jeudi 7 janvier 2021

Les bons mots : communisme et socialisme

Tous les mots de la politique sont archi-usés et finissent par perdre toute signification. Qui ose encore se dire communiste ? On s’expose à être traité de tous les noms, stalinien, totalitaire, Pol Pot, etc. Socialiste ne vaut guère mieux, tant le nom a été associé à toutes sortes d’infamies. Il y eut même un « national-socialisme ». Une démocratie populaire est un pléonasme, mais après l’expérience du « socialisme réel », le pléonasme est vraiment devenu suspect. Pourtant, il est nécessaire de se définir clairement et de redonner aux mots leur sens, tant ils sont chargés d’une histoire et porteur de sens. Ils ne sont pas de simples étiquettes dont on pourrait changer à volonté.



Je propose ici de préciser ce que j’entends par communisme et par socialisme et pourquoi l’un et l’autre définissent selon moi un programme politique sérieux, réaliste et parfaitement adapté à notre époque. Pourquoi ces deux mots-là, direz-vous ? Parce que je me situe dans la tradition historique du mouvement ouvrier et que, sans être un dogmatique, je continue à me définir comme « à l’école de Marx ».

Le communisme est une très vieille affaire, à la fois dans le contenu et dans la formulation. On a pu parler d’un communisme primitif pour caractériser les sociétés les plus anciennes qui ignoraient la propriété privée et l’État. Les premières communautés chrétiennes étaient indéniablement communistes, comme le furent les kibboutz israéliens – ils sont maintenant assez loin de l’esprit militant qui était le leur à l’origine. Il existe aussi du communisme dans toutes les sociétés : dès lors qu’il existe un système d’entraide, dans lequel chacun donne selon ses capacités et reçoit selon ses besoins, on peut parler d’embryon de communisme. Au sens donné par Marx à ce mot « communisme »1, la sécurité sociale est typiquement une institution communiste. Il y a du communisme dans tous les services publics gratuits – qui vont des jardins publics aux musées, aux bibliothèques, aux fêtes communales, et aux dispositifs d’assistance sociale. Les systèmes coopératifs et les mutuelles sont aussi d’esprit communiste. Le communisme n’est rien d’autre que la défense d’un bien commun. La thèse de Marx peut être reformulée ainsi : l’extension de ces modes d’organisation communistes est en germe dans le développement même du mode de production capitaliste qui pousse toujours à plus de coopération sur une base toujours élargie. On doit sans doute admettre qu’une société « intégralement » communiste n’est ni possible, ni souhaitable. Les individus ont aussi des biens propres, ils ont besoin d’une lieu à eux, d’une sphère privée et protégée de l’intrusion de la communauté et, par conséquent, la propriété privée, sur une échelle plus ou moins grande ne devrait pas être abolie, même dans une société beaucoup plus communiste que la nôtre.

Le communisme est un « philosophie sociale » mais sans doute pas une doctrine politique puisque n’est pas posée la question du pouvoir, de l’État et du gouvernement. Ma position est que l’idée marxienne d’un communisme progressant avec le dépérissement de l’État et la dilution du politique est une pure utopie qui, à la longue, se révèle extrêmement dangereuse. Du reste, cette thèse utopique ne découle absolument des autres analyses de Marx. On peut donc la retirer du corpus sans grand dommage. Si on maintient l’idéal émancipateur contenu dans la pensée de Marx et la tradition du mouvement ouvrier, il est donc nécessaire d’élaborer une doctrine politique. C’est précisément ce que l’on a fini par appeler « socialisme » dans l’histoire de l’Internationale. Le socialisme comprend deux volets. D’un côté, il propose une certaine conception de l’organisation de la société et, de l’autre, une certaine conception du pouvoir politique. Le préalable du socialisme est l’organisation républicaine du pouvoir et du gouvernement, en entendant par là ce qui a été théorisé dans la tradition républicaniste, ancienne autant que moderne. J’ai eu l’occasion de développer une version radicale du républicanisme dans mon livre Revivre la République !2


Je fais mien le mot de Jean Jaurès pour qui le socialisme est la république jusqu’au bout. Si la république est la « liberté comme non-domination », la république suppose que la liberté ne se limite pas à voter tous les cinq ans pour les gens appelés à décider à notre place. Elle suppose des moyens de contrôle du pouvoir et du gouvernement, un « droit de contestabilité garanti », mais aussi toutes sortes d’institutions de protection contre toutes les formes de domination, notamment dans les rapports de travail. Ce républicanisme social fait partie de la doctrine de courants qui ne sont pas socialistes mais pensent qu’est nécessaire une politique sociale et une large redistribution des richesses, ainsi le courant solidariste dont Léon Bourgeois est le principal représentant. Il n’y a pas des frontières biens nettes, il y a même une certaine continuité entre les républicains radicaux et les socialistes d’inspiration marxiste. Émile Durkheim et Marcel Mauss se disaient socialistes, comme Jaurès qui n’est pas marxiste mais accepte une bonne partie des théories de Marx.

Le propre du socialisme, comme courant parmi les républicanistes, est qu’il pense nécessaire non seulement de limiter la toute puissance du capital, mais encore de transformer les rapports de propriété par l’appropriation collective des moyens de production et d’échange et ce en mettant en place des réformes qui 1° font passer entre les mains de l’État un certain nombre d’entreprises stratégiques ainsi que les banques ; 2° développent le système des coopératives et en premier lieu des coopératives ouvrières de production ; et 3° organise un vaste réseau de services publics permettant d’assurer à tous, sur un pied d’égalité l’accès aux moyens d’une vie décente. En ce sens, feu le programme commun de « l’Union de la Gauche » des années 70 était bien un programme de transition vers le socialisme. Le « socialisme libéral »3 de Carlo Rosselli, militant antifasciste italien et fondateur du groupe Giustizia e libertà (« Justice et Liberté »), constitue aussi une variante possible du socialisme, intégrant le respect de l’autonomie ouvrière et l’action des syndicats.

Nous avons aujourd’hui besoin d’un nouveau mouvement socialiste parce que nous avons besoin que la nation puisse collectivement se ressaisir de son destin pour faire face aux menaces de tous ordres qui pèsent sur nous. Comment parler de « transition écologique » sans planification et comment planifier sans disposer d’outils stratégiques en termes industriels ? Comment résister dans la tourmente de la mondialisation en crise sans une communauté politique soudée autour d’un bien commun ? Le socialisme est bien à venir, pour reprendre le titre des deux ouvrages publiés jadis par Tony Andréani4. Un nouveau socialisme serait aussi un nouvel internationalisme, fondé non sur la dissolution des nations, mais sur leur coopération pacifique : à la place de cet infernal édifice qu’est l’UE, il faudrait promouvoir une association des républiques libres d’Europe.

Le 7 janvier 2021





1Voir la Critique du programme de Gotha

2Denis COLLIN, Revive la République, Armand Colin, 2005

3On se gardera bien de confondre ce mouvement avec la camelote vendue aujourd’hui sous ce nom qui n’est d’autre que la camouflage de la conversion des « socialistes » au pur et simple libéralisme économique.

4Voir T. Andréani, Le socialisme est (à) venir. 1. L’inventaire. 2. Les possibles, éditions Syllepse, 2002-2004

dimanche 3 janvier 2021

Panne de transmission ?




Il m’arrive, comme ça arrive à tous ceux qui ont déjà quelques décennies derrière eux, de me lamenter de l’insouciance et de l’inculture de la « jeune génération » qui manifeste si souvent un dédain radical à l’égard de ce que les anciens pourraient enseigner. Mais je me ravise bien vite. D’abord parce que le problème de la transmission est le problème fondamental de toute société et il serait bien étonnant que la nôtre s’en sorte sans difficulté ; et, ensuite, on doit remarquer que « ma » génération, celle qui est née après la Deuxième Guerre mondiale, celle qui fut souvent « soixante-huitarde » (mais pas tant qu’on l’a dit, d’ailleurs) est la première génération de notre histoire à exclure par principe le problème de la transmission.

La transmission, problème fondamental

Que la transmission soit le problème fondamental de toute société, c’est dit dans ce magnifique groupe sculpté par Bernini qui représente Énée fuyant Troie, portant son père Anchise sur ses épaules et tenant son fils Ascagne par la main (voir la reproduction dans l’article précédent, « Résolument conservateur »). Porter son père sur son dos, c’est le destin de l’homme qui ne doit pas seulement assumer la charge de la vieillesse de ses parents, mais aussi leur héritage, pour le meilleur et pour le pire. Le poids des générations mortes pèse sur les épaules des vivants, disait Marx. Mais il faut encore surveiller ses enfants et les tenir par la main pour qu’ils ne s’égarent pas, pour qu’ils prennent le bon chemin. Ainsi, loin d’être un atome isolé, comme dans les fictions du contrat social, l’homme est d’abord un maillon entre les générations. C’est pour cette raison qu’il est un animal historique autant que social.

Double rapport donc, vers l’avant et vers l’après, vers le passé et vers l’avenir. Auguste Comte soutenait que la société comprend non seulement les vivants, mais aussi les morts. Mais au fond, elle intègre aussi ceux qui naissent — on doit à Hannah Arendt d’avoir insisté sur la place essentielle de la natalité, et pas seulement de la mortalité, dans la condition humaine. Conserver le monde pour que les nouveaux puissent y entrer, c’est ainsi qu’Arendt définit la place de l’éducation. Toutes les sociétés humaines ont une politique d’éducation, des connaissances et habitudes à transmettre, des rituels à pratiquer pour que les nouveaux entrent dans la société des anciens, pour que les enfants se préparent à l’âge adulte où ils devront porter leurs parents sur leur dos en tenant la main de leurs propres enfants. On a beaucoup étudié l’éducation dans les sociétés les plus archaïques. L’éducation chez les Grecs et chez les Romains nous est assez bien connue — on lira avec profit l’histoire de l’éducation dans l’Antiquité d’Henri-Irénée Marrou. L’humanisme renaissant fut d’abord une éducation. Le cartésianisme fut aussi une théorie de l’éducation et c’est contre cette théorie de l’éducation que réagit Giambattista Vico. Plus que les autres religions, le christianisme sous toutes ses formes développa une politique éducative : on ne naît pas chrétien, la foi ne réside ni dans les gamètes mâles comme dans l’islam ni dans les gamètes femelles comme dans le judaïsme et donc il faut faire advenir les jeunes chrétiens.

Transmettre, c’est aussi inculquer des habitudes, tant est-il que la vertu morale est acquise par l’habitude comme nous l’a enseigné Aristote. Outre la transmission du savoir, il s’agit aussi de transmettre un certain type de comportements sociaux, un certain rapport à l’autorité, une mise en conformité qui semble indispensable pour que les institutions sociales puissent fonctionner convenablement. On ne peut sous cet angle que transmettre le passé, la société d’hier et non celle de demain. Cette transmission semble évidemment contradictoire avec la visée d’instituer des hommes libres. Kant soulevait ce paradoxe d’une « éducation à la liberté ». Si éduquer, c’est conduire sur des chemins que le petit d’homme n’aurait pas empruntés spontanément, il peut sembler qu’on nie de cette manière sa liberté en tant que spontanéité. Mais si on approfondit la réflexion, on comprend qu’il n’en est rien. L’apprentissage des contraintes de la vie sociale ne diminue pas notre liberté, mais en constitue la condition comme l’air permet à l’alouette de voler, pour reprendre une image de Kant. Même une éducation autoritaire produit autant de révoltés que d’individus soumis ! Certes, une éducation libérale (au sens de Léo Strauss) est préférable, mais on ne doit jamais penser que l’éducation est toute-puissante. Elle ne peut qu’une chose, avec beaucoup d’efforts, préparer l’enfant à sa liberté d’adulte (voir D. Collin et M-P. Frondziak, La force de la morale, éditions R&N). La transmission de toute façon se heurte à ceci que, comme le souligne Freud, on ne réussira jamais à réduire les hommes à des termites et les comportements antisociaux sont toujours prêts à ressurgir. On peut même affirmer que ces comportements antisociaux sont ceux que l’on retrouve dans tous les groupes qui visent à la domination absolue (groupes fascistes, sectes en tous genres, etc.).

L’indéniable difficulté de la transmission explique l’importante littérature consacrée à ce sujet et les innombrables recherches et plans d’instruction des jeunes générations. La République de Platon contient un plan d’éducation des gardiens et de formation des dirigeants de la cité — l’éducation du peuple, voué à suivre les désirs de la partie inférieure de l’âme n’y a pas de place. Dans Émile ou de l’éducation, Rousseau propose une pédagogie adaptée à la formation du citoyen apte à vivre dans la république du contrat social. Bien que violemment condamné par l’Église, le livre de Rousseau eut un grand retentissement dans certaines couches de l’aristocratie qui adoptèrent les préceptes de l’auteur du Contrat Social pour l’éducation de leurs enfants ! L’ère des révolutions fut aussi celle des pédagogies révolutionnaires : Maria Montessori, Célestin Freinet, A.S. Neil, etc. Les mouvements révolutionnaires eux-mêmes accordaient une grande importance à la transmission de la tradition révolutionnaire. Quiconque a fréquenté ces mouvements sait l’importance qu’on y accordait aux grands événements dûment commémorés : la Commune de Paris ou la Révolution d’octobre étaient des épopées qu’on se transmettait de génération en génération. Les maîtres à penser étaient honorés et leurs écrits étudiés, analysés et commentés.

En finir avec la transmission ?

Or c’est là quelque chose qui n’a pas été assez mis en évidence, ma génération, après avoir absorbé ce qu’on lui avait transmis semble avoir décidé qu’elle n’avait plus rien à transmettre, que l’idée même de transmission devait être chassée de nos esprits, que nous devions apprendre du futur et non pas du passé, proposition hallucinante qui n’a pas toujours été admise explicitement, mais que nous retrouvons à l’arrière-plan de ce fait social massif qu’est la dés-instruction des jeunes générations. C’est à Jean-Luc Mélenchon que revient le mérite, si l’on ose employer ce terme, d’avoir énoncé cette thèse de la manière la plus claire. Dans L’ère du peuple, un livre publié en 2014, le futur candidat à la présidence de la République, une section s’intitule « La fin du passé ». L’auteur constate que la tradition a perdu son importance : « À présent, c’est un renversement de perspective complet. Le passé est toujours dépassé. Il n’apprend rien sur la façon d’utiliser l’environnement du présent. Au contraire, si nous en restions à ce que nous savons, nous serions empêchés de faire fonctionner correctement les nouveaux objets du présent ! » Il ne vient pas à l’esprit de notre homme d’esprit que les objets du présent ont été inventés et fabriqués par des hommes qui subissaient la tradition du passé et que si nos enfants peuvent utiliser les objets du présent, c’est parce que la génération précédente les a conçus et en a enseigné le fonctionnement… Mélenchon reconnaît que cette focalisation de notre époque sur le désir du futur (pour un peu il aurait parlé du « désir d’avenir », comme son ex-camarade Ségolène Royal) peut poser problème, mais loin de voir dans cette « abolition du passé » la grande figure de l’idéologie dominante à notre époque, il y voit une tension féconde. La formule qu’il utilisera plus tard est que nous sommes devenus « les héritiers du futur » : c’est ainsi qu’il s’est exprimé à la tribune de l’Assemblée Nationale lors du vote enthousiaste de la nouvelle loi bioéthique, une loi qui consacre la séparation radicale entre couple et procréation, et rend possible la marche vers le dépassement de l’humanité.

Mélenchon n’est pas qu’un politicien opportuniste et un beau parleur. Sa pensée est structurée et parfaitement « révolutionnaire ». C’est encore dans L’ère du peuple qu’il pose la question de la fin de la mort : « Dans ce domaine aussi on passera de l’inéluctable au voulu et cette émancipation fera peser sur nous le poids d’une responsabilité plus grande. Le processus d’individualisation, enfant du grand nombre urbain, ne nous rend pas moins humains. Il nous colle au contraire le nez sur notre humanité. Il n’y aura pas de pose. Voici pourquoi. Le destin humain tel qu’il a toujours été connu n’est-il pas totalement reformulé quand commence à s’envisager la possibilité d’en finir avec la mort elle-même ? Condorcet paraissait si étrange quand il imaginait ce jour où l’humanité éclairée par la science vaincrait la mort. Ce sera peut-être plus vite fait que nous pouvons l’imaginer. » Ce texte halluciné pourrait être le délire d’un gourou posthumaniste, d’un Raël de gauche. Mais en vérité, il exprime d’abord le noyau même de la nouvelle idéologie progressiste, une idéologie qui renouvelle les thèmes classiques du libéralisme tel qu’il a été remodelé dans l’usine à fabriquer du rêve américain :

— L’homme doit se débarrasser du poids du passé. Il est devenu l’héritier du futur et il peut dorénavant se faire lui-même. L’homme qui se fait lui-même est bien connu : c’est le self made man dont Mélenchon est le nouveau prophète.

— La technologie est toute puissante et elle accélère l’histoire au point que plus aucun retour en arrière n’est possible et qu’il faut s’y adapter parce qu’elle nous fera entrer dans un monde entièrement nouveau, un monde que les idées du passé nous empêcheraient de gagner.

— Débarrassé de la mort, l’homme du futur sera évidemment un surhomme. Mélenchon n’ajoute pas que ceux qui refuseront cette marche vers le surhomme seront « les chimpanzés du futur », mais l’idée est évidemment sous-jacente.

Avec une telle vision du destin de l’humanité, il n’y a vraiment rien à transmettre. Et effectivement, la transmission n’est plus rien d’autre que la mise en œuvre de l’aptitude à « abolir le temps » (sic) que permet le stockage du savoir humain dans les big data. Sans doute, à la lecture de Mélenchon sommes-nous tentés de dire : « Père, pardonne-lui, il ne sait pas ce qu’il dit ! », car ses paroles sont en pleine adéquation avec ce qu’il prétend combattre. En effet, le capitalisme d’hier, celui qui a achevé sa mue dans les années 1960 et 1970 était encore un capitalisme tributaire du passé, un capitalisme portant encore les marques de la société ancienne dont il était sorti quelques siècles plus tôt. Le capitalisme de la fin du xxsiècle est le capitalisme débarrassé de son passé, un capitalisme « enfin chez lui » et qui ne doit plus rien aux valeurs de sociétés qui l’ont précédé. « Du passé faisons table rase », disaient les paroles de l’Internationale. C’est le capitalisme qui met tout cela en œuvre, ainsi que le disait Marx dans le Manifeste du parti communiste. Lisons encore une fois ce passage fameux que la plupart des « marxistes » ou prétendus tels n’ont jamais lu, puisqu’ils ne l’ont jamais compris :

« La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire.

Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l’homme féodal à ses “supérieurs naturels”, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du “paiement au comptant”. Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu’on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages.

La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent.

La bourgeoisie a révélé comment la brutale manifestation de la force au Moyen âge, si admirée de la réaction, trouva son complément naturel dans la paresse la plus crasse. C’est elle qui, la première, a fait voir ce dont est capable l’activité humaine. Elle a créé de tout autres merveilles que les pyramides d’Égypte, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques ; elle a mené à bien de tout autres expéditions que les invasions et les croisades.

La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l’ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés. »

Longtemps l’extrême gauche marxiste a reproché au capitalisme d’être « réactionnaire », c'est-à-dire de n’être pas dans le « sens de l’histoire », alors que Marx explicitement l’inverse. La critique de la famille patriarcale la plus sérieuse n’est pas celle de nos révolutionnaires, mais sa critique en acte, sa destruction active par le mode de production capitaliste. La bourgeoisie patrimoniale à l’ancienne avait à transmettre des biens et des valeurs. Mais pour transmettre, il faut stocker ce qu’on va transmettre. Le capitalisme contemporain ne stocke rien. Les moyens de production sont rapidement condamnés à l’obsolescence. La friche industrielle est la seule trace que laisse le capital qui, lui, ne cesse de circuler. Il faut même que le capital circule à la vitesse de la lumière : des câbles transatlantiques et transpacifiques énormes ont été tirés pour que les places financières puissent fonctionner de manière synchronisée et que les échanges se fassent désormais à la nanoseconde. Le capitalisme vise à l’abolition du temps. L’idéal serait que le capital circule sans temps de circulation, notait déjà Marx. Dans Accélération, Harmunt Rosa a montré comment l’accélération continue, le prétendu « temps réel » qui est justement l’abolition du temps, est consubstantielle au stade actuel du mode de production capitaliste (Mélenchon consacre aussi un sous-chapitre à l’accélération, pour en faire un fait incontestable et non une figure du mouvement du capital). L’abolition du temps vise aussi à l’abolition de l’espace : le mythe de la téléportation quantique dit justement que si on peut réduire le temps à zéro, l’espace disparaît : je peux être en même temps ici et ailleurs. Toutes les extravagances de la science-fiction ne font rien d’autre qu’aiguiser la tendance la plus profonde de la dynamique du capital au xxisiècle.

Dans un tel monde, le passé n’a plus aucune utilité et donc la transmission doit être abolie. Descartes, comme toujours, anticipe l’époque moderne. Le Discours de la méthode révoque en doute tout ce qu’on apprend dans les écoles et propose un nouveau plan d’acquisition du savoir, un plan où chacun doit, pour son propre compte, tout reprendre à zéro. Évidemment, Descartes entend ici la démarche philosophique et non l’éducation en général. Mais on a tôt fait de faire cette hasardeuse généralisation et c’est bien le mobile de la polémique de Vico contre les cartésiens. La méthode de Descartes renverse l’ordre chronologique ancien. Le regard n’est plus tourné vers le passé et la méditation des grandes œuvres et des grands auteurs puisque ce passé n’a plus rien à nous apprendre. La science moderne est entièrement tournée vers le futur, sachant que l’état actuel du savoir n’est qu’un état provisoire, destiné à être englouti.

Il faut lire les transformations de l’école depuis plus d’un demi-siècle à la lumière de ce bouleversement et de cette élimination du passé comme quelque chose qu’il faudrait transmettre. L’enseignement des langues anciennes, ultime vestige des « humanités » n’existe plus qu’à l’état de traces. Significativement, en France, le CAPES de lettres classiques (français, latin, grec) n’existe plus. L’anglais (ou plutôt l’anglais de survie) a chassé le latin. L’enseignement du français par « genre » (le genre épistolaire, le genre autobiographique, etc.) a complètement chassé la vieille classification historique : on s’intéressait à la littérature médiévale avant d’en venir en fin de cursus au surréalisme et au roman du xxsiècle… Le temps de la culture est passé à la machine à concasser le temps. Mais ce n’est que la moitié du chemin qui s’accomplit ainsi : la littérature elle-même est vouée à la disparition au profit des techniques de communication. Toute la pédagogie moderniste est fondée sur cette élimination de l’histoire : l’élève n’a pas à faire l’effort d’écouter et de s’instruire de la parole du maître. Jadis, ce maître n’avait d’autre fonction que de faire assister l’élève au dialogue des grands esprits — le maître, en transmettant, s’efface devant ceux dont il donne à entendre la parole. Plus rien de tous ces vestiges n’a sa place à l’école. Depuis la réforme Jospin de 1989 — les mêmes « réformes » se sont produites partout et d’abord aux États-Unis — il ne s’agit plus d’enseigner aux enfants, car désormais l’élève est « au centre » (on se demande bien de quoi !) et il doit construire lui-même son savoir. Le professeur doit se taire ! Il est un « technicien de ressources », disaient certaines instructions ministérielles du temps de Mme Vallaud-Belkacem. Jadis l’école exigeait le silence des élèves — silence indispensable à l’écoute et à la pensée — et désormais c’est aux maîtres que l’on impose le silence. Normal : tout le monde en sait plus que le maître. Les « parents d’élèves », espèce monstrueuse de parents qui ont transformé leurs enfants en « élèves » font la loi, prononcent des jugements, sur simple plainte de leurs chers petits et la sanction doit tomber sur le professeur… jusqu’à la peine capitale comme l’a appris Samuel Paty, professeur d’histoire géographie décapité par un tueur excité par des « parents en colère ».

Chez les éleveurs, on appelle bête de réforme une vache trop vieille pour avoir encore des veaux et donner du lait. Elle est vouée à l’abattoir pour finir en plats préparés, boulettes de viande et croquettes pour chiens et chats. Pour les professeurs, les réformes doivent être entendues en ce sens : ils sont des bêtes à « réformer », des bêtes devenues bonnes à rien. Mais la maladie de la réforme ne concerne pas que l’école. Tout est à réformer, toujours, et chaque réforme elle-même doit céder la place à une nouvelle réforme, au même rythme que celui de l’obsolescence des gadgets électroniques. Tout doit disparaître au grand magasin de la société contemporaine. Tout, vraiment ? Non pas tout, car la domination du capital est éternelle. Il est vrai que le capital est présent partout, il sait tout, il peut tout, il est donc Dieu.

Même les révolutionnaires ou plutôt ceux qui se disent révolutionnaires ont donné leur concours à cette entreprise de destruction de la transmission, confirmant qu’ils n’étaient bien, le plus souvent, que l’extrême gauche du capital. Ce sont de jeunes « gardes rouges », gardes rouges d’opérette sortis de l’école normale supérieure qui ont sonné l’offensive contre les « maîtres penseurs » : ainsi les « nouveaux philosophes » ont-ils connu leur heure de gloire. Les militants qui hier encore transmettaient pieusement les textes sacrés de la tradition révolutionnaire, la discutant sans cesse tels des talmudistes, ont pratiquement disparu de la scène politique ou alors se sont eux-mêmes convertis en « bougistes » jamais en mal d’une innovation décoiffante.

Tout ce qui est traditionnel, partis traditionnels, syndicats traditionnels, etc., semble voué à la disparition. Ne reste que le folklore — il suffit d’avoir visité une « fête de l’Huma » de ces dernières années pour voir comment tout s’est « folklorisé » tout en laissant de plus en plus de grands vides. De même, les monuments historiques, les centres historiques, les sites historiques perdent progressivement toute vie, car ils ne veulent plus rien dire, pour la bonne raison qu’ils n’ont rien à dire à une époque où seul compte le nouveau. L’histoire ne subsiste que sous forme de parc d’attraction. Ainsi se prépare le posthumain, c’est-à-dire l’éclipse de l’homme. Mais comme le passé s’est effacé, le futur suit la même voie. On nous fait miroiter des nouvelles technologies merveilleuses, mais la place pour un futur humain est réduite comme peau de chagrin. La transmission nourrissait des espoirs, transmettait aussi des tâches à accomplir, un monde à construire, un monde que nous pourrions construire puisque le vieux monde était fermement établi et qu’on pouvait prendre appui sur lui. La crise de l’espérance révolutionnaire est donc d’abord une conséquence, pas inattendue du tout, de la fin de la transmission.

C’est jusque dans le substrat anthropologique que cette révolution s’accomplit. Encore aujourd’hui, la vie humaine se transmet, de génération en génération, et les humains procréent. Mais le monde qui s’annonce est tout autre. La fabrique des bébés qui se mijote dans les fourneaux de la « PMA pour tou.te. s » nous dit que l’homme n’a pas vocation à transmettre la vie, donc à se laisser dominer par les générations passées, mais doit au contraire fabriquer des humains entièrement nouveaux, des humains qui ne devront rien à leurs géniteurs, ceux-ci étant réduits à des gamètes prélevés dans des banques de gamètes. La PMA, technique thérapeutique jadis, est devenue par le miracle de la nouvelle loi bioéthique le réacteur biologique du passage de l’humain au posthumain. « Tout ce qui est possible doit être fait », disent les technophiles ou les penseurs désespérés. L’Ancien testament fait la liste des engendrements (tôledôt) et place ainsi la question de la filiation au centre de la structure qui institue la société — la nôtre — et c’est cela qui est en train d’être renversé, ce fil qui est en train d’être brisé. Peut-être faut-il s’abstenir de porter sur cette question un jugement normatif, mais il serait bon que l’on prenne vraiment conscience de ce qui est en cause et qu’on ne déguise pas des bouleversements aussi profonds en simples techniques. Sauf à faire advenir la technoscience comme une théologie nouvelle.

Comment continuer ?

Notre histoire a déjà connu des époques où la transmission s’est interrompue. Vues de loin, les invasions barbares et la chute de l’Empire romain ont dû ressembler à cela : effondrement de la population urbaine, effondrement de l’instruction, guerres incessantes. Nous avons une petite idée de ce qui s’est passé si on compare la population de Rome à l’apogée de l’Empire à sa population au viie ou viiisiècle. Mais le fil ne fut pas rompu, sans doute en raison du rôle capital qu’a joué l’église catholique (pour ce qui concerne l’Europe occidentale, au moins) qui a transmis la langue latine et les manuscrits anciens, mais aussi le sens de la dispute théologique qui devait ouvrir de nouveaux chemins à la philosophie. La renaissance des villes et du commerce a assez tôt redonné vie à des traditions anciennes — par exemple dans le vaste mouvement des communes qui a touché la France, l’Allemagne, l’Italie ou la Baltique. En fait, les barbares n’étaient pas si barbares que cela. Longtemps au bord ou même à l’intérieur de l’Empire romain, ils en ont gardé des souvenirs et se les sont transmis. Cet effondrement ne devait être que temporaire et le Moyen âge, qui ne fut pas un âge sombre, accoucha de la Renaissance.

Si l’on peut être tenté d’utiliser la rhétorique des invasions barbares (comme dans le film de Denis Arcand), l’analogie est très trompeuse. L’effondrement de la transmission ne provoque pas de ruines, mais au contraire accélère l’établissement d’un capitalisme sans limites et prêt à utiliser tout ce que la technique lui offrira pour remodeler le monde. Nous ne pouvons pas nous consoler en invoquant une conception cyclique de l’histoire à l’instar de celle de Vico qui vit dans « l’âge des barbares » le prélude à l’instauration d’un nouvel « âge des hommes ».  Ce ne sont pas de nouveaux barbares qui viendront enrayer la mécanique mortifère du mode de production capitaliste.  Ce sont les conditions mêmes de son développement, ses contradictions internes, qui conduisent fatalement à une crise dont nous sommes incapables aujourd’hui de délimiter les contours exacts. L’accumulation de capital en papier ne peut durer indéfiniment. Il faut extraire de la plus-value de la production de marchandises. Or comme j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’y revenir, les conditions de l’accumulation du capital à long terme sont en train de s’épuiser — les ressources de la terre et les ressources de la fertilité humaine. L’énergie gratuite, ou presque, et abondante, c’est, en gros, terminé, et la croissance exponentielle de la population va nécessairement s’arrêter. Les deux sources de la richesse, disait Marx, sont la Terre et le travail. L’une et l’autre vont se raréfier.

D’une manière ou d’une autre, nous allons être obligés de faire demi-tour, de reprendre conscience de notre propre mesure, de revenir à la vieille injonction socratique (« connais-toi toi-même ! ») et ainsi penser à la préservation du monde avant de songer à le changer — même s’il faut le changer.

Personne ne peut proposer l’abandon des techniques qui ont permis de rendre souvent la vie plus confortable, de la prolonger et de diminuer les souffrances des maladies. Mais il est temps d’apprendre à en faire un usage modéré, ce qui ne peut être obtenu en distribuant aux individus des leçons de frugalité, mais en redonnant sens à notre existence, un sens qui peut plonger ses racines dans la culture héritée, non seulement d’Athènes, Rome et Jérusalem, mais aussi de l’Europe médiévale et moderne. En se souvenant d’où nous venons, en refusant de nous extasier devant chaque prétendue nouveauté, en réapprenant que « tout ce qui naît mérite de périr » et que la quête de l’immortalité est le plus sûr moyen de transformer la vie humaine en enfer, nous pouvons rouvrir le futur.

Le 3 janvier 2021.

  

jeudi 24 décembre 2020

Résolument conservateur


En France, il n’est pas bien vu d’être conservateur. Le mot commence mal et donc tout le monde ou presque est pour la réforme, pour aller de l’avant, pour évoluer, pour accepter le progrès… Conservateur ? Voilà une véritable injure que l’on réserve aux syndicats, aux Français d’en bas, à ces maudits « Gaulois réfractaires » ou à des écrivains qu’on ne lit plus.

Il est donc bien difficile de se dire résolument conservateur ! Il est bien plus facile de se dire révolutionnaire. Tout le monde, du moins le monde qui mérite attention, se veut révolutionnaire. Révolutionnaire dans la mode, dans l’art, dans l’écriture, dans la technique, dans tout ce que l’on veut — sauf évidemment dans les rapports sociaux, il ne faut tout de même pas exagérer.

Il existe pourtant un grand nombre de bonnes raisons philosophiques, morales et politiques d’être conservateur. La première de ces raisons ? Toutes les grandes révolutions, les révolutions sérieuses, c’est-à-dire les révolutions sociales commencent parce que le peuple veut conserver ce qu’il a et qu’on veut lui prendre. Conserver son pain, son toit, son mode de vie, son travail, ses traditions nationales ou locales, ses acquis sociaux. Tous le savent : un bon « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras ». Les intellectuels construisent volontiers des républiques qui n’existent nulle part, ils sont les spécialistes des châteaux en Espagne ; ils ont des plans plein leur cartable ou leur disque dur d’ordinateur. Les lendemains doivent impérativement chanter ! Mais, le plus souvent, ils déchantent. L’ivresse des mots se termine en gueule de bois.

J’ai passé quelques années de ma vie dans une organisation révolutionnaire qui n’était ni pour l’autogestion, ni pour les réformes sociétales, ni pour la révolution sexuelle, mais simplement pour la défense de l’école laïque, pour la défense de l’indépendance des syndicats, fondée sur la charte d’Amiens (1905), pour la défense des droits sociaux et des conventions collectives, etc. Je ne regrette absolument rien de cet engagement qui est encore le mien dans ses grandes lignes. Certes, ce n’était pas « mieux avant », mais assurément c’est pire maintenant que les retraites et la sécu sont en voie de démantèlement accéléré et que l’école n’est plus qu’un tas de ruines. Il y a donc des raisons révolutionnaires pour être conservateur. Tout cela, d’ailleurs, Régis Debray l’a déjà dit et bien mieux que moi.

Mais il y a bien d’autres raisons d’être conservateur. Des raisons que l’on n’ose plus avouer en ces époques de politiquement correct et de « cancel culture ». Ces acquis sociaux, ces libertés sociales auxquelles nous sommes encore très nombreux à être attachés, tout cela n’est pas tombé du ciel et ce n’est pas seulement le produit des luttes sociales, car ces luttes sociales elles-mêmes sont un des fruits de toute une civilisation dont nous sommes les héritiers que nous regardons, impuissants, se défaire sous nos yeux. Des Grecs nous héritons de la liberté de la pensée ; des Romains nous héritons le droit qui est l’exact contraire de l’arbitraire des tyrans. Du judaïsme, nous héritons ce goût de la contestation, même de la parole de Dieu ! Et du christianisme nous gardons l’égalité, la fraternité et la liberté de conscience ! Même nos plus extravagantes utopies sont nées de ce terrain. Quand Moïse guide les Hébreux hors de la servitude, il donne le mot d’ordre : laisse mon peuple aller ! Les Noirs américains le chantent : Let my people go ! On pourrait reprendre tout ce que dit Ernst Bloch dans Athéisme dans le christianisme pour montrer que les insurrections paysannes (par exemple la guerre des paysans de Thomas Münzer), les révolutions populaires en Angleterre et France, les aspirations socialistes et anarchistes ont toutes à voir de très près avec cette tradition qui n’est pas une religion au sens classique du terme en sociologie, mais une culture dont nous étions imprégnés parce que nos maîtres, les Rousseau et les Marx en étaient si profondément imprégnés. Ce qu’il faut bien appeler la culture occidentale est dans son essence une culture de la liberté et de l’émancipation et c’est pourquoi la défense de la culture occidentale, la défense de la « grande culture » autant que la « culture populaire », tout qui ce qui est aujourd’hui marqué au sceau de l’infamie rétrograde, passéiste, ringarde et réactionnaire, toute cette nostalgie de la culture du « mâle blanc hétéronormé », est tout simplement la conservation d’un possible monde meilleur.

Car ce dont il s’agit, ce n’est pas de faire table rase du passé mais de conserver le monde, c’est-à-dire le monde de l’homme, un monde dans lequel la nature est la condition ultime de notre survie et où les rapports d’amitiés entre les hommes et les femmes puissent encore avoir toute leur place, loin de la furie des censeurs, des excommunicateurs, des identitaires de tous poils qu’il s’agisse de l’identité « de genre » ou de religion.

Il s’agit donc aussi de conserver ce qui rend possible cette conservation du monde, afin que les « nouveaux », les Nachgeborenen dont parlait Brecht, puisse venir et vivre. Et pour que cette transmission, ce passage de témoin d’une génération à l’autre puisse se faire, il est nécessaire que les plus âgés soient les conservateurs d’un monde où les nouvelles générations pourront être révolutionnaires. La destruction de l’autorité — dont parle Hannah Arendt — est une des conséquences de l’avènement d’un monde social dans lequel tout doit en permanence être révolutionné et où toutes les valeurs cèdent le pas à la valeur, sonnante et trébuchante, qui circule sur le marché. Dans un tel monde l’autorité des parents ou des professeurs ne possède plus aucune légitimité. Combien valez-vous ? Telle est la seule question que les jeunes générations apprennent à poser à leurs aînés. Une affaire très révélatrice : le représentant de la CGC au conseil supérieur de l’éducation, René Chiche, dépose un amendement à la charte de l’enseignement précisant que l’autorité des professeurs face aux élèves et aux « parents d’élèves » doit être respectée. Cet amendement qui procède du simple bon sens a été très largement rejeté. Il est devenu incongru d’évoquer l’autorité dans les sphères dirigeantes de ce qu’il est encore convenu d’appeler « éducation nationale ». Cette perte de l’autorité naturelle de ceux qui doivent élever la jeune génération s’accompagne d’une montée sans précédent d’un autoritarisme tatillon fondé sur la multiplication des lois.

Dans le monde d’où l’autorité a disparu au profit du contrôle social, le simple bon sens, le sens commun s’est effondré : surtout ne plus dire « bonjour Madame » à une dame, car celle-ci pourrait être dans un état d’esprit tout provisoire où elle se sent un homme. Dans le film de Truffaut Baisers volés, Delphine Seyrig enseigne le jeune Jean-Pierre Léaud de la distinction entre le tact et la politesse : un homme entre par inadvertance dans une salle de bain où une dame nue fait sa toilette. L’homme poli referme la porte en disant : « pardon, Madame ». Celui qui sort en disant « Pardon, Monsieur » a du tact. Voilà un subtil distinguo qui échappe à notre époque où les hommes publics parlent comme des charretiers et où se montrer prévenant à l’égard d’une femme vous fait passer au mieux pour un gros « relou » quand ce n’est pas un violeur potentiel. Dire qu’il faut un père et une mère pour faire un enfant (un papa et une maman, dira-t-on dans le langage mièvre de l’époque) vous vaut d’être illico presto assimilé à la droite réactionnaire et aux nostalgiques des heures les plus sombres de notre histoire… Face aux délires, être conservateur c’est simplement essayer de rester raisonnable.

Être conservateur, ce n’est pas refuser l’innovation ou les idées nouvelles. C’est seulement refuser de céder au « bougisme » pour reprendre l’expression de Pierre-André Taguieff. Refuser cette danse de Saint-Guy devenue la loi imposée par les sommets du capital « high tech ». Le capital a besoin d’individus tous interchangeables, des mêmes ramenés à quelques équations des spécialistes du marché. Le nouveau capitalisme est sans foi ni loi, il est partout et donc nulle part. Il est tout-puissant. Il est le nouveau Dieu. Mais alors que l’ancien était parfaitement inoffensif (le soupir de la créature opprimée, disait Marx) le nouveau Dieu a besoin continuellement de sang frais pour nourrir son impérieux mouvement d’accumulation. S’il fallait vraiment choisir, je préférerais encore le Dieu des chrétiens, ce Dieu humble qui s’est fait homme, est né dans une étable et devant qui les puissants, symbolisés par les rois mages sont venus s’agenouiller.

Ce que nous devons conserver, c’est aussi un certain sens de la beauté des choses, ce que l’Italie d’avant les horreurs post-modernes a cultivé avec constance et génie. Beauté des œuvres d’art quand elles n’étaient pas des « performances » de propres à rien en pleine crise. Lire et méditer ce que nous dit Jean Clair dans L’hiver de la culture. Se souvenir d’Adorno et Horkheimer : « Aujourd’hui, la barbarie esthétique réalise la menace qui pèse sur les créations de l’esprit depuis qu’elles ont été réunies et neutralisées en tant que culture. Parler de culture a toujours été contraire à culture. » (T.W. Adorno et M. Horkheimer, La production industrielle des biens culturels) On ne saurait mieux résumer le discours sur la culture courant de nos jours : un discours qui détruit toute culture. Il ne s’agit pas que des créations de l’esprit. La nature est mise à sac par les aménageurs, les bétonneurs — pensons aux hideuses surfaces commerciales des villes — et la campagne est défigurée, transformée en site industriel par l’invasion des éoliennes, géants de béton et d’acier qu’aucun Don Quichotte ne se risque à combattre.

Conserver le passé, c’est le seul moyen de rendre vivable le présent et d’entrevoir une lueur dans le futur. Les révolutionnaires en peau de lapin à la Mélenchon, qui considère que le passé n’a rien à nous apprendre et que nous sommes les héritiers du futur, ne font que ressasser comme des élèves un peu idiots la leçon du capital : « faites-vous vous-mêmes », « soyez des vrais self made men » et les voilà qui volent au secours de toutes les aberrations ultramodernes. Avant de terminer leur course, misérablement, oubliés dans un coin de l’histoire ou aplatis comme des carpettes où les oligarques se frottent les pieds — ainsi Tsipras en Grèce ou Iglesias en Espagne. Tous ces « progressistes » sont de fieffées canailles. Et avec eux les intellectuels qui presque tous ont sombré dans l’abjection. On peut admettre qu’il fut un temps où les intellectuels « de gauche » ont joué un rôle utile, précieux pour le genre humain. Mais ce temps est passé. Conserver l’espoir d’une société décente : voilà ce qui nous reste.

Le 24 décembre 2020

PS: Cet article est illustré par une photo de l'admirable groupe dû a Bernini, représentant Enée qui fuit Troie en portant son père Anchise sur son dos et tenant par la main son fils Ascagne. Pierre Legendre a attiré notre attention sur l'inestimable valeur symbolique de cette œuvre. Tout le destin de l'homme s'y trouve résumé. Et cela que l'on veut refouler aujourd'hui. 



mercredi 9 décembre 2020

La science, ça sert à faire la guerre

On apprend que le comité d’éthique de l’armée française vient de donner son feu vert à la recherche en vue de fabriquer un « soldat augmenté », mais « éthique ». La plupart des grandes armées au monde sont déjà activement engagées dans la production de « superhéros » à la Marvel. Américains, Chinois et Russes font toutes sortes d’expérience pour améliorer la vision nocturne des soldats, grâce à des greffes sur la rétine, des essais d’exosquelettes pour permettre de porter de lourdes charges, des drogues permettant de supprimer, autant que faire se peut, le besoin de sommeil, la greffe de puces pour la géolocalisation, la coordination entre le regard et la visée des canons, voilà quelques-unes des pistes de l’homme augmenté. L’armée française refuse, pour l’heure, toutes les techniques « trop invasives » et qui pourraient mettre en cause le libre arbitre du soldat. Mais, comme toujours, ces précautions de langage du comité d’éthique des armées n’ont d’autre justification que de donner des coups de pinceau de moraline sur ce qui est largement engagé et qu’il faudrait poursuivre, pour la bonne raison que l’armée française ne saurait se laisser distancer sur ce terrain par les autres armées.

Le transhumanisme est en route et, comme toujours, c’est l’industrie de la guerre qui sert de volant d’entrainement. Il est loin le temps où l’on faisait monter les soldats à l’assaut en les droguant à la gnole ! La science est passée par là. Il ne s’agit pas seulement de la guerre que sont les ethnies, les tribus, les empires ou les nations. Il s’agit de la guerre que mènent les puissants contre les peuples. La science sert à surveiller, contrôler, manipuler et réprimer. Mais il s’agit aussi de la guerre qui est menée à l’humain comme tel. Car ces soldats augmentés préfigurent l’humanité de demain, une humanité qui ne méritera plus ce nom, puisque partout on remplace l’homme par toutes sortes de dispositifs mécaniques : robotisation, « intelligence artificielle », biotechnologies. Il ne s’agit plus d’utiliser la science pour alléger la peine des hommes, mais d’asservir l’humanité à la logique du capital qui n’est rien d’autre que du travail mort. Les humains deviennent de simples rouages indispensables de la grande machinerie. Les analyses de Marx, qui ont plus d’un siècle et demi, trouvent une confirmation éclatante dans notre ère du « capitalisme absolu ». Car, bien sûr, ce qui se teste dans le domaine militaire a d’ores et déjà des applications civiles. Le « puçage » des individus à des fins de reconnaissance et d’identification a déjà été expérimenté dans une entreprise suédoise. En repoussant les bornes du sommeil, on pourrait aussi mettre à profit la journée entière pour la production de plus-value. Faire sauter les barrières physiques de la journée de travail est un vieux rêve des capitalistes (voir encore Marx, Capital, livre I, chap. VIII). Le travail en réseau permet l’accaparement de toute la vie par la production de valeur. Plutôt que dépenser des fortunes pour mettre au point des robots qui ne remplaceront jamais l’habilité et la capacité de décision d’un humain, c’est la robotisation de l’homme qui est à l’ordre du jour.

Certes, le progrès scientifique et technique nous apporte des bienfaits (plus limités qu’on ne croit d’ailleurs) qui viendraient contrebalancer les menaces que le « progrès » fait peser sur nous. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ! Mais on atteint d’ores et déjà un certain nombre de limites : l’espérance de vie n’augmente plus et le frein à l’accroissement démographique (une absolue nécessité) entraine un vieillissement de la population dont on est loin d’avoir exploré toutes les conséquences. L’épuisement des ressources d’énergie fossile va contraindre l’humanité à moins compter sur ses prothèses mécaniques. Enfin, l’utilisation massive des biotechnologies appliquées à l’humain nous mène au bord de l’abîme. L’optimisme technologique n’est décidément plus de mise. Mais le perfectionnement impressionnant des moyens de la guerre indique dans quelle direction se précipite, aveuglée, la majeure partie des élites dirigeantes. Une bonne guerre, il n’y a rien de tel pour « dégraisser » la machine capitaliste et obtenir la soumission des individus.

Denis Collin, le 9/12/2020

lundi 30 novembre 2020

L’IA et la restructuration du capital à l’échelle mondiale

Antonio A. Casilli : En attendant les robots — Enquête sur le travail du clic (Le Seuil, 2019, collection « La Couleur des idées »)


Antonio Casilli produit avec ce livre une analyse remarquable des soubassements de l’économie de l’internet et des transformations en profondeur qu’elle fait subir au mode de production capitaliste. Au lieu de s’ébahir sur les miracles des machines ou de dénoncer les GAFAM, il montre les mécanismes qui permettent aux grands propriétaires des plateformes de centraliser la plus-value. Ce mécanisme est généralement masqué derrière « l’intelligence artificielle » qui n’est rien d’autre que le moyen de mettre les hommes au service des machines. La meilleure métaphore de cette intelligence artificielle, c’est le joueur d’échecs mécanique du baron von Kempelen (1769) un pseudo-automate représentant un ottoman jouant aux échecs, animé par un nain caché dans les mécanismes et dirige les mouvements de la marionnette grâce à un système de miroirs qui lui montre l’échiquier. Significativement, Amazon a baptisé son organisation de distribution de « digital labor » « Mechanical Turk », révélant ce qu’est la réalité du traitement massif de données (« big data ») par la soi-disant « intelligence artificielle ».

Le livre de Casalli est centré sur l’étude des « tâcherons » du clic, tout ce travail invisible qui fait fonctionner les plateformes. « Cette dynamique technologique et sociale pointe la métamorphose du geste productif humain en micro-opérations sous-payées ou non payées, afin d’alimenter une économie informationnelle qui se base principalement sur l’extraction de données et sur la délégation à des opérateurs humains de tâches productives constamment dévaluées, parce que considérées comme trop petites, trop peu ostensibles, trop ludiques ou trop peu valorisantes. » (14) Le « digital labor » produit « l’externalisation du travail et sa fragmentation. » Les plateformes sont l’organisation de cette nouvelle division du travail qui produit une nouvelle forme du « travail en miettes » que dénonçait jadis Georges Friedmann.

Casalli commence par mettre en question le grand récit de l’automation qui aboutirait selon ses hérauts à la fin du travail (Sur ce même sujet, j’ai écrit en1997, La fin du travail et la mondialisation. Idéologie et réalité sociale). « Plutôt qu’à la disparition programmée du travail, on assiste à son déplacement ou à sa dissimulation hors du champ de vision des citoyens, mais aussi des analystes et des décideurs politiques, prompts à adhérer au storytelling des capitalistes des plateformes. » (25) De manière presque provocatrice, il montre que les humains non seulement se mettent au service des robots, mais sont même appelés à les remplacer — il retrouve ici les analyses de Marx dans le livre I du Capital qui montre que les capitalistes n’ont aucune obsession pour l’automation dès lors que le « coût du travail » est suffisamment bas. Bien au contraire, à certains égards, ils préfèrent les « automates humains » qui coûtent finalement beaucoup moins cher. En outre, les machines n’apprennent pas toutes seules, il faut des humains pour leur apprendre à penser. Des travailleurs (payés au lance-pierre) et des usages travaillant gracieusement fournissent aux machines les éléments indispensables au fonctionnement de la « machine learning ». « les “machines ne peuvent exister sans le concours des humains prêts à leur enseigner comment penser. » (32) Ainsi « l’artificialité de l’intelligence artificielle réside justement en cela : que, tout en ne nécessitant aucun discernement, ces tâches produisent, pour autant, telle une propriété émergente, un semblant d’intelligence. » (33) Les exemples sont nombreux : reconnaissance de caractère par les clics sur le reCAPTCHA, validation des traductions dites automatiques, validation de la reconnaissance d’image, etc. : « Le programme scientifique de l’intelligence artificielle devient alors indissociable d’une certaine cybernétique, c’est-à-dire d’un art de contrôler les êtres humains et de discipliner l’exécution de leurs activités. »

Il n’y a donc pas de « grand remplacement » : « Les chiffres, en effet, vont à l’encontre de la thèse défendue par les tenants du “grand remplacement automatique. Ce paradoxe est particulièrement visible dans le secteur de la robotique. Une enquête portant sur dix-sept pays entre 1993 et 2007 ne trouve pas d’effets significatifs des robots industriels multifonctions sur l’emploi global en termes de nombre total d’heures travaillées. » (41) Il faut évidemment faire entrer en ligne de compte la résistance… de la matière ! « Une étude comparative de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) menée sur vingt et un pays en 2016 démontre la surestimation de l’automatisabilité des professions actuelles. »

S’il y a un « grand remplacement », c’est celui des salariés par les usagers : « Ce sont surtout les usagers, les consommateurs, les clients qui prennent la responsabilité de faire fonctionner les machines. Désormais, ce sont eux, et non pas les guichetiers, qui s’identifient; eux, et non pas les guichetiers, qui réalisent les transactions; eux, et non pas les guichetiers, qui comptent l’argent. Il en va de même d’autres technologies qui facilitent le libre-service, telles les bornes d’autoenregistrement ou les caisses automatiques dans les grandes surfaces. » (46)

Ainsi, commence à affleurer la notion de «travail du consommateur». Il faut donc oublier la menace des robots et regarder la véritable menace, celle de « la fragmentation des emplois en tâches externalisées et le démantèlement des salaires par des micropaiements. » De la même manière que le philosophe Markus Gabriel considère l’IA comme une « mise en scène » (voir Pourquoi la pensée humaine est inégalable), Casilli affirme que « l’automation est avant tout un spectacle, une stratégie de détournement de l’attention destinée à occulter des décisions managériales visant à réduire la part relative des salaires (et plus généralement de la rémunération des facteurs productifs humains) par rapport à la rémunération des investisseurs. » (52) Idéologie et religion (nouvelle théologie), tel est l’essence du discours sur l’IA, la puissance des « big data », etc. « Mais dans le cadre de la réflexion sur l’automation à l’heure du numérique, il est vraisemblablement possible de retourner la métaphore : c’est le matérialisme historique, l’attention pour les conditions matérielles d’existence des producteurs de valeur, qui est rabougri, réduit au rôle d’homuncule “prié de ne pas se faire voir, et qu’on enferme dans une croyance abstraite en une intelligence réellement artificielle, dans la théologie du machine learning. » (58)

Il ne faut pas croire que les employeurs ne rêvent que de machiniser la main-d’œuvre. L’homme chassé d’un endroit finit toujours par réapparaître ailleurs ! « Parfois, les plateformes adoptent des réflexes d’entreprises classiques quand elles “communiquent au sujet de leur valeur économique, par exemple à l’occasion de leur entrée en bourse ou de leur rencontre avec de potentiels investisseurs. Il leur arrive également d’insister sur les facteurs techniques de leur réussite (le nombre de leurs serveurs, la qualité de leurs solutions algorithmiques, la puissance de calcul de leurs processeurs, etc.). Mais la source de leur valeur demeure quoi qu’il en soit la qualité et la quantité des données personnelles qu’elles exploitent, le dynamisme de leurs communautés, la pertinence des services que celles-ci permettent de développer. » (87)

Casilli procède ensuite à une typologie du « digital labor ». Il analyse en particulier le microtravail tel qu’il a été façonné par Amazon Mechanical Turk qui montre à l’évidence qu’une intelligence véritablement et entièrement «artificielle» n’est qu’un mirage. Si l’on prend le moteur de recherche de Google qui est l’application de l’IA la plus connue de tous (bien qu’en l’occurrence elle ne se présent pas sous ce nom, on remarque : « chaque requête adressée à Google a deux effets : le premier résultat visible est que l’utilisateur reçoit une série de réponses à sa requête, classées par “pertinence”; le second effet, plus discret, est que l’entrée d’une requête produit essentiellement un vote attestant de la popularité de la chaîne de recherche. » (157) L’imaginaire contemporain est nourri de fantasmes algorithmiques — de ce point de vue le monde de l’informatique fait un peu penser à celui des schtroumpfs : quand un mot manque, on le remplace par « schtroumpf ». Les informaticiens semblablement utilisent le mot « algorithme » à la place de tous les mots qui leur manquent.

Autre fantasme que traque Casilli : celui de la gratuité qui fait du monde des plateformes un véritable Eden. En vérité, « Une énorme quantité de travail rémunéré finit par innerver les usages soi-disant “gratuits. » (189) L’analyse de certains programmes d’IA destinés au dialogue homme-machine [tous les programmes qui descendent de la fameuse Elyza, un programme de dialogue qui a une quarantaine d’années] montre que, laissée à elle-même, la « machine learning » apprend surtout ce que les utilisateurs lui apprennent, tant est-il que l’IA est toujours animée par des humains. L’analyse de ces expériences montre aussi que, si ces programmes ne sont soutenus gracieusement par des humains, ils sont financièrement insoutenables.

Il y a un autre aspect du travail en réseau, celui gens payés pour être « followers » ou « likeurs ». La vente de faux « followers » est un commerce lucratif. Il existe, notamment en Chine, des « fermes à clics ». On sait l’importance que toutes ces techniques prennent pour influencer le corps électoral. Les « fake news » ne sont pas un produit d’internet — elles sont aussi vieilles que le monde — mais le monde des réseaux et des plateformes est bien l’empire du faux.

Les plateformes produisent donc deux effets. D’une part, elles restructurent profondément le mode de production capitaliste puisqu’elles sont des mixtes unissant les fonctions et celles du marché et subordonnant les deux espaces traditionnels du capital à leurs propres objectifs. Elles permettent une parcellisation accélérée du travail autrefois accompli par des cols blancs et sa délocalisation virtuelle [notamment en Afrique et en Asie]. Les pays les plus pauvres comme Madagascar sont complètement intégrés dans l’économie de plateforme. D’autre part, elles produisent en abondance l’idéologie qui justifie leur domination sur nos vies.

La colonisation du temps libre par le capital, déjà largement abordée par Theodor Adorno dans sa critique de « l’industrie culturelle » trouve ses prolongements dans les horizons du « digital labor » que Casilli explore. Le travail passe maintenant hors du travail. La « ludification », caractéristique de notre monde mérite à elle seule un long développement. Est apparu quelque chose qu’on appelle le « playbor », le « jeu-travail » : « L’importance du playbor dans le secteur numérique reflète d’ailleurs peut-être une tendance plus générale que l’on observe dans les entreprises traditionnelles, dont l’organisation s’inspire depuis plusieurs décennies d’une philosophie managériale fondée sur le développement personnel, l’émulation créatrice, la convivialité des espaces de travail, l’horizontalité des relations hiérarchiques, la collaboration par équipes, la conversion des objectifs en “défis et en dynamiques de jeu.. » [229] Il s’agit d’une colonisation totale de l’existence : « D’après le critique Jonathan Crary, le capitalisme à l’heure d’Internet instaure une existence à flux tendu qui sonne la “fin du sommeil”. » (230) En effet, « En donnant une illusion de maîtrise, de victoire et d’appropriation, le jeu stimule des pulsions et des appétits spécifiques qui intensifient la production d’informations 24 heures sur 24. » Le digital labor » s’inscrit ainsi dans un processus d’«asservissement machinique généralisé» de l’homme. Le « digital labor » fonctionne à la « surveillance douce », mais d’autant plus efficace : « La “surveillance douce, auto - imposée et réalisée de manière coopérative, du digital labor n’abolit pas la volonté de l’usager; au contraire, elle puise à l’intérieur de celle ci les ressources pour conduire les opérations nécessaires à sa mise en œuvre. La surveillance participative réinvente ainsi entièrement l’architecture panoptique. Loin de libérer le travail, le digital labor s’impose en définitive comme un “bénévolat forcé87 ou une “servitude volontaire. (263)

Les plateformes permettent la mise en place de nouvelles relations de travail fondées sur la désagrégation du salariat. “La multiplication de ces situations de travailleurs formellement indépendants, mais économiquement dépendants est attestée par l’émergence, notamment en Europe, de statuts intermédiaires de ‘para - subordonnés’ : co. co. co. [contrats de ‘collaboration coordonnée et continuée] en Italie, TRADE [‘travailleurs autonomes dépendants économiquement] en Espagne, Arbeitnehmerähnliche Personen [‘personnes quasi salariées] en Allemagne, etc.” (268) On connait bien l’exemple des conducteurs Uber, des livreurs Deliveroo, etc., qui sont prototypiques des ces indépendants entièrement dépendants.

La plateformisation est une dimension essentielle de la mondialisation dans la phase actuelle et, loin de répéter l’ancienne colonisation, il procède progressivement à un nivellement par le bas. Face aux contraintes du mode de production capitaliste d’hier, la plateformisation a représenté une issue en instaurant “une liberté de circulation virtuelle de la main-d’œuvre planétaire. Il y a encore quelques décennies, une offre de travail localisée et profondément enracinée dans des lieux physiques faisait face à un capital toujours mouvant. Dans l’économie des plateformes, l’offre de travail est, au contraire, géographiquement dispersée et répartie le long de chaînes logistiques numériques en constante reconfiguration. À l’importation de main d’œuvre des siècles passés succèdent aujourd’hui des transferts non présentiels de populations, par l’entremise de services d’intermédiation numérique opérant comme des systèmes technologiques d’immigration64’.) (288)

Cette vision d’ensemble de rapports de rapports sociaux de production remet à leur juste place les discours dithyrambiques sur l’intelligence artificielle. En vérité nous n’avons pas beaucoup progressé vers une machine ‘intelligente’. Cet objectif est d’ailleurs peut-être à peu près dénué de sens. Nous avons seulement progressé dans la puissance de calcul des machines et dans le stockage des données disponibles sur tout le réseau mondial. Il est vrai que ces discours sur l’IA valorisent ceux qui l’organisent et vendent leurs logiciels : ‘Tout d’abord, c’est le travail même des ingénieurs, des scientifiques et des industriels que justifie cette idéologie. Déclarer être en train de mener des recherches pour simuler l’intelligence humaine est avant tout une manière pour les producteurs de technologies d’être en paix avec leur propre identité au travail, de se représenter non pas comme une classe vectorialiste dont la fonction est de gérer un trafic planétaire de clics ou de mettre sur pied des chaînes de sous-traitance qui aboutissent quelque part dans les sweatshops numériques de zones péri - urbaines de pays en voie de développement, mais comme une élite qui contribue au progrès de l’humanité en œuvrant à l’innovation de pointe.’ (294)

La fin du livre est consacrée à une discussion sur l’IA et les obstacles qu’elle rencontre. L’auteur ne semble pas écarter à l’avenir des progrès décisifs dans le domaine de l’IA, même s’il faut bien constater qu’on a recours, et de plus en plus, aux humains pour pallier les failles importantes des systèmes d’IA et du fameux ‘machine learning’. Il est vrai que le ‘deep learning’ — l’apprentissage profond, c’est-à-dire un procédé par lequel la machine elle-même est programmée pour changer son propre code en fonction des succès et des échecs qu’a rencontrés le programme — semble ouvrir des perspectives fascinantes. On s’extasie : la machine produit des résultats qu’aucun humain n’avait prévus et on ne sait pas comme ‘elle fait’. Le problème est que la machine ‘ne fait’ rien. Elle produit des résultats qui sont les effets d’un enchaînement non maîtrisé de processus physiques. Et donc on n’a aucune idée de la validité de ces résultats. Il est impossible, quoi qu’on fasse, de sortir de cette embrouillamini. Il y a des raisons de fond à cet échec : ‘C’est avant tout un problème de complexité : un modèle mathématique traditionnel peut avoir quelques dizaines de paramètres, mais un réseau de neurones en a des millions. L’apprentissage non supervisé fournit des résultats sans nécessairement expliquer comment la machine les a obtenus, ni donner d’indications précises sur leur niveau de pertinence et d’utilisabilité.’ (300)

 

Une fois qu’on est sorti des fantasmes, il faut remettre les pieds sur terre. ‘Tâcheronnisation et datafication occupent, dans le contexte de l’IA, la même place que le séquençage et le chronométrage des tâches pour le taylorisme : non pas des innovations techniques majeures, mais une sophistication de la division capitaliste du travail visant à contrôler une main-d’œuvre constamment décrite comme oisive, insouciante et potentiellement récalcitrante.’ (297)

Puisque les progrès du machine learning sont conditionnés à une production humaine de données accrue, la perspective d’une autonomisation du premier qui marquerait la cessation de la seconde est un horizon inatteignable.

Conclusion Que faire? La question est posée de l’action qui pourrait s’opposer aux conséquences désastreuses de la plateformisation. Casalli écarte l’hypothèse ‘luddiste’ — on ne va pas casser les machines. Il pèse la possibilité de construire un mouvement coopératif, des plateformes qui renoueraient avec l’origine du mot — la plateforme est la base sur laquelle s’entendaient niveleurs et bêcheurs lors de la révolution anglaise. Ces plateformes coopératives pourraient-elles résister à la récupération par les grandes firmes ? La réponse de l’auteur n’est pas très encourageante, mais il n’y a pas d’autre choix.

 

vendredi 27 novembre 2020

John Rawls et le libéralisme politique

 

Extrait de l'introduction

(...) Cependant, quel que soit son impact, Rawls pourrait bien donner une nouvelle confirmation de ce passage fameux de Hegel, dans la préface à la Philosophie du droit : « quand la philosophie peint son gris sur gris, c’est qu’une figure de la vie est devenue vieille, et on ne peut pas la rajeunir avec du gris sur gris, mais on peut seulement la connaître ; la chouette de Minerve ne prend son vol qu’au crépuscule ». En effet, la théorie de la justice paraît précisément au moment où la longue période d’expansion des « Trente Glorieuses » va prendre fin et les espoirs (peu raisonnables, il est vrai) qu’on pouvait mettre dans un rapprochement pacifique et progressif des deux systèmes allaient s’évanouir. La philosophie ne peut pas enseigner comment le monde doit être, dit Hegel, parce qu’elle vient toujours trop tard. Sans être hégélien, on peut tout de même se demander si les contradictions du monde réel qui constituent l’arrière-plan de la théorie de la justice et qui ont conduit aux gigantesques bouleversements de la fin du « court xxe siècle » (pour reprendre l’expression d’Éric Hobsbawm) ne sont pas aussi les contradictions de la théorie de la justice elle-même. L’indifférence de Rawls à l’analyse des structures sociales particulières, son refus constant d’articuler la réflexion sur les normes avec une théorie de la société moderne et avec l’histoire effective pourrait bien donner la clé pour au moins une partie des faiblesses ou des thèses les plus critiques de la théorie de la justice. On pourrait aussi parler d’un échec du formalisme rawlsien qui exprimerait finalement le déclin d’une phase historique exceptionnelle.

Rawls, comme tous les grands créateurs de systèmes, est un guide plus sûr dans les problèmes qu’il pose que dans les réponses qu’il donne. Et tout compte fait, ce qu’il y a peut-être de plus utile pour le progrès de la pensée, ce sont les questions que nous laisse la théorie de la justice, bien plus que les développements particuliers. Et en ce sens, la lecture de Rawls demeure éminemment féconde.

Table des matières 

I. Biographie et contexte de l’œuvre 2

II. Le « cahier des charges » 8

la justice et les théories du contrat 9

La question de l’utilitarisme 11

Morale et politique 12

III. Les principes de base 15

La société. 15

Une société bien ordonnée 16

Les principes de base 21

Explicitations du premier principe 23

Explicitation du second principe 25

La critique du mérite 29

L’ordre lexical 31

IV. La justification procédurale : le voile d’ignorance 33

Voile d’ignorance et contrat social 33

Ignorance et justice 35

La stratégie du maximin 35

Les conditions de la situation initiale 38

V. Les biens sociaux premiers 43

Définitions 43

Les droits et libertés de base 45

La liberté de mouvement et le libre choix de son occupation 46

Les pouvoirs et les prérogatives attachés aux fonctions et aux positions d’autorité et de responsabilité 48

Les revenus et la richesse 48

Les bases sociales du respect de soi 49

VI. Les institutions 51

La constitution. Hiérarchie des principes 51

La question de la liberté 52

La justice politique 54

Organisation des rapports sociaux et de propriété 55

Biens publics. Remarque additionnelle 57

Un libéralisme radical ? 58

VII. Prolongements : la théorie de la justice appliquée au droit des peuples 60

Rappel de la position de Kant 60

Les clauses de la société des peuples rawlsienne 62

Le droit des peuples 65

Extension de la Société des peuples 66

La question des droits de l’homme 67

La guerre 68

Conclusion 69

VIII. Questions de méthode 71

L’équilibre réfléchi 71

Le consensus par recoupement 72

La raison publique 74

IX. Étude de cas : la tolérance à l’égard des intolérants. 76

La tolérance à l’égard des intolérants 76

Les intolérants sont-ils fondés à se plaindre de l’intolérance ? 77

Faut-il interdire les sectes intolérantes ? 80

La stabilité des sociétés justes 82

X. Étude de cas :  la désobéissance civile 84

Quand se pose le problème de la désobéissance civile ? 85

Un acte public 86

La désobéissance civile comme acte politique 87

La clause de non-violence 88

La justification de la désobéissance civile 89

XI. La théorie de Rawls face à ses critiques et ses concurrentes 91

La justification procédurale tombe dans un cercle vicieux 91

Le principe de différence est indéterminé 92

On ne peut se passer d’une conception substantielle du bien 95

La théorie de la justice dans ses rapports avec l’utilitarisme 96

On peut aussi critiquer la théorie de la justice en la rabattant sur une morale du calcul. 100

Dépasser l’opposition entre la théorie de la justice et l’utilitarisme ? 101

Liberté des Anciens et liberté de Modernes 103

La Théorie de la Justice face au républicanisme 105

En conclusion 112

XII. Annexes 113

Le vocabulaire de Rawls 113

Conception englobante ou compréhensive du bien 113

Consensus par recoupement 113

Égale liberté pour tous 113

Équilibre réfléchi 113

Équité 114

Pluralisme raisonnable 114

Position originelle 114

Principe de différence 115

Priorité du juste sur le bien 115

Procédure 115

Société 115

Structure de base 115

Utilitarisme 116

Bibliographie 116

Œuvres de Rawls 116

Débat avec et contre Rawls 116

XIII. Index des noms cités 118

XIV. Table des matières 119



Pouvons nous nous passer des autres?

 Atelier philosophie animé par Marie-Pierre Frondziak



Mai 68, deux mouvements contradictoires

Présentation d'un article à paraître dans le numéro 3 de la revue "Front populaire".


Sur les droits des animaux

 Intervention sur les droits des animaux à partir de mon livre "L'animal", éditions Bréal.

lundi 23 novembre 2020

Préface à l'édition roumaine du livre de Diego Fusaro, L'Europe et le capital

Diego Fusaro est un philosophe qui prend Marx au sérieux. Si les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, il s’agit aujourd’hui de le transformer et Diego Fusaro ne fait pas de la philosophie pour passer le temps. Il fait de la philosophie pour mieux comprendre la réalité sociale qui est la nôtre et pour aider à la transformer. Fusaro a annoncé le retour de Marx (Bentornato Marx) et dans L’Europe et le capitalisme, il montre que le spectre de Marx hante encore la vieille Europe.

Pour comprendre ce qu’est l’Union Européenne, il faut prendre la question dans toute son ampleur. L’UE est la matrice de ce que Fusaro analyse comme le « capitalisme absolu », mettant en œuvre à sa manière les catégories hégéliennes du développement de l’esprit. C’est en effet dans l’espace de l’UE que la « gouvernance économique » s’impose face au gouvernement politique, et c’est encore dans cet espace qu’est poussée l’entreprise de destruction des États-Nations au profit de la toute-puissance du capital financier. Le programme de « dépolitisation » mis en œuvre par les gouvernements d’Europe vise à éradiquer l’idée que la politique puisse quelque chose pour endiguer la puissance du capital. L’euro, monnaie unique de la majorité des pays de l’UE, exprime parfaitement la nature de l’entreprise. On a souvent l’idée que la monnaie est un instrument des échanges et comme telle, elle serait neutre. À juste titre, Fusaro montre qu’il n’en est rien : l’euro est le fondement du capitalisme absolu et loin d’être un moyen neutre, il est une arme, meurtrière, contre les peuples.

Il ne s’agit pas d’être « contre l’Europe ». Cela n’aurait aucun sens et à bien des égards il n’y a guère plus européen que les penseurs comme Diego Fusaro. Comme tous les philosophes, il est nourri de la pensée philosophique de tous les pays d’Europe, Kant, Fichte, Hegel et Marx pour la grande tradition de la philosophie idéaliste allemande, mais aussi la philosophie grecque, Descartes, Spinoza, les philosophes italiens, de Machiavel à Gramsci, et tant d’autres à qui nous sommes infiniment reconnaissants. Pour Fusaro, il s’agit de dénoncer cette « Union Européenne » entièrement occupée à la destruction des meilleures traditions de l’Europe, à la destruction des États-Nations qui lui ont donné chair et sang, à la destruction des langues européennes remplacées par une langue fonctionnelle au monde de la marchandise, le business english (le globish).

Comment rouvrir le futur ? Voilà la question épineuse, celle où l’on attend Fusaro au tournant. L’histoire n’est pas écrite d’avance car « les hommes font eux-mêmes leur propre histoire » (Marx) ou encore Le futur est nôtre (Fusaro). Mais une fois convaincus que nous pouvons agir, que faut-il faire ? Le plus important peut-être est de comprendre que les schémas politiques du passé ont perdu toute valeur. Le clivage droite/gauche, le plus souvent, fut un trompe-l’œil. Le véritable clivage est entre le haut et le bas. Et c’est résolument aux côtés de ceux du bas qu’il faut se tenir, seule position d’où l’on peut bien connaître ceux d’en haut, ces « grands » qui ont pour seule obsession de dominer le peuple (Machiavel). Diego Fusaro a soutenu le « Mouvement Cinq Etoiles » jusque dans l’alliance avec la Lega de Matteo Salvini, parce qu’il y a vu un moyen de résister au capitalisme absolu, celui que défend le « centre-gauche » du PD aussi bien que le centre-droit de Berlusconi, un moyen d’ancrer une résistance populaire de la nation italienne contre l’UE, afin de défendre les droits sociaux. Quel que soit l’avenir de la coalition, la prise de position politique de Fusaro est claire et doit être méditée par tous ceux qui combattent pour l’émancipation des travailleurs : « Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat.  Fou qui songe à ses querelles au sein du commun combat » (Louis Aragon, La Rose et le Réséda).

Communisme et communautarisme.

Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...