
Toute république a besoin, régulièrement, d’un « retour au principe » (Machiavel), de se renouveler en retrouvant ses origines. Nous avons besoin, aujourd’hui, d’un tel retour au premier temps, au printemps républicain, non par nostalgie d’un passé plus ou moins idéalisé, mais pour rouvrir l’avenir. La liberté qui est la liberté de combattre pour un monde meilleur, pour une société plus juste ; l’égalité qui est l’égalité des droits, l’égalité non pas en paroles mais en fait des hommes et des femmes, l’égalité contre toutes les formes de domination, y compris la domination dans la sphère privée ; la fraternité enfin, celle d’une communauté politique ouverte, unie par les principes de l’émancipation humaine.
Avril 2016

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