lundi 30 septembre 2019

Extinction des Lumières



Pour une analyse de l’idéologie post-moderne en décomposition
Marx et Engels s’en prenaient, aux alentours des années 1843-1846 à L’Idéologie Allemande et à ses diverses figures. Ils avaient de la chance, puisqu’il y avait un noyau commun à tous ces jeunes hégéliens contre qui ils rompaient des lances, l’idéalisme philosophique. Nous sommes, quant à nous, confrontés à une floraison – mais des fleurs peuvent être putrides – d’idéologies qui font mine de s’opposer au néolibéralisme dominant. La diversité est telle d’ailleurs qu’il faudrait parler des diverses idéologies, au pluriel et non de l’idéologie en général. Ces idéologies se présentent comme des doctrines soit religieuses, soit sociologico-philosophiques, soit politiques et visent des publics différents ; mais elles ont un point commun : la haine de la raison, la violence sectaire, la guerre contre toute forme d’universalisme et la perte du sens commun. De quoi s’agit-il ?
On pourrait commencer par faire une liste – mais comme toutes les classifications, une telle liste est nécessairement schématique :
-          Les diverses théories du « genre », c'est-à-dire toutes ces doctrines qui remplacent le sexe biologique par la construction sociale du genre, ou plutôt de genres aussi nombreux qu’on le souhaite. Le tableau des genres élémentaires ne cesse de s’allonger.
-          Le véganisme et son petit frère l’animalisme qui prônent plus ou moins l’abolition de la séparation entre les hommes et les animaux.
-          L’islamisme politique, dont le point de départ est religieux, parce qu’il prétend s’ancrer dans une foi, mais est engagé dans une entreprise conquérante qui vise à casser tous les cadres de la république laïque et tous les acquis philosophiques des Lumières.
Quels sont les points communs ? D’abord, ils ont tous les trois une cible et c’est la même, c'est-à-dire, précisément, la civilisation européenne telle qu’elle a été remodelée par les Lumières. Les uns voient en « l’homme blanc » le croisé et le colonisateur, se basant d’ailleurs sur une singulière conception de l’histoire. Les autres y voient le prédateur absolu et le dominateur de la nature dont le temps doit s’achever. Les derniers y voient l’hétéronormé binaire, l’exploiteur par excellence qui doit disparaître au profit des nouveaux genres flottants. Ces trois grandes formes d’idéologie ont réussi à capter des militants, des intellectuels, des philosophes venant de « la gauche », parce qu’elles se présentent comme des doctrines opposées à la domination (la domination des colonisateurs, la domination des humains ou la domination machiste). Mais elles se distinguent immédiatement de la gauche à l’ancienne par le refus radical de l’universalisme, le communautarisme le plus sectaire et l’indifférence radicale à la lutte des classes et aux rapports sociaux de production. Au moment où le vieux mouvement ouvrier semble agonisant, où la classe capitaliste est engagée dans une offensive contre tous les acquis sociaux, ces trois idéologies renvoient la classe ouvrière à son néant supposé. L’ouvrier blanc, macho, qui mange des saucisses, et roule en diesel est l’être le plus méprisable que puissent trouver ces nouveaux héros et hérauts de la lutte contre la domination.
Quelques penseurs ont cru ou voulu croire que tout cela pourrait se compléter harmonieusement. La lutte de classes des ouvriers devait se fondre dans un mouvement « intersectionnel », dont les premières manifestations en France remontent à « Nuit debout ». Mais par nature, dès lors que l’on refuse l’universalisme (encore une invention du mâle blanc européen), il est impossible de faire « converger » ou d’intersectionner les luttes. L’intersectionnalité des luttes est tout aussi chimérique que l’union des nationalistes. Chacun pour soi ! On a même vu des protestations venant de certains groupes de lesbiennes contre les « trans », ces hommes qui se veulent femmes et ces femmes qui se veulent hommes ne peuvent coller avec « l’hyperespace lesbien ». Quant à l’intersectionnalité de l’islamisme, du féminisme et des LGBT, elle est une chimère au sens biologique du terme, bien que cette chimère ait quelque existence (les féministes qui soutiennent le port du burqini et du foulard). C’est un dernier point curieux : bien que chacun défende son pré carré, ces divers groupes communautaires évitent de trop s’attaquer les uns les autres. Les végans évitent soigneusement de s’en prendre aux boucheries hallal alors que les élevages « bio » ne trouvent à leurs yeux aucune grâce. Les genristes se gardent bien de critiquer l’islam et trouvent dans l’hostilité des végans à la nature des convergences d’idées… Pas d’intersectionnalité donc, mais des convergences souterraines qui tiennent au terreau commun dont ils sont issus. 
Essayer de « déconstruire » ces idéologies, c’est un peu comme nettoyer les écuries d’Augias. On sait que seul Héraclès a réussi cet exploit. Je ne suis pas Héraclès ! Il faut pourtant essayer de montrer en quoi tous ces discours (1) sont autant d’attaques violentes contre la raison, ou si on veut faire moins grandiloquent, contre le sens commun ; (2) qu’ils manifestent des tendances profondes des formations sociales soumises à la dictature du « capitalisme absolu », ce « capitalisme du troisième âge » qui a déjà fait l’objet de nombreuses analyses, et, (3) qu’ils ont une fonction politique précise.

Irrationalisme

Genrisme

Quand on lit dans la presse que s’est tenu un festival féministe qui propose ni plus ni moins que de « sortir de l’hétérosexualité » qui est un « régime politique » et un système d’exploitation, on se demande comment ces gens trouvent de l’argent et des moyens matériels pour soutenir leur folie. Car c’est évidemment pure folie. Si l’humanité sort de l’hétérosexualité, alors son sort va être assez vite réglé, à moins qu’avant cette révolution et en attendant la généralisation de la parthénogenèse, on ait congelé suffisamment de sperme – on pourrait par exemple enfermer tous les machos dans des grands hangars pour qu’ils se masturbent en cadence dans des tubes ou des bocaux stériles jusqu’à épuisement de l’espèce « macho », le sperme ainsi récupéré pouvant alimenter les désirs de PMA pour toutes qui est en train de se généraliser… Revenons aux choses plus sérieuses.
La « théorie du genre » n’existe pas disent tous ses défenseurs et propagateurs. De leur point de vue, cela se comprend : ce n’est pas une théorie (discutable) mais une vérité scientifique indiscutable, et les « marchands de doute » peuvent aller voir ailleurs. Il est certain que les comportements sexuels sont conditionnés socialement. Être femme ensachée dans une burqa et être une femme occidentale à peu près libre et qui peut aller boire un pot avec un homme qui n’est ni son mari ni son père, c’est effectivement une construction sociale. Mais les règles des rapports entre les hommes et les femmes sont toujours articulées au substrat biologique. Il s’agit d’organiser la reproduction de la société, dans toutes ses dimensions, non seulement la simple reproduction biologique, mais aussi la reproduction institutionnelle, sociale et idéologique. Mais il s’agit toujours de reproduction ! Les règles qui conditionnent les comportements sexuels (ou de genre pour être compris des modernes) sont elles-mêmes rendues indispensables, quelle que soit la forme d’organisation sociale précisément parce que la pulsion doit être domestiquée. Qu’on excuse ici cette référence à Freud qui a dit des choses fondamentales sur toutes ces questions, quoi que l’on puisse en médire aujourd’hui.
Il n’y a pas de théorie du genre qui puisse se prévaloir du nom de théorie pour une autre raison : il n’y a ni hétérosexuels, ni homosexuels, ni tout ce que l’on veut d’autre. Il y a quelque chose qu’on appelle sexualité et dont les variations infinies n’ont absolument rien à voir avec les catégorisations maniaques des docteurs en LGBT+. La sexualité est l’ensemble des modalités par lesquelles s’exprime le désir, désir qui, fort heureusement, est ensuite soumis à la surveillance vigilante du Surmoi. J’ai dit « heureusement » parce que, Freud l’a bien montré, la pulsion sexuelle est toujours intriquée à la pulsion de mort – voir les jeux sadomasochistes qui sont une tentative de jouer là-dessus. Le désir sexuel est le désir d’abolir toute tension, d’atteindre cette « petite mort » orgastique. En même temps, il est l’expression de la vitalité même. Contradiction ? Eh oui, la vie est dialectique, de la dialectique en chair et en os.
Pour sortir du « binaire », les docteurs en LGBT+ nous proposent des catégories plus absurdes les unes que les autres. Lesbienne, gay, on connaît. Les choses se compliquent ensuite avec les « bi » et surtout avec les « trans » : où mettre les trans homos – une femme qui devient homme et préfère les hommes ou l’inverse ? On introduit ensuite ceux qui ne choisissent pas et jouent sur tous les tableaux – les « queer » – sans parler des « asexuels » et même les autosexuels… Chose curieuse, peu nombreux sont ceux qui revendiquent la zoophilie (on en trouve tout de même chez les disciples de Peter Singer), les nécrophiles se cachent et les pédophiles se font discrets – on se demande bien pourquoi… Si ces catégorisations sont si minutieuses, c’est parce qu’il faut en quelque sorte légitimer tous les comportements sexuels et refouler tout le savoir freudien qui explore, lui, les perversions.
 Les prétentieuses « gender studies », à commencer par les ouvrages abscons de Judith Butler, représentent une terrible régression par rapport au savoir hérité de la tradition de la psychanalyse, mais aussi par rapport à ce que nous ont appris la sociologie et l’histoire. La caisse de résonnance dont bénéficient ces élucubrations ne laissent pas d’interroger. Quels intérêts sociaux poussent à la roue ? Il est toutefois très clair que ces « théories » sont marquées au sceau du fantasme infantile de la toute-puissance. Je serai ce que je veux ! Homme, femme, les deux à la fois, autre chose encore, qu’importe ! Quand on est tout-puissant, c’est toujours sur les autres que s’exerce cette puissance et le complément de la toute-puissance est la réification qui atteint ses sommets dans les opérations de « réattribution de genre » (chirurgies de changement de sexe) ou dans la PMA et la GPA (je désire un enfant, j’ai droit à un enfant). Le refus de toute limite et de toute frustration, le déni du réel, tel est le substrat du genrisme.

Animalisme et véganisme

Après ceux qui nient la différence des sexes, une autre tribu de délirants, ceux qui nient la différence entre humains et animaux et proclament que les humains n’ont aucun droit sur les animaux, qu’ils doivent s’abstenir de les manger, de faire de la fourrure ou du cuir avec leur peau, ou de les utiliser au cirque ou au cinéma.
Comme dans le cas précédent, ce qui frappe de prime abord, c’est la haine résolue de la nature. Si les humains mangent de la viande, c’est une construction sociale ! Que l’homme ne soit pas un ruminant capable de transformer directement la cellulose en protéine, qu’il ne soit pas comme le panda, un carnivore, comme tous les ours, condamné à passer sa journée à manger du bambou, voilà qui ne peut frapper les têtes creuses de végans. Toute l’idéologie végan repose non seulement sur la méconnaissance de la nature, mais aussi et surtout sur une véritable haine de la nature. Si, en effet, on interdit la viande aux humains et si toutes les espèces sont égales, alors il faut interdire aux lions de manger gazelles et antilopes et il faut transformer les loups en agneaux … mais comme on veut faire disparaître les animaux d’élevage… Dans cette étrange faune du véganisme, on trouve toutes sortes de zigotos. Certains estiment que seul l’homme est concerné par les interdits alimentaires du véganisme puisqu’il a une conscience, ce qui contredit évidemment le dogme antispéciste de l’égalité de toutes les espèces. Les végans condamnent non seulement l’élevage, mais évidemment toutes ses conséquences comme l’insémination artificielle assimilée à un viol. Ce qui n’empêche pas de très nombreux végans d’être partisans de la PMA.
On peut sans problème admettre que la consommation de viande dans les pays riches est excessive et que limiter l’apport de protéines animales peut être une idée juste (lesquelles, à quelle dose, tout cela est une autre affaire). On peut sans mal dénoncer l’élevage industrielle et la transformation du métier d’éleveur en celui de « producteur de viande ». Mais rien de tout ce qui ouvrira la voie à une discussion raisonnable n’entre en ligne de compte. Le véganisme est un dogme religieux, et l’absurdité en est une partie nécessaire (« credo quia absurdum »). Il est donc insensible à toute réfutation rationnelle et ce d’autant moins qu’il entre en harmonie avec les industries du « green washing » et du remplacement de la viande par des protéines produites par la chimie (« biftecks » de synthèse et compléments alimentaires de tous poils). Son frère jumeau l’animalisme est non moins absurde. Les animalistes respectent-ils araignées et cafards ? Il est vrai qu’on en voit protester contre la dératisation. Sont-ils candidats pour vivre avec les rats et les cancrelats ? Sur l’animalisme, on ne peut que renvoyer à l’excellent livre de Jean-François Braunstein (La philosophie devenue folle).

L’islamisme

Ici nous retrouvons une forme plus classique d’irrationalisme, celui qui procède des superstitions religieuses, dans le cadre d’une religion où la dimension spirituelle joue un rôle assez mince alors que la stricte observance de préceptes ridicules ou odieux remplace tout élan du cœur. Disons-le clairement : l’islamisme n’est pas une foi, une de ces nombreuses inventions qu’ont fabriquées les hommes pour trouver un arrangement avec leur angoisse de la mort. L’islamisme est une entreprise totalitaire de contrôle de la société et c’est pourquoi le contrôle des habitudes alimentaires et des vêtements y joue un rôle central. Comme les sectes précédentes, l’islamisme est un antihumanisme. Les genristes nient l’universalité du genre humain et dénoncent la culture humaniste comme un produit du « mâle blanc hétérosexuel ». Les animalistes et autres végans dénoncent la prétention de l’humanisme à placer l’homme au-dessus des autres vivants. Les islamistes dénoncent la vanité de l’homme qui se croit libre au lieu de se soumettre à Dieu. Pour eux le genre humain se divise en deux : les soumis qui appartiennent à la bonne communauté et les autres qu’il faut soumettre, y compris par la violence.
Pas plus que les autres sectes, les islamistes n’admettent le débat fondé sur la raison. Les plus subtils, qu’on trouve chez les intellectuels « frères musulmans », ne contestent pas ouvertement les sciences de la nature : les défenseurs de la « terre plate » ne sont qu’une minorité, mais ils y cherchent une preuve que cette nature ordonnée par des lois ne peut être que l’œuvre de Dieu et, au demeurant, ils s’évertuent à trouver dans le Coran sous une forme cryptique, les manifestations de la théorie de la relativité, par exemple. Pour la théorie de l’évolution, c’est une autre affaire, car celle-ci percute le dogme, mais ils peuvent s’y adapter en évoquant le « dessein intelligent ». En revanche, dès qu’il s’agit des affaires humaines, on ne badine plus. Le Coran est une vérité indiscutable et ses préceptes doivent être mis en œuvre sans faiblir, même si Tariq Ramadan concédait la nécessité de mettre un moratoire sur la lapidation des femmes.
Le point commun le plus important avec les deux types de sectes précédents est la volonté de se présenter comme des victimes. Les musulmans sont les victimes de l’homme blanc, chrétien, occidental et rationaliste et, éventuellement, allié des Juifs. Que l’islam ait toujours été une religion de guerriers, une religion qui a organisé la soumission des peuples (par exemple ceux d’Afrique du Nord), que l’empire ottoman musulman ait été le premier empire colonisant les Arabes (qui eux-mêmes avaient colonisé chrétiens et juifs : tout cela ne compte pas, parce que les faits ne comptent pas dans le « story telling » de l’islamisme). C’est parce qu’ils sont des victimes qu’ils ont aujourd’hui tous les droits : bénéficier de la liberté de culte et de manifestation au nom des droits de l’homme (occidental) et appliquer la sharia là où ils le peuvent au nom de leur propre droit.

Les ressorts de l’idéologie

L’idéologie n’est pas un système d’idées mais une représentation renversée du monde. Les trois grandes sectes modernes véhiculent chacune à sa manière et non sans contradiction une représentation du monde où tout est mis cul par-dessus tête. Leur discours veut s’imposer, y compris par le terrorisme intellectuel et le cas échéant la terreur pure, contre toute pensée critique, contre toute volonté de libre examen. Si vous n’admettez pas que l'hétérosexualité soit une construction du capitalisme, vous n’êtes qu’un hétérosexuel qui veut perpétrer sa domination à moins que vous ne soyez qu’une femme aliénée, vendue à l’ennemi.  Les animalistes, végans et antispécistes ne reculent devant rien : un abattoir est un camp d’extermination, les bêtes dans un élevage sont des personnes retenues en otage. Éleveurs, bouchers et employés des abattoirs sont des sortes de nazis contre lesquels on est fondé à employer les moyens de la résistance (attentats, par exemple).
Dans toutes ces sectes, les mécanismes de la domination jouent à plein :
-          Imposer une idéologie, aussi aberrante que possible pour s’assurer que le sectateur est bien devenu un fidèle et non un esprit rationnel déguisé.
-          Exclure et interdire autant que possible la liberté de pensée. Tous ces gens utilisent massivement les tribunaux contre leurs adversaires et font un lobbying forcené pour imposer des lois interdisant les « mauvaises paroles » ou les mots qui pourraient exprimer de mauvaises pensées.
-          Occuper les postes de pouvoir en attendant d’occuper le pouvoir lui-même.
Reste à savoir pourquoi ça marche. Il y faudrait une psychanalyse. Les liens entre croyance et soumission dans leur soubassement inconscient ont été bien exposés (Marie-Pierre Frondziak, Croyance et soumission, L’Harmattan, 2019). Dans le cas de l’islamisme on pourrait ajouter qu’il bénéficie du ressentiment contre une société qui a déboulonné les mâles et assure à des adolescents et des jeunes hommes des compensations narcissiques nécessaires face à l’angoisse portant sur leur virilité. Dans Soumission, Michel Houellebecq montre assez bien cet aspect de la question qui n’est peut-être pas du tout secondaire – un des personnages du roman a deux femmes (au moins), une de quarante ans, experte en gâteaux et l’autre de quinze ans, visiblement experte en gâteries, et toutes deux très obéissantes. Islamisme et genrisme pourraient être considérés comme se renvoyant l’un l’autre dans un miroir qui inverse les valeurs. Dans un monde où domine l’indifférenciation pendant que triomphe le narcissisme, affirmer d’une manière ou d’une autre, « je ne suis pas comme vous » procure sans doute une certaine jouissance – il est bien possible que les filles et les jeunes femmes voilées ne le fassent pas seulement par obligation des mâles, mais aussi par la jouissance particulière qu’elles en éprouvent.
En suivant encore Freud, on peut remarquer à quel point, chacune dans son « trip », ces idéologies expriment une pulsion de mort en voie de désintrication. Pulsion de mort et désir de castration dans le genrisme, évidente pulsion de mort dans le véganisme qui ne tolère pas la nature telle qu’elle est, pulsion de mort dans l’islam par l’enfermement des femmes et l’exaltation du sacrifice. Si dans le mode de production capitaliste, « le mort saisit le vif » comme l’a montré Marx, nous voyons pourquoi ces idéologies sont en parfaite harmonie avec la dynamique capitaliste tout en se donnant l’air de le critiquer.
Mais le soutien assez large que reçoivent ces idéologies et la place qu’occupent ces mouvements dans le monde des médias obligent à chercher d’autres raisons. L’effondrement du mouvement ouvrier sous les coups de la globalisation, la sécession des élites, la rupture du lien entre classes moyennes et classe ouvrière et entre classes moyennes supérieures et classes moyennes, concourent à la montée de cet irrationalisme mortifère. Le capital n’est absolument pas menacé par ces idéologies.  Il y trouve au contraire un soutien précieux. L’islam et l’argent font bon ménage et l’enrichissement ne pose aucun problème doctrinal. Le véganisme recoupe les intérêts de l’industrie chimique mondiale et de nombreux secteurs de l’agro-alimentaire sont déjà très actifs sur ces nouveaux marchés. Quant au genrisme, il présente l’avantage de substituer la lutte des sexes à la lutte des classes. Donc aucun problème pour faire de la place à ces idéologies et à ces sectes quelque étranges qu’elles puissent paraître. Seuls les niais des mouvements soixante-huitards ont pu croire que le capitalisme adorait la famille et haïssait tout ce qui n’était pas chrétien, mais en réalité le capital n’aime que le profit pour accumuler du capital, quels que soient les moyens employés. Les rayons « veggies » dans les supermarchés, le burqini chez Décathlon, tout cela fait du profit parce que tout cela est « capital-friendly ». Le commerce de la GPA et de la PMA se porte bien et la chirurgie est un secteur d’avenir.

Et pour la suite ?

On ne doit jamais oublier que l’idéologie est imperméable à l’argumentation rationnelle et donc les chances de faire reculer ces idéologies sont extrêmement minces. Ceux qui ne voudront devenir ni islamisé ni queer n’auront plus beaucoup de place. Ils rejoindront la cohorte de tous ceux que les belles gens vouent aux gémonies : les fumeurs qui mangent des saucisses et font des plaisanteries, grasses, les « beaufs », les « réacs », tout ce populo qu’exècre la classe dominante. Ce « populo » n’a déjà plus guère d’autre solution que de faire sécession d’une société qui, de toutes façons, est déjà très cloisonnée ou de voter pour les partis de l’extrême-droite, comme c’est le cas en Europe de l’Est et comme cela se développe à l’Ouest (RN, AfD, Lega…) Prise dans cette étreinte morale, la vieille revendication de la révolution sociale risque fort de ne plus trouver aucune place et les partis qui se disent révolutionnaires (NPA, LFI en France) auront fait tout ce qu’il faut pour qu’on en arrive là.
Le 30 septembre 2019.

Annexe : sur l’islam et l’islamisme

On a pu croire, et certains y croient encore, à la possibilité d’une « réforme » de l’islam, un islam qui, en se basant sur les ressources de la « théologie naturelle » voudrait réconcilier les musulmans avec le monde moderne, la rationalité et la liberté de conscience. Il est à craindre que ce temps de cette réforme ne soit passé. Ce qui triomphe aujourd’hui, même chez les « modérés », c’est un islam intégriste, bien plus soucieux de séparer le pur et l’impur et d’imposer l’obéissance stricte à une loi stupide que de spiritualité et de théologie. En prétendant que le Coran est incréé et qu’il est de toute éternité la parole de Dieu lui-même, l’islam (surtout sunnite) barre largement la voie à l’interprétation. Quant à admettre comme Averroès dans son Discours décisif que foi et raison ne peuvent se contredire et que la foi ne peut contredire la raison, c’est tout bonnement impossible parce que tous les préceptes de la sharia pourraient être remis en cause et la « communauté » exploserait. À l’époque du pourrissement du capitalisme, c’est l’islam le plus fou qui a le vent en poupe.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Sur la question des forces productives

  J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pense du livre de Kohei Saito, Moins . Indépendamment des réserves que pourrait entraî...