jeudi 9 novembre 2017

Démocratie procédurale et conception du bien



Rousseau, ce théoricien d’une démocratie radicale, pensait que la démocratie était un régime fait pour des Dieux, mais peut-être pas pour les hommes réellement existant.
La formation de la volonté générale en démocratie n’est pas autre chose que la somme des différences individuelles. « Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale; celle-ci ne regarde qu'à l'intérêt commun, l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de volontés particulières: mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s'entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale. »(Contrat Social, L.II, Ch. III) Il est possible, nous dit Rousseau, de convertir les égoïsmes particuliers en une volonté générale. Mais les conditions en sont drastiques :
·         « que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. » (L. II, ch. XI)
·         qu’il ne se forme de pas sociétés particulières qui fausseraient la balance ou que, s’il s’en forme, elles soient le plus nombreuses possibles.
Autrement dit, la démocratie suppose une société égalitaire et l’interdiction des partis politiques et des coalitions d’intérêt ! Faute de l’une ou l’autre de ces conditions, la démocratie se corrompt et le peuple cède le pas à la populace guidée par des démagogues. Et même si ces conditions sont respectées, la simple rationalité des citoyens ne suffit pas pour garantir le maintien de la puissance du corps politique. Il faut encore éduquer les citoyens – ici se place l’Émile – et les unir par des sentiments communs, rôle dévolu à la « religion civile ». Lecteur  de Machiavel – le Prince est « le livre des républicains » affirme une note du Contrat Social – Rousseau cherche à penser les conditions de l’établissement d’un régime nouveau en partant des hommes tels qu’ils sont et des lois telles qu’elles pourraient être. Or, ce qu’il montre et qui explique la haine tenace que lui vouent les libéraux, c’est que la procédure démocratique ne peut pas à elle seule fonder l’existence du corps politique mais qu’elle a besoin de s’enraciner dans un ethos commun. Or une société dans laquelle les individus mènent des existences séparées et ne sont préoccupés que de leurs propres intérêts ne peut pas durablement garantir la liberté et l’égalité et l’amour de la patrie qui sont l’essence même de ce corps politique.
On peut dire encore les choses autrement : la démocratie n’est un régime acceptable que si elle se fonde sur une conception commune du bien, et plus précisément sur la priorité que chacun est prêt à accorder au bien public, y compris contre ses propres intérêts. En l’absence de cette condition, la démocratie n’est pas autre chose que la système où s’affrontent les intérêts égoïstes que plus rien ne vient tempérer et c’est pourquoi conformément aux intuitions de Platon elle est si prompte à se transformer en tyrannie, parce qu’elle est d’abord le régime de la tyrannie du plaisir, ou plus exactement en tyrannie de l’intérêt individuel – l’intérêt « sonnant et trébuchant », puisque l’argent procure tous les plaisirs et que le plaisir le plus intense est celui que procure la possession de l’argent.

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