Une remarque sur le livre d'Alasdair MacIntyre
Dans le dernier chapitre d'Après la vertu, MacIntyre pose la question de ses rapports avec Marx et le marxisme. Après avoir fort justement remarqué que "le marxisme cache en son sein un certain individualisme radical" (254), il souligne combien la perspective de l'individu libre définie dans le Capital ressemble à une sorte de "Robinson socialisé". MacIntyre fut trotskyste avant de renoncer au militantisme politique pour se consacrer à la philosophie. Je cite ici un long passage de la dernière page de son livre, qui me semble très pertinent et que je ne suis pas loin de partager:
Un marxiste qui prendrait au sérieux les derniers écrits de Trotsky serait poussé à un pessimisme étranger à toute la tradition marxiste et il cesserait en grande partie d'être marxiste. Il ne verrait plus aucun ensemble de structure économiques et politiques susceptible de remplacer les structures du capitalisme avancé. Cette conclusion rejoint bien sûr la mienne. Selon moi, le marxisme est épuisé en tant que tradition politique, ce dont témoigne l'infinie variété des allégeances politiques rivales qui portent aujourd'hui la bannière marxiste (cela n'implique nullement que le marxisme ne soit pas encore l'une des plus riches sources d'idées sur la société moderne), mais je crois que cet épuisement est commun à toutes les traditions de notre culture. (...)MacIntyre [ajouter] voit juste. Le cycle du progressisme est en train de s'achevee et ordre politique. Si le républicanisme moderne est conséquent, c'est plutôt de ce côté qu'il doit se tourner. Bien sûr les conséquences à en tirer sont assez considérables. J'y reviendrai.
Il est toujours dangereux d'établir des parallèles trop précis entre deux périodes historiques: les plus trompeurs sont ceux qui comparent notre époque en Europe et en Amérique du Nord avec la décadence de l'empire romain. Il existe pourtant des ressemblances. Un tournant capital dans le chute de Rome est le moment où les hommes de bonne volonté cessèrent d'étayer l'imperium et d'identifier la continuation de la civilité et de la communauté morale avec le maintien de cet imperium. Sans en être toujours conscients, ils se consacrèrent dès à la construction de nouvelles communautés où la vie morale pouvait être soutenue et ainsi permettre à la morale et à la civilité de survivre à la barbarie à venir. Si mon exposé de notre condition morale est correct, il faut conclure que nous sommes, nous aussi, parvenus à ce tournant. Nous devons nous consacrer à la construction de formes locales de communautés où la civilité et la vie intellectuelle et moralepourront être soutenues à travers les ténèbres qui nous entourent déjà. Si la tradition des vertus a pu survivre aux horreurs des ténèbres passés, tout n'est pas perdu. Cette fois, pourtant, les barbares ne nous menacent pas aux frontières; ils nous gouvernent déjà depuis quelques temps.
Alasdair MacIntyre [ajouter], Après la vertu,1981,1984, traduction française de Laurent Bury, PUF, 1997, réédition "Quadrige", 2006.
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