samedi 24 octobre 2015

La théorie du genre ou le monde rêvé des anges. Notes sur le livre de Bérénice Levet


Je viens de terminer la lecture du livre de Bérénice Levet, La théorie du genre ou le monde rêvé des anges (Grasset, 2014). Je partage pour l’essentiel le propos de l’auteur. Contre les dénégations des miinistres et thuriféraires de l’indistinction qui protestent qu’il n’y a pas de théorie du genre, Bérénice Levet en reconstitue les thèses essentielles en s’appuyant sur les textes de Judith Butler ou de Monique Wittig et Éric Fassin. Pourquoi la France, qui avait longtemps résisté à cette théorie cède-t-elle à son tour ? C’est à cette question que tente de répondre le livre. Son seul défaut, c’est qu’il ne répond pas à cette question. Il montre clairement ce qu’est la théorie du genre, en dénonce les aberrations et s’inquiète tout particulièrement de la transformation des générations qui viennent en cobayes des expérimentateurs de l’indistinction des genres. Mais elle ne dit pas pourquoi. Si elle remarque ici et là la congruence entre les exigences du « libéralisme », c’est-à-dire du capitalisme de notre époque et la mise en œuvre d’une véritable politique visant à créer une humanité unisexe, si elle voit bien qu’on a substitué à l’espérance d’une société sans classes celle d’une société sans sexes (et sans sexe), elle ne montre pas quelles sont les conditions sociales historiques précises qui expliquent le développement de cette idéologie proprement mortifère – en effet, il n’est point nécessaire d’avoir longuement lu Freud pour repérer dans l’acharnement des « genristes » le travail de la pulsion de mort.
À la fin de l’ouvrage, l’auteur se demande si cette théorie est sérieuse au point de mériter qu’on la prenne au sérieux. Elle rappelle opportunément, ce passage hilarant de La vie de Brian, un chef-d’œuvre des Monty Python, où l’un des « héros » veut obtenir le droit d’avoir un enfant (c’est le passage où Stan veut qu’on l’appelle Loretta). Et effectivement, s’il ne s’agissait que d’une bataille dans la théorie, l’extrait des Monty Python suffirait largement et éviterait la lecture sérieuse du charabia de Judith Butler et autres auteur(e)s de moindre renommée. Mais précisément, il ne s’agit pas que d’une bataille dans la théorie. Bérénice Levet, presque en passant, note que c’est au moment où sont introduits les ABCD de l’égalité (en vue de détruire radicalement les stéréotypes de genre) que la ministre des universités de l’époque, Mme Fioraso, proposait que l’on enseigne l’entreprise dès la maternelle. Loin d’être fortuite, cette rencontre dit la vérité de la prétendue « théorie du genre » : une nouvelle figure de l’idéologie bourgeoise qui se développe à une époque où les capitalistes eux-mêmes ne croient plus en l’avenir de leur propre système. Une théorie qui accompagne parfaitement la réification croissante des individus dans le monde du marché triomphant.

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