vendredi 6 avril 2018

L'homme est-il un loup pour l'homme

Conférence à Philopop, Le Havre, 5 avril 2018 par Marie-Pierre Frondziak

De l’antiquité à l’époque moderne (XVIIe siècle), on ne pense l’homme qu’à partir de la société : celle-ci est naturelle à l’homme. En effet, chez les Anciens, notamment pour Aristote (IVe s. av. JC), l’homme est considéré comme animal politique, c’est-à-dire animal fait naturellement pour vivre en société, et doué de raison. Pour Cicéron (1er s. av. JC), dans la tradition stoïcienne, le monde forme un tout où chaque être vivant a sa place, l’être humain au même titre que les autres, et qui tend à l’harmonie universelle. Pourvus de la raison, la finalité des hommes est d’appliquer à la société humaine le même ordre rationnel que celui qui régit l’ordre du monde. On a ainsi affaire à un holisme dans lequel l’homme n’est pas pensé comme sujet face au monde mais comme être dans le monde, comme être du monde. Le monde constitue ainsi une harmonie à ne surtout pas mettre en question et donc l’idée de guerre de chacun contre chacun n’y a pas de sens, même si évidemment cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de conflits entre individus. La seule guerre possible est la guerre contre les autres cités, contre les autres pays. C’est d’ailleurs en ce sens que Plaute (-195), le premier à utiliser cette formule, l’envisagera puisqu’il dit : « Quand on ne le connaît pas, l’homme est un loup pour l’homme. » Asinaria (comédie). Cette expression a été beaucoup reprise (Pline l’Ancien, Érasme, Montaigne, Schopenhauer et Freud pour les plus connus), mais nous nous attacherons ici au sens que lui donne Hobbes. Il est à noter que cette citation a souvent été utilisée de manière incomplète et à contresens.
Avec la philosophie du sujet (Descartes au xviie siècle), on a un changement radical de perspective. En quelques mots : jusqu’au XVIe on croit que la terre est au centre du monde et qu’elle est immobile (sauf Aristarque IIIe siècle av. JC). C’est le géocentrisme et le système de Ptolémée (IIe s. ap. JC). On croit cela car c’est ce que nous indique la perception. Avec Copernic puis Galilée, on apprend que c’est la terre qui tourne et qu’elle n’est pas au centre, c’est l’héliocentrisme. De plus, le monde ne résulte plus d’une harmonie universelle orientée par une finalité, mais constitue un univers physique, reposant sur le principe de causalité (A noter, c’est au XVIIe que la physique apparaît comme science). À partir de cette découverte, Descartes est celui qui va tirer les conséquences si je puis dire philosophiques de cela. On ne peut plus partir du monde qui ne nous dévoile rien, il faut partir du sujet. Ainsi, comme la révolution scientifique (cf. Galilée, Newton, …) qui pense la nature à partir de ses éléments et l’explique à l’aide de lois, l’analyse politique va elle aussi prendre une nouvelle perspective. Pour comprendre l’ordre politique, les penseurs vont partir des individus (= des éléments) et affirmer que l’ordre politique est artificiel et donc non naturel, construit (comme d’ailleurs la science), c’est-à-dire issu d’une convention entre les hommes. On ne part plus du monde mais de l’homme, naît ainsi l’individualisme par opposition au holisme et on trouve alors l’idée de la concurrence et du conflit entre les hommes, non plus seulement entre les sociétés. 
Au XVIIe siècle vont naître nombre de réflexions avec des gens comme Grotius (Du droit de la guerre et de la paix – 1625) et Pufendorf (Du droit de la nature et des gens – 1672), respectivement hollandais et allemand, tous deux juristes, ou avec Hobbes et Locke (Traité du Gouvernement civil – 1690), Spinoza (TTP – 1670), puis Rousseau au XVIIIe siècle qui sont philosophes. Ils partent de l’idée que l’individu, en tant que tel, possède un certain nombre de droits. En effet, naturellement, les hommes sont indépendants et égaux, et nul n ‘a droit de commander aux autres. Mais cet état de nature est un état très instable, voire violent, d’où cette affirmation de Hobbes dans le De Cive : « l’homme est un loup pour l’homme », après avoir dit que « l’homme est un dieu pour l’homme », car sans l’autre nous ne pouvons survivre. Cet état de violence ne peut être dépassé que par une autorité politique. Ils vont alors réfléchir au moyen de régler les relations entre les hommes, puisque visiblement le droit naturel de la droite raison ne suffit pas.  
La question qui se pose donc à nous est la suivante : l’homme est-il un loup pour l’homme ? Est-ce en permanence la guerre de chacun contre chacun ? Dans la tradition philosophique, à partir du 17èmesiècle, on trouve en général une anthropologie qui l’affirme, excepté chez Rousseau, pour lequel l’homme solitaire est plutôt neutre et que c’est la vie avec ses semblables qui le rend mauvais. Mais dans la mesure où l’homme ne peut vivre seul, cela ne revient-il pas à la même conclusion ? À savoir, l’homme est constamment en concurrence, voire en conflit avec ses semblables, ce qui suppose une certaine dose d’agressivité. Certes, classiquement la guerre est un conflit armé entre États, qui induit les notions d’agression et /ou de défense, mais ne rencontre-t-on pas aussi cet état entre individus ?
 Je vous propose donc pour analyser cette question de partir dans un premier temps de deux conceptions anthropologiques qui semblent s’opposer, celles de Hobbes et de Rousseau. Dans un second moment, d’envisager, très succinctement mais pour illustrer notre propos, la volonté de la philosophie de l’Histoire de trouver un sens à ces conflits et de les dépasser. Je m’appuierai sur Kant. Enfin nous terminerons avec l’anthropologie pessimiste de Freud.
I L’OPPOSITION (APPARENTE) ENTRE HOBBES ET ROUSSEAU
Hobbes = philosophe anglais (1588-1679). Du Citoyen (De Cive) a été écrit en 1642, le Léviathan en 1651. Il faut savoir que la réflexion politique de Hobbes est liée au contexte politique de son époque, à savoir la guerre civile anglaise en 1642 (Charles 1er est jugé et exécuté en 1649, République de 1649 à 1660, sous Cromwell). Il s’agit pour lui d’éclairer les hommes sur la nécessité de l’État, afin d’éviter la discorde et la guerre. Ainsi, il cherche à expliquer et légitimer l’ordre politique existant, à savoir l’Absolutisme. Sa démarche est descriptive et explicative, et nous dit ce qui est.
J.J. Rousseau (1712-1778), philosophe français, né à Genève a écrit un certain nombre d’ouvrages importants, parmi lesquels nous retiendrons ici : le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) et Du contrat social (1762). Sous des aspects parfois lyriques, il nous faut souligner ici que la pensée politique de Rousseau est particulièrement rigoureuse et conséquente. Son objectif est d’énoncer les principes du droit politique. A la différence de Hobbes, Rousseau refuse de légitimer le fait par le droit et sa démarche est normative, il nous dit ce qui doit être.
Néanmoins, ils affirment tous deux un état d’égalité des hommes à l’état de nature. Leur opposition viendra de l’interprétation de cette égalité et des conséquences qu’ils en tireront, quant à l’ordre politique tel qu’il est et tel qu’il doit être. 
Hobbes, pour étayer sa philosophie politique, part de l’hypothèse de l’homme à l’état de nature pour expliquer et justifier la nécessité d’un pouvoir politique. Le but de Hobbes est de montrer que, sans un accord primordial des hommes entre eux, sans un pacte reconnu par tous, la vie humaine est une vie d’insécurité et d’état de guerre permanent. Ainsi, selon lui, l’état de nature concernant l’homme est un état d’indépendance, ce que l’on appelle aussi liberté naturelle. Cela signifie que, dans cet état, il n’existe pas de subordination à une quelconque autorité, qu’elle soit celle d’un autre homme ou divine.
Hobbes commence par un constat : naturellement (= sur le plan de la nature), les hommes disposent quasiment des mêmes facultés corporelles et donc aussi de la même force.
De même, ils disposent pratiquement des mêmes capacités intellectuelles, la preuve = chacun croit être plus sage que les autres : « Car, ordinairement, il n'existe pas un plus grand signe de la distribution égale de quelque chose que le fait que chaque homme soit satisfait de son lot. » Chap. XIII (Léviathan - De la condition naturelle des hommes en ce qui concerne leur félicité et leur misère). Donc, tous les hommes sont égaux naturellement, car ils sont constitués de la même façon. Chacun est fondamentalement libre et puissant, possède le droit de se préserver par tous les moyens. Conséquence: tous les individus désirent les mêmes choses. Désirant les mêmes choses, et essentiellement la conservation de leur vie (que Hobbes considère comme étant une loi naturelle dictée par la raison), ils entrent en concurrence et deviennent ennemis : c’est la guerre de chacun contre chacun, idée qui reprend celle de Plaute : « l’homme est un loup pour l’homme» De cive. Selon Hobbes, trois causes sont à l’origine de cette situation : la rivalité, la défiance et la fierté, lesquelles entraînent l’attaque pour le gain, la fierté et la réputation qu’il obtient ou maintient par la violence. Donc, tant qu’il n’existe pas de lois, pas de souverain, pas de structures d’obéissance et donc pas d’objectif mis en commun, c’est l’état de guerre permanent. Pour Hobbes, l’état de guerre ne renvoie pas seulement à des combats ou des batailles mais aussi à une disposition au combat et ce serait le cas quand il n’y a pas de lois autoritaires et dissuasives, l’homme est ennemi de tout homme.
De cette incapacité à s’entendre, Hobbes tire les conséquences : pas de savoir, pas de progrès, pas de société, pas d’évolution, seulement une vie solitaire (puisque tous les autres sont de potentiels ennemis) et animale (liée au seul instinct de survie).
Pour étayer son propos et nous signifier qu’en nous demeurent des traces de cet état d’insécurité et de méfiance vis-à-vis de nos semblables, Hobbes énumère toutes les précautions que nous prenons encore à l’état civilisé (ou socialisé), et ce malgré tous les moyens de sécurité mis en place, comme si la résurgence de cet état de nature pouvait intervenir à tout instant (on ferme la porte à clé, quand on part en voyage, on s’arme, on se méfie de ses domestiques, etc.). Cela montre bien que sans les institutions, sans les lois, l’homme reste un loup pour l’homme.
Comme on peut le voir l’anthropologie hobbesienne est très pessimiste : sans lois, sans un état civil, les hommes ne peuvent s’entendre, ils sont trop méfiants et dominateurs.
Pour autant, il croit que l’être humain est à même de sortir de cet état de nature grâce à deux facultés : les passions et la raison. Ces passions sont la peur de la mort et le désir de confort, passions capables de contrecarrer l’agressivité inhérente à l’homme. De même, il possède la raison, faculté qui lui permet de comprendre son intérêt et de mettre en place les structures (ordre politique, lois, …) qui lui permettent de le satisfaire.
Donc, la loi naturelle, qui exige la conservation de soi, va entraîner la recherche de la paix, car la guerre nuit à la conservation de soi. Cette compréhension de l’intérêt bien compris est possible grâce à la raison.
Ainsi, pour vivre en paix, et donc assumer l’obligation de la loi naturelle, qui consiste à persévérer dans son être, un pouvoir commun doit être mis en place par un pacte, c’est-à-dire une convention qui présuppose la réciprocité (d’où « que l’on consente, quand les autres y consentent aussi, à se dessaisir, dans toute la mesure où l’on pensera que c’est nécessaire à la paix et à sa propre défense, du droit qu’on a sur toute chose ; et qu’on se contente d’autant de liberté à l’égard des autres qu’on en concèderait aux autres à l’égard de soi-même. » Ibid. Je renonce à mon droit naturel et reconnais un droit propre à l’autre qui délimite le mien, c’est le pacte d’association. Ma liberté est conservée, à condition qu’elle ne nuise pas à autrui et réciproquement, c’est ce qu’on appelle la « règle d’or » (qu’on retrouve notamment chez Confucius au Vème siècle avant J.C. : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse à vous-même »)).
C’est une toute autre perspective, une perspective opposée, que l’on trouve avec Rousseau. Comme Hobbes, il émet aussi l’hypothèse d’un état de nature, dans lequel les hommes sont naturellement égaux (mêmes capacités, mêmes facultés). Même affirmation aussi que chez Hobbes : à l’état de nature, il n’y a pas d’évolution, pas de progrès. Cependant, dans cet état de nature, les hommes sont pacifiques, ou à tout le moins sont neutres, car la possession n’est pas assez stable et les besoins sont très limités. De plus, les passions, comme l’orgueil ou l’amour-propre, ne sont pas développées, car les hommes vivent isolés. Les hommes n’ont donc pas à se comparer, ni à s’agresser. Mais ils sont également stupides et bornés (C.S L.I., chap. VIII.) -> ils ne sont donc pas libres. Comme chez Hobbes encore, on retrouve la loi naturelle comme idée de la conservation de soi, que Rousseau appelle amour de soi et à laquelle il ajoute la pitié pour autrui. Mais, là où diverge essentiellement Rousseau, c’est qu’il réfute justement cette idée d’un état de guerre permanent de chacun contre chacun : « C'est le rapport des choses et non des hommes qui constitue la guerre, et l'état de guerre ne pouvant naître des simples relations personnelles, mais seulement des relations réelles, la guerre privée ou d'homme à homme ne peut exister, ni dans l'état de nature où il n'y a point de propriété constante, ni dans l'état social où tout est sous l'autorité des lois. (…) La guerre n'est donc point une relation d'homme à homme, mais une relation d'État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu'accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats ; non point comme membres de la patrie, mais comme ses défenseurs. »C.S. Chap. IV De l’esclavage. Ce que décrit ici Rousseau, c’est ce qui doit ou devrait être et cela signifie que pour lui naturellement, l’homme n’est pas belliqueux envers ses semblables, mais c’est la vie en société qui entraine la guerre de chacun contre chacun, car c’est la vie sociale qui crée les relations de pouvoir et de subordination. Il montre d’ailleurs que le contrat d’association passé entre les hommes est un véritable marché de dupes. Il le dit de façon très ironique dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes « Unissons-nous (…) pour garantir de l’oppression les faibles, contenir les ambitieux, et assurer à chacun la possession de ce qui lui appartient. Instituons des règlements de justice et de paix auxquels tous soient obligés de se conformer (…). En un mot, au lieu de tourner nos forces contre nous-mêmes, rassemblons-les en un pouvoir suprême qui nous gouverne selon de sages lois, qui protège et défende tous les membres de l’association (…). »Ce qui se passe dans la société est selon lui un véritable coup de force. En effet, Rousseau réaffirme que ce qui est naturel, c’est la possession. La propriété suppose une reconnaissance comme telle. Or, selon lui, ceux qui possédaient ont imaginé un accord qui viserait à garantir leur possession. En remettant tous leur droit à un souverain, les possédants gagnaient par là-même la perpétuation de leur possession transformée en propriété et donc garantie par l’ordre public. C’est dans la société que règne la loi du plus fort, les faibles ont été dupés : croyant être protégés par les lois, celles-ci ne font que légaliser la violence. Ainsi, par leur pauvreté, ils deviennent dépendants. Or, si les peuples se sont donné des chefs, c’est pour défendre leur liberté, non pour la supprimer. Rousseau dénonce cette légitimation du fait par le droit, qui ne profite qu’aux plus puissants. C’est en cela que Rousseau diverge de Hobbes. Selon le premier, le second avec sa théorie politique ne fait que légitimer l’ordre politique existant fondé sur la force. Cependant, la force relève du fait, elle est changeante, aléatoire. Et là où il y a soumission à la force, il ne peut y a voir de liberté. Or, pour Rousseau, un contrat suppose des obligations mutuelles, non pas un engagement unilatéral, comme c’est le cas dans la soumission, en particulier dans l’Absolutisme. En effet, pour Rousseau l’État doit être garant de la liberté et de l’égalité auxquelles les hommes ont naturellement droit. Aussi, la liberté n’est-t-elle possible qu’à travers l’ordre politique, à travers le pacte d’association, qui fait que chacun se donnant à tous ne se donne à personne. Mais cet état politique n’existe pas, il est à faire. L’état politique que nous connaissons est bien fait de conflits entre individus. C’est pourquoi, le contrat social de Rousseau ne cherche pas à légitimer ce qui existe, comme il reproche à Hobbes de le faire. Selon lui, ce que les hommes ont fait, ils peuvent le défaire. De même donc, l’ordre social et politique peut également être mis en question.
Finalement ce que montrent Hobbes et Rousseau c’est que du fait que les hommes ont des relations entre eux, celles-ci sont sources de conflits, dues notamment au développement des différentes passions. Pour assurer une paix relative, ils ont dû instaurer par convention une autorité qui les départage et qui limite cette guerre de chacun contre chacun.
Il n’en reste pas moins que l’on peut s’interroger sur les raisons de cette inimitié entre les hommes. C’est ce que vont faire les philosophies de l’Histoire.
II COMMENT COMPRENDRE CET ETAT DE GUERRE DE CHACUN CONTRE CHACUN : LA PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE
Kant est le premier à faire une véritable « Philosophie de l'Histoire ». Ce terme désigne les doctrines qui prétendent donner un sens à l'histoire de l'humanité prise dans son ensemble. En effet, parce qu’il portait un jugement désenchanté sur la nature humaine, Kant a cherché à comprendre le sens d’une histoire dont l’absurdité saute aux yeux. Il va se demander pourquoi l’Histoire des hommes est tragique et s’ils peuvent échapper à cette tragédie. C’est pourquoi, il lui apparaît essentiel de chercher à y voir clair au-delà du spectacle des atrocités insoutenables. Il est certes sans illusion concernant la méchanceté des hommes. Mais en même temps, c’est à cause de cette méchanceté qu’il faut mener une réflexion afin de comprendre que les hommes ne sont pas nécessairement voués au malheur, mais que l’espèce humaine est susceptible de progrès. En effet, l’homme est à la fois un être de nature et un être raisonnable. Si les hommes étaient gouvernés uniquement par la raison, ils feraient régner la raison dans le monde. Mais l’être humain est un mixte, dual, tiraillé, dont on ne peut prévoir toutes les réactions. Ainsi, en cherchant le sens de notre condition, Kant tente de comprendre comment cet antagonisme fondamental peut engendrer la culture et il va montrer que c'est au niveau de l’espèce, non de l’individu, donc dans l'Histoire que se réalise le progrès de la raison et de la liberté. Ainsi, l’homme a l’idée de ce qu’est une conduite raisonnable, qui fait la différence entre lui et l’animal, mais elle est raisonnable en puissance, c’est une potentialité, elle n’est pas en acte (=effective). L’originalité de Kant va consister à affirmer que le progrès humain n’est possible que malgré et en même temps par la méchanceté des hommes. En effet, pour que les hommes parviennent à développer la raison et la liberté, ils doivent s’opposer et c’est cette opposition qui rend possible la société, lieu propice au développement des facultés humaines. C’est ainsi la recherche égoïste des intérêts privés et la concurrence entre les hommes qui stimulent et développent leurs dispositions naturelles.
Pour préciser tout ceci, je vais m’appuyer sur l’analyse de la proposition IV de l’IHU (1784) dans laquelle Kant affirme qu’il existe chez l’homme 2 penchants contradictoires qu’il nomme insociable sociabilité et qui poussent l’individu à s’associer avec ses semblables, mais aussi à s’opposer à eux, afin d’obtenir une satisfaction égoïste de ses intérêts. Ainsi, le 1er de ces penchants le conduit à rechercher ses semblables, car pour survivre les hommes ont besoin les uns des autres et doivent s’organiser pour lutter contre la nature. De plus, grâce aux autres, ils peuvent développer toutes leurs potentialités, telles que le langage, la pensée, la technique, etc. en s’éduquant les uns, les autres. L’homme est donc naturellement sociable. Cependant, son 2ème penchant, naturel lui aussi, le pousse à s’isoler. En effet, chaque homme est mû par ses intérêts et ses passions, et ne vise qu’à les satisfaire. Chaque homme ne pense qu’à son intérêt particulier quand il agit, ne pense pas à l’intérêt général, ou à l’intérêt de l’espèce. Mais, ce faisant, les hommes servent sans s’en rendre compte cet intérêt commun. L’idée d’un progrès de l’espèce humaine suppose ici que lorsque chaque individu agit en visant son intérêt particulier, il contribue sans le savoir, et malgré lui, par son propre égoïsme, au progrès de l’espèce. On retrouve ici la théorie de la main invisible d’Adam Smith (La richesse des nations – 1776), que Kant a lue, ainsi que l’idée que développera Hegel, à savoir la ruse de la raison qui utilise les passions humaines pour s’accomplir. Ce faisant, l’individu va donc constamment s’opposer aux autres et ses relations avec eux vont être le plus souvent conflictuelles. Ce que je désire, les autres le désirent également, comme nous l’avons vu avec Hobbes. Et, paradoxalement, c’est justement le fait que nous désirions les mêmes choses qui va amener à développer nos qualités proprement humaines. En effet, l’autre représente un obstacle que chacun doit surmonter en mettant en œuvre toutes ses facultés et c’est cette contrainte qui lui permet de développer son humanité. En effet, l’opposition à autrui va avoir pour conséquence d’éveiller les forces humaines. Pour s’imposer parmi les autres, l’homme doit mettre en œuvre une grande énergie et une grande capacité d’invention. Et, si les autres hommes représentent autant d’obstacles à surmonter et nécessitent la mise en œuvre de toutes ses facultés, ils sont en même temps le moyen de satisfaire ces passions. C’est pourquoi chacun cherche à se faire une place parmi ses semblables. Par exemple, l’ambition n’a de sens que parce que les autres existent. Ainsi, ce mécanisme naturel est à l’origine du développement de l’humanité. Voulant être toujours plus fort, plus puissant, l’homme développe toutes ses dispositions. Ce sont donc les passions qui vont entraîner le développement de l’humanité et pousser l’homme à dépasser sa nonchalance. S’il ne rencontrait aucun obstacle, l’homme demeurerait un simple animal. L’homme n’est donc pas pacifique par nature. C’est parce qu’il est naturellement méchant, qu’il peut accéder à une certaine grandeur. L’Histoire semble alors n’avoir rien de moral. Mais, c’est justement parce que les passions, qui n’ont rien de remarquable, ni de digne en elles-mêmes, mettent les hommes en concurrence, qu’elles les forcent à se discipliner et à se cultiver, pour l’emporter sur leurs semblables. Sans cette insociabilité, les facultés humaines resteraient à l’état de possibilité, elles ne seraient jamais effectives. Kant fait ainsi une comparaison. Si les hommes n’étaient pas belliqueux, ils ressembleraient à de doux animaux domestiques. Certes, nous pouvons regretter une vie, hypothétique, d’innocence et d’ignorance. Cependant, et Rousseau l’avait déjà remarqué dans le Contrat social, dans cet état de nature, l’homme est un animal stupide et borné, et sa vie n’a pas vraiment de valeur, dans la mesure où elle n’est pas orientée par la liberté. L’Histoire des hommes est certes faite de violence, mais elle fait également des hommes intelligents et libres. Et si les passions sont porteuses de souffrance, elles impliquent également que par la perte de son innocence, l’homme a obtenu en retour la possibilité d’utiliser sa raison et de donner ainsi un sens à l’existence humaine.
C’est donc grâce à ses passions que l’homme passe de l’état de nature à l’état de culture, au développement de la pensée et de la connaissance. Celles-ci ont pour base la vie des hommes en société. Sans rapprochement avec leurs semblables, les hommes resteraient à l’état de nature. De même, leur antagonisme contraint les hommes à se mettre d’accord sur des règles de vie en société, sans lesquelles cette dernière ne pourrait subsister. Mais cet accord est « pathologiquement extorqué », c’est-à-dire qu’il n’est pas librement décidé, mais provoqué, déterminé par la nature, par leur nature.
C’est pourquoi le caractère d’insociabilité constitue paradoxalement un bienfait de la nature, car il stimule continuellement l’homme. Même si en apparence la nature a mis en nous la méchanceté, elle ne nous abandonne pas complètement à notre sort. C’est ici le côté optimiste de Kant qui nous demande de remercier la nature pour toute la violence et toute l’agressivité qu’elle a mises en nous, ce qui peut sembler choquant. Cependant, ce qu’il faut comprendre ici est que ces attitudes négatives sont pour nous des moyens d’accéder à une réelle humanité. La nature n’a pas mis en vain le conflit en nous. Celui-ci doit nous stimuler, éveiller en nous la raison et la liberté, qui fondent proprement notre humanité. Or, par cet antagonisme de l’insociable sociabilité, la nature nous oblige à nous discipliner et à n’obéir non plus aux passions, c’est-à-dire à la nature en nous, mais à nous-mêmes, à notre raison. Toutes les violences sont des moyens dont la nature se sert pour nous éduquer et nous libérer de nos passions et de notre méchanceté. Le mal devient « providentiel » selon Kant.
Néanmoins, il ne s’agit pas de dire que la nature a fait les hommes méchants, pour qu’ils puissent justement devenir bons. Les hommes seuls sont responsables de leur méchanceté, sont responsables de leurs actes, sinon la liberté est impossible.
En effet, si les hommes écoutaient leur raison ou leur conscience, ils vivraient dans un monde parfaitement ordonné. Aussi, nous devons nous en prendre à nous-mêmes si l’Histoire est une tragédie. C’est justement parce qu’ils ne sont pas raisonnables comme ils le devraient que les hommes font leur propre malheur.
Le jugement que Kant porte sur l’histoire des hommes est donc un jugement moral. Il accuse les hommes. Car s’ils sont libres, cela signifie aussi qu’ils sont responsables de l’Histoire qu’ils font et des maux qu’ils perpétuent. Sinon, nous ne pourrions plus juger les actes des hommes, ils ne seraient plus ni bons, ni mauvais. Or, selon Kant, les hommes ont « soif de destruction », témoignage le plus dégradant de l’immaturité de l’homme.
Faut-il alors désespérer de l’espèce humaine ? Les hommes se croient supérieurs aux autres êtres parce qu’ils possèdent la liberté, la raison et la puissance. Pourtant, c’est en utilisant mal ces facultés qu’ils sont les pires êtres de tous et sont moralement mauvais. Il est donc urgent pour le philosophe (celui qui veut comprendre) de trouver une « issue », une solution. Comment reprendre espoir en l’humanité ? En l’éduquant, afin qu’elle réalise l’Humanité, c’est-à-dire qu’elle développe les germes de raison et de liberté qui sont en elle.
Kant est finalement assez optimiste, il vit en plein siècle des Lumières et croit à l’idée de progrès. C’est pourquoi il pense sincèrement que l’humanité, en développant sa raison, en faisant bon usage de sa liberté, ne pourra que devenir meilleure.
Avec Freud, qui lui aussi au-delà de la psychanalyse élabore une anthropologie, nous allons avoir une toute autre conception de l’homme, bien plus pessimiste.
III UNE DURE REALITE OU LA FIN D’UNE ILLUSION : FREUD
Dans son analyse, Kant essaie de montrer les causes, les raisons de la méchanceté humaine. Il essaie de lui donner un sens. Freud part du fait que l’homme est méchant, agressif et en analyse les conséquences. La différence entre ces deux penseurs, c’est que le premier croit en l’idée d’une finalité naturelle alors que le second est positiviste.
Freud a mené au-delà de ses recherches thérapeutiques, toute une analyse de l’homme et a élaboré une psychologie sociale. Sa réflexion mène ainsi à une théorie de la civilisation, comme l’avaient fait avant lui des penseurs comme Rousseau ou Marx. Dans tous ces systèmes de pensée, il s’agit de comprendre l’homme dans ses relations aux autres mais aussi à lui-même.
Freud est ainsi parvenu à l’idée que le développement individuel est la résultante de l’action de deux tendances opposées qui semblent inconciliables et qui s’exigent en même temps l’une l’autre : l’aspiration égoïste au bonheur et l’aspiration à la réunion avec les autres dans la , un peu comme chez Kant. En effet, Freud va montrer que le sujet ne se comprend que dans son rapport aux autres, car il ne peut se constituer comme sujet que grâce aux autres. Les hommes se construisent par mimesis réciproque. Sans les autres nous ne pouvons nous humaniser : ce sont eux qui nous apprennent à nous tenir debout, qui nous apprennent à parler, qui nous enseignent les moyens et les règles de la vie commune, bref ce sont les autres qui nous permettent d'entrer dans la culture.Les hommes vont donc se regrouper et créer la civilisation. La civilisation c’est l’état civil opposé à l’état de nature, c’est ce que l’homme a créé de lui-même, c’est-à-dire ce qui n’existe pas sans l’existence humaine : les institutions, les règles, les savoirs, etc. La civilisation est selon Freud « la totalité des œuvres et organisations dont l’institution nous éloigne de l’état animal de nos ancêtres et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux. » p.37 MC. En effet, les hommes mettent en place des institutions pour organiser ensemble leur survie, et cela passe par l’organisation entre autres du travail. Cette organisation est bien culturelle, puisqu’elle n’est pas la même partout. Mais le fait d’organiser le travail, d’une manière ou d’une autre, existe dans tout groupe humain. Ainsi, pour survivre, les hommes doivent travailler, c’est-à-dire doivent transformer la nature afin de produire des biens consommables. Ils pourront d’autant plus satisfaire leurs besoins qu’ils seront organisés pour les satisfaire et pourront donc vivre dans une situation de relative paix. En effet plus les hommes travaillent et sont à même de satisfaire leurs besoins, moins ils s’entre-tuent car moins il n’y a de rareté. Pour cela, ils doivent être capables justement de vivre ensemble et cela n’est possible que par la mise en place de règles communes (contrat de travail, mariage, etc.). La mise en place de règles est d’autant plus cruciale que les hommes ont du mal à supporter la frustration. Donc pour vivre, les hommes ont besoin les uns des autres, mais cela signifie qu’ils doivent renoncer à certains de leurs désirs pour respecter les règles du groupe. Ils doivent donc refouler : on ne peut pas faire tout et n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand, etc. La socialisation a donc un lourd coût, il faut que l’individu renonceà l’expression et à la satisfaction de tous ses désirs, qui vont se trouver incompatibles avec la vie commune. Pour Freud, la civilisation ne peut exister que dans et par le renoncement aux pulsions dont sont animés tous les humains.Ainsi en s’associant, les hommes ont renoncé de fait à une part de liberté et de bonheur en échange de sécurité. Il est donc illusoire selon Freud d’espérer construire une société sans conflits, en niant les caractères destructeurs de la nature humaine.
En effet, pour Freud, l’homme n’est pas foncièrement bon, mais animé de pulsions agressives, qui sont des pulsions de vie et qui le poussent à entrer continuellement en conflit avec les autres, car il est en compétition avec eux pour la réalisation de ses désirs. De plus nous désirons tous les mêmes choses : d’abord survivre certes, et le travail en représente la condition de possibilité, mais aussi nous désirons la reconnaissance, l’attestation de notre existence, d’où l’expression de toute une série d’affects, comme le dit Spinoza : désir de puissance, de domination, de gloire, de richesse, d’exclusivité, mais aussi d’amour, et donc souvent de haine et de jalousie.L’homme a ainsi naturellement une bonne somme d’agressivité et a tendance à satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain. Et ces pulsions agressives sont plus fortes que ses intérêts rationnels, car l’être humain cherche constamment la satisfaction de ses désirs, il est à la poursuite du plaisir. Or : « la civilisation doit tout mettre en œuvre pour limiter l’agressivité humaine et pour en réduire les manifestations à l’aide de réactions psychiques d’ordre éthique » nous dit Freud p.65 MC. En effet, si nous laissions exprimer sans retenue tous ces désirs, nous ne pourrions plus nous organiser ensemble pour survivre. Il faut donc envisager des barrières, des contraintes à ces flots de pulsions pour que la civilisation puisse persister. Il faut donc aimer son prochain comme soi-même. Cette injonction chrétienne apparaît comme un des impératifs de la civilisation. Mais un tel commandement ne se soucie guère de la constitution psychologique des hommes. Freud en arrive à l’idée que cela ressemble au « credo quia absurdum » (Tertullien ? – 2ème-3ème s ap. JC), car aimer son prochain comme soi-même n’est pas naturel ! En effet, le précepte chrétien se heurte à une réalité humaine fondamentale, la haine de l’autre. Mais d’où vient cette haine de l’autre ? Dans MC, Freud revient sur cette thèse illustrée par Hobbes : « L’homme est un loup pour l’homme ». Comme nous l’avons vu, cette thèse s’oppose à la sociabilité naturelle de l’homme (Aristote). Freud considère comme Hobbes que l’homme échange sa liberté absolue et son droit de jouissance contre la sécurité dans la civilisation. Cependant, pour Hobbes, l’homme est un être rationnel capable de connaître la loi de nature qui lui commande de tout faire pour préserver sa propre vie et donc de chercher la paix par un accord (contrat social) avec les autres hommes. Or la culture chez Freud ne se maintient pas grâce à la rationalité des acteurs mais par les procédés « qui doivent inciter les hommes à des identifications et à des relations d’amour inhibées quant au but », les hommes doivent s’identifier aux hommes de leur culture. Ainsi le sentiment primitif d’hostilité ne pouvant être satisfait, se transforme en attachement et fait naître les sentiments sociaux.Toutefois, le renoncement à l’agressivité rend les hommes malheureux. C’est pourquoi, on peut déceler chez tous les hommes, ou presque tous, une agressivité, une hostilité envers la civilisation.Ils ne peuvent l’accepter qu’à l’intérieur d’un groupe relativement restreint et à condition de tourner cette agressivité vers l’extérieur, qui permet de limiter les conflits à l’intérieur du groupe en tournant l’agressivité vers les autres groupes : « En effet, pour qu’un sentiment de solidarité puisse être solidement établi dans les masses, il faut qu’il existe une certaine hostilité à l’égard de quelque minorité étrangère, et la faiblesse numérique de cette minorité incite à la persécuter. »[1]
Ainsi l’agressivité, cette pulsion de vie mais anti-culturelle apparaît maintenant comme une figure de la pulsion de mort, un retournement de la pulsion initialement tournée vers l’intérieur et maintenant retournée vers l’extérieur (sachant que l’homme s’aime d’abord lui-même suivant ses pulsions d’autoconservation, mais cela ne convient pas avec la réalité, d’où l’émergence de la haine contre soi puisque le désir ne peut se réaliser). Ainsi, plus la civilisation « progresse », plus elle inflige de contraintes car plus elle discipline, mais en même temps elle augmente la frustration. Ainsi, les pulsions de vie, agressives, qui peuvent de moins en moins s’exprimer se transforment en pulsions de mort et cette haine de soi peut alors se retourner en haine des autres, c’est ce que Freud appelle la désintrication de la pulsion de mort.Le racisme qui est la haine de soi retournée vers l’extérieur est prototypique de cette pulsion de mort qui hait la différence – et qui la hait d’autant plus qu’elle est plus petite (l’antisémitisme comme exemple même de ce racisme des petites différences). Au cœur du racisme on trouve toujours cette passion de l’identique, du même, passion incestueuse au sens strict du terme (je préfère ma fille à ma cousine, ma cousine à ma voisine …). C’est le « narcissisme de la petite différence », symptôme du désir toujours présent d’anéantir l’autre en tant qu’autre. Le rejet de l’autre est toujours l’expression du narcissisme.Ainsi, tout renoncement à l’agression se paie nécessairement d’une autre agression. Et nous ne pouvons que constater que lorsque les interdits moraux de la civilisation ne fonctionnent plus, nous revenons à l’état primitif, c’est-à-dire à l’état animal que, lorsqu’il s’agit des humains, nous appelons barbarie.
Pour Freud, le mal est dans l’homme. Il ne peut que constater que la civilisation ne peut empêcher les individus de chercher à donner libre cours à leurs pulsions (cupidité, avidité, convoitise, mensonge, roublardise, exploitation …). Ainsi, lorsqu’il s’agit d’interdits « moindres », on s’aperçoit que la contrainte intérieure (le Surmoi) n’est pas suffisante, qu’il faut y ajouter la contrainte extérieure (société, police, justice, …).Ainsi, l’agressivité est-elle inhérente à l’être humain, elle ne constitue pas seulement une réaction de défense vis-à-vis du monde extérieur, elle est aussi cause de jouissance (usage violent du corps d’autrui dans le plaisir sexuel, humiliation, domination, oppression, enfin meurtre -> cf. Texte). Croire que les hommes peuvent s’accorder en développant les savoirs, la moralisation, le respect des droits est en partie illusoire pour Freud, en tout cas ça n’y suffit pas.
Contre ceux qui croient que c’est la société qui rend l’homme mauvais, à l’instar de Rousseau, Freud affirme que c’est elle qui le civilise. A l’origine, l’agressivité devait être maximal et le développement de la civilisation, n’a pas créé cette agressivité mais l’a plutôt limitée en exigeant le refoulement des désirs incompatibles avec la vie sociale. Mais quand il n’y a plus d’institutions, plus de lois, le refoulé fait son retour sans fard, c’est le chaos comme lors des guerres civiles par exemple, lesquelles nous permettent de constater hélas que l’homme est un loup pour l’homme et qu’il l’est foncièrement et que seule la culture (les institutions, les lois, la justice, etc.) peut tenter de canaliser.
C’est pourquoi Freud fait preuve d’une véritable prise de position militante : « le développement de la culture doit être, sans plus de détour qualifié de combat vital de l’espèce humaine » MC.
Nous l'avons vu, c'est la vie avec les autres qui nous contraint à refouler nos pulsions. C'est parce que nous vivons avec les autres que nous ne pouvons pas nous soumettre uniquement au principe de plaisir, qui est parfaitement égoïste. Aussi, la civilisation, ou la culture, repose sur la sublimation des pulsions, et donc dans une certaine mesure à leur renoncement. En effet, l'agressivité représente l'entrave la plus redoutable pour la survie d'une civilisation. C’est pourquoi l’éducation, comme apprentissage de la frustration, est absolument nécessaire et met en place le Surmoi, lequel intègre les interdits de la société et permet l’auto-surveillance de l’individu.
CONCLUSION
On sait bien que les hommes sont aussi, sinon plus, animés par les passions que par leur raison. Comment contredire Hobbes lorsqu’il nous décrits (méfiants, torves, susceptibles, médisants, etc.) ? C’est une dimension à ne pas omettre si l’on veut comprendre l’incapacité que nous avons à nous conduire de manière autonome et pacifique.
À travers l’histoire de la philosophie, on retrouve cette idée que l’homme est un être égoïste, préoccupé uniquement de lui-même. À travers l’histoire de la philosophie, on rencontre aussi cette idée que pour accomplir complètement son humanité, l’homme doit être éduqué (cf. Platon, Aristote, Épicure, Descartes, Spinoza, etc., etc.). Les Philosophes se sont toujours demandé comment pallier cette dimension agressive de ce que nous sommes, cela signifie qu’il est peut-être possible de la contrecarrer. Et si cela est possible c’est qu’au fond nous ne sommes peut-être pas si mauvais que cela … Comme le soulignait Rousseau un des premiers sentiments qu’éprouve l’homme, c’est la pitié, l’autre étant l’amour de soi. Et si nous pouvons éprouver de la pitié, c’est parce que nous sentons bien que nous appartenons au fond à une humanité commune, que sans les autres nous ne pouvons exister. D’ailleurs la possibilité de la  ne peut reposer que sur ce sentiment, même si elle doit évidemment aussi s’appuyer sur la raison et la liberté. Mais on ne voit pas bien à quoi pourrait être utile une  sans sentiment, et surtout quel sens elle pourrait avoir. Ainsi si l’homme est pourvu d’une insociable sociabilité, comme nous le dit Kant, c’est aussi avec ses semblables qu’il peut espérer progresser, comprendre davantage le monde dans lequel il existe. L’être humain est, par définition, éducable, « bonifiable » ou perfectible, comme l’affirme Rousseau. Soit on s’y emploie, et c’est en partie la direction que choisissent la connaissance en général et la philosophie en particulier, soit on y renonce par paresse, confort, conformisme mais aussi intérêt. Dans ce cas, on en reste au stade du droit naturel, fardé de civilisation, on en reste à une apparence d’humanisation.Finalement, la civilisation est peut-être loin d’être acquise et sous ce «si fragile vernis d’humanité », pour reprendre le titre du livre de Terestchenko, affleure toujours la barbarie.

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