Au moment même où Descartes fait de l’ego cogito le
« sol natal de la vérité » (Hegel), les moralistes que Nietzsche
appréciait tant, les Pascal et les La Rochefoucauld, démontaient
méthodiquement les illusions du moi. Pas de Dieu trompeur ni de malin
génie : le grand trompeur, c’est le moi.
par Denis Collin
dans la ru
Se
défaire de ce que dicte l’amour-propre, telle est la première tâche pour
qui veut se connaître. Saint Augustin mettait déjà en opposition la
cité terrestre fondée sur l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu
et la cité céleste fondée sur l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi.
L’homme ne se connaît pas et ne peut se connaître qu’à travers Dieu et,
en se connaissant lui-même, il retrouve Dieu dans la demeure de son âme.
Ainsi le moi apparaît-il comme le premier obstacle à la connaissance de
Dieu et à la connaissance de soi.
L’illusion volontaire
Il revient à Pascal, ce grand continuateur de saint Augustin, d’instruire le procès du moi. « Le moi est haïssable »1
écrit-il dans une phrase célèbre … et peut-être pas toujours bien
comprise car, comme le dit Lucien Goldmann, Pascal ne répond jamais par
oui ou non mais toujours par oui et non.2
La nature de l’amour propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi.3
Ainsi le moi est identifié à l’amour-propre. Le moi n’est
pas une chose, une partie de l’homme, il n’est pas l’âme, il est
simplement l’amour-propre. Or cet amour-propre est proprement ce qui
corrompt l’âme. D’une part l’amour-propre incline à tous les péchés –
ainsi la comédie est « dangereuse pour la vie chrétienne » parce qu’elle
flatte l’amour-propre et prépare ainsi l’âme à accueillir tous les
plaisirs et toutes les douceurs et les plaisirs représentés dans la
comédie.4 D’un autre côté cet amour-propre est ce qui nous pousse à nous faire Dieu et donc à ignorer le vrai Dieu. C’est pourquoi :
Qui
ne hait en soi son amour-propre, et cet instinct qui porte à se faire
Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la
justice et à la vérité ? Car il est faux que nous méritions cela ; et il
est injuste et impossible d’y arriver puisque tous demandent la même
chose. C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous
ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire.5
Rien
de ce qui en nous est « aimable », nos qualités, nos richesses, nos
connaissances, etc., rien de cela nous le méritons, rien de cela ne doit
être rattaché aux qualités propres du moi. Nous ne méritons pas plus
qu’un autre. Pourquoi celui-ci est-il touché par la grâce et pas
celui-là ? « Mérite, ce mot ambigu »6 :
Pascal reprend ici la controverse augustinienne contre les pélagiens :
La grâce ne nous est pas donnée en échange de nos mérites affirme saint
Augustin7
et quand Dieu couronne nos mérites il couronne ses dons !
Réciproquement, être juste ne nous garantit de rien. Pascal rappelle
saint Augustin qui a dit que la force serait ôtée au juste.
Rien
donc ne vient justifier l’amour-propre. Au contraire la vérité, celle
que la foi ouvre au croyant donne toutes les raisons d’aller jusqu’au
mépris de soi :
Pour
moi, j’avoue qu’aussitôt que la religion chrétienne découvre ce
principe, que la nature des hommes est corrompue et déchue de Dieu, cela
ouvre les yeux à voir partout le caractère de cette vérité ; car la
nature est telle qu’elle marque partout un Dieu perdu, et dans l’homme
et hors de l’homme, et une nature corrompue.8
L’amour-propre
s’oppose donc à cette véritable connaissance de la nature humaine, et à
la foi sur laquelle elle repose. Et par conséquent l’amour-propre ne
peut reposer que sur une tromperie, qui masque cette nature corrompue et
prend les défauts à mérite.
Il
[l’amour-propre] ne saurait empêcher que cet objet qu’il aime ne soit
plein de défauts et de misères : il veut être grand, il se voit petit ;
il veut être heureux, il se voit misérable ; il veut être parfait, il se
voit plein d’imperfections ; il veut être l’objet de l’amour et de
l’estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur
aversion et leur mépris.9
« Misère
de l’homme sans Dieu » : tel est le titre de cette partie selon la
classification des liasses de Pascal par Brunschvicg. Misère non pas
accidentelle mais consubstantielle. Misère que rien de ce qui appartient
en propre à l’homme ne peut venir compenser :
Vanité des sciences. – La science des choses extérieures ne me consolera pas de l’ignorance de la morale, au temps d’affliction ; mais la science des mœurs me consolera toujours de l’ignorance des sciences extérieures.10
Et immédiatement après :
On
n’apprend pas aux hommes à être honnêtes hommes, et on leur apprend
tout le reste ; et ils ne se piquent jamais tant de savoir rien du
reste, comme d’être honnêtes hommes. Ils ne se piquent de savoir que la
seule chose qu’ils n’apprennent point.11
Inversion
de la réalité : nous nous faisons mérite de ce qui est le moins
important car le plus important, nous ne le méritons, nous le l’avons
pas appris mais le tenons de la grâce, du don de Dieu… Et parmi toutes
ces sciences qui ne nous apportent aucun science des choses
véritablement importante, la philosophie figure en bonne place, elle qui
se termine dans le pyrrhonisme, le scepticisme et la suspension du
jugement. « Nous voilà bien payés ! »12
L’embarras
dans lequel se trouve l’amour-propre produit la « haine mortelle »
contre cette vérité. L’amour-propre ne se peut regarder lui-même en
face. Il lui faut un miroir trompeur, un miroir courtisan qui lui répète
qu’il est le plus beau. Mais en même temps, il ne peut pas ne pas voir
cette vérité :
Il
désirerait de l’anéantir, et, ne pouvant la détruire en elle-même, il
la détruit, autant qu’il peut, dans sa connaissance et dans celle des
autres ; c’est-à-dire qu’il met tout son soin à couvrir ses défauts et
aux autres et à soi-même, et qu’il ne peut souffrir qu’on les lui fasse
voir ni qu’on les voie.13
Mentir
aux autres, se montrer sous un jour flatteur, jouer des apparences et
se mentir à soi-même, c’est tout un. En mentant aux autres, je me mens à
moi-même. Mais ce mensonge est fait de deux éléments contradictoires.
Si je mens aux autres, j’espère que les autres ne connaîtront jamais la
vérité, mais il m’est impossible de me mentir à moi-même en ne
connaissant pas la vérité. Je mens aux autres et je me mens à moi-même
parce que je connais la vérité.14
Comme toujours chez Pascal, on a l’un et l’autre, la contradiction sans
dépassement, c’est-à-dire la condition tragique de l’homme. Par
conséquent, le plus grand mal pour l’homme n’est pas d’avoir des défauts
– il ne peut en être autrement car pour la créature Dieu est d’abord
perdu et la nature est corrompue – mais de ne pas vouloir les
reconnaître. Comment peut-on ne pas reconnaître ce qu’on a devant les
yeux ? Comment peut-on ne pas vouloir voir ce qu’on voit ? Il faut,
nouvel oxymore, succomber à « l’illusion volontaire » qui est
l’injustice par excellence puisque nous voulons pour nous-mêmes quelque
chose que nous ne saurions tolérer des autres :
Nous
ne voulons pas que les autres nous trompent ; nous ne trouvons pas
juste qu’ils veuillent être estimés de nous plus qu’ils ne méritent : il
n’est donc pas juste aussi que nous les trompions et que nous voulions
qu’ils nous estiment plus que nous ne méritons.15
Ainsi,
que les autres nous montrent nos vices, cela devrait nous rendre
heureux puisqu’ils contribuent à ce que nous sortions de l’erreur et de
l’injustice. Au fond, être méprisé quand on est méprisable, c’est encore
le mieux que nous puissions souhaiter si nous anime encore le sens de
la justice. Mais l’amour-propre ne le permet pas :
Car
n’est-il pas vrai que nous haïssons la vérité et ceux qui nous la
disent, et que nous aimons qu’ils se trompent à notre avantage et que
nous voulons être estimés d’eux autres que nous ne sommes en effet ?16
Il y
a certes des degrés dans cette aversion pour la vérité. Mais elle est
en chaque homme et inséparable de l’amour-propre. Le moi est le foyer de
toutes les tromperies, de tous les mensonges. Parce que nous voulons
tromper et nous voulons nous tromper sur nous-mêmes nous finissons par
être trompés par les autres :
Si
on a quelque intérêt d’être aimé de nous, on s’éloigne de nous rendre
un office qu’on sait nous être désagréable ; on nous traite comme nous
voulons être traités : nous haïssons la vérité, on nous la cache ; nous
voulons être flattés, on nous flatte ; nous aimons à être trompés, on
nous trompe.17
Et
c’est pourquoi nos réussites, nos succès mondains nous éloignent
toujours d’avantage de la vérité. D’où cette conclusion sans appel de
Pascal :
Ainsi
la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que
s’entre-tromper et s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre
présence comme il en parle en notre absence. L’union qui est entre les
hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie et peu d’amitiés
subsisteraient si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y
est pas, quoiqu’il parle alors sincèrement et sans passion.
L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres.18
Ainsi,
l’amour-propre, c’est-à-dire le regard que le moi porte spontanément
sur lui-même, est la source de cette illusion volontaire qui contamine
toute la vie sociale et ne lui laisse pour fondements que ces illusions
qui prennent d’autant plus de force qu’elles peuvent compter sur la
force de l’imagination cette « maîtresse d’erreur ». Le pire, peut-être
est que cet amour propre n’a pas d’objet. Qu’est-ce que le moi ? Pour
savoir, dit Pascal, il faut se donner ce qu’on aime en moi quand on
m’aime. Si on aime quelqu’un à cause de sa beauté, on ne l’aime pas
lui-même puis la maladie peut détruire cette beauté. Il en va de même
pour les qualités morales qui peuvent se perdre.
Où est donc ce moi,
s’il n’est ni dans le corps ni dans l’âme ? et comment aimer le corps
ou l’âme sinon pour ces qualités, qui ne font point ce qui fait le moi
puisqu’elles sont périssables ?19
Ce
moi est à la fois impérissable et même temps inaccessible ; ses qualités
(périssables) ne le définissent pas, elles n’explicitent pas une
essence. Mais comme on peut l’aimer que ses qualités, il n’est donc pas
aimable. Alors le moi est-il haïssable ? Sans aucun doute : il est se
veut le centre de tout et veut asservir les autres. L’honnêteté, les
bonnes mœurs n’y peuvent rien. Elles peuvent masquer aux autres
l’incommodité de ce moi qui veut les asservir mais nullement en
supprimer l’injustice. Reste ce que le Rédempteur met en moi, ces
sentiments de sincérité et de fidélité aux hommes, la « tendresse de
cœur pour ceux à qui Dieu m’a unit »20.
Dans l’amour de Dieu et l’amour des autres hommes (la charité) réside
la vraie connaissance du moi, dépouillé des illusions et de l’injustice.
Peindre noir sur noir
À
traquer les illusions du moi, La Rochefoucauld emploie son art avec une
constance remarquable. Jacques Lacan introduit ainsi l’auteur des Maximes dans le Séminaire II21 :
La
Rochefoucauld (…) s’est mis tout d’un coup en tête de nous apprendre
quelque chose de singulier sur quoi on ne s’est pas assez arrêté et
qu’il appelle amour-propre.22
Mais
Lacan précise que l’apport de La Rochefoucauld ne se limite pas à la
découverte de l’amour-propre ou du rôle de l’intérêt, thèmes largement
explorés par la tradition.
Ce
qui est scandaleux chez La Rochefoucauld, ce n’est pas que
l’amour-propre soit pour lui au fondement de tous les comportements
humains, c’est qu’il est trompeur, inauthentique. Il y a un hédonisme
propre à l’ego et qui est précisément ce qui nous leurre, c’est-à-dire
nous frustre à la fois de notre plaisir immédiat et des satisfactions
que nous pourrions tirer de notre supériorité par rapport à ce plaisir.23
Le
propos de La Rochefoucauld est d’abord explicitement moral. Contre le
renouveau du stoïcisme, si caractéristique de l’âge classique, et contre
ceux qui, tel La Mothe le Vayer, défendaient la vertu des anciens païens24, il veut faire valoir la morale du christianisme authentique, celui que professent ses amis de Port-Royal. Les Réflexions ou sentences et maximes morales
qui connaissent cinq éditions remaniées parfois assez profondément,
entre 1665 et 1678, se veulent un « portrait du cœur de l’homme ».25
Mais un portait qui risque de déplaire et de subir la « censure » de
certaines personnes, car ces maximes sont « remplies de ces sortes de
vérités dont l’orgueil humain ne se peut accommoder. » Elles traitent en
effet de l’amour-propre comme « corrupteur de la raison » mais en
réalité La Rochefoucauld va bien au-delà de cette problématique qui
pourrait paraître un peu conventionnelle.
Souvent
traits d’esprit brillants, courtes pour la plupart, les maximes doivent
être faciles à se remémorer – comme le devaient être les préceptes mis à
l’honneur par Sénèque dans ses exercices spirituels. Elles sonnent
d’une petite musique très particulière, où semble se mêler un peu de
cynisme et un profond pessimisme à l’endroit de cet homme
essentiellement corrompu. Souvent un humour sombre :
Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui.26
Mise en exergue de l’édition de 1678, une première maxime donne le ton :
Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés.
Un constat qui conviendrait bien aux personnages principaux de Lorenzaccio…
Suit immédiatement une véritable déconstruction, une démolition de la
théorie traditionnelle (aristotélicienne ou stoïcienne) des vertus.
Ce
que nous prenons pour des vertus n’est souvent qu’un assemblage de
diverses actions et de divers intérêts, que la fortune ou notre
industrie savent arranger ; et ce n’est pas toujours par valeur et par
chasteté que les hommes sont vaillants, et que les femmes sont chastes.
« N’est
souvent », dit La Rochefoucauld : il se garde donc bien d’énoncer une
vérité générale, intangible. Cependant, il entreprend une analyse des
vertus qui s’opposent catégoriquement aux idées partagées par la plupart
des philosophes anciens (ces païens vertueux, chez à La Mothe Le
Vayer). Les vertus ne sont pas des dispositions caractéristiques du
caractère de l’individu. Il n’y a pas d’essence des vertus, du moins pas
« le plus souvent », car nous nommons vertus un assemblage d’éléments
qui, en eux-mêmes, n’ont rigoureusement rien de vertueux. Nietzsche,
lecteur critique de La Rochefoucauld, dira quelque chose d’assez proche à
propos de la volonté : la volonté n’est pas une faculté de l’esprit,
mais un résultat de mouvements vitaux variés qui se produisent dans
l’individu et dont la volition particulière n’est qu’une résultante. La
volonté n’est le plus souvent, dit Nietzsche, qu’un préjugé populaire.
« Vouloir » me semble être, avant tout, quelque chose de compliqué,
quelque chose qui ne possède d'unité qu'en tant que mot, — et c'est
précisément dans un mot unique que réside le préjugé populaire qui s'est
rendu maître de la circonspection toujours très faible des philosophes.27
Suit une analyse subtile qui conduit Nietzsche à conclure « notre corps n'est qu'une collectivité d'âmes nombreuses »28 et que des actions combinées de ces collectivités se tirent un effet :
L'effet, c'est moi. Il se passe ici ce qui se passe dans toute communauté bien établie et dont les destinées sont heureuses : la classe dominante s'identifie aux succès de la communauté.
Dans toute volonté il s'agit donc, en fin de compte, de commander et
d'obéir, et cela sur les bases d'un état social composé d'« âmes »
nombreuses. C'est pourquoi un philosophe devrait s'arroger le droit
d'envisager la volonté sous l'aspect de la morale : la morale, bien entendu, considérée comme doctrine des rapports de puissance sous lesquels se développe le phénomène « vie ».29
Moins
détaillée et moins générale à la fois, l’analyse de La Rochefoucauld
procède un peu selon les mêmes lignes. Il y a un assemblage d’actions,
combinées par notre industrie et dont le résultat est ce que nous
appelons vertu,
qui, « le plus souvent », n’est pas vertueuse puisque ses motivations
sont tout sauf pures et vertueuses. C’est pourquoi « les vices entrent
dans la composition des vertus. »30 Du reste cet arrangement semble découler de raisons naturelles :
La
force et la faiblesse de l’esprit sont mal nommées : elles ne sont, en
effet, que la bonne ou la mauvaise disposition des organes.31
Au demeurant :
Quoique
les hommes se flattent de leurs grandes actions, elles ne sont pas
souvent les effets d’un grand dessein, mais des effets du hasard.32
Il
semble que La Rochefoucauld parle ici seulement de ce que « nous
prenons pour des vertus » chez les autres : nous serions trompés en
quelque sorte par l’apparence que les autres donnent d’eux-mêmes, par la
« montre » comme dirait Balthasar Gracian33. La maxime II précise :
L’amour-propre est le plus grand des tous flatteurs.
Le
flatteur cherche à tromper dont il espère abuser (« Apprenez que tout
flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute… ») ; mais si
l’amour-propre est un flatteur, il ne peut que flatter le sujet le sujet
lui-même et donc l’abuser. Ce n’est donc pas l’apparence des autres qui
m’abuse au sujet de leur vertu,
mais bien l’apparence que je me donne à moi-même. Nous retrouvons ici
ce que nous avons vu chez Pascal : le menteur et la victime du mensonge
sont une seule et même personne. Ce sont les formes de cette tromperie
de soi-même, de cette « fausse conscience » pourrait-on dire, que traque
La Rochefoucauld.
Les vertus cachent les vices, l’envie, le ressentiment. Ainsi :
Le
mépris des richesses était dans les Philosophes un désir caché de
venger leur mérite de l’injustice de la fortune, par le mépris des mêmes
biens dont elle les privait ;34
Ou encore :
L’aversion
du mensonge est souvent une imperceptible ambition de rendre nos
témoignages considérables, et d’attirer à nos paroles un respect de
religion.35
Et
ainsi de suite. Nos qualités prétendues ne sont souvent que les
manifestations de l’amour-propre, tout comme Nietzsche découvrira
derrière l’humilité et l’amour du prochain la volonté de puissance.
L’amour-propre rend les « hommes idolâtres d’eux-mêmes ». La longue
maxime qui figurait en tête de la première édition et que La
Rochefoucauld a supprimée par la suite – détaille tous ces tours de
l’amour propre. Il « cache l’homme à lui-même » et par conséquent les
hommes sont souvent plus étrangers à eux-mêmes encore qu’ils ne le sont
aux autres.
Conclusion
Nous
avons donc ici, chez Pascal comme chez La Rochefoucauld, une théorie de
la méconnaissance de soi, mais une théorie singulière. Si on invoque
les passions (qui rendent aveugle) ou le rapport de l’âme et du corps
qui ne produit que des idées confuses, ou d’autres thèses encore, le moi
s’ignore lui-même pour des raisons qui lui sont quelque sorte exogène.
Mais ici, c’est autre chose : la puissance même d’affirmation du moi est
à la source du mécanisme de l’auto-illusion ou pour reprendre l’oxymore
pascalien de « l’illusion volontaire ». Méconnaissance radicale, donc.
1 Pascal, Pensées,
455 de l’édition Brunschvicg, 597 de l’édition Lafuma. Nous donnons
par la suite les références aux pensées en donnant dans l’ordre ces
deux numérotations.
2 Lucien Goldmann, Le dieu caché, Gallimard, 1959, p.46
3 Pascal, Pensées, 100-978
4 Cf. Pensées, 11-764
5 Pensées, 492-617
6 Pensées, 513-930
7 Voir saint Augustin, Controverses pélagiennes : De la grâce et du libre arbitre, chap. V.
8 Pensées, 441-471
9 Pensées, 100-978
10 Pensées, 67-23
11 Pensées, 68-778
12 Pensées, 73-76
13 Pensées, 100-978
14 Il y a peut-être ici une idée de ce « mentir-vrai » par lequel Aragon désignera le nouveau style réaliste en littérature.
15 Pensées, 100-978
16 Ibid.
17 Ibid.
18 Ibid.
19 Pensées, 323-688
20 Pensées, 550-931
21 Jacques Lacan, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Seuil, 1978, réédition dans la collection « Points ».
22 Op. cit. p.19
23 Op. cit. p.20
25 Avant-propos de l’édition de 1665.
26 Maximes, XIX, édition 1678
27 Nietzsche, Par delà Bien et Mal, I, §19, édition de Henri Albert.
28 Comme le dirait Spinoza, le Corps humain est un individu composé d’un grand nombre d’individus eux-mêmes très composés…
29 Nietzsche, op.cit.
30 La Rochefoucauld, Maximes…, CLXXXII
31 La Rochefoucauld, Maximes…, XLIV
32 Op. cit., LVII
33
Balthasar Gracian (1601-1658), jésuite et écrivain espagnol, a
consacré une partie de son œuvre à décrire les qualités de « l’homme
universel », l’homme de cour prudent. Gracian affirme le primat de
l’apparence.
34 Op. cit. maxime LIV
35 Op. cit. maxime LXIII
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