jeudi 23 février 2023

Occident...

Notre époque, plus que toute autre, ne connaît que deux états, comme les systèmes informatiques, zéro ou un, bien ou mal, d’un camp ou d’un autre, noir ou blanc. Les nuances et le chatoiement des couleurs sont rigoureusement prohibés. La pensée n’a plus sa place, les automatismes la remplacent. Avant que, brinquebalé de droite à gauche et de gauche à droite, sautant d’une ornière à l’autre, le chariot poussif de l’humanité ne se disloque complètement, il serait bien utile d’essayer de sortir des manichéismes, des discours tout faits, de la langue de bois qui prospère de tous côtés. L’expérience montre que ce n’est pas aisé et que celui qui s’y essaie risque de crier dans le désert (« la voix de celui qui crie dans le désert », Marc, 1:3) ou d’être vilipendé par la foule des imbéciles. Allons-y tout de même.


Occident
… Le mot est devenu le symbole de l’impérialisme, de la domination des grands empires sur le monde entier, et, aujourd’hui, de l’Alliance Atlantique et de son bras armé, l’OTAN. Tout cela est assez vrai. La puissance des grands empires occidentaux et les crimes innombrables qu’ils ont commis ont réussi d’abord à faire oublier que d’autres grands empires, tout aussi terribles, ont été ruinés par cette domination occidentale : les Mongols et les Ottomans, pour ne citer que les plus connus, ont commis des massacres terrifiants et asservi des centaines de millions d’hommes. Mais tout est pardonné, tout est la faute de « l’homme blanc ». L’Algérie, ancienne terre des Numides ou de ceux que les Romains appelaient Barbari (qui a  donné berbères) a été soumise à la domination arabe, puis à la domination ottomane jusqu’au XIXe siècle. Mais les seuls colons, coupables de tous les maux de ce régime pourri jusqu’à la moelle, sont les Français – qui ont pourtant de grandes fautes à se faire pardonner. L’esclavage fut et reste encore une institution presque universelle. Les grandes traites négrières furent d’abord le fait des royaumes africains – qui étaient de véritables royaumes avec tous les attributs de la royauté et non petites tribus de grands enfants vivant dans des cases comme le montre Hergé. Les Arabes ont fait commerce des esclaves à une échelle massive et pendant de nombreux siècles. Les Européens et leur appendice nord-américain s’y sont mis à leur tour. Mais on ne peut s’empêcher de faire remarquer que c’est en Europe que la question de l’abolition de l’esclavage est posée et conduit à la suppression, non sans mal, de cette horrible institution. C’est à Paris qu’est créée, en 1788, une « société des Amis des Noirs »… Cherchez une telle société ailleurs, en Arabie ou en Inde, vous n’en trouverez pas ! Bref l’Occident est horrible, mais nous avons de bonnes raisons de rester attachés aux acquis de cette civilisation chrétienne européenne. Pour tout dire, quiconque est attaché à l’idée de droits de l’homme doit sans doute dire, comme Benedetto Croce, « Nous ne pouvons pas ne pas nous dire chrétiens » !

Mais précisément parce que nous sommes « chrétiens », même si nous ne croyons en aucun Dieu transcendant, nous respectons l’humanité dans chaque homme et nous devrions nous refuser à imposer aux autres nos mœurs, nos idées, nos croyances. Nous ne pouvons qu’espérer dans le progrès de l’esprit humain ! « Chrétiens », mais pas missionnaires et encore moins missionnaires armés. « Chrétiens », mais assez humbles pour ne pas penser que les voies que nous avons suivies sont toutes les bonnes et que nous n’avons rien à apprendre des autres. Cependant les progrès de la liberté, personnelle autant que politique sont des critères essentiels dans les jugements que nous pouvons porter sur nous-mêmes ou sur les autres. Personne ne soutient que les cannibales ont des mœurs et des rites parfaitement respectables ! Personne n’admettrait que se pratiquent lors de la naissance d’un enfant le vieux procédé romain de l’exposition, qui permettait au père de famille de ne pas reconnaître l’enfant et de le laisser mourir dans la rue, sauf si une âme charitable en prenait soin… Si nous admettons l’égalité en droit et en dignité des hommes et des femmes, c’est à bon droit que nous jugeons qu’une société qui ne reconnaît pas cette égalité ne vaut pas la nôtre. Nous n’avons nullement à imposer par la force notre façon de concevoir une vie bonne, mais nous avons le droit de la défendre quand elle est menacée. Et aujourd’hui elle est menacée.

1 commentaire:

  1. Merci pour ce texte, qui aide à comprendre notre position occidentale: nous trainons sans doute un lourd passé, mais nous avons des repères éthiques et politiques qui ont permis un tournant, entre autres l'abolition de l'esclavage. Passage tout à fait juste, en phase avec la philosophie contemporaine axée sur l'exercice et le partage du jugement comme clé du dialogue humain : « Si nous admettons l’égalité en droit et en dignité des hommes et des femmes, c’est à bon droit que nous jugeons qu’une société qui ne reconnaît pas cette égalité ne vaut pas la nôtre. »

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