Rousseau, ce théoricien d’une démocratie radicale, pensait
que la démocratie était un régime fait pour des Dieux, mais peut-être pas pour
les hommes réellement existant.
La formation de la volonté
générale en démocratie n’est pas autre chose que la somme des différences
individuelles. « Il y a souvent bien de la différence entre la
volonté de tous et la volonté générale; celle-ci ne regarde qu'à l'intérêt
commun, l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de volontés
particulières: mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui
s'entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté
générale. »(Contrat Social, L.II, Ch. III)
Il est possible, nous dit Rousseau, de
convertir les égoïsmes particuliers en une volonté générale. Mais les
conditions en sont drastiques :
·
« que nul citoyen ne soit assez opulent
pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se
vendre. » (L. II, ch. XI)
·
qu’il ne se
forme de pas sociétés particulières qui fausseraient la balance ou que, s’il
s’en forme, elles soient le plus nombreuses possibles.
Autrement dit, la démocratie
suppose une société égalitaire et l’interdiction des partis politiques et des
coalitions d’intérêt ! Faute de l’une ou l’autre de ces conditions, la
démocratie se corrompt et le peuple cède le pas à la populace guidée par des
démagogues. Et même si ces conditions sont respectées, la simple rationalité
des citoyens ne suffit pas pour garantir le maintien de la puissance du corps
politique. Il faut encore éduquer les citoyens – ici se place l’Émile – et les unir par des sentiments communs, rôle dévolu à
la « religion civile ».
Lecteur de Machiavel – le Prince est « le livre des républicains » affirme
une note du Contrat Social – Rousseau
cherche à penser les conditions de l’établissement d’un régime nouveau en
partant des hommes tels qu’ils sont et des lois telles qu’elles pourraient
être. Or, ce qu’il montre et qui explique la haine tenace que lui vouent les
libéraux, c’est que la procédure démocratique ne peut pas à elle seule fonder
l’existence du corps politique mais qu’elle a besoin de s’enraciner dans un ethos
commun. Or une société dans laquelle les
individus mènent des existences séparées et ne sont préoccupés que de leurs
propres intérêts ne peut pas durablement garantir la liberté et l’égalité et
l’amour de la patrie qui sont l’essence même de ce corps politique.
On peut dire encore les choses
autrement : la démocratie n’est un régime acceptable que si elle se fonde
sur une conception commune du bien, et plus précisément sur la priorité que
chacun est prêt à accorder au bien public, y compris contre ses propres
intérêts. En l’absence de cette condition, la démocratie n’est pas autre chose
que la système où s’affrontent les intérêts égoïstes que plus rien ne vient
tempérer et c’est pourquoi conformément aux intuitions de Platon elle est si
prompte à se transformer en tyrannie, parce qu’elle est d’abord le régime de la
tyrannie du plaisir, ou plus exactement en tyrannie de l’intérêt individuel –
l’intérêt « sonnant et trébuchant », puisque l’argent procure tous
les plaisirs et que le plaisir le plus intense est celui que procure la
possession de l’argent.
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