mercredi 2 janvier 2019

La nation, c’est bien flou ?

Notre appel des 100 (et aujourd’hui plus de 350) citoyens pour la souveraineté de la nation, la république et la défense des acquis sociaux [Voir La Sociale] a suscité interrogations et questions chez certains de nos amis. Nous allons tenter d’y répondre en commençant par la nation.
Au mot « nation » certains sortent leur révolver oubliant que « vive la Nation » fut le cri de ralliement de la révolution française. Mais qu’est-ce qu’une nation ? Si on veut des définitions figées on n’en trouvera guère, à moins de revenir à un mauvais opuscule du « camarade Staline » qui tentait de fixer les critères définissant une nation. La seule définition qui me semble acceptable est celle d’Otto Bauer : la nation est une « communauté de vie et de destin ». La nation est donc affaire de subjectivité ! Il faut que les individus se sentent comme membres d’une communauté ayant un destin commun. Mais toute communauté n’est pas une nation. Il faut que ce soit une communauté politique, c'est-à-dire qu’une nation aspire, si elle ne l’a pas encore, à un pouvoir politique et à des lois communes s’exerçant sur un territoire déterminé. Ajoutons qu’une nation est différente d’une cité car elle suppose une certaine extension territoriale. Les Grecs anciens se sentaient tous Grecs (parce qu’ils parlaient la même langue, à la différence des barbares dont on ne comprenait pas la langue) mais ils ne formaient pas vraiment une nation – sauf peut-être quand ils s’unirent pour vaincre les Perses, ce qui ne dura pas.
Les nations n’existent pas de toute éternité. Elles naissent et parfois meurent aussi. Le sentiment national français est ancien et remonte au Moyen âge. Selon de nombreux historiens, à la bataille de Bouvines (1214), les soldats rassemblés là se sentaient déjà appartenir à une nation française. L’Italie forme une nation bien avant sa constitution étatique lors du « risorgimento » et de même pour la nation allemande. La Suisse et la Belgique sont des nations, depuis longtemps pour la première alors que la dernière est toute récente. Des peuples linguistiquement et culturellement différenciés se transforment en nations à l’occasion de grands événements. 1848 fut le printemps des peuples en Europe, le moment où s’affirmèrent ces nations encore embryonnaires et enfermées dans les carcans impériaux (russe, autrichien ou ottoman). Les « nations indiennes » d’Amérique du Nord, à l’inverse, ont disparu, balayées par la colonisation.
D’autres pseudo nations n’ont jamais vu le jour. La « nation arabe » voulue par Nasser, le Baas (branche syrienne autant qu’irakienne) ou la Lybie de Kadafi n’est toujours restée qu’un songe creux – même si certains trotskystes (tendance Pablo-Mendel) y avaient placé tous leurs espoirs. Les seuls Arabes habitent l’Arabie, les autres sont des nations dominées, arabisées mais pas arabes. Du reste les mouvements nationaux ont creusé des marques profondes entre tous ces prétendus « arabes ». Les Algériens ne sont pas Marocains et réciproquement et les confondre c’est souvent comme les injurier ! Du reste ces nations algériennes ou marocaines sont profondément hétérogènes et encore travaillées par les revendications des tamazighs. La Tunisie est encore un cas à part. Les Palestiniens ne sont pas arabes non plus mais voudraient bien devenir une nation. Il n’y a pas non plus de communauté musulmane : les musulmans d’Indonésie et d’Iran ont-ils quelque chose à voir les uns avec les autres. L’islam turque et l’islam sunnite saoudien sont en concurrence parce que la Turquie et l’Arabie sont des nations en concurrence pour l’hégémonie régionale.
Bref, par tous ces exemples on commencer à cerner ce qu’est une nation et ce qu’elle n’est pas et ce qui n’est pas une nation. Une nation, pour exister, suppose une volonté politique de la faire exister comme telle, volonté partagée par tout un groupe se sent comme un seul peuple. Elle est la forme sous laquelle un peuple se fait peuple, c'est-à-dire devient conscient de lui-même. En dessous de la nation, il y a les communautés de sang ou de croyance, au-dessus de la nation, il y a l’universel abstrait ou mal réalisé (sous la forme de l’empire, par exemple). La nation est donc un juste milieu entre la particularité et l’universalité et donc une médiation nécessaire. Ne pas vouloir de la nation, c’est refuser l’institution politique elle-même, c'est-à-dire la forme sous laquelle les hommes peuvent devenir citoyens, c'est-à-dire peuvent vouloir être maître de leur propre destin. Ceux qui parlent du peuple sans vouloir la nation (suivez mon regard) ne voient pas le peuple autrement qu’une masse coagulée par le charisme d’un chef, d’un « caudillo » et non pas le peuple politique, apte à délibérer dans le silence des passions.
Certes, il y a des passions nationales qui peuvent être dangereuses. Un certain nationalisme passe de l’amour de sa nation à sa surestimation et à la négation des autres nations. Il peut se transformer en impérialisme et doit donc être combattu. Mais ce mal ne nous menace guère nous autres Européens qui vivons de plus en plus dans la détestation de nous-mêmes. On peut aussi pointer la « xénophobie » qui à l’amour de la patrie substitue la haine des étrangers. Soyons clairs ! une certaine xénophobie est plus ou moins inévitable. Comme le disait Rousseau, « le patriote est dur à l’étranger », tout en nous invitant à nous méfier de ces philosophes qui aiment le Tartare par n’avoir pas à aimer leurs voisins. Il n’y a pas de nation s’il n’y a pas une forme de préférence nationale (je viens de dire une horreur !) car la nation comme toute organisation politique suppose la délimitation entre l’intérieur et l’extérieur, entre celui qui fait partie de la nation et celui qui n’en fait pas partie. On peut être l’hôte d’une nation, mais on n’est pas pour autant l’égal des citoyens de cette nation. L’hôte est d’ailleurs un terme redoutablement ambigu : l’hôte est celui qui est reçu autant que celui qui reçoit, mais en latin il est aussi l’ennemi potentiel, hostis, celui qui pourrait être hostile. Tout cela contrarie notre sens de l’amour universel de l’humanité, mais c’est inéluctable dès lors qu’on pense nécessaire l’organisation politique et la démocratie. Méfions-nous des universalistes de pacotilles, des prêcheurs de bons sentiments, sucrés et dégoulinants (soyons des frères, aimons-nous) : ceux-là sont souvent de purs tartuffes. Un sain réalisme est nettement plus utile aboutir à la paix entre les hommes !
Pour conclure, si on ne veut pas de la nation comme cadre politique fondamental, que veut-on ? Là, généralement nos critiques commencent à bafouiller. Ils opposent peuple et nation, nation universalisme, etc. Mais comme on l’a dit parler de souveraineté de peuple en rejetant la souveraineté nationale, c’est à l’avance accepter qu’il y ait au-dessus du peuple un pouvoir suprême : l’empereur, Dieu, le pape, la troïka, etc. ! La nation politique est en outre le meilleur remède contre le retour des tribus, des communités ethniques ou des racismes.

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