Voilà plus de 30 ans que je suis convaincu de la nécessité de défendre la souveraineté nationale, que la souveraineté est absolument inséparable de la lutte contre la mondialisation et pour une transformation sociale radicale. Je considère que les impérialismes et principalement l’impérialisme dominant aujourd’hui, qui reste l’impérialisme américain, veulent défaire les nations en tant qu’elles sont les cadres nécessaires de la lutte sociale (la lutte des classes est nationale dans sa forme, disait Marx, même si elle est internationale dans son contenu).
La souveraineté nationale est la défense de l’un de ces
cadres de vie dans lesquelles les individus peuvent se former, vivre,
combattre, s’instruire, aimer et souffrir. Nous sommes tous, plus ou moins,
attachés à ces formes de vie, héritées, mais qui sont nous-mêmes, au moins en
partie. « Familles, je vous hais ! » D’accord, mon cher André
Gide. Mais il faut reconnaître avec Christopher Lasch que la famille est
souvent devenue « un refuge dans ce monde impitoyable », l’ultime
refuge souvent. Il y a beaucoup d’autres communautés, plus ou moins larges,
auxquelles nous sommes attachés. Nous sommes certes des citoyens du monde, mais
nous sommes d’abord des Latins, des Grecs, des Européens, issus tous de cette
matrice chrétienne que nous prétendons parfois rejeter. L’histoire n’est plus
le récit qu’on en faisait jadis, mais elle demeure. Elle nous permet de tisser
tant de liens ! Après tout, les Latins et les Grecs ne seraient rien sans
les Étrusques et les Phéniciens. Et ainsi de suite ! Le monde que
nous découvrent ces nations et ces civilisations, encore présentes souvent dans
les ruines, les routes, les langues, est un monde bigarré, un patchwork et c’est
ce qui en fait la beauté et l’intérêt. L’internationalisme abstrait et le mondialisme
nous séparent les uns des autres en nous réduisant à des individus tous semblables.
Les communautés nationales et culturelles établissent des liens, des liens dans
lesquelles nous apprenons à reconnaître l’autre comme nous-mêmes et profondément
autre simultanément.
Partisan de la souveraineté nationale, j’ai du mal à me dire
« souverainiste » et je suis persuadé qu’un front des souverainistes
ne serait qu’un front des refus, c'est-à-dire une union de gens qui ne sont en
vérité unis sur rien. Je ne suis pas nationaliste pour deux sous. J’aime mon
pays, mais je ne l’élève pas au-dessus des autres. Nous Français, ne sommes pas
meilleurs que les autres. Je suis pourtant un peu triste de voir ce pays s’abaisser
et s’enfoncer dans une sorte d’abattement qui nous dépossède de nous-mêmes. Le
syndrome de la débâcle de 1940 dont, en vérité, nous ne nous serions jamais
remis, en dépit des tours d’illusionniste de De Gaulle. Les reconstitutions
intéressées de l’histoire n’y changeront rien. Penser qu’en tentant de faire
revivre la mythologie « nationale » cela nous permettra de nous
sortir de l’ornière, c’est commettre une grosse erreur. Observateur avisé de la
France, Jérôme Fourquet note ainsi : « Le cas de la country nous dit
à la fois le décrochage et l'ampleur de l'américanisation de la société
française et la puissance de ce phénomène qui a été capable de produire des
imaginaires adaptés à chacune des îles de l'archipel français : en gros, il y a
la country pour la France périphérique, le rap pour les banlieues, le Starbucks
coffee et la startup nation pour la France des métropoles, et vous voyez que
chaque catégorie sociale a son imaginaire américain. » Même les « identitaires »,
ces rescapés d’extrême-droite française sont profondément américanisés, comme l’a
montré une enquête de la revue Éléments. Désaméricaniser notre pays,
voilà une tâche colossale que personne ou presque ne voudrait entreprendre. Les
tentatives purement culturelles échouent parce qu’il faudrait une impulsion qui
redonne de la vie à la culture nationale. L’état calamiteux du cinéma français (nous
ne pouvons que regretter le « bon vieux temps »), de la littérature
ou de la philosophie ne rend guère optimiste. La manière dont le « wokisme »,
produit made in USA, a pénétré les milieux universitaires ne laisse pas d’intriguer.
Une chose est certaine : électoralement les « souverainistes »
pèsent peu. Le vote pour le RN n’est pas spécialement « souverainiste »
puisque Mme Le Pen, comme son homologue italienne Giorgia Meloni, ne met plus
en cause le cadre de l’UE, ni celui de l’OTAN. Et « l’union des
souverainistes » est vouée à un fiasco si d’aventure elle se constituait à
telle ou telle occasion électorale. Une nation ne se fabrique pas ou ne se
refait pas par quelque astuce électorale. En outre, tant que nous sommes
dominés par le mode de production capitaliste, nous ne sommes pas les maîtres,
mais nous sommes soumis au pouvoir du capital. Les « souverainistes »
mettent le plus souvent ces questions de côté et rêvent debout d’un capitalisme
national et patriotique qui n’existe plus et qui, en vérité n’a jamais existé. Être
maître chez soi, cela exige que l’on renverse la logique du capital, c'est-à-dire
celle de l’accumulation de la valeur au profit d’une production tournée vers la
valeur d’usage. Ce qui s’appelle en vieux français « socialisme ».
Le 3 février 2023 – Denis COLLIN
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire