Rappelons tout d’abord qu’est souverain ce au-dessus de quoi
ne tient rien d’autre. Le bien souverain (summum
bonum) est le bien au-dessus il n’y a pas d’autre bien – typiquement pour
les croyants, c’est Dieu. Un pouvoir souverain est un pouvoir qui n’est
subordonné à aucun autre pouvoir. Typiquement dans les conceptions modernes de
la politique, le pouvoir souverain est le pouvoir issu du « contrat social »,
de ce pacte premier réputé être l’acte fondateur de tout pouvoir politique. Cela
ne veut pas dire que le détenteur de certaines fonctions de la souveraineté a
tous les pouvoirs ni que tout le pouvoir est concentré en une seule institution.
Les républicanistes se réclament de la séparation des pouvoirs et refusent de
donner tous les pouvoirs à la majorité au seul motif qu’elle est la majorité,
car la majorité n’est qu’une partie de la nation. Mais, pour les républicanistes
comme pour tous les penseurs politiques modernes, il n’y a pas liberté pensable
pour le citoyen s’il n’est pas le citoyen d’une république libre, c'est-à-dire d’une
république qui ne dépend pas d’une autre instance étatique. Ceux qui demandent
que le peuple ait le pouvoir demandent par la même occasion que ce pouvoir du
peuple soit un pouvoir souverain. Car si ce n’est pas un pouvoir souverain, il
n’y a tout simplement pas de pouvoir du peuple et par la même pas de pouvoir du
citoyen qui ne dispose plus que de la liberté de dire amen aux commandements du
pouvoir suprême.
La notion de souveraineté politique est le résultat
historique de toute une élaboration liée à la constitution des grandes nations
européennes dans la lutte contre la papauté et l’empire. La notion de
souveraineté est antérieure à la démocratie, mais elle est aussi le terreau sur
lequel elle va pouvoir se développer. C’est bien pour cette raison que la déclaration
de 1789 affirme : « Le principe de toute Souveraineté réside
essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer
d'autorité qui n'en émane expressément. » Une certaine autorité ne peut être
exercée par un corps (le Parlement) ou un individu (le Roi) que parce que ce
corps ou cet individu sont autorisés par la Nation à exercer cette autorité.
Cela signifie très précisément que le pouvoir suprême appartient à la nation et
que personne ne peut l’accaparer en totalité ou en partie. La république, ce n’est
rien d’autre que ça : le souverain législateur, c’est la Nation, le peuple
institué agissant directement ou donnant mandat à des élus pour agir. Refuser
le principe de la souveraineté, c’est tout simplement refuser la république et la
démocratie. La critique de la souveraineté (et des souverainistes) est donc,
même si c’est de manière déguisée, une critique de la démocratie et du pouvoir
du peuple. C’est d’ailleurs pour cette raison que les adversaires de la
souveraineté sont souvent les grands pourfendeurs du « populisme ».
Ces « démophobes » haïssent le peuple et méprisent la nation.
L’UE de ce point de vue a une signification précise :
organiser la suppression de la souveraineté des nations, qui, une fois mises en
tutelle, n’auront d’autre choix qu’appliquer la politique décidée par ces
mandataires du capital que sont les dirigeants et fonctionnaires de l’UE. On l’a
vu de manière brutale en Grèce. On l’a revu dans le conflit entre l’UE et le gouvernement
italien de Conte. Il s’agit à chaque fois de montrer que les nations ne sont
pas souveraines, que la volonté des peuples ne peut faire droit et que seuls
les traités européens, c'est-à-dire les règles établies par les aréopages de la
technobureaucratie européiste peuvent s’imposer.
La lutte contre le capitalisme, la lutte pour ne serait-ce
que mettre un frein à l’avidité insatiable du capital, exige justement que les
nations retrouvent leur souveraineté. Personne ne peut prétendre satisfaire les
revendications des classes laborieuses sans briser la discipline de fer les
traités européens. Tant que les fameux « critères de Maastricht » (fixés
par Mitterrand !) ont force de loi, aucune politique sérieuse de justice
fiscale n’est possible. Comment empêcher la fraude fiscale, l’évasion des capitaux,
la recherche du moins disant social si on n’est pas d’abord maître chez soi ?
Tout cela est si évident qu’on comprend vraiment mal non pas
les discours des euroïnomanes patentés (de Moscovici à Macron) qui disent ce
que demandent leurs commanditaires, mais surtout les discours des de gens de « gauche »,
« vraiment à gauche », « à gauche toutes », etc., contre la
souveraineté et le souverainisme dès lors que ce souverainisme se contente de
réclamer la souveraineté nationale. Ces terribles révolutionnaires veulent-ils
soumettre leur révolution au bon vouloir d’une instance supérieure à celle de
la nation souveraine ? N’est-il possible de faire la révolution ici en France
que si on obtient l’autorisation préalable des classes dominantes des pays
voisins ? Comme toujours, ces terribles révolutionnaires s’opposent à la
souveraineté nationale et à ce simple bon sens qu’elle suppose au nom de
principes biscornus qui n’ont pas d’autre fonction que justifier leur ralliement
honteux à l’ordre existant.
Le 3 janvier 2019
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