L’exception devient loi.
La PMA est déjà une très vieille histoire et a déjà soulevé
de nombreuses contestations. Mais, finalement, elle a fini pas entrer dans la
loi. Les diverses techniques qu’elle recoupe (insémination artificielle avec
donneur anonyme, FIVETE, ICSI, etc.) ont été légalisées en France, avec
toutefois des restrictions assez claires : la PMA concerne les couples
homme/femme infertiles. En suivant le vieux principe aristotélicien qui veut
que le technique se contente d’aider la nature là où celle-ci est trop faible,
la PMA demande une indication thérapeutique. On ne procède pas à une PMA pour
satisfaire un désir, mais pour pallier une déficience dans le rapport normal de
procréation unissant un homme et une femme. Dans 95 % des cas, la PMA est
réalisée avec les gamètes des deux membres du couple et c’est seulement
exceptionnellement qu’on a recours à un donneur de sperme anonyme. Alors,
pourquoi ne pas généraliser ce qui est autorisé dans des cas particuliers ?
Tout simplement parce que l’exception (le cas particulier) ne fait jamais loi !
La légitime défense qui peut absoudre un homicide n’a jamais donné le droit de
tuer ! Toute règle morale universelle a besoin d’une casuistique permettant de
traiter les cas particuliers. L’extension infinie des droits conduit tout
simplement à la tyrannie — ce que savent tous ceux qui connaissent un peu
l’histoire ou se sont instruits de la lecture de Platon. Ainsi on autorise
l’IVG jusqu’à 12 semaines et plus dans des cas particuliers. Pourquoi pas
jusqu’à 40 semaines ? Parce que ce serait un infanticide ! Certes, les
utilitaristes à la Singer défendent l’infanticide, toute honte bue. Mais on
n’est pas obligé de leur emboiter le pas.
Contrairement aux affirmations des groupes de pression
libertariens qui mènent la danse en ces matières, restreindre la PMA aux
indications thérapeutiques d’infertilité d’un couple n’est pas discriminatoire
en soi et les revendications d’égalité n’ont rien à faire dans cette matière,
ou alors l’égalité signifierait l’abolition de toute loi puisque la loi,
précisément, définit et détermine ce en quoi peut s’exercer la liberté.
La biologie n’a-t-elle rien à voir dans la filiation ?
Les partisans de la PMA pour toutes, de LREM à LFI,
prétendent que la filiation n’a rien à voir avec la biologie. Il est assez
cocasse de voir les Verts et autres amis d’une nature déifiée défendre la
non-naturalité de la filiation. Dire comme Mélenchon qu’il n’y a pas vérité
dans la filiation biologique, c’est s’inscrire clairement dans une perspective
post-humaniste ou transhumaniste : l’homme échapperait au règne de la
nature et l’artifice serait tout puissant. S’il est vrai que la filiation ne se
résume pas à la biologie et unit nature et des institutions sociales — elle est
le lieu même où s’articulent nature et culture, selon Lévi-Strauss, il n’en
reste pas moins que pour qu’il y ait articulation il faut qu’il y ait deux
instances à articuler ! Pour qu’il n’y ait plus de vérité dans la filiation
biologique, il faudrait que non seulement la procréation échappe entièrement au
rapport sexuel, mais encore que les gamètes ne soient plus fabriqués
naturellement par des humains, mais soient des « gamètes de synthèse » que les
progrès de la biotechnologie peuvent rendre possibles un jour. Les braves
idiots utiles du capitalisme biologique oublient simplement que la PMA pour
toutes ne fait pas disparaître la maternité : les enfants continuent de
naître du ventre d’une femme ! Encore fois, tant qu’on n’aura pas mis au point
l’ectogenèse (l’utérus artificiel) déjà imaginée par Aldous Huxley dans Le
meilleur des mondes.
Dire qu’il n’y a pas de vérité biologique de la filiation,
c’est refuser de comprendre pourquoi les enfants abandonnés recherchent leurs
parents biologiques. C’est si important que s’est ouverte la possibilité de
recherche des pères biologiques (géniteurs dans le vocabulaire à la mode) ou
des mères, par exemple dans les cas d’accouchement sous X. La vérité biologique
de la filiation se reconnaît aussi dans la volonté des couples homosexuels
d’avoir des enfants « à eux ». Pourquoi ne se contentent-ils pas d’adopter des
enfants ? Pourquoi faut-il qu’ils se fabriquent des enfants qui contiennent
leurs gamètes ?
Quand on sait que le « top du top » dans les couples de
lesbiennes est de faire une GPA-PMA, c’est-à-dire implanter des gamètes de
l’une des partenaires, dûment fécondés, dans le ventre de l’autre, on voit
combien la biologie n’est pas seulement une vérité, mais même une véritable
obsession. Les pourfendeurs de la biologie sont ainsi les meilleurs avocats, à
leur insu, du caractère essentiel de la filiation biologique.
Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas adopter des enfants
et devenir de bons parents ni que les enfants adoptés ne peuvent pas vraiment
aimer leurs parents adoptifs. Mais tous ces cas sont marginaux et découlent de
situations exceptionnelles et exceptionnellement dramatiques pour les enfants :
on adopte les orphelins et l’adoption est seulement un remède à un mal, jamais
une affaire de choix pour l’enfant ! Les belles âmes qui, au nom de la
non-discrimination, proposent la fabrication légale d’orphelins commencent par
nier les droits de l’enfant.
La fin du patriarcat ?
En ouvrant la PMA à toutes les femmes, on irait vers
l’abolition définitive du patriarcat, selon le maître à penser de la France
Insoumise. Si l’on comprend bien, pour Mélenchon, c’est donc l’existence du
père qui produit le patriarcat puisque la PMA pour toutes suppose la négation
du père remplacé par un reproducteur anonyme comme dans les élevages de vaches
ou de chevaux. On devrait renvoyer ces gens de gauche en peau de lapin à leurs
chères études. La grande féministe américaine Evelyn Reed — voir Women’s
evolution — empruntant le chemin déjà tracé par Engels a montré que le
patriarcat est une institution sociale qui naît à peu près avec la division de
la société en classes antagonistes et l’institution de la propriété privée.
Toute l’évolution du mode de production capitaliste en tant qu’elle implique la
liquidation de la famille, comme Marx et Engels l’ont montré dès le Manifeste
de 1848, conduit au dépérissement du « patriarcat » ! Mais comme les
déconstructeurs du type Deleuze-Guattari qui voulaient détruire le capitalisme
en l’accélérant, les défenseurs de la PMA prétendent qu’il faut accélérer et
rationaliser le mouvement du capital pour mieux le dépasser.
Remarquons que les
farouches PMA-istes ne s’attaquent pas du tout au patriarcat réellement
existant, celui qui considère qu’une femme devant les tribunaux ou en matière
d’héritage vaut la moitié d’un homme, celui qui fait de la femme une
subordonnée de son mari (c’est le cas en Algérie depuis très longtemps et pas
seulement en Arabie Saoudite), celui qui permet la polygamie et lapide les
femmes adultères ou encore tout simplement qui voile les femmes pour les priver
de toute existence publique.
Venons-en maintenant au fond. L’humanité est duale, elle est
homme et femme et là-dessus on ferait bien de méditer les premières paroles de
la Genèse. L’union de l’homme et de la femme est l’unité de la différence et la
véritable réalisation de l’humanité, ce que l’on peut lire aussi bien chez
Hegel que chez Engels. La liquidation du père réduit au rôle de géniteur est
tout simplement la liquidation de l’humanité, sa bestialisation et sa réduction
à ce que Pierre Legendre appelle justement « conception bouchère ». On pourrait
imaginer de garder quelques hommes comme reproducteurs et ne plus faire que des
femmes. Le mâle est toujours surnuméraire en élevage ! Selon les thuriféraires
de la PMA, il faut déconstruire le modèle bourgeois patriarcal « un père, une
mère, un enfant ». Le simple fait de dire que les enfants ont besoin de cette
identification double, père et mère, vous envoie directement en enfer,
c’est-à-dire avec « Sens Commun ». En réalité, cette « déconstruction » est
tout simplement une des pièces de l’indifférenciation généralisée, c’est-à-dire
de la standardisation de l’humanité selon les normes de la production
capitaliste.
Dire qu’un enfant doit avoir un père et une mère, ce n’est
pas être « homophobe » parce que l’homosexualité n’a tout simplement aucun
rapport avec la procréation et la reproduction, mais ressortit au monde du
fantasme, du désir et de la transgression. Ceux qui veulent la normalisation de
l’humanité, sans sexe, les PMA-istes et leurs amis, sont justement des
homophobes refoulés : ils détestent tant l’homosexualité qu’ils veulent la
supprimer en supprimant la différence des sexes et leur nécessaire unité pour
que l’humanité puisse continuer.
La PMA et la GPA sont la même chose
« La PMA, oui ! La GPA non ! » : telle est la « ligne
de gauche ». On pense irrésistiblement au sketch de Bourvil, « l’eau
ferrugineuse oui, l’alcool non ! ». En effet, il n’y a aucune différence entre
PMA et GPA. Toute GPA suppose une PMA et du même coup GPA et PMA commencent de
la même façon, nonobstant les investissements affectifs et sonnants trébuchants
des contractants. Et l’expérience montre vite que la ligne de départ entre PMA
et GPA est seulement un fragile vernis de « non-marchandisation ». D’abord
parce que rien n’interdit la GPA dans un couple de lesbiennes ayant recours à
la PMA (cf. supra), l’idéal étant de répéter l’opération en sens inverse.
Évidemment, donner ses ovocytes à sa partenaire ne transforme pas une compagne
en père, pas plus que greffer un pénis factice ne fait d’une femme un homme. On
est entièrement dans le règne des simulacres, dans cette société du spectacle où
le spectacle remplace le réel.
Ajoutons que si les femmes seules ou les lesbiennes peuvent
avoir des enfants, on ne voit pas pourquoi les célibataires ou les gays ne
pourraient pas bénéficier de ce « droit » ? La seule solution serait de
dire : « oui, mais les hommes et les femmes, ce n’est pas pareil ! » Mais
si ce n’est pas pareil, alors il faut admettre, horribile dictu la
différence des sexes et, patatras, tout l’édifice s’effondre. Encore une fois,
la seule solution qui reste est d’en finir avec les « mecs » ou qu’ils se
taisent définitivement. Donc, la PMA pour toutes légalisée, il faudra bien
légaliser la GPA pour tous et donc le commerce des ventres des femmes. Ceux qui
font semblant de ne pas voir cette conséquence inévitable sont des tartuffes.
Le bébé à la demande ou la réification
achevée de l’être humain
Pour se rassurer, on peut se dire que ces revendications de
la PMA et de la GPA ne concernent qu’une petite minorité et que l’immense
majorité des humains continuera encore longtemps de faire des enfants par la
bonne vieille méthode éprouvée, et ils ont sans doute raison. Il reste que
c’est une barrière symbolique forte qu’on franchit en rendant « normal » ce qui
n’est qu’exceptionnel — on a vu, par exemple, comment la publicité faite au
transgenrisme a produit une véritable explosion de la demande.
La barrière symbolique est essentielle. Jusqu’à présent, en
gros les enfants naissent du hasard des rencontres entre les hommes et les
femmes. Ils ne procèdent pas d’un « projet parental » mis en œuvre pour
réaliser le « désir d’enfant ». Même si la contraception permet de choisir
d’avoir des enfants ou de n’en avoir pas, son œuvre se limite à cela :
choisir de ne pas avoir d’enfant. Elle est une maîtrise purement de négative de
la reproduction. Et les hommes et les femmes qui souhaitent avoir des enfants
doivent préalablement trouver le bon partenaire. Dans cette situation encore
ancestrale, la contingence de la naissance laisse l’enfant libre. Il peut
devenir un sujet — pourvu qu’on lui prête vie et assistance. Avec la PMA déjà
s’instaure la possibilité d’un tri des embryons et donc d’un choix : en
France, les choses sont très encadrées et le choix est pour l’heure restreint à
des indications thérapeutiques sérieuses, mais dans plusieurs États américains,
on peut faire des PMA pour choisir le sexe de l’enfant. Demain — en fait dès
aujourd’hui — les possibilités seront plus étendues et il suffit d’écouter
Laurent Alexandre et ses amis assez nombreux dans le monde médical et dans
celui de la haute technologie pour comprendre qu’on est en train de faire
sauter les derniers verrous à la fabrication industrielle (norme ISO !) des
bébés. Affirmer qu’une femme seule ou un couple de lesbiennes peut, à la
demande, avoir un enfant en employant les moyens de la technique médicale,
c’est affirmer que rien ne peut s’opposer au désir d’enfant et du même coup que
l’enfant n’est plus que l’objet du désir, entièrement absorbable dans le « désir
parental ».
Si l’humain est l’objet d’une fabrication, cela signifie
qu’il se transforme en chose. C’est le processus que Lukács avait nommé « réification »
et dont le concept se trouve déjà chez Marx. Faire de l’homme une chose, c’est
aussi ce que, de leur côté, développent les théoriciens des neurosciences et
les artisans de l’intelligence artificielle. C’est parfaitement dans « l’air du
temps ». Et comme toujours, c’est sous les couleurs de la subversion et même de
la révolution, que s’accomplit l’esprit du capitalisme.
Les questions que Jürgen Habermas avait soulevées voilà plus
de 20 ans dans L’avenir de la nature humaine sont aujourd’hui encore
plus brûlantes qu’hier. Est-il possible d’enrayer cette dynamique dont le
moteur est l’aspiration à une liberté sans loi, l’aspiration à la satisfaction
de tous les désirs, c’est-à-dire le nihilisme propre à notre époque ? Rien
n’est moins sûr.
Denis Collin — le 6 juin 2021
Avec la pilule contraceptive, on a obtenu la sexualité sans la procréation ; puis, avec la PMA, on a obtenu la procréation sans la sexualité. La technique médicale a séparé la procréation de la sexualité : l’homme avec qui l’on fait l’amour ne sera pas nécessairement le père des enfants à naître et la personne qui réalise la fécondation des gamètes est un technicien de laboratoire avec lequel on ne fera jamais l’amour.
RépondreSupprimerL’humanité s’est élevée à la hauteur du divin : elle réussit à faire des enfants par l’opération de la PMA comme Dieu a engendré son fils par l’opération du Saint Esprit, sans passer par la sexualité. Notre société capitaliste s’ingénie à redistribuer les tâches, à les diviser et à les permuter. Elle invente des désirs et fabrique les objets de ces désirs, faisant croire aux sujets qu'ils sont des dieux ayant tous les droits, qu'ils n'ont plus à se plier aux lois de la biologie.
Puis, le législateur entérine les revendications sans mesurer les conséquences à long terme. A vouloir évincer les pères, on fabrique des psychotiques ignorant toute loi. On prépare tranquillement l'arrivée du fascisme.